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À partir de la définition générale de l’American Marketing Association (cf. §2.1.1), Bar-tholmé et Melewar(2011) proposent une définition de l’identité sonore d’une entreprise : il s’agit de « l’ensemble des indices sonores à travers lesquelles un public peut reconnaître l’entreprise et la distinguer d’autres entreprises ». Ces indices sonores peuvent être de nature différente : logos sonores, musique d’ambiance, musique de publicité, musique d’attente téléphonique, mais aussi les sons des produits, les voix et les ambiances sonores (Bartholmé et Melewar 2011,Treasure 2007).

2.2.1 Identité sonore et identité musicale

Le domaine du marketing sensoriel dédié à la modalité auditive est relativement récent, ce qui génère régulièrement des confusions dans l’emploi du vocabulaire mobilisé. La principale ambiguïté réside dans l’utilisation des adjectifs « sonore » et « musical » (Goudey 2007). Goudey propose de distinguer ces deux adjectifs en définissant l’identité sonore comme résultant du son provoqué par les produits, et l’identité musicale comme résultant de la communication de la marque (publicité, internet, l’attente téléphonique). Dans le cadre de nos recherches, nous combinerons à la fois la définition de Bartholmé et la distinction de Goudey pour proposer une définition de l’identité sonore :

DÉFINITION :

L’identité sonore d’une marque ou d’une entreprise est l’ensemble des indices sonores à travers lesquels un public peut reconnaître l’entreprise et la distinguer d’autres en-treprises. Ces indices peuvent être de deux types : ceux liés à l’identité sonore de communication de la marque et ceux liés à l’environnement sonore des espaces de la marque et des sons des produits, les premiers étant essentiellement musicaux (à l’excep-tion de la voix) et les seconds étant essentiellement non-musicaux. Le design musical identitaire consiste alors à choisir ou à composer des musiques ou des fragments mu-sicaux qui correspondent aux messages et aux valeurs que la marque veut exprimer, tandis que le design sonore identitaire se focalise sur les sons de l’environnement et des produits, que ceux-ci soient crées volontairement pour remplir une fonction donnée (sons intentionnels) ou qu’ils soient générés par le simple fonctionnement des objets (sons non-intentionnels).

COMMUNICATION Musiques de publicité Logos sonores Attente téléphonique Voix ENVIRONNEMENT SONORE Ambiances sonores Sons Intentionnels Sons non Intentionnels

IDENTITE SONORE DE MARQUE

Design musical identitaire Design sonore identitaire

Fig. 2.6: Les deux grandes classes de supports de l’identité sonore et leurs domaines de compétence associés.

Dans les paragraphes suivants, nous présenterons les différents travaux de recherche fai-sant le lien entre le son et les marques. Nous commencerons par explorer le domaine du design musical : ce champ a en effet fait l’objet de nombreuses investigations. Bien que nos travaux de recherches soient davantage focalisés sur le design sonore, les méthodolo-gies et outils utilisés pour travailler sur la musique peuvent constituer de bonnes sources d’inspiration pour notre étude.

2.2.2 L’utilisation de la musique dans le domaine du marketing

Le chant dans la publicité n’est pas une invention moderne liée à la radio ou à la télévision.

Julien(1989) (cité dansGoudey 2007) situe les origines de ce procédé au XIIIème siècle, lorsque les marchands ambulants chantaient leurs offres dans les rues à l’aide de morceaux à trois voix. Bien avant les considérations liées à l’identité de marque, la musique a été utilisée à des fins commerciales. La musique d’ambiance sur les points de vente a une influence sur le comportement des consommateurs : les clients restent plus longtemps dans un magasin lorsqu’il y a de la musique (Rieunier 2000,Yalch et Spangenberg 1993), et leur vitesse de circulation est influencée par le tempo de la musique (Milliman 1982). De la même manière, la présence de musique sur un serveur d’attente téléphonique augmente le temps pendant lequel l’appelant accepte de rester en ligne (North et al. 1999) . Dans les bars, les clients consomment plus vite lorsque la musique est de tempo rapide (McElrea

et Standing 1992) et consomment plus de boissons lorsque le volume sonore est élevé

(Jacob et Guéguen 2002). La fonction de la musique dans les messages publicitaires à

la télévision et à la radio a également intéressé les chercheurs en marketing, notamment pour son influence positive sur la mémorisation des slogans publicitaires (Yalch 1991)

ainsi que sur les intentions d’achats (Alpert et al. 2005). La musique joue également un rôle important dans l’expression de l’identité de marque. Lorsque le consommateur ne peut pas évaluer la qualité intrinsèque des produits ou n’est pas en mesure de se référer à son expérience passée avec le produit ou l’enseigne, il réalise des inférences à partir des attributs extrinsèques du produit et son environnement d’achat (Daucé et Rieunier 2002). Il y a alors un transfert des attributs liés au style des musiques vers les attributs de la marque (Broekemier 1993). Les clients vont par exemple rester plus longtemps dans un magasin lorsque la musique qui y est diffusée est en adéquation avec l’image du magasin (Winther 2012). Selon une étude menée par Areni et Kim (1993), dans un magasin de vins, le montant moyen des achats par client est multiplié par 3 lorsque de la musique classique est diffusée en fond sonore plutôt que de la musique de variétés. Dans un magasin de vêtements, les clients perçoivent le magasin comme bas de gamme avec de la musique de variétés et haut de gamme avec de la musique classique ou New Age4 (Yalch et Spangenberg 1993).

