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Le récit contemporain confère très vite une portée symbolique à la maladie : les écri-vains font subir à la réalité médicale des transformations significatives qui orientent vers un sens métaphorique ; le choix d’une écriture fantastique met en déroute la description réaliste, suggérant que les mots manquent pour exprimer l’horreur ; les « blancs » du récit chargent le mal d’une part d’indicible et ménagent un espace de liberté pour le lecteur soucieux de recréer un lien avec le réel. À maladie emblématique, victime symbolique : dans les récits du corpus, la figure du malade appelle une activité herméneutique et demande à être analysée comme le représentant d’un groupe ou d’une époque dont il porte les symptômes.

a-Une représentation de l’épidémie qui excède le réalisme

Évaluons d’abord dans quelle mesure les épidémies « réalistes » présentent des symptômes conformes à ceux que décrivent les documents scientifiques et historiques. Le choix d’être fidèle ou non à la réalité médicale permet de mieux cerner l’esthétique de chaque auteur ainsi que la signification qu’il accorde à l’épidémie.

Stewart O’Nan s’est inspiré du livre de l’historien Michael Lesy : Wisconsin Death Trip, chronique de Black River Falls, une petite bourgade du comté de Jackson, dans l’État du Wisconsin, entre 1890 et 1910. Après avoir trié vingt années de documents et d’archives, l’historien révèle, photographies à l’appui, que ce cadre rural est un enfer marqué par la folie, la désolation et les épidémies de diphtérie, de variole et de typhoïde. À onze ans, O’Nan fut choqué par cette violence qui pousse les mères à noyer leurs enfants dans la rivière, « celles qui leur donnent de l'arsenic et de la strychnine pour que, s'ils doivent mourir, au moins, ce ne soit pas d'une épidémie »1. À son tour, il propose avec A Prayer for the Dying la chronique d’une petite ville du Wisconsin affectée par la diphtérie, en en respectant les symptômes – le sang qui s’écoule du nez, la gorge atteinte, la respiration difficile, le coryza, la fièvre – sans s’appesantir sur leur description. Cependant, O’Nan ajoute à cette liste les accès de folie (« cette sorte de démence qui doit sans doute accompagner la maladie »2), introduisant un thème qui prendra toute son importance à la fin d’un roman où le fou n’est pas toujours celui que l’on croit.

1 Natalie Levisalles, « Moisson noire », Libération, 20.12.2001 [en ligne]

URL– http://www.liberation.fr/livres/2001/12/20/moisson-noire_388033 [consulté le 5 octobre 2011]

2 PFD, p. 48 : « And you think of the woman in the field, how some form of madness must accompany the sickness » ; p. 68 pour la traduction française.

À l’instar de Stewart O’Nan, la plupart des auteurs font le choix de modifier la réalité médicale de l’épidémie. Ainsi, Le Clézio modifie les symptômes de la variole. Alors qu’elle se caractérise par l’apparition de pustules purulentes, la variole dans La Quarantaine se limite à « une fièvre qui sèche leurs yeux et leurs lèvres » (87) et à un affaiblissement des corps :

« en quelques jours, cet homme athlétique, au teint rougeaud, est devenu un corps sans force, le teint jaune, les lèvres gercées, portant un hématome au front » (100). Les symptômes se font toutefois plus terrifiants lorsque John Metcalfe présente « sur son front, sur sa poitrine, sur ses mains », une peau « arrachée par plaques » (250). Tandis que la plupart des Européens affichent ce corps déshydraté et meurent dignement, le seul personnage présentant un visage marqué par cette épidémie aussi appelée « petite vérole » est un Indien. Nous tirerons les con-séquences de cette remarque plus tard. Notons seulement que si l’Indien présente les disgra-cieuses séquelles de la variole, il est aussi le seul des personnages à y avoir survécu.

