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3.2) Vers un brouillage des repères : une conception benjaminienne de l’allégorie

Du titre à l’épigraphe en passant par le cadre spatio-temporel et le système des per-sonnages, tout semble inviter à une lecture allégorique. Plus qu’une maladie, la peste incarne différents visages du Mal. Plus que des êtres de papier, les personnages sont le support d’une vision du monde. Plus qu’une ville algérienne, Oran symbolise l’Europe des années 1940 et la condition humaine. Pourtant, le récit camusien interroge la tradition de l’allégorie. C ontraire-ment à une certaine conception de l’allégorie – qui est notamontraire-ment celle de Michel Le Guern – le texte ne saurait être réduit à une coquille une fois le sens révélé1 : La Peste maintient la coexistence de deux niveaux de lecture sans que l’un puisse éclipser l’autre. En outre, l’analogie entre un phénomène naturel et un drame humain exige qu’on en évalue la perti-nence et la légitimité. Enfin, alors qu’on a longtemps prêté à l’allégorie un pouvoir de clarifi-cation (avant que cette vertu ne revienne au symbole à partir du XVIIIe siècle), nous allons voir que le roman génère un foisonnement de sens. L’allégorie traditionnelle impliquant un sens univoque, peut-il exister une forme contemporaine de l’allégorie qui se caractérise par son ouverture et sa polysémie ? À cette réponse, Walter Benjamin répond par l’affirmative.

3.2) Vers un brouillage des repères : une conception benjaminienne de l’allégorie

Dans son essai Origine du drame baroque allemand, Walter Benjamin procède à

« une réévaluation de l’allégorie dans le contexte du drame baroque allemand, mais qui vise en réalité la littérature moderne »2. Il y stipule que l’allégorie « sépare l’image de la significa-tion », impliquant selon Jacques-Olivier Bégot que :

D’un côté, l’allégorie s’oppose à l’instantanéité du symbole et se présente comme une figure dont le déchiffrement s’inscrit dans la temporalité : tandis que le symbole fait coïncider l’image avec sa signification dans l’éclair d’une révélation fulgurante, le sens

1 Michel Le Guern réduit l’allégorie à sa finalité didactique et renvoie la forme à une simple coquille, à un réceptacle vidé par la mise au jour du sens : « L’allégorie n’est vraie que par le rapport à ce qu’elle représente alors que la parabole est vraie par elle-même, indépendamment des vérités qu’elle sert à signifier ». (Michel Le Guern, « Parabole, allégorie et métaphore », art.cit., p. 30 ).

2 Vangelis Athanassopoulos, La Publicité dans l’art contemporain : Esthétique et postmodernisme, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 129.

de l’allégorie ne se délivre qu’à travers le jeu de renvois indéfinis qu’il faut parcourir sans jamais être certain d’en épuiser la série. 1

À la différence du symbole qui relève de l’unité, de la perfection et de l’harmonie, l’allégorie moderne renvoie au fragment, à la ruine, à l’inachèvement. Benjamin repense alors la fonc-tion édifiante de cette écriture fondamentalement énigmatique : contre la clarté du symbole, l’allégorie privilégie la dialectique qui met en question la certitude du sens et de la connais-sance. Patrick Labarthe confirme ce refus de toute systématisation dans l’allégorie moderne :

« Empressons-nous d’ajouter que c’est le propre même de l’allégorie d’ouvrir sur une béance, de ne pouvoir se résorber en un sens pleinement satisfaisant »2. Dès lors que rien ne vient ga-rantir l’objectivité des significations, la subjectivité du lecteur est engagée. Sans en faire pour autant « le règne de l’arbitraire subjectif le plus déchaîné »3, nous allons voir que la lecture allégorique de La Peste ne va pas de soi.

