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Le genre superhéroïque à la rescousse de l’industrie du comic book américain

PARTIE II : LES COMICS DE SUPERHÉROS AMÉRICAINS RÉÉDITÉS AU QUÉBEC

LES ÉDITIONS HÉRITAGE : PORTRAIT D’UNE ENTREPRISE PIONNIÈRE

2. Les comics Héritage et le développement de la bande dessinée sérielle au Québec

2.1 Le genre superhéroïque à la rescousse de l’industrie du comic book américain

Avec la disparition du principal distributeur de comic books, American News Company, en 1957240,

la mise en place d’un Comics Code laissant très peu de latitude aux auteurs et éditeurs est considérée comme l’un des principaux éléments ayant plongé l’industrie des comics dans une période de crise. Interdisant la représentation de l’horreur, de la sensualité et de la violence excessive, ce Code, instauré en 1954 à la suite de la campagne censoriale menée contre les comics aux États-Unis, bannit implicitement les genres les plus lucratifs, soit les romance, les horror et les crime comics. Puisque les éditeurs doivent s’y soumettre s’ils désirent recevoir le sceau d’approbation qui garantit la moralité de leurs publications et qui, du même coup, accroît leurs chances de survie sur le plan économique, ils n’ont d’autre choix que de fermer boutique ou de réorienter leur production en fonction des paramètres narratifs et graphiques jugés acceptables. Les crime et les horror comics disparaissent presque tous en l’espace de quelques mois, tandis que les comics sentimentaux subissent des transformations de manière à les conformer aux prescriptions du Code. Ils s’assagissent en évacuant de leurs pages toute trace de sexualité et en insistant désormais sur les vertus du mariage, de la fidélité et du patriarcat. Ce faisant, ces imprimés chastes éteignent justement la passion de leur lectorat et connaissent un déclin qui sera accéléré par la

240 On ne connaît pas les causes exactes de cette disparition. Bradford W. Wright soutient pour sa part qu’elle est la

conséquence d’une poursuite intentée par la Justice américaine contre American News Company en raison de pratiques monopolistiques. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas un hasard si les deux entreprises qui domineront le marché des comics, quelques années plus tard (DC Comics et Marvel Comics), possèdent leurs propres structures de distribution : cela leur évite les difficultés occasionnées par le démantèlement de American News Company; B. W. Wright, Comic Book

révolution sexuelle des années 1960 et l’évolution des mœurs qu’elle amène241. Bref, les maisons

d’édition de comic books se voient donc privées de leurs principales sources de revenus.

Contourner le Comics Code

Devant l’impossibilité de publier le type de comics qui plaît au lectorat et qui domine le marché depuis près d’une décennie, la décision éditoriale qui s’impose à certains producteurs de comics est simple : miser de nouveau sur les comics de superhéros dans l’espoir qu’ils retrouvent la popularité dont ils jouissaient avant et durant la Deuxième Guerre mondiale. Mais encore faut-il traverser l’épreuve de la censure, ce que le principal éditeur de comics de superhéros de l’époque, DC Comics, parvient à accomplir en atténuant la violence que ses imprimés comportent et en évitant l’ambiguïté morale qui pouvait autrefois planer sur certains titres. Cela va dans le sens des commandements du Comics Code, qui stipule entre autres que « scenes of excessive violence shall be prohibited » et que « [p]olicemen, judges, government officials and respected institutions shall never be presentend in such way as to create disrespect for established authority242 ». Ainsi, le

personnage de Flash est ramené dans l’écurie DC Comics, en 1956, lui qui avait connu ses heures de gloire durant la Seconde Guerre. Réinventé en tant que membre de la police scientifique, il utilise sa vitesse fulgurante afin d’accomplir à la perfection son travail de représentant de la Loi243.

Green Lantern subit un traitement similaire, en 1959, en se joignant au Green Lantern Corps, un corps policier interplanétaire assurant le maintien de la paix dans l’Univers244. À ces personnages

s’ajoutent, en 1960, ceux de Hawkman et Hawkgirl, un couple d’extraterrestres venus sur Terre et ayant décidé d’y rester pour combattre le crime. Sur leur planète d’origine, ces deux héros étaient aussi des policiers245. Le motif récurrent du superhéros-gendarme engendre ainsi un changement

de perspective faisant en sorte que l’autojusticier n’apparaît plus comme le rival de l’institution juridique et de ses représentants, mais plutôt comme son prolongement.

241 M. Nolan. Love on the Racks : A History of American Romance Comics, Caroline du Nord, Macfarland, 2008, p.

30.

242 Senate Committe on the Judiciary. « Code for the Comics Magazines Association of America, Inc. Adopted October

26, 1954 », Comic Books and Juvenile Delinquency, Washington, D. C., United States Government Printing Office, 1955, p. 36-37.