Bien que le titre suggère la prégnance du motif épidémique, El amor en los tiempos del cólera décrit fort peu les symptômes et les étapes de la maladie. Insistant sur les diarrhées que provoquent le choléra et la passion amoureuse, l’écrivain évoque également la « drôle de coloration bleue sur la peau »1 (149) présentant comme saugrenu ce qui correspond à la réalité médicale de la cyanose. Quant au « vomissement blanc et granuleux »2 (150), il caractérise bien le choléra3 mais l’image n’est pas sans lien avec le « riz au lait » de Giono, cette méta-phore de l’abjection qu’il déploie dans Le Hussard sur le toit. Gageons que l’écrivain colom-bien rend ici hommage à la littérature capable de faire oublier la réalité scientifique et d’imposer des images expressionnistes. Cette complexité des rapports entre littérature et science semble cristallisée dans la mention d’Adrien Proust, à la fois présenté comme le men-tor du Dr Urbino et le père du romancier. En outre, les symptômes du choléra sont identiques à ceux de la passion amoureuse : « Mais lorsqu’il commença à attendre la réponse à sa pre-mière lettre, son anxiété se compliqua de diarrhées et de vomissements verts, il perdit le sens de l’orientation, souffrant d’évanouissements subits, et sa mère fut terrorisée parce que son état ne ressemblait pas aux désordres de l’amour mais aux ravages du choléra », « le pouls était faible, la respiration sableuse et il avait la sueur blafarde des moribonds » et le médecin

1ATC, p.168 : « una rara coloración azul en todo el cuerpo »

2 Ibid., p. 169 : « un vómito blanco y granuloso ».

3 Voir la brochure de F. Martin Du choléra épidémique dit asiatique observé dans la ville d’Arles, source de Giono d’après l’étude de Jean-Yves Laurichesse, « Imaginaire et savoir : le savoir du choléra dans Le Hussard sur le toit de Jean Giono » In journée d'études "Littérature et inscription des savoirs" organisées par l'Équipe Littérature et Herméneutique du laboratoire Patrimoine Littérature Histoire (PLH) de l'Université Toulouse II-Le Mirail, 30 mars 2012. [en ligne]

http://www.canalu.tv/video/universite_toulouse_ii_le_mirail/imaginaire_et_medecine_le_savoir_du_cholera_da ns_le_hussard_sur_le_toit_de_jean_giono_jean_yves_laurichesse.9911 [consulté le 28 juillet 2013].

constata « une fois de plus que les symptômes de l’amour sont identiques à ceux du choléra »1 (84). Dans El amor en los tiempos del cólera, l’épidémie n’impose pas un imaginaire apoca-lyptique mais relève d’une présence insidieuse. Loin de n’être qu’un épisode clos et datable, le choléra se présente comme une menace diffuse qui ressurgit ponctuellement sans qu’on puisse l’identifier de façon certaine. Fantôme aux multiples facettes, la maladie hante le texte, se faisant oublier avant de réaffirmer violemment sa puissance.

Enfin, si Goytisolo évoque le sida, le lecteur ne le comprend qu’au prix d’un travail de déchiffrage. Jamais nommée, la maladie est surtout désignée à travers des périphrases telles que « oiseau de malheur » ou « serpent de mer venimeux »2 (22-23). Seules les expressions « la Dame aux deux syllabes » et « maudit épouvantail en quatre lettres »3 ainsi que le nom du personnage arabe – Ben Sida – suggèrent la nature de cette épidémie qui provoque une fulgurante déliquescence. À la fin du roman, la mention de tests sanguins et d’analyses sérologiques alimentent cette hypothèse. La première victime de l’épidémie assiste à la décomposition de son corps : devenue une « créature gélatineuse et méduséenne », il ne reste que « la prothèse dentaire d’une blancheur parfaite » et la « rayonnante perruque d’amazone », « seuls éléments sauvés du naufrage »4 (16). Bien que présentée sur le mode hyperbolique, la désintégration du corps rappelle l’action du sida qui prive le malade de son système immuno-défensif. En outre, l’idée d’une maladie qui fait irruption dans une maison close et « s’enfonce […] dans l’antre obscur de nos hymens »5 (17) rappelle la transmission par voie sexuelle. Cependant, certains éléments pourraient aussi nous orienter vers la syphilis (les érythèmes, les pustules) ou le cancer (« on reçoit une irradiation de deux cent millirads et on ne l’apprend, pour ainsi dire, que le jour où on casse la pipe ! »6). L’épidémie semble adopter différents visages pour mieux métaphoriser l’épidémie d’intolérance véhiculée par l’Inquisition ou l’épidémie d’intérêt pour le monde oriental que le gouvernement tente d’endiguer.