a- La mise en branle de la structure antagonique

Malgré la structure antagonique apparente, une lecture minutieuse laisse apparaître des chassés-croisés et des interactions entre les personnages qui interdisent une catégorisation trop nette4. Dans cette optique, Tarrou rejoint Paneloux par son questionnement sur la sainte-té, Cottard par son statut de marginal et Rieux par sa volonté de lutter contre le mal. Comme nous le verrons plus tard, les figures de scripteurs se multiplient dans La Peste : outre la chro-nique de Rieux et les notes de Tarrou, le roman évoque l’incipit éternellement remanié de Grand, les articles de Rambert mais aussi les prêches de Paneloux, véritable érudit qui est l’auteur d’un ouvrage sur Saint Augustin. L’exemple le plus frappant de ce brouillage des frontières entre un personnage valorisé et un personnage déprécié réside dans les nombreux rapprochements entre Rieux et Paneloux : « Nous travaillons ensemble pour quelque chose qui nous réunit au-delà des blasphèmes et des prières. Cela seul est important ». (222) Si Ca-mus souhaitait mettre en scène « la lutte entre la médecine et la religion »5, il faut avouer que le médecin et le prêtre poursuivent un même objectif avec des moyens différents.

Plus encore, tous les personnages partagent une même condition de « pestiféré ».

Les travaux de Philippe Dufour prouvent que la symbolisation de la maladie n’est pas une

1 Jacques-Olivier Bégot, « Sous le signe de l’allégorie. Benjamin aux sources de la Théorie critique ? », Astérion, n°7, 2010 [en ligne]. URL : http://asterion.revues.org/1573 [consulté le 29 novembre 2013].

2 Patrick Labarthe, Baudelaire et la tradition de l’allégorie, op.cit., p. 59.

3 Idem.

4 Ces chassés-croisés ont été mis en évidence par David H. Walker dans son intervention « Camus et le point de vue esthétique » au colloque de Cerisy la Salle, « Camus l’artiste », août 2013.

5 Albert Camus, Carnets 1935-1948, OC II, p. 977.

stratégie nouvelle. Le critique postule ainsi une concomitance entre la mort de Nana et l’effondrement du Second Empire : « Dans cette sociologie imaginaire du physique se glisse une pensée de l’Histoire », « un corps et une société se décomposent. Telle est l’idée esthé-tique : le corps de l’individu donne à penser le corps social »1. De la même façon, la figure du malade se présente chez Camus comme un « motif chronosomatique », image d’une réalité à la fois historique et ontologique. Mais l’originalité de Camus réside probablement dans la portée ambiguë qu’il confère au pestiféré, symbole qui ne recouvre pas la même réalité dans la bouche de Tarrou et sous la plume de Camus.

Faisant du pestiféré une figure symbolique, Tarrou envisage le déplacement de la maladie du corps vers l’âme : « Je sais de science certaine (oui, Rieux, je sais tout de la vie, vous le voyez bien) que chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne au monde n’en est indemne » (255). La métaphore ici déployée permet d’envisager le mal com-mis par l’homme dans un roman où il apparaît avant tout comme subi, assurant en filigrane le passage de la catastrophe naturelle aux drames de l’histoire. Présentant le mal comme inhé-rent à la vie en société, Tarrou soulève la question de la nature humaine, déjà posée par Rous-seau, Voltaire ou Freud. Cette nature humaine est-elle foncièrement malade ou initialement bonne ? Corrompue ou guérissable ? Les présupposés de la pensée de Tarrou ne sont pas clairs, si bien que l’on oscille entre l’idée d’une essence malade et la possibilité que l’homme contracte cette maladie dans le contact avec l’autre. D’un côté, il faudrait comprendre que

« l’homme n’est point né méchant mais qu’il le devient, comme il devient malade »2 et qu’au contact d’autrui il peut se trouver « infesté par la peste de la méchanceté » avant de la trans-mettre lui-même. La rencontre avec l’autre engendrerait le vice, faisant de la vie sociale une source de contamination et de souillure. Développant un réquisitoire aux accents rous-seauistes, Tarrou justifierait son choix de la solitude et de la marginalité. Mais il est possible que l’on naisse malade et qu’on le reste. Si la maladie est « la norme » – comme l’a soutenu Canguilhem3 –, l’homme peut désirer ardemment la santé sans pouvoir prétendre à la guéri-son : « ce qui est naturel, c’est le microbe. Le reste, la santé, l’intégrité, la pureté, c’est un effet de la volonté et d’une volonté qui ne doit jamais s’arrêter » (255). Considérer la peste comme ontologique, c’est faire de la santé un état impossible dont Tarrou laisse penser qu’il est plus à conquérir qu’à regagner. Dans une société où chacun est contagieux, le moins pesti-féré de tous est celui qui est conscient des germes qu’il risque de transmettre. Au mieux,

1 Philippe Dufour, Le Roman est un songe, Paris, Seuil, « Poétiques », 2010, pp. 158-159.

2 Nous reprenons ici les considérations de Voltaire sur la méchanceté telles qu’il les expose dans l’article

« Méchant » dans le Dictionnaire philosophique portatif.

