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1.1) L’allégorie : la réalité passée au filtre de l’imaginaire

Entrelaçant le réel et la fiction, l’allégorie constitue une stratégie efficace pour dévoi-ler la part d’imaginaire qui sous-tend les discours de l’Histoire. Parce que l’écriture transfi-gure le réel sans chercher à s’en couper radicalement, le récit devient l’espace d’une contami-nation réciproque : à mesure que l’historicisation d’une réalité fictive lui donne l’épaisseur de la temporalité du monde, la fictionnalisation de faits historiques leur confère un agrandisse-ment mythique. Notre but sera de dégager la singularité de cette écriture allégorique de l’Histoire : avant de prouver que cette œuvre du langage appréhende le « réel » plus que la

« réalité », nous montrerons que l’allégorie correspond, selon les termes de D. Viart, à « une façon oblique d’aborder une Histoire devenue rétive au “roman historique” »1.

a-Le choix de la fiction contre le roman historique

Pour appréhender les enjeux de cette représentation biaisée, cryptée et elliptique de l’Histoire, voyons en quoi les fictions d’épidémie se distinguent d’un roman historique comme L’Été de l’île de Grâce de Madeleine Ouellette-Michalska. Tâchant de définir le ro-man historique, Gérard Gengembre affirme qu’on peut « énoncer approximativement qu’il s’agit d’une fiction qui emprunte à l’Histoire une partie au moins de son contenu ». Plus spé-cifiquement, on dira que le roman historique « prétend donner une image fidèle d’un passé précis, par l’intermédiaire d’une fiction mettant en scène des comportements, des mentalités, éventuellement des personnages réellement historiques »2. Bien que fictive, l’intrigue prend place dans un cadre réaliste, élément essentiel dans un récit qui donne à comprendre l’Histoire

1 Dominique Viart (dir.), Écritures contemporaines vol. 10. Nouvelles écritures littéraires de l’Histoire, Caen, Lettres Modernes Minard, 2009, « Avant propos », p. 4.

2Gérard Gengembre, Le Roman historique, Paris, Klincksieck, « 50 questions », 2006, p. 87.

de manière vivante. Une telle désignation serait donc inappropriée pour des romans qui, tout en intégrant le passé dans un jeu analogique, ne lui concèdent ni une place prépondérante dans l’intrigue, ni une datation exacte. En revanche, le roman de Madeleine Ouellette-Michalska répond aux critères du roman historique : évoquant l’épidémie de typhus qui frappa plusieurs milliers d’immigrants en 1847, il relate leur quarantaine sur la Grosse-Île près de Québec.

L’Été de l’île de Grâce s’ancre dans une géographie québécoise dont elle multiplie les indices référentiels : le Saint-Laurent, les contreforts des Laurentides, les plaines d’Abraham, le jardin des Gouverneurs, le cap Diamant, la rivière Saint-Charles, le château Saint-Louis. La première page inscrit le récit dans l’Histoire puisque le docteur explique à ses enfants le passé de l’île où il vient de s’installer :

« C’est ici que débarquèrent des milliers d’Irlandais il y a quinze ans. »

Trop jeunes pour savoir qu’ils se trouvaient au siècle des épidémies, ceux-ci ne saisirent pas l’allusion à la violente épidémie de choléra de 1832 […].1

Situant l’intrigue pendant l’année 1947, la formule souligne l’invincibilité de l’épidémie : le souvenir d’un passé tragique hante encore les insulaires et le retour d’une catastrophe que l’on espère toujours avoir dépassé est imminent. D’autres références jalonnent le roman : l’incendie de Québec (1845), l’époque où le Québec devint une colonie de l’empire britan-nique après avoir été sous la garde des lois françaises, le règne de la reine Victoria, les « filles du roi, ces catins repenties à qui la France avait imposé l’Amérique comme purgatoire »2, et la traite des esclaves dans des bateaux qui servirent plus tard à l’exode des Irlandais jugés indé-sirables par les Anglais. Enfin, l’incipit suggère la nécessité de saisir les traces d’une histoire, notamment d’une histoire immédiate : « L’Histoire n’avait pas encore résumé les victoires et les fléaux de son époque »3. Toutefois, il convient de distinguer la littérature de l’historiographie, le travail du romancier de celui de l’historien.