2.2.3 De l’identité de marque à l’identité musicale

De nombreuses agences proposent aujourd’hui de choisir ou de composer des jingles, mu-siques de publicités ou musique de sites web pour les marques. Si l’univers musical des marques est une opportunité pour l’expression de l’identité, le lien entre musique choisie et identité de marque n’est pas toujours évident à établir. La congruence entre musique, jingles et identité de marque est recherchée par les entreprises.Treasure(2013) fait même de cette congruence la première des « règles d’or » du design musical. Cependant, le pro-cédé permettant de faire le lien entre les différents éléments musicaux de la marque et son identité reste délicat : comment mesure-t-on la congruence entre musique et identité ? Sur quels paramètres de la musique doit-on jouer ? Aujourd’hui, on ne trouve que peu de références académiques concernant le design musical5et la plupart des méthodologies uti-lisées pour créer les identités musicales des marques sont empiriques et peu partagées car elles constituent le savoir-faire des agences de design. Procéder par associations entre les attributs de la marque et les attributs musicaux est le moyen le plus souvent utilisé pour véhiculer une identité de marque (Winther 2012). Les échelles de personnalité de marque ont été utilisées pour mesurer la congruence entre l’identité musicale créée et l’identité de la marque, aussi bien pour les musiques (Burke 2004) que pour les jingles (Parikh et Aminoff 2013, Winther 2012). Dans une tentative de généraliser les associations entre identité de marque et attributs musicaux, Müller et Kirchgeorg (2010) ont repris les 4La musique New Age est une musique d’ambiance utilisée pour produire des atmosphères relaxantes et propices à la méditations

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La communauté « Audio Branding Academy » organise chaque année un congrès dédié au design musical (voirhttp://audio-branding-academy.org/aba/)

traits de personnalité de marque identifiés par l’étude d’Aaker (1997) et ont proposé une déclinaison de cette personnalité dans un univers musical. Les sous-descripteurs du modèle d’Aaker ont été hiérarchisés et des associations entre verbatim et musique ont été proposées pour chacun d’entre eux (voir figure2.7). Si la tentative est louable, on peut se questionner sur la pertinence des associations proposées par ce diagramme. Les genres musicaux (jazz, rock, musique classique...), les instruments de musiques (saxophone, syn-thétiseur...) et les attributs issus de la théorie musicale (tempo, hauteur, mode...) sont mis sur le même niveau et sont parfois présents, parfois absents. Le procédé ayant conduit à la construction de ce diagramme n’est pas détaillé par les auteurs, qui se contentent de présenter l’outil final qu’ils utilisent en pratique dans leur agence de design musical. Nous mentionnons à titre indicatif qu’un projet européen nommé « ABC-dj » a été lancé cette année (2016). Son objectif est de construire, à partir des techniques de recherche intelligente de son, des moteurs de recommandations musicales pour les marques.

Fig. 2.7: Table empirique de correspondance entre les traits de personnalité de marque et les genres musicaux (Müller et Kirchgeorg 2010).

2.2.4 L’identité de marque dans le design sonore des produits

Depuis quelques années, certaines entreprises, à commencer par les marques de luxe, s’intéressent de plus en plus à la façon dont leurs produits « sonnent » et à sa cohérence avec leur identité. Dans l’univers de la cosmétique par exemple, le son est associé à la qualité d’un produit. Le bruit devient un critère segmentant qui participe à l’identité de la marque. Un « clap » sourd évoquera le luxe alors que le « dong » du plastique sera réservé aux entrées de gamme. Pour des interrupteurs haut de gamme, une approche silencieuse, synonyme de qualité, est favorisée (Simorre 2004). Un des exemples les plus mythiques est celui du son « Harley Davidson » : le bruit du moteur des Harley, caractéristique de la marque, va jusqu’à faire l’objet d’une homologation sur les nouveaux modèles (Pierson

et Bozmoski 2003). Pourtant, la question de l’identité sonore des produits reste peu

abordée dans la littérature académique. Nous pouvons mentionner toutefois les travaux de thèse de Le Nindre(2002) sur le typage sonore identitaire des véhicules sportifs ainsi que l’étude de Lageat et al. (2003) sur les briquets de luxe. Nous supposons en outre que dans la mesure ou mieux véhiculer son identité représente un avantage concurrentiel, certaines entreprises ayant travaillé sur cette question ne souhaitent pas publier leurs études.

