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2.3 Enquête Q1 : Travailler sur l’identité sonore aujourd’hui

3.1.3 Les méthodes non-verbales

Les méthodes d’analyse descriptive présentées dans la section précédente présupposent que tous les phénomènes perceptifs peuvent être exprimés de façon appropriée par des mots. De plus, en demandant aux participants de donner une note pour chacun des descripteurs du vocabulaire considéré, on leur demande de se concentrer sur une carac-téristique sensorielle du produit de manière indépendante des autres. Le principe des méthodes non-verbales est de positionner directement les produits les uns par rapport aux autres sans passer par des intermédiaires (mots, échelles, rangs...). C’est donc la similitude (ou la dissemblance) entre les produits qui est évaluée dans un premier temps, la recherche de descripteurs physiques ou verbaux corrélés aux dimensions ou groupes obtenus étant souvent effectuée lors d’une seconde étape. Nous proposons dans cette section de présenter les méthodes non-verbales les plus répandues.

3.1.3.1 La mesure de similitude par paires ou par triades

Les échantillons sont présentés successivement par paires aux participants. Pour chaque paire, le participant doit évaluer le degré de similitude entre les deux produits de la paire sur une échelle continue allant de « similaire » à « différent ». Une fois la totalité des paires évaluées, une matrice de distances entre les produits est obtenue pour chaque sujet. Les données sont traitées à l’aide d’analyses multidimensionnelles (MDS) qui permettent de positionner les échantillons dans un espace à plusieurs dimensions de telle sorte que les distances dans l’espace obtenu soient les plus proches possibles des distances données par les participants. Le nombre de dimensions qui minimise le stress (écart entre distances initiales et distances modélisées) et qui maximise la variance observée est alors retenu. L’interprétation des axes ne peut se faire qu’à partir de données externes, comme la

composition des produits ou le processus de fabrication (Strigler et al. 2009). Lorsque l’on peut facilement manipuler les échantillons, il est recommandé de construire un plan d’expérience tenant compte des critères perceptifs susceptibles de jouer un rôle important (MacFie et Thomson 1984 cité dans Strigler et al. 2009). Les principales limites de la comparaison par paires est que le nombre de jugements à effectuer augmente très vite avec le nombre de produits. Pour un ensemble de n produits, il y a n(n-1)/2 paires à comparer, ce qui limite le nombre d’échantillons de l’espace produit à cause des risques d’effets de saturation. Ces méthodes sont relativement nouvelles dans le domaine de l’analyse sensorielle, qui s’est historiquement consacré à l’étude des sensations par des méthodes verbales. Pourtant, elles sont utilisées dans le domaine de la perception sonore depuis plusieurs décennies. Des analyses multidimensionnelles ont été conduites à partir d’expériences de comparaison par paires, d’abord sur des sons élémentaires (Peters 1960) avant d’être appliquées à des corpus de sons musicaux (Grey 1977,McAdams et al. 1995,

Plomp 1970). De telles expériences ont depuis lors été conduites au sein de démarches

de qualité sonore, pour évaluer les dimensions pertinentes de sons comme les sons de ventilation (Susini et al. 2004), de portière de voiture (Parizet et al. 2008) et d’avertisseurs sonores (Lemaitre et al. 2007).

3.1.3.2 Le tri libre

La méthode de tri libre repose sur le processus de catégorisation. Les produits sont pré-sentés simultanément à chacun des participants, la consigne est de trier l’ensemble des produits en un nombre non fixé de groupes selon leurs similitudes. Il n’y a généralement aucune restriction sur le nombre de produits constituant chaque groupe. Une fois les groupes formés, une partition des produits est obtenue pour chaque sujet à partir des co-occurences des produits au sein des groupes. Une matrice de distances globale est alors obtenue par sommation des partitions individuelles, et est généralement soumise à une analyse multidimensionnelle. D’autres études choisissent des méthodes de classifica-tion qui permettent de représenter les proximités entre les produits sous forme d’arbres additifs ou, pour la classification hiérarchique, de dendrogrammes. Le principe de la mé-thode de classification hiérarchique est présenté dans la section A.2 de l’annexe A. Le choix de la méthode d’analyse dépend des objectifs de l’étude, ainsi que le souligneFaye et al. (2011) : les méthodes factorielles (telles que la MDS) permettent d’identifier les distances entre les produits ainsi que les caractéristiques qui les différencient, alors que les représentations en arbres sont plus appropriées à l’identification de l’organisation en catégories des produits et à l’évaluation de la typicité de chacun d’eux au sein de ces catégories. Giordano et al. (2011) préconisent néammoins d’utiliser préférentiellement les méthodes de comparaison par paires pour obtenir des mesures de similarité entre des

stimuli, et d’avoir recours à une tâche de tri libre seulement si nécessaire (par exemple, lorsqu’il y a beaucoup de stimuli). Le tri libre est un paradigme expérimental relati-vement répandu dans le domaine de la perception sonore, notamment dans l’étude des sons environnementaux (Guyot et al. 1997,Houix et al. 2012). Cependant, son utilisation s’inscrit moins dans une démarche de caractérisation sensorielle des sons que dans l’ex-ploration des catégories cognitives qui structurent la perception de notre environnement sonore. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre 5 de ce manuscrit (voir5.2.1, page

71).