Dans quelle mesure le roman historique mime-t-il l’entreprise historiographique et jusqu’à quel point peut-il déployer les ressources de la fiction ? Conformément aux principes de poétisation et d’émotion, les épisodes historiques côtoient des épisodes hautement fiction-nels, notamment lors des rêveries et hallucinations du médecin qui viennent se superposer au présent de l’épidémie. D’ailleurs, les convergences avec La Peste sont si nombreuses que le roman français pourrait bien constituer un hypotexte du roman québécois. Ainsi, le narrateur Dr Milroy présente des ressemblances avec Rieux en raison de ses convictions et ses doutes, son insistance sur l’absurde, mais aussi par son opposition aux figures religieuses et aux

1 Madeleine Ouellette Michalska, L’Été de l’île de Grâce, Montréal, Québec Amérique, 1993, p. 13.

2 Ibid., p. 30.

3Ibid., p. 13.

rités dont il met à distance la vaine grandiloquence. De même que l’amour entre Rieux et sa mère s’exprimait en silence, le docteur Milroy comprend l’affection que lui porte sa logeuse Persévérance malgré les difficultés de communication. Si le vocabulaire manque au médecin anglais pour entretenir une conversation avec une francophone, le dialogue avec cette figure maternelle s’établit au-delà des mots. Certes, les mésinterprétations donnent lieu à des scènes cocasses, notamment lorsque « herbe à chats » devenu « erbacha »1 est perçu comme une formule d’adieu. Mais les mots deviennent porteurs d’une musicalité, d’une émotion et d’un désir qui excèdent le sens intelligible.

Réinvestissant des modalités de représentation propres à La Peste, l’incipit du roman québécois apparaît à bien des égards comme une réécriture de la scène finale du roman de 1947, suggérant que les deux médecins portent un même regard sur l’humanité. Alors que l’ouverture de la ville suscite l’allégresse et la fête populaire, le docteur Milroy participe aux réjouissances tout en se détachant de la foule. Ce regard distancié s’explique par une connais-sance du passé et une conscience des dangers. Si l’ouverture des portes met la cité en joie, le médecin n’oublie pas que l’immigration avait apporté la mort sur le continent québécois quelques années auparavant, tout comme Rieux ne peut s’empêcher de considérer cette liesse populaire comme un premier pas vers l’oubli. Vigilants et sensibles aux signes, les deux mé-decins manifestent une clairvoyance que viennent toutefois ternir la trop grande rigidité du Dr Milroy et le culte qu’il voue à l’Empire.

Au-delà de cette possible intertextualité, le roman historique de M. Ouellette-Michalska est chargé de symboles, à commencer par les allusions aux Danaïdes. Par-delà la référence au territoire québécois de l’Archipel des Danaïdes, la romancière confère une portée symbolique à ce nom qui suggère la métamorphose fantastique de l’espace, ce « pays sans paysage » « effroyablement grandiose », ce « paysage sans contours ni frontière »2 qui n’apparaît pas sur toutes les cartes. Comme chez Camus, la nature est à la fois un idéal et une puissance mortifère pour les immigrants se sentant « captifs du fleuve »3. L’île devient alors cet espace de l’entre-deux, espace hybride et monstrueux qui suscite la méfiance du médecin soucieux de « ne pas glisser trop tôt dans la bouche dévorante des Danaïdes où tout paraissait s’engouffrer »4. Mais comme dans la plupart des récits du corpus, une femme vient sauver le médecin de ses angoisses et de son sentiment d’impuissance. Portant le doux nom de Persévé-rance, elle est à la fois maternelle en tant que sage-femme et nourrice, magicienne et conteuse

1 Ibid., p. 15.

2Ibid., p. 19.

3Ibid., p. 101.

4Ibid., p. 95.

comme chez García Márquez, emblème de lucidité et de clairvoyance comme chez Saramago.