2.2.5 Des outils pour communiquer une intention par le son

Communiquer des intentions par le son est une difficulté récurrente à laquelle sont confrontés les designers sonores. Plusieurs études font état des problèmes de communica-tion dans le design sonore. Dans une étude sur le design sonore des produits industriels,

Langeveld et al. (2013) pointent du doigt le manque de vocabulaire lié au son :

« In general, users lack the vocabulary to express themselves to explain what is wrong or right with a sound. They normally will say the product makes an unpleasant sound or noise. Designers also lack the vocabulary to express design concepts that may also be used in the design of a sound. The acoustical engineers have a very technical vocabulary from the disciplines of physics and sometimes psychoacoustics, which does not communicate very well to designers and to users »

Des enquêtes auprès de la communauté des designers sonores (Carron et al.(2014),Hug et Misdariis (2011), voir § 2.3) ont mis en évidence des difficultés de communication au sein des processus de design sonore. Ces difficultés ont également été observées dans le domaine de l’industrie musicale (Porcello 2004) et du jeu video (Alves 2012). Le design

sonore étant un domaine relativement récent, la plupart des méthodologies et outils utili-sés ont été construits empiriquement, et à notre connaissance, il n’existe pas de méthode « clé en main » permettant de traduire des intentions en sons. Chaque cas est spécifique et nécessite le savoir faire d’un designer sonore. Ce « savoir faire » ne peut être rendu systématique. En revanche, l’explicitation de ce « savoir faire » peut être très riche en informations pour élaborer un outil support dans un processus visant à traduire des in-tentions en sons. Certains designers sonores utilisent équivalents sonores des planches de tendance (voir §2.1.4.1) dans les phases conceptuelles de leur travaux (Carron et al. 2014,Hug et Misdariis 2011). La construction et l’utilisation de « soundboards » sont enseignées dans le master de design sonore de l’ESBA-TALM6. Nous présenterons l’utili-sation de ces outils dans un cas d’application concret dans le chapitre 9 de ce manuscrit. Dans ses travaux de thèse, Alves (2012) propose un outil de communication pour ap-puyer une méthodologie de design sonore dans les jeux vidéo. Dans un premier temps, il a identifié et caractérisé différents « patterns de design », c’est-à-dire des situations ou des problèmes liés à la conception de sons qui nécessitent une réflexion (par exemple Imminent Death se réfère à une situation pour laquelle le personnage du joueur est sur le point de mourir, Footsteps concerne les bruits de pas et Aesthetics s’attache aux ca-ractéristiques communes à tous les sons à concevoir). Chaque pattern a été caractérisé individuellement, puis la relation entre les différents patterns a été étudiée (Alves et

Roque 2010). Un jeu de cartes s’appuyant sur ce langage a été construit pour servir

d’outil de communication dans le design sonore des jeux vidéo. La figure 2.8 présente l’une de ces cartes. Cet outil a été testé au cours de processus de design sonore (Alves et Roque 2011) et a montré qu’il générait une interaction sociale forte entre les différents acteurs du processus. La méthode du jeu de cartes comme outil de support à la création sonore n’est pas nouvelle. Les stratégies obliques est un jeu de 110 cartes conçues par le compositeur Brian Eno et le peintre Peter Schmidt en 1975 (voir figure2.9). Chacune de ces cartes contient une piste, une instruction, un principe basique destiné à relancer le travail créatif. Brian Eno a proposé cet outil pour introduire des inspirations aléatoires dans le processus musical, dans le travail en groupe. Quand les participants sont bloqués collectivement et qu’ils cherchent une idée, ils tirent une carte et en interprètent le texte pour identifier une direction commune à prendre7.

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Cours Méthodologies créatives en design sonore - http://lemans.esba-talm.fr/etudes/ option-design-sonore/

7

Voir une description complète des stratégies obliques sur le site http://www.rtqe.net/ ObliqueStrategies/Edition4.html

Fig. 2.8: Exemple d’une carte extraite du sound design deck. Chaque carte représente un pattern de design sonore et en présente une description, identifie les patterns opposés ou connexes, et propose des exemples issus de jeux vidéos pour illustrer les situations concernées. Un lien vers des ressources en ligne est proposé par le biais d’un code QR

(Alves et Roque 2011).

Fig. 2.9: Photographie du jeu de cartes « Stratégies Obliques », montrant quelques exemples de cartes : « Ne sois pas effrayé par les clichés », « Ne sois pas effrayé par les choses parce qu’elles sont faciles à faire », « Supprime les spécificités et remplace-les

par des ambiguïtés », « Tu n’as pas à être honteux d’utiliser tes propres idées ».