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3. Outils théoriques, épistémologiques et méthodologiques

3.7. Conclusion

Dans le cadre d’une perspective institutionnelle historique axée sur l’analyse de changements institutionnels graduels, nous avons identifié la fédéralisation comme un processus de modification progressive du régime institutionnel de gouvernance de l’immigration et de l’intégration. Pour comprendre ce changement se déroulant entre 1990 et 2010, notre démarche s’ancre dans une approche mécanistique de la causalité. Nous soutenons que le processus de fédéralisation est soutenu par deux mécanismes interagissant dans le temps : 1) un mécanisme de décentralisation et 2) un mécanisme de construction provinciale. Afin de reconstituer le processus de changement, d’expliquer les variations entre les modes d’intervention provinciaux et pour faire avancer les connaissances quant à la construction provinciale en tant que mécanisme, nous mobiliserons deux variantes du retraçage de processus : 1) l’analyse séquentielle du processus et 2) le retraçage de processus.

61 L’utilisation d’entrevues d’élite semi-structurées dans le cadre d’une démarche comme celle de cette thèse permet d’effectuer quatre tâches importantes : 1) la corroboration des explications externes, 2) l’établissement et la documentation des narratifs personnels des acteurs, 3) le développement d’inférences à propos des caractéristiques ou décisions d’une plus grande population et 4) la reconstruction d’un évènement ou d’une séquence (Tansey 2007, 766). L’apport de cette méthode de collecte de données est maximisé dans le cadre d’études politiques qui visent à retracer un processus par l’utilisation d’une méthode non probabiliste de sélection des répondants (Tansey 2007, 767-8), dans la mesure où cela permet l’inclusion de tous les acteurs d’importance dans le processus. L’analyse se base donc la méthode d’échantillonnage boule de neige pour sélectionner les répondants des entrevues (Beaud 2005, 225).

4. Le Québec et le Manitoba : déclenchement et construction provinciale en immigration

Ce chapitre retrace l’activité du mécanisme de construction provinciale en immigration au Québec et au Manitoba à partir des années 1990 et ses relations avec le mécanisme de décentralisation. En documentant la mise en mouvement et le fonctionnement de ces deux mécanismes dans le temps, il sera possible, plus largement, de montrer leurs impacts sur la mise en œuvre et la direction du processus de fédéralisation de la gouvernance de l’immigration et de l’intégration au Canada à partir des années 1990.

Le Québec et le Manitoba partagent le rôle de précurseur dans le processus longitudinal de fédéralisation. Comme il le fut démontré au chapitre 2, les deux provinces partagent un mode d’intervention holiste et ce chapitre montrera que cette similarité s’explique par l’établissement, en orée du processus de fédéralisation, d’un consensus quant au rôle de l’immigration pour le développement de la société provinciale. Ce consensus s’est consolidé à la fin des années 1980 et au début des années 1990 porté par l’activation d’un mécanisme de construction provinciale en immigration suivant l’arrivée au pouvoir de deux nouveaux gouvernements à la fin des années 1980. Ces deux gouvernements – le second gouvernement libéral de Robert Bourassa élu en 1986 et le gouvernement conservateur de Gary Filmon élu en 1988 – furent alors porteurs de nouvelles conceptions de la gouvernance de l’État, de l’économie et de la société civile. Elles identifient l’immigration comme une ressource pour le développement des sociétés provinciales, tant sur le plan démographique qu’économique. Dans le cas québécois, ce mouvement marquera une nouvelle phase de mobilisation provinciale envers l’immigration, alors que la province s’était activée à partir des années 1960 suivant une logique de construction nationale compétitive. Au Manitoba, l’enclenchement du mécanisme de construction provinciale en immigration dans les années 1990 est un mouvement novateur, mais malgré tout en ligne avec certaines interventions provinciales mises en place depuis les années 1960.

L’activation du mécanisme de construction provinciale en immigration poussera les deux provinces à 1) augmenter leurs interventions en immigration et en intégration et 2) à revendiquer, auprès du gouvernement fédéral, plus de pouvoirs pour

la sélection et l’intégration des nouveaux arrivants. Ce faisant, il sera démontré que le fonctionnement préalable du mécanisme de construction provinciale en immigration au Québec et au Manitoba explique en partie l’activation du mécanisme de décentralisation fédérale dans les années 1990 et surtout, le résultat des épisodes de décentralisation au cours de cette période.

Puis, il sera montré que l’engrenage du mécanisme de construction provinciale avec trois instances d’activation du mécanisme de décentralisation dans les années 1990 – l’impact des négociations autour du projet d’entente constitutionnelle du Lac Meech entamées en 1988 pour le Québec, l’épisode de décentralisation administrative et fiscale que fut le Renouvellement de l’établissement et la création du Programme des candidats de la province pour le Manitoba – aura comme effet de donner à ces deux provinces les pouvoirs et les ressources nécessaires pour réaliser les objectifs animant leurs projets de construction provinciale en immigration. Ce faisant, tant au Québec qu’au Manitoba, on assiste à la cristallisation des principes clés des modes d’intervention holistes et du consensus sociétal à l’égard d’un rôle provincial contemporain en immigration.

Afin d’effectuer cette démonstration, le chapitre s’ouvre sur un retour sur l’évolution des politiques fédérales liées à l’immigration et à l’intégration ainsi que sur les premières interventions provinciales. La section suivante documentera l’activation du mécanisme de construction provinciale en immigration au Québec et au Manitoba ainsi que des conséquences pour les interventions provinciales et les relations fédérales-provinciales. Par la suite, le chapitre tracera l’engrenage du mécanisme de construction provinciale en immigration avec le mécanisme de décentralisation, en mettant l’accent sur le rôle provincial dans l’activation de la décentralisation. Finalement, une dernière section montrera comment, à la suite de cette rencontre avec le mécanisme de décentralisation, les interventions provinciales en immigration se sont inscrites dans la continuité.