Certes, elle ne connaît pas la science (elle parle d’« animalcules »1 pour évoquer les virus) mais elle redonne courage et espoir aux malades et au médecin grâce à un autre pouvoir : ce-lui de sublimer le quotidien en le rendant magique. Plus que des remèdes, cette spécialiste des plantes offre un nouveau regard sur la nature qui désamorce toute tentation de pessimisme :

« peu importe que le monde soit malade ou dégénéré, aussi longtemps qu’une herbe de santé arrivera à naître et à s’épanouir, les humains pourront en faire autant »2. Cette magie opère également lorsque la matière des mots devient objet de partage et de création : comme elle invite chacun à se raconter, les prisonniers de la quarantaine se découvrent des origines com-munes et une même expérience de la guerre. Ceux qui cohabitaient sans communiquer trou-vent ici l’occasion d’offrir un tombeau aux morts et de souder la communauté, cette union se scellant finalement dans un « chant exprim[ant] une douleur unanime où transperçait l’exil »3. À travers son personnage féminin, M. Ouellette-Michalska renverse le tragique associé au mythe des Danaïdes et lui oppose une fable dans laquelle Danaïde devient le nom d’un papil-lon rare qui assure la chance et la protection si on l’aperçoit. Bien qu’il se mette au service d’une connaissance accrue de l’histoire du Québec, ce récit d’épidémie joue de l’ambivalence de la crise – à la fois destruction et renouveau – pour proposer au lecteur une éducation du regard, une sensibilisation au pouvoir et au plaisir des mots ainsi qu’une invitation à refonder la communauté.

En somme, la distinction entre le roman historique et la fiction d’épidémie paraît floue et discutable. Dans Fiction et diction (1991), Genette parvient à la même conclusion, jugeant que la distinction formelle entre un texte référentiel et un texte fictionnel s’effectue nécessairement grâce au paratexte puisque les outils narratologiques forgés à partir de corpus fictionnels fonctionnent pour l’analyse des textes référentiels. Pour ce roman québécois, ce sont effectivement la quatrième de couverture rappelant les événements et la dédicace adres-sée à des médecins et des historiens qui nous indiquent qu’il s’agit d’une « non-fiction no-vel ».

Néanmoins, contrairement au récit historique qui impose un certain personnel roma-nesque et un cadre spatio-temporel intangible, le récit fictif relève d’une mise en scène entiè-rement conçue par l’auteur, ce qui la rend pleinement signifiante. La première distinction entre la fiction épidémique et le roman historique réside dans l’absence de datation précise et

1 Ibid., p. 113.

2Ibid., p. 138.

3Ibid., p. 137.

la liberté qui en découle. Mona Ozouf rappelle que le roman historique est « authentifié par des procès-verbaux, des archives, d’autres témoignages, et même si le lecteur du récit histo-rique s’abstient de confronter tout cela lui-même, il sait cependant qu’il le peut : la vérifica-tion est toujours en suspens »1. En somme, pas de transgression possible : contraint à l’exactitude, l’auteur de roman historique n’a d’autre choix que de mener une recherche préa-lable afin de s’assurer des noms, des faits, des chiffres. Mais si les récits du corpus ne men-tionnent aucune date, il reste possible de la deviner grâce à la stratégie suivante : l’épisode épidémique prend place dans l’Histoire en se déclinant par rapport à un événement.

Ainsi, la diphtérie frappe Friendship quelques années après la Guerre de Sécession tandis que le choléra accompagne la mise en place de la République en Colombie suite à l’Indépendance. De même, bien que le régime ségrégationniste se soit étendu sur quatre dé-cennies (de 1948 à 1991), le récit d’André Brink nous offre la possibilité de deviner la décen-nie dans laquelle s’inscrit l’intrigue. Comme Paul vient de lire dans le journal l’histoire d’un enfant abandonné dont il avait fallu, par l’examen d’un cheveu, déterminer la race pour déci-der de son avenir – « soit accepté en tant qu’humain, soit rejeté dans un monde de demi-humanité, ni blanc, ni noir, nié, proscrit »2 (113) –, il fait remarquer avec une colère contenue qu’« il y a quarante ans, ils utilisaient déjà ce genre de “méthodes scientifiques”[…] À l’époque ils examinaient le pénis d’un homme pour voir s’il était circoncis. Ou ils mesuraient les nez »3. On voit comment Brink exploite l’allusion historique : les Juifs ne sont évoqués qu’à travers le stéréotype du nez aquilin et la circoncision qu’impose leur religion. Parallèle-ment, l’usage de la troisième personne du pluriel permet de laisser dans l’ombre la figure de l’ennemi nazi et de tous ceux qui ont collaboré à ces « expériences scientifiques » dans les années 1940. Subtilement, Paul connecte deux épisodes de ségrégation, nous permettant ainsi d’ancrer l’intrigue dans les années 1980, si bien que le temps de la narration coïncide avec le temps de l’écriture du roman paru en 1983. Par ce procédé, les auteurs favorisent la cons-cience historique du lecteur, non seulement en sollicitant ses connaissances, mais aussi en lui rappelant que l’Histoire est avant tout une succession de crises.

