5.4 Intérêt pour le design sonore
6.1.2 Génération du lexique sonore
Le cadre d’application de notre lexique est celui de la conduite de projet en design sonore. Contrairement au cadre classique de l’analyse sensorielle, nous ne cherchons pas à rendre ce lexique spécifique à un produit. Au contraire, notre objectif est de pouvoir traduire des intentions (et en l’occurence des intentions identitaires) afin de pouvoir les véhiculer à travers le design de différents marqueurs sonores. À la manière d’une charte visuelle, elle doit pouvoir s’appliquer par la suite à plusieurs objets choisis pour véhiculer l’identité. Ceci constitue une différence fondamentale avec la démarche d’analyse sensorielle qui
cherche à établir des lexiques spécifiques à un type de produit. Nous devons donc imaginer une nouvelle méthode de génération pour le lexique que nous cherchons à construire. En particulier, la question des stimuli se pose : quels sons utiliser pour générer notre vocabulaire, sachant que celui-ci doit pouvoir s’appliquer à tout type de sons ?
Une première idée consisterait à considérer un ensemble de sons le plus varié pos-sible, comprenant aussi bien des sons musicaux, électroniques, environnementaux. Des expériences de verbalisation peuvent alors être conduites sur un tel corpus, permettant d’isoler les mots de vocabulaire pertinents pour décrire les caractéristiques du son. Le problème de ce raisonnement est que, spontanément, les auditeurs (surtout les non-experts) ont une écoute causale des sons. Le vocabulaire le plus efficace pour caractériser et différencier un corpus de sons très hétérogène est naturellement celui lié au nom de la source ou de l’évènement qui produit le son (voir chapitre 5). De plus, la généra-tion d’un lexique en analyse sensorielle est une démarche généralement très longue et très couteuse (Lawless et Civille 2013). L’ASTM recommande une durée minimale de 43 heures de formation (ASTME1490 2011 cité dans Lawless et Civille 2013), certaines études reportent des durées bien plus longues (plus de 120 heures d’entraînement pour
Drake et al. 2003). Même en imaginant de focaliser les panellistes sur l’écoute réduite (à l’aide d’instructions spécifiques), un tel processus pourrait être d’autant plus long que le corpus est hétérogène et étendu.
Une deuxième idée consiste alors à mettre à profit l’ensemble des travaux existants portant sur la description verbale des sons. Une grande partie des études que nous avons présentées au chapitre 5 reposent sur la génération (par verbalisation) de termes adaptés à la description d’un type de son particulier, allant du timbre des violoncelles au bruit de passage des trains à grande vitesse. Les ensembles de descripteurs résultant de ces différentes études sont tous spécifiques à un objet ou un contexte donné, pourtant certains termes apparaissent dans plusieurs études. Une analyse par recoupement des différents travaux que nous avons cités dans le chapitre précédent permettrait alors d’isoler les mots de vocabulaire décrivant des sons de différentes natures dans différents contextes. Ces mots constitueraint alors des candidats adaptés à la description du son indépendamment de sa nature ou de son contexte. La critique principale de cette démarche est que le seul critère d’occurence dans la littérature scientifique ne garantit pas qu’un mot est bien adapté à la description du son. De plus, un mot utilisé pour caractériser un son peut avoir autant de significations possibles que de personnes qui l’utilisent (Cheminée et al. 2005).
Nous avons choisi toutefois de développer cette seconde direction. La figure6.1présente la démarche que nous avons suivie dans la recherche et l’illustration d’un lexique pour le
design sonore. Cette approche est originale dans le sens où nous partons des mots pour aller vers les sons, contrairement à la démarche traditionnelle de génération de lexique, qui a pour point de départ un corpus de stimuli pour arriver à un ensemble de mots. La première étape de notre approche est la recherche des descripteurs sonores apparaissant le plus fréquemment dans la littérature, à travers une analyse d’un large corpus d’études scientifiques et empiriques. Ceci nous permettra d’extraire les mots susceptibles de décrire différents types de sons. Nous confronterons dans un deuxième temps ces mots à un panel d’experts. Une enquête menée auprès d’un ensemble de professionnels du son et de la musique nous permettra de sélectionner parmi les mots de l’étape 1 ceux qui sont les plus utilisés en pratique par les experts. Des entretiens complémentaires permettront d’examiner le sens donné à ces termes par les experts : un recoupement des définitions et exemples donnés par chacun des participants nous permettra de ne garder que les mots faisant consensus au sein du panel.
35 mots 46 mots 76 mots
Liste des descripteurs sonores les plus fréquents
dans la li3érature
Recherche de descripteurs 1
Analyse bibliographique sur un corpus de 52 ar6cles
Descripteurs sonores les plus u5lisés en pra5que par les
professionnels du son
Réduc6on de la liste
Enquête informa6sée auprès de 32 professionnels du son
Descripteurs sonores consensuels parmi les professionnels du son
Cons6tu6on des références
Entre6ens complémentaires avec 18 professionnels du son
Défini5ons et illustra5ons sonores rela5ves à chacun
des descripteurs
Valida5on des références Analyse des confusions
Test d’appren6ssage Créa6on sonore à par6r des données recueillies à l’étape 2
2 3
Fig. 6.1: Schéma résumant les trois étapes de génération du lexique sonore. La première étape a permis d’isoler un ensemble de 76 mots correspondant aux descripteurs les plus fréquents dans un corpus de 52 articles. La seconde étape a permis de confronter cette sélection à un panel de 32 experts du son. Les 46 mots les plus utilisés par ces professionnels dans leur quotidien ont été retenus. Des entretiens complémentaires ont permis de réduire cette liste à une selection finale de 35 termes. Ce lexique a été illustré
par des exemples sonores lors de la troisième étape.
Enfin, dans une troisième étape, nous chercherons à constituer un ensemble de références et d’exemples sonores afin d’illustrer chacun des termes retenus. Pour cela, nous ferons appel à un designer sonore qui travaillera à partir des données recueillies lors des entre-tiens avec les experts (étape 2). Un test de validation (expérience E1) nous permettra de confronter le lexique et ses illustrations sonores à des auditeurs, afin de mettre en évi-dence l’apport des exemples sonores et d’identifier les sources potentielles de confusion.
À l’issue de cette démarche, nous mettrons en place une expérience d’analyse sensorielle permettant de vérifier que le lexique permet de caractériser et différencier les sons de dif-férents objets. Cette expérience fera l’objet du chapitre 7. Dans les sections qui suivent, nous présentons le détail des différentes étapes de notre démarche.