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4. Corpus et méthode d’analyse

4.2 Méthode d’analyse

La recherche présentée repose sur une méthodologie se déployant en trois temps. Les bandes dessinées lues ont d’abord été soumises à une grille recueillant des informations sur leur dimension textuelle, paratextuelle et visuelle (voir l’Annexe II). Avec l’aide du logiciel FileMaker Pro, les fiches ainsi obtenues ont formé une base de données interrogeable ayant servi à observer des tendances (chronologiques, thématiques, typologiques, etc.) et des cas d’exception au sein des productions étudiées. Par exemple, les données paratextuelles recueillies ont facilité la découverte de certaines formules récurrentes dans les titres des séries ou des épisodes, en plus de révéler, le rapport quantitatif entre les œuvres originales francophones et anglophones, la productivité de certains créateurs, la standardisation ou non des supports, des techniques d’impression et des

100 Il a fallu pour cela vérifier la présence en leur sein de la tétrade Mission-Pouvoir-Identité-Distinction générique.

Les séries d’aventures comme Conan, G.I. Joe et Sectaurs, identifiées par les Éditions Héritage comme des séries superhéroïques, ont donc été écartées du corpus d’analyse fine parce qu’on n’y retrouve pas tous ces invariants génériques.

101 M. Viau. BDQ. Répertoire des publications de bandes dessinées […], 342 p.

102 J. Bell. Canuck Comics. A Guide to Comic Books Published in Canada, Montréal, Matrix Graphic Series, 1986,

154 p.

illustrations de couverture et la nature des idées et informations transmises dans les différentes rubriques présentées au lecteur.

Quant aux données textuelles, elles ont permis de vérifier si un récit donné était contenu dans un seul objet (autonome) ou s’il ne représentait qu’une partie d’un récit plus large s’étendant sur plusieurs numéros (partiel). La grille a aussi fait la lumière sur le recours (ou non) à des environnements (villes, repaires secrets) et à des situations typiques des récits superhéroïques (découverte des pouvoirs, confrontation à une menace, combat physique contre le vilain, dénouement heureux de l’histoire, etc.). Une attention particulière a été portée à la nature des relations transtextuelles mises en œuvre dans les bandes dessinées québécoises originales, selon la typologie établie par Gérard Genette, dans Palimpsestes (intertextualité, métatextualité, hypertextualité, architextualité104). Le degré d’autonomie et de singularité gagné par les objets

transférés par rapport à leurs modèles américains, selon les séries et les époques, a ainsi pu être vérifié. Afin d’étudier les personnages des récits superhéroïques, la grille a aussi repris les trois « sphères de qualification » des personnages paralittéraires, soit le Vengeur, le Méchant et la Victime105, en adoptant cela dit une nomenclature plus adaptée au genre superhéroïque (le

Superhéros, le Vilain et la Victime). Les éléments de la grille d’analyse qui les concernent (mission, pouvoirs, nom superhéroïque) ont été inspirés de la définition du genre superhéroïque et de ses composantes donnée par Peter Coogan.

Enfin, la grille d’analyse a permis de discerner et de distinguer les différents aspects graphiques des comics étudiés. La colorisation, le style emprunté, la composition et la conception de la page, la nature des plans utilisés, l’articulation spatiotemporelle (d’une case à l’autre) et la relation entre le texte et l’image constituent les éléments ayant servi à définir l’esthétique propre à certains bédéistes et éditeurs106.

104 Genette inclut aussi la paratextualité dans sa typologie des procédés transtextuels, mais je lui consacre déjà une

section dans ma grille; G. Genette. Palimpsestes, Paris, Seuil, 1982, 468 p.

105 Ce sont les catégories principales de personnages que Daniel Couégnas identifie dans sa poétique du récit

paralittéraire. Elles s’articulent toutes autour d’un tort, d’un « scandale » : le Méchant le commet, la Victime en souffre et le Vengeur s’y oppose et le fait généralement cesser; D. Couégnas. Introduction à la paralittérature […], p. 172- 175.

Après ce premier parcours analytique du corpus, les bandes dessinées traduites ont été comparées avec leurs versions d’origine, ces dernières ayant été consultées à partir des plateformes numériques Marvel Unlimited et Comixology. Le recours à ces outils a facilité l’accès aux comics américains dont les versions physiques circulent surtout, aujourd’hui, dans les cercles de collectionneurs. Cet exercice comparatiste a rendu possible l’identification des modifications apportées au contenu narratif et graphique des objets, par les producteurs québécois. Les éditions Héritage, par exemple, avaient pour habitude de redessiner les couvertures des comics qu’ils traduisaient, soit pour les rendre plus attrayantes ou soit pour les adapter au format de leurs publications, différent, à certaines époques, de celui adopté par Marvel et DC Comics. Il arrivait aussi fréquemment, dans les premières années des activités éditoriales de la maison, que les traducteurs québécisent les noms propres des personnages, des lieux et des référents culturels trouvés dans les comics. La mise en commun des versions originales et traduites d’une même bande dessinée a permis un repérage plus aisé de pareilles tentatives d’adaptation du contenu, mises en place plus ou moins subtilement, selon les cas.

À l’analyse du corpus s’ajoute la consultation des documents présents dans le « Fonds Matrix Graphic Series », déposé à Bibliothèque et Archives Canada. En plus de recueillir les manuscrits des publications de l’éditeur montréalais, ce fonds d’archives se compose de factures de distributeurs américains, d’un rapport comptable et de la correspondance de Mark Shainblum, éditeur-en-chef de Matrix Graphic Series et scénariste de la série New Triumph featuring Northguard. Dans le cadre de la recherche présentée en ces pages, 220 lettres de lecteurs, de collègues de Shainblum et d’artistes amateurs ont été parcourues.

Précisons enfin que des tentatives ont été faites afin de contacter les auteurs et les éditeurs dont il est question dans cette thèse. Dans la majorité des cas, les démarches se sont avérées infructueuses soit parce que les personnes concernées étaient malades ou décédées, soit parce que les comics analysés sont considérés par leurs créateurs comme des œuvres de jeunesses dont ils ne conservent que très peu de souvenirs. Il faut effectivement garder en tête que, pour la plupart des auteurs et des éditeurs sur lesquels je me pencherai, l’édition de comics de superhéros représente une aventure de quelques mois seulement.