1 ATC, p. 95 : « Pero cuando empezó a esperar la respuesta a su primera carta, la ansiedad se le complicó con cargantinas y vómitos verdes, perdió el sentido de la orientación y sufría desmayos repentinos, y su madre se aterrorizó porque su estado no se parecía a los desórdenes del amor sino a los estragos del cólera ». « Tenía el pulso tenue, la respiración arenosa y los sudores pálidos de los moribundos ». « […] comprobar una vez más que los síntomas del amor son los mismos del cólera. »

2 VPS, p. 19 : « serpiente de verano »

3 Ibid. : « la Dama de las dos sílabas », p. 22 ; « el maldito adefesio de las dos sílabas », p. 34.

4 Ibid.,p.13 : « criatura gelatinosa y medusea », « su prótesis dental de blancura perfecta », « su radiante peluca de amazona » « únicos elementos salvados del naufragio ».

5 Ibid.,p.14 : « se internaba en la oquedad subterránea de las taquillas y el aposento nocturno de nuestros himeneos ».

6Ibid.,p. 34 : « te irradian un buen día con doscientos mil milirads y tú no te enteras como quien dice hasta que estires la pata ! ».

Finalement, si Camus insiste largement sur les symptômes de la peste en multipliant les précisions médicales, il n’en va pas de même pour les auteurs contemporains. En choisissant de mentionner les symptômes avec parcimonie ou de les modifier, les auteurs laissent entendre qu’ils veulent privilégier d’autres aspects de l’épidémie.

Outre les entorses à la réalité médicale, les auteurs confèrent à leurs épidémies une dimension cosmique et fantastique qui invite le lecteur à soupçonner un au-delà du texte, un surplus de sens. À la fois naturelle et surnaturelle, physique et métaphysique, l’épidémie ouvre à la démesure et réinscrit l’homme dans un entre-deux où se combinent la terreur et le sacré. Chez Goytisolo, l’une des prostituées accusée d’être porteuse du sida a l’impression de lutter contre la fureur d’un vent déchaîné, comme si les éléments cherchaient à favoriser la

« chasse aux pestiférées » menée par les habitants. Dans A Prayer for the Dying, le fléau d’ampleur cosmique donne à Jacob l’impression que Dieu mobilise toute sa puissance pour détruire sa communauté : « Il te semble que l’incendie s’est lancé à votre poursuite, le ciel violent, éclairé par derrière, miroitant comme une vision de l’enfer représentée sur la toile d’un peintre »1 (235). L’expression suggère à la fois la malveillance des éléments personnifiés qui soumettent Jacob à une réalité apocalyptique, et l’idée que la catastrophe – par son horreur – devient un tableau, une vision artistique tant elle semble irréelle.

Au-delà de la dimension cosmique, l’écriture présente une portée fantastique à me-sure que l’épidémie est personnifiée. Tandis que le discours rationaliste, de la Renaissance au XIXe siècle, chercha à conceptualiser philosophiquement et scientifiquement le rapport à la mort, la personnification de l’épidémie peut être interprétée comme une résurgence des images médiévales ou comme un héritage du romantisme qui réintroduisit les représentations fantasmagoriques de la mort2. Prenant les traits d’une femme ou d’un monstre, l’épidémie se fait plus concrète : elle est l’ennemi à qui l’on prête un visage ou un masque, pour mieux le visualiser et l’appréhender. Dans le même temps, dès qu’elle devient allégorie de la Mort, l’épidémie ne se réduit plus à ses symptômes et ses manifestations : gagnant en abstraction, elle semble échapper à toute prise. On touche ici aux enjeux paradoxaux d’un imaginaire de l’épidémie qui permet d’appréhender la maladie tout en la dématérialisant pour la parer d’une toute-puissance proprement effrayante et désespérante.

1 PFD, p. 179 : « It seems the fire’s pursuing you, the sky violent and backlit, shimmering like some artist’s vision of Hell. »

2 Sur ce sujet, on pourra consulter l’ouvrage de Michel Vovelle, La Mort et l’Occident : de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983.