243 R. Kanigher et C. Infantino. « Mystery of the Human Thunderbolt! », Showcase, no 4, octobre 1956, p. 3-15. 244 J. Broome et G. Kane. « S.O.S. Green Lantern! », Showcase, no 22, octobre 1959, 32 p.

De plus, la publication des aventures des trois principaux héros de DC Comics, Batman, Superman et Wonder Woman, se poursuit, elle qui n’avait d’ailleurs jamais été interrompue. Il faut dire que le succès que remporte l’adaptation télévisuelle des comics de Superman, The Adventures of Superman246, agit comme un argument de poids en faveur du maintien des séries bédéesques

dédiées aux têtes d’affiche de l’éditeur. Cette incursion du superhéros dans le petit écran encouragera effectivement DC Comics à développer davantage sa stratégie crossmédia et à concevoir quelques années plus tard les séries télévisuelles Batman247 (1966-1968) et Wonder

Woman248 (1975-1979). La fusion de DC Comics et de la société Warner249, en 1969, viendra

d’ailleurs cimenter pour les années à venir cette approche tournée vers la déclinaison crossmédiatique des propriétés intellectuelles phares de l’entreprise. L’éditeur a donc tout intérêt à poursuivre la publication des comics où ces trois superhéros apparaissent – bien qu’ils aient été spécifiquement ciblés par la critique censoriale au milieu des années 1950 – en leur apportant les légères modifications, sur le plan du contenu, qui suffisent à rassurer les membres de la Comics Code Authority. Les protagonistes de ces séries adoptent ainsi un comportement moins violent, font preuve de révérence envers les autorités et agissent toujours à l’intérieur des limites permises par la Loi. Batman affiche par ailleurs un sourire qui le rend moins effrayant en plus d’être dûment autorisé par la police de Gotham City à mener sa quête de justice. Il s’entoure enfin de personnages féminins, dont Batwoman, envers qui il éprouve d’ailleurs des sentiments amoureux; cela réfute les accusations d’homoérotisme qui pesaient sur le héros et sa série éponyme depuis la parution de Seduction of the Innocent, de Fredric Wertham250. En prenant les précautions nécessaires afin que

sa gamme grandissante de comics de superhéros respecte les consignes du Comics Code, DC

246 La série télévisée The Adventures of Superman comporte six saisons et 104 épisodes diffusés du 19 septembre 1952

au 28 avril 1958, aux États-Unis. Elle est produite en syndication et donc diffusée simultanément sur plusieurs réseaux. Une suite à cette série était prévue, mais a dû être annulée après la mort par coup de feu de George Reeves, qui incarne Superman, le 16 juin 1959.

247 Diffusée sur la chaîne ABC, la série Batman s’étale sur trois saisons et 120 épisodes. Elle met en vedette Adam

West dans le rôle de Batman et Burt Ward dans le rôle de Robin.

248 La série Wonder Woman, rebaptisée The Adventures of Wonder Woman à partir de sa deuxième saison, comprend

59 épisodes répartis sur trois saisons. Sa diffusion a lieu sur la chaîne ABC lors de la première saison et sur le canal CBS lors des saisons subséquentes. Linda Jean Córdova Carter y incarne la célèbre héroïne.

249 En 1967, le conglomérat Kinney National Company achète DC Comics (alors nommée National Periodical). Deux

ans plus tard, il fait l’acquisition de la firme Warner, spécialisée dans la production et la distribution de séries télévisuelles et de films. En 1972, la société prend le nom de Warner Communications Inc.; J.-P. Gabilliet. Of Comics

and Men. A Cultural History of American Comic Books, traduit du français par Bart Beaty et Nick Nguyen, Jackson,

University Press of Mississippi, 2010, p. 60.

250 Voir B. Finger et S. Moldoff. Batman, no 122, New York, DC Comics, mars 1959, 32 p. Ironiquement, le personnage

de Batwoman sera présenté, à partir de 2006, comme étant homosexuel et sa conjointe, Renée Montoya, est membre de la police de Gotham City.

Comics octroie donc à ce genre un statut moral irréprochable et augmente son potentiel commercial. Le succès ne se fait pas attendre pour l’éditeur qui, dès 1962, accapare 30% des parts du marché des comic books aux États-Unis251. Il devient alors le plus important éditeur à œuvrer

dans ce domaine.

Les nouveaux héros de Marvel Comics

La revitalisation du genre superhéroïque initiée par DC Comics se poursuit lorsque Marvel Comics, souhaitant répéter les succès de son compétiteur, délaisse peu à peu ses séries sentimentales et de science-fiction pour se tourner à son tour vers les aventures de justiciers masqués. Après tout, l’éditeur possède de l’expérience dans ce domaine, ayant auparavant donné naissance au Sub- Mariner (1939), à la Torche humaine (1939) et au supersoldat Capitaine America (1941)252, tous

relégués aux oubliettes après la fin de la guerre. Ces trois superhéros seront d’ailleurs réintégrés au catalogue