3 Georges Canguilhem, Le Normal et le pathologique [1943], Paris, PUF, 2005.

ra-t-on espérer que le mal n’empire pas et considérer, comme Platon, que celui dont le mal est guérissable est celui qui manifeste la volonté de se corriger et de se perfectionner1.Selon cette hypothèse, la confession de Tarrou serait moins un réquisitoire contre la société qu’un plai-doyer en faveur de la vigilance. Pourtant le pessimisme du personnage ne semble laisser que peu de place à la possibilité d’une guérison.

On peut se demander dans quelle mesure le narrateur, et Camus lui-même, donne du crédit à cette conception de la nature humaine. Les propos de Tarrou laissent transparaître une arrogance qui contraste avec l’humilité et le doute prônés par Camus, toujours soucieux d’adopter des perspectives plurielles et nuancées. Dès lors, il conviendrait de mettre à distance cette conception de la nature humaine trop « noire » et trop catégorique pour coïncider avec les vues d’un écrivain qu’il faut moins considérer comme un moraliste que comme un pen-seur. Bien que Rieux tisse lui aussi des liens entre la peste et la vie, il s’agit d’une ressem-blance qui ne se réduit jamais à une correspondance et qui ménage une place pour l’espérance. Certes, on peut considérer à la suite du vieil asthmatique que « les hommes étaient toujours les mêmes » (309), c’est-à-dire insouciants et enclins à l’oubli. Mais il n’est pas anodin que le roman s’achève sur la considération suivante : « Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser » (310). Suggérant que l’individu peut se don-ner les moyens d’être sain et bon, cette sentence fait primer l’existence sur une éventuelle essence, conformément à une logique existentialiste. Point de dissension avec Sartre, l’idée d’une nature humaine n’est pas complètement invalidée chez Camus : « L’analyse de la ré-volte conduit au moins au soupçon qu’il y a une nature humaine, comme le pensaient les Grecs, et contrairement aux postulats de la pensée contemporaine »2. Comme l’explique A. Corbic, cette « nature humaine » correspond à la part irréductible d’humanité qui rend chaque individu digne de respect3. Notons toutefois que Camus se montre hésitant dans sa terminologie, parlant d’un « soupçon » postulable mais indémontrable.

Tandis que Tarrou déploie un versant ontologique en rendant le pestiféré responsable d’un mal qu’il porte et transmet, le narrateur confère à cette figure une dimension historique en insistant sur la dimension corporelle et charnelle qu’implique un tel état. Pour l’écrivain des années 1940, le pestiféré est l’homme qui, éprouvant un mal violent et concret, prend pleinement conscience de son corps. Comme le rappelle Hans Castorp dans La Montagne magique de Thomas Mann, « la maladie rend l’homme plus corporel, elle le fait entièrement

1 Platon, Les Lois, 731 c-d, trad. du grec par L. Robin, Gallimard, 1950, p. 783.

2Albert Camus, L’Homme révolté, OC III, p. 73.

3Pour de plus amples explications, voir Arnaud Corbic, Camus et l’homme sans Dieu, op.cit., pp. 78-79.

charnel »1. Or, ce retour au corps s’avère primordial face au nazisme qui transforme l’individu en « une abstraction, c’est-à-dire le représentant d’une idéologie »2. Avec la peste se voit donc rappelée la primauté de la santé sur le salut et de l’action sur la pensée conceptuelle. Certes, le pestiféré présente un corps malade mais ce corps qui souffre est un corps inscrit dans le pré-sent, seul temps sur lequel l’homme révolté doit tâcher d’avoir prise. Tout en se donnant les apparences de la santé, l’abstraction sacrifie le présent au nom de l’avenir. Aussi est-il préfé-rable d’être un pestiféré : vulnépréfé-rable mais humain.