3.1.3.3 Le Napping

Le Napping est une procédure expérimentale située à mi-chemin entre la méthode des paires et la méthode du tri libre. Les produits sont présentés simultanément à chacun des participants, la consigne est de trier l’ensemble des produits en les positionnant sur une surface plane, deux produits étant d’autant plus proches qu’ils paraissent semblables. Ces méthodes ont été proposées initialement dans le domaine de la perception du vin (Cadoret et al. 2010). Les participants devaient alors disposer les différents vins testés sur une nappe en papier (d’où le nom de « Napping »). L’avantage de cette technique est qu’elle permet d’obtenir de manière directe une représentation bidimensionnelle de l’espace sensoriel pour chacun des participants. Dans le cas d’un profil conventionnel, chaque descripteur reçoit une note pour chaque produit mais la pondération accordée aux attributs ne représente pas nécessairement leur importance réelle pour les juges. Les épreuves de Napping, tout comme les épreuves de tri libre ou de comparaison par paires, évaluent directement les produits les uns par rapport aux autres. En pratique, une épreuve de verbalisation individuelle (chaque participant écrit sur la nappe des mots descriptifs caractérisant les stimuli) accompagne la tâche de positionnement. Les données sont analysées par le moyen d’analyses factorielles multiples, à la fois sur les données de positionnement et sur les données verbales. Cette technique est relativement nouvelle en analyse sensorielle et semble fournir des résultats satisfaisants quant au positionne-ment des produits, cependant certaines études reportent une difficulté des participants à n’utiliser que deux dimensions pour positionner les produits (Valentin et al. 2012).

Conclusion

Ce chapitre a présenté un ensemble de méthodologies largement répandues dans l’in-dustrie pour différencier, caractériser et comparer les produits. Le profil conventionnel, méthode d’analyse sensorielle la plus courante, présente l’avantage de reposer sur la ca-ractérisation verbale des produits tout en étant relativement fiable et discriminant. Nous

avons vu plusieurs exemples pour lesquels des lexiques de références spécifiques à cer-taines modalités ou à certains produits étaient établis dans la littérature. Dans le cas du son, il n’existe pas de tels lexiques. Certaines méthodes utilisées en analyse sensorielle permettent cependant de générer des listes de vocabulaire adaptés au corpus de produits de l’étude. Nous avons soulevé précédemment le besoin pour la communauté du design sonore d’avoir un vocabulaire simple adapté à la description des sons. Les méthodes pré-sentées dans ce chapitre font bien intervenir des lexiques sensoriels décrivant les différents aspects des produits, mais ne se focalisent a priori que sur la caractérisation d’un type de produit déterminé. Le vocabulaire que nous cherchons, lui, est relatif à une discipline plus qu’à un produit en particulier. En effet, l’objectif du design sonore est de concevoir des « nouveaux sons ». Il semble alors compliqué de générer un vocabulaire qui répond à nos besoins à partir des méthodes d’analyse sensorielle. Un tel lexique serait en effet fortement dépendant de l’ensemble des stimuli ayant servi à le construire. De plus, rien ne viendrait garantir qu’il serait adapté à la communication. Nous devons donc imaginer de nouvelles manières de rechercher un tel lexique. En revanche, les méthodes d’analyse sensorielle que nous avons présentées dans ce chapitre permettent de positionner des produits les uns par rapports aux autres : elles nous serviront dans notre démarche de design sonore, aussi bien en tant qu’outil d’analyse que de méthode de validation. Nous présenterons une expérience d’indexation sonore inspirée de l’analyse sensorielle (et plus particulièrement de la procédure CATA) dans le chapitre 7 de ce manuscrit, ainsi qu’une expérience de tri dans le chapitre 9.

À RETENIR :

 La méthode du profil conventionnel (la plus répandue en analyse sensorielle) repose sur la génération d’un lexique descriptif permettant de différencier les produits sur leurs caractéristiques sensorielles.

 Un des outils méthodologiques forts de l’analyse sensorielle est la création et l’entraînement d’un panel d’experts sensoriels. L’expertise d’un panel est relative à un lexique donnée pour un ensemble de produits donné. On mesure le pouvoir discriminant, le consensus, et la répétabilité pour évaluer les performances du panel.

 Des méthodes alternatives, non-verbales, permettent de différencier les produits : c’est le cas du tri libre, de la comparaison par paire et du napping.

De la spécification à la

reconnaissance de l’identité sonore

Ce chapitre présente les questions de recherche de notre thèse ainsi que la démarche méthodologique que nous avons suivie pour y répondre. La mise en œuvre de cette démarche dans le cas de l’identité sonore SNCF sera présentée dans les parties II et III de ce manuscrit.