Le choix d’une épidémie fictive dépourvue de datation est fécond à plusieurs titres : n’ayant d’autre contrainte que celle de la cohérence analogique, l’écrivain trouve dans

1 Mona Ozouf, « Récit des romanciers, récit des historiens » dans Le Débat : histoire, politique, société, n°165, Paris, Gallimard, mai-août 2011, p. 21.

2 WP, p. 95: « whether he will be accepted as a human being or rejected into a twilight world of half-people, neither white nor black. »

3 Idem : « Forty years ago, they also used this brand of “scientific method”[…] Then they examined a man’s penis to see whether he was circumcised. Or else they measured noses. »

l’épidémie un motif malléable, susceptible d’entrer en résonance avec une réalité contextuelle tout en pouvant prétendre à la réactualisation. Débarrassée du souci d’exactitude, la fiction romanesque peut prétendre à l’universalité qui fonde le projet éthique. C’est parce qu’elle ne peut justifier sa pertinence par sa seule « informativité » qu’elle appelle à son sujet une hypo-thèse d’exemplarité1. Dès lors, le roman vise moins la transmission de connaissances fac-tuelles qu’une expérience de la catastrophe, expérience du collectif et de l’intime, d’autant plus intense que la construction allégorique sollicite l’intellect et les sens, la raison et la sensi-bilité. L’intégration d’îlots référentiels permet à la fiction d’exprimer des non-dits, qu’ils soient ces objets refoulés ressurgissant du passé sous la forme de spectres, ou ces tabous et interdits qui rongent un présent placé sous le signe de l’oppression. Ce faisant, elle nous si-gnale que le réel ne relève pas uniquement du visible et du dicible.

b- L’allégorie : une stratégie anti-mimétique pour appréhender le réel

La modernité a non seulement révélé que ce monde déchiré et fragmenté ne saurait pleinement être ressaisi par le langage, mais aussi que l’appréhension de la réalité ne pouvait se dépouiller de toute subjectivité. Loin des reportages systématiques de la vie sociale, le XXe siècle a sonné le glas d’une représentation mimétique qui masque la complexité du réel en le figeant dans une stylisation factice. Selon la terminologie établie par Philippe Forest, le roman moderne a renoncé à la réalité pour s’attaquer au réel. Par « réalité », on désigne ce « simu-lacre confondu avec un intouchable état objectif du monde », cette « contrefaçon construite de notre vie »2 que le réalisme a voulu substituer au « réel » pour en interdire l’expérience. Par contraste, le « réel » correspond à un « espace de négativité dont procède le texte et vers le-quel il chemine ». C’est précisément le réel que le roman doit approcher, se délestant alors de toute prétention à la transparence :

Mais si le roman oublie que le réel est l’impossible, il se laisse prendre au piège de la mi-mesis, supposant qu’il existe un état objectif du monde (une « réalité ») qu’il lui suffira de copier, de singer, de refléter quand le « réel » est justement ce que la représentation, le langage, la fiction n’approchent que pour y découvrir le lieu d’un défaut, d’un manque, d’une déchirure qui les suscitent mais dont ils ne peuvent rendre compte.3

1 Sur ce point, voir la conclusion de Gilles Philippe, Pour un humanisme romanesque, Mélanges offerts à Jacqueline Levi-Valensi, Gilles Philippe, Agnès Spiquel (dir.), Paris, Sedes, « Critique littéraire », 1999, pp. 255-256.