En somme, la peste favorise la prise de conscience de l’absurde chez les Oranais, tout en permettant à Camus d’inscrire la révolte dans la présence même du corps malade.

Quand le marginal conçoit une nature humaine foncièrement mauvaise, le romancier reven-dique une condition de pestiféré, proclamant sa volonté d’être un corps et de résister dans sa chair aux attaques de l’abstraction. Cet exemple nous confronte à la profonde ambivalence des symboles dans un roman qui, sous une apparente clarté, brouille toute dichotomie et re-fuse tout système. Avant de tenir compte des critiques auxquelles Camus fut confronté, nous nous proposons de légitimer l’analogie entre épidémie et guerre. Précisons d’ailleurs qu’au sens strict, l’analogie établit des relations de proportionnalité similaires entre des éléments distincts : « la ressemblance structurelle d’ensembles ou de systèmes, cette ressemblance re-posant sur le caractère isomorphe ou homomorphe des relations entre les éléments de ces en-sembles ou les parties de ces systèmes, et sur l’isomorphie ou l’homomorphie des propriétés fondée par ces relations »3. Néanmoins, Michel Murat distingue analogie « formelle » et ana-logie « substantielle »4, la deuxième se focalisant non pas sur une identité de relations entre des éléments mais sur des propriétés communes à des objets disparates : c’est à ce sens que nous ferons référence lorsque nous parlerons d’analogie.

1 Thomas Mann, La Montagne magique, Trad. de l’allemand par Maurice Betz, Paris, Fayard, 1991, (1ere éd.

1961), pp. 199-200.

2Albert Camus, « Ni victimes ni bourreaux », OC II, p. 437.

3Izidora Dambsk, « Modèle et objet de la connaissance », Revue internationale de philosophie, n° 67, Bruxelles, 1967, p. 35. Cité dans Philibert Secretan, L’Analogie, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », p. 96.

4 Michel Murat, « Le Rivage des Syrtes » de Julien Gracq, étude de style : poétique de l’analogie, tome 2, Paris, José Corti, 1983, pp. 4-5.

b-Une analogie légitime, inspirée de la réalité et des discours sociaux

L’épidémie comme la guerre sont des catastrophes, au sens qu’Abigail Solomon Godeau donne à ce terme : « événement dont l’épisode déclencheur est bref mais les conséquences durables »1. La catastrophe peut donc désigner « un cataclysme naturel (tremblement de terre, sécheresse) et une tragédie provoquée par la main de l’homme (guerre, génocide) »2. Si le rapprochement entre événement épidémique et guerre est légitime, c’est d’abord qu’il correspond à une réalité factuelle dans la mesure où l'épidémie est souvent la conséquence d'un trouble : crise économique, instabilité politique ou guerre. L’idée est esquissée dans Le Hussard sur le toit où le choléra découle d’une situation de crise (la guerre d'Indépendance), et Maupassant l’avait déjà formulée dans son article « La Guerre », publié dans le Gil Blas du 11 décembre 1883 :

Entrer dans un pays, égorger l'homme qui défend sa maison parce qu'il est vêtu d'une blouse et n'a pas de képi sur la tête, brûler les habitations de misérables gens qui n'ont plus de pain, casser des meubles, en voler d'autres, boire le vin trouvé dans les caves, violer les femmes trouvées dans les rues, brûler des millions de francs en poudre, et laisser derrière soi la misère et le choléra.

Pourtant, on se trouve ici à mi-chemin entre les faits et les représentations mentales. Bien que César Morin ait écrit un Traité de la peste dans lequel il montre « comment la peste suit ordinairement les grandes famines », Jean Delumeau rappelle qu’il s’agit davantage d’une théorie que d’une réalité, cette hypothèse étant partagée par « ceux qui accouplent crises de subsistance et cycles pesteux »3. Ce lien avec la famine ou la guerre autorise à faire de l’épidémie un fléau comparable aux plaies d’Egypte, ce qui n’est pas sans conséquences sur les discours sociaux et religieux. Delumeau reconnaît malgré tout des similitudes entre épidémie et guerre, dans la mesure où « en période de peste, comme à la guerre, la fin des hommes se déroulait dans des conditions insoutenables d’horreur, d’anarchie et d’abandon des coutumes les plus profondément enracinées dans l’inconscient collectif. C’était d’abord l’abolition de la mort personnalisée »4. Pour résumer cette situation de crise de l’individu et de la collectivité, Delumeau parle d’une mise en péril de trois facteurs de cohésion sociale :

« dignité, sécurité et identité »5.

Cette contiguïté entre peste et guerre est également véhiculée par les discours mythologiques, sociaux et politiques. Paul Mazon rappelle que bien avant leur association

1 Abigail Solomon Godeau, « Photographier la catastrophe », Terrain n° 54, mars 2010, p. 57.

2 Idem.

3 Jean Delumeau, La Peur en Occident, op.cit., p. 138.

4 Ibid., p. 153.

5 Ibid., p. 155.

dans l’Apocalypse, les deux fléaux trouvaient un point de convergence dans la figure d’Arès,

« dieu de la guerre, dieu de la peste, exécuteur de la vengeance divine »1. De nos jours, l’épidémie est souvent pensée en termes guerriers ou militaires puisqu’elle « envahit »,

« colonise », met à mal les « défenses » du corps et de la communauté. Dans La Peste, elle se présente comme une figure autoritaire ou guerrière qui oblige l’homme à combattre, à résister aux assauts de la maladie, chargeant le récit d’un vocabulaire militaire. Source de désordre dans les corps et dans les mœurs, la maladie impose un nouvel ordre, celui de son empire et de sa toute-puissance. Bien que S. Sontag déplore qu’une telle métaphore fasse du malade un ennemi et transforme le sida en crise totale quand il faudrait y voir « juste une maladie »2, cette tension entre ordre et désordre a favorisé le passage du champ médical à sa lecture politique en termes de système et de pouvoir.

Le XIXe siècle, marqué par une tendance à « biologiser » l’Histoire, a autorisé le glissement du désordre pathologique au désordre social et politique, si bien qu’au début du XXe siècle, la peste est devenue la métaphore consacrée de la pensée de droite, des politiques antisémites et des adversaires de la démocratie. Maurras et Daudet parlent de « peste bolchevique » ou de « peste juive », instrumentalisant les incertitudes médicales à des fins discriminatoires. Le but : jouer des peurs ancestrales associées à la maladie pour justifier l’établissement d’une politique de contrôle social et de répression. Se prétendre sain, c’est lutter contre l’instauration d’un nouvel ordre avant qu’il ne contamine le monde et ne fasse passer sa prédominance pour « normale ». Reste à savoir si le discours socio-politique qui s’empare de ce vocabulaire ne déforme pas la notion de « santé », qualifiant un peu vite de

« désordre » et de « peste » un état de fait qui ne lui convient pas. C’est sans doute pour contrecarrer ce discours xénophobe et antisémite que l’image de la peste a été récupérée par les défenseurs de la liberté et de la démocratie dans la seconde moitié du XXe siècle, notamment à travers l’expression « peste brune ». Expression que l’on retrouvera quelques décennies plus tard sous la plume de journalistes, notamment dans L’Humanité, pour parler du Front National.

Enfin, l’analogie entre l’Histoire et les phénomènes naturels n’est pas neuve puisque

cette conception a été réactivée dans la littérature du XIXe siècle, comme le signale J.-F. Hamel : « Contre toute attente, la modernité aura vu resurgir une narrativité que l’on

croyait depuis longtemps révolue, celle des éternelles révolutions des astres et des volutes

1 Paul Mazon dans sa traduction des Suppliantes d’Eschyle, Œuvres, t. I, p. 28, note 3. Cité par Monique Crochet, Les Mythes dans l’œuvre de Camus, op.cit., p. 164.

2Susan Sontag, Le Sida et ses métaphores, op.cit., p. 21.

d’une histoire cyclique qui se reprend jusqu’à intervertir passé et avenir, jusqu’à confondre

d’une histoire cyclique qui se reprend jusqu’à intervertir passé et avenir, jusqu’à confondre