L’exemple le plus marquant de cette convocation d’une pensée magique ou primitive se trouve chez Goytisolo qui, par la description crue et hyperbolique des symptômes du sida, cherche à frapper les esprits. L’épidémie y apparaît sous les traits d’une femme aux cheveux roux1, au regard scrutateur et vorace, aux chaussures lourdes et aux jambes sinistrement maigres. Combinaison de différentes figures allégoriques médiévales, elle est à la fois le sque-lette et l’ange exterminateur. Accompagnée de corbeaux, cette femme fatale sème la mort en jetant les poupons placés dans ses poches, comme si son action mortifère relevait de la magie noire ou du vaudou. Outre ses traits féminins, le sida présente des ailes semblables à celles d’un vampire et des doigts de fileuse. En convoquant des images aussi hétéroclites, Goytisolo touche à l’irreprésentable du mal, nous laissant l’impression d’une figure cauchemardesque, d’une horreur indicible. Chez Le Clézio aussi, l’épidémie prend les traits féminins de Shitala, la déesse de la mort qui, dans le panthéisme hindouiste, se nourrit de chair humaine. Par ail-leurs, le roman fait mention d’une femme qui porte sur son dos un enfant mort, couvert de pustules. Qu’elle incarne la Mort ou qu’elle représente plus particulièrement la variole, elle est celle qu’il faut fuir. Dans une moindre mesure, on trouvait aussi chez Camus une figure féminine de la peste lorsque dans la rue, « une femme qui hurlait à la mort, les aines ensan-glantées » (59) se tourne vers Rieux.

En raison de cette dimension fantastique, on peut affirmer que l’épidémie vaut moins pour ses symptômes que pour ses conséquences sur la psyché humaine et sur les rapports so-ciaux. Cet éclairage sur les moteurs de l’action humaine est renforcé par la figure symbolique du malade : interrogeant le couple normal/pathologique, les auteurs suggèrent la « santé » de celui que la société qualifie de « malade » pour mieux le rejeter.

b-Un personnel romanesque symbolique : la « santé » du malade

Comme le souligne Philippe Dufour, le roman donne à penser parce qu’il présente des « formes pensantes »2 capables de porter l’idée esthétique : la composition de l’œuvre, le cadre spatio-temporel et le personnel romanesque. À la suite de Camus qui érigeait le pestifé-ré en « image-idée », les écrivains contemporains déploient la polysémie de cette figure sym-bolique. Alors que La Peste se focalisait sur la communauté des « victimes saines », les fic-tions du corpus font la part belle aux êtres défigurés, aux corps déliquescents et aux victimes

1Cette figure n’est pas sans rappeler la femme aux cheveux roux qui s’invite au bal pour priver Lol V. Stein de son fiancé et avec lui, de la lucidité et de la parole. Cette femme plus âgée est à la fois fascinante et effrayante : véritable incarnation de la Mort, elle est aussi une sorte de figure sculpturale de la Beauté.

(Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein, Paris, Gallimard, 1964, pp. 15-17)

2 Notion qu’il développe dans son essai Le Roman est un songe.

agonisantes. La primauté accordée au corps malade dans le roman contemporain coïncide d’une certaine façon avec la valorisation du fragment, du morcellement, de la ruine dont Wal-ter Benjamin voit une parfaite illustration dans le torse de l’Hercule du Belvédère à Rome.

Fasciné par l’analyse de Winckelmann qui explore « pièce par pièce, membre par membre, dans un sens non classique »1 ce corps incomplet, Benjamin y perçoit la splendeur de l’inachevé et du brisé caractéristique de l’allégorie moderne. Les récits du corpus procèdent à une même valorisation de l’imparfait et du dysharmonieux : le malade étant cette victime que la société bien-pensante rejette, la fiction tente d’en réhabiliter la figure, qu’elle lui donne la parole ou qu’elle mette en doute la distinction entre porteurs du virus et communauté saine.

Commençons par les récits qui explicitent la symbolique du malade. Brink reprend la métaphore des « exilés de la peste », titre initial du roman de Camus, pour exprimer le drame de la ségrégation. L’expression désigne les Sud-Africains qu’Andrea rencontre à Londres et qui la choquent en faisant « étalage de leurs blessures les plus intimes » « comme des pu-tains ; comme des malades qui exposent aux passants leurs ulcères, leurs plaies, leurs boutons et leur chair noire et gangrenée »2 (426). Notons que la traduction passe sous silence l’idée de malades « en phase terminale » (« terminally ill patients »). Les images de sexe et de mort s’entremêlent pour souligner ce qu’Andrea juge indécent dans cette exposition pourtant né-cessaire des blessures, qu’elles soient concrètes ou qu’elles relèvent du témoignage. Mais la jeune femme finit par comprendre qu’en fuyant ceux qu’elle juge pestiférés, c’est elle qui est porteuse de la peste car « on peut considérer sa bonne santé comme allant de soi. Jusqu’à ce soir, tout à fait par hasard, on jette un coup d’œil dans un miroir, et on s’arrête pour se regar-der, étonné et curieux, nu, et on découvre le furoncle dans l’aine »3 (15). Ainsi, le pestiféré est non seulement celui que la société ségrégationniste malmène mais aussi celui qui veut étouf-fer la parole et masquer les corps des victimes.

Dans la lignée de Camus, les personnages de Saramago élaborent un discours sur leur condition d’aveugles. Le récit se ponctue de maximes à mesure que les malades prennent conscience que, comme la peste, l’aveuglement est inhérent à la condition humaine. Enclins à la mauvaise foi, à l’idolâtrie envers « le Dieu de l’Argent »4 et à la fascination pour une rhétorique fallacieuse, ceux que la cécité a frappé finissent par se dire : « nous étions des

1 Walter Benjamin, Origine du drame baroque allemand, op.cit., p. 189.

2 WP, p. 350 : « They were flaunting their most private hurt : like whores, like terminally ill patients exposing their sores and running wounds and boils and blackened gangrenous flesh to passers-by. »

3 Ibid., p. 14 :« One may take one’s health for granted. Until, one evening, quite by accident, stepping from a bath, one glances at a mirror, and stops to gaze, surprised and curious, naked, at oneself, to discover the boil in one’s groin. »

4 Nous reprenons ici une expression présente dans Voyage au bout de la Nuit de Louis-Ferdinand Céline.

aveugles, Des aveugles qui voient, Des aveugles qui, voyant, ne voient pas »1 (365). Cette cécité est aussi l’attitude qui, pour Sartre, consiste à être indifférent au regard de l’Autre et à faire de lui un objet en niant sa liberté 2. En somme, la volonté de guérir de la peste ou de l’aveuglement entraîne une prise de conscience : la maladie préexistait à cette crise sous des formes ontologiques ou sociales. Pour reprendre une formule de Silvia Amorim, « d’une façon quelque peu paradoxale, le chaos provoqué par l’épidémie de cécité sert de révélateur à la situation inquiétante dans laquelle se trouve la société. Ainsi, étrangement, l’aveuglement est à la fois ce qui est révélé et ce qui permet la révélation »3. En cela, nos écrivains récupèrent la notion de « signe » telle que la développaient les Grecs qui considéraient l’épidémie non comme le châtiment d’une faute commise mais comme l’indice d’un malaise.

Néanmoins, la valeur symbolique de l’épidémie ne fait pas toujours l’objet d’une ex-plicitation. Dans ce cas, c’est l’appui sur une tradition établie ou sur des convergences inter-textuelles qui permet de limiter l’arbitraire de l’interprétation. À un premier niveau, l’omniprésence de corps malades, agonisants, grotesques interroge la notion d’humanité. Ana-lysant le corps souffrant, Gérard Danou indique que dans le faciès lépreux, les altérations du visage les plus redoutées « sont celles qui évoquent une mutation vers l’animalité ou une sorte de pourriture […] parce que devant un tel visage, je ne me reconnais plus, alors qu’il faut re-trouver son proche dans le visage de l’autre pour l’accepter dans son altérité humaine : le

Néanmoins, la valeur symbolique de l’épidémie ne fait pas toujours l’objet d’une ex-plicitation. Dans ce cas, c’est l’appui sur une tradition établie ou sur des convergences inter-textuelles qui permet de limiter l’arbitraire de l’interprétation. À un premier niveau, l’omniprésence de corps malades, agonisants, grotesques interroge la notion d’humanité. Ana-lysant le corps souffrant, Gérard Danou indique que dans le faciès lépreux, les altérations du visage les plus redoutées « sont celles qui évoquent une mutation vers l’animalité ou une sorte de pourriture […] parce que devant un tel visage, je ne me reconnais plus, alors qu’il faut re-trouver son proche dans le visage de l’autre pour l’accepter dans son altérité humaine : le