2Philippe Forest, Le Roman, le réel et autres essais, op.cit., p. 33.

3 Ibid., p. 54.

Camus l’avait bien compris, qui affirmait dans L’Homme révolté : « ni le réel n’est entière-ment rationnel, ni le rationnel tout à fait réel »1. L’idée que la raison et la science ne puissent épuiser le réel explique la place ménagée au fantastique dans ces récits d’épidémie qui nouent des liens privilégiés avec la faillite de la connaissance. L’analyse qui va suivre se penche sur le parcours esthétique de quelques auteurs du corpus : s’ils ont connu une tentation du réa-lisme, la nécessité de la dépasser s’est imposée à eux, donnant naissance aux fictions allégo-riques qui nous intéressent dans ce travail.

L’évolution de la production de Goytisolo rend compte de cet effort pour saisir la part d’indicible inhérente au réel. Philippe Merlo-Morat parle de « réalisme critique » ou de

« réalisme objectif »2 pour désigner le style des œuvres antérieures à Señas de identidad (1966) : attestant d’un engagement idéologique marqué, les romans de Goytisolo visent alors à provoquer une prise de conscience en donnant à voir les causes et les effets des injustices sociales. Pour ce faire, l’écrivain recourt à une narration linéaire, des descriptions réduites à leur plus simple expression et des personnages quelque peu stéréotypés (ouvriers exploités et propriétaires terriens sans scrupule). Le projet se veut paradoxal puisque l’auteur développe une vision partielle et partiale afin d’accéder à une certaine objectivité, aspirant dans un même temps à la description et à la critique du réel. Mais dans les années 1980, on note un change-ment esthétique dès lors que le roman devient le moyen de « mettre au jour tous les éléchange-ments irrationnels qui font partie d’une collectivité et de les intégrer dans une œuvre artistique qui peut paraître délirante, onirique, ou encore schizophrène, dans la mesure où elle pénètre dans les entrailles d’une société qui est la sienne et d’une tradition »3. Chez Goytisolo, le roman entrelace naturel et invraisemblable pour créer des images mythiques à partir du réel et ex-traire d’une réalité son noyau d’indicible. Refusant le réalisme traditionnel, Camus se propo-sait déjà de faire ressortir la constante proximité entre le naturel et l’invraisemblable, suivant une perspective de transfiguration du réel que Jacqueline Lévi-Valensi nomme « réalisme symbolique » ou « mythologie du réel » :

1 Albert Camus, L’Homme révolté, OC III, p. 314.

2 Philippe Merlo-Morat, La Littérature espagnole contemporaine, op.cit., p. 201.

3 « sacar a la luz todos los elementos irracionales que forman parte de una colectividad e integrarlos en una obra artística que puede parecer alienada, onírica, esquizofrénica o lo que sea, porque cala en las entrañas de su sociedad y de su tradición » (nous traduisons). Juan Goytisolo, Tradición y disidencia, Madrid, Fondo de cultura economica, 2003, p. 30.

Il [le romancier philosophe] propose une vision du monde et seule la cohérence interne de cette vision permet au roman de s’édifier. Fidèle à la réalité, le roman ne prend cependant sa pleine valeur que par les images mythiques qu’il en offre, qu’il crée à partir du réel, en fonction du réel, ou, plus exactement, à partir de l’homme, et en fonction de son destin, c’est-à-dire de sa vérité, et de son inscription dans la réalité du monde.1

Même lorsqu’elle tend à l’objectivité, la re-présentation de la réalité produit nécessairement un effet de sens qui est déjà une interprétation. Chez Camus, si le réel est un point de départ, sa représentation s’oriente vers le symbole puis le mythe, afin que l’œuvre romanesque ex-prime une condition humaine faite de douleur et de dignité.

Plus complexe qu’il n’y paraît, la réalité est aussi et surtout une construction idéolo-gique dont il ne faut pas oublier la nature. Saramago a exprimé sa méfiance à l’égard des

Plus complexe qu’il n’y paraît, la réalité est aussi et surtout une construction idéolo-gique dont il ne faut pas oublier la nature. Saramago a exprimé sa méfiance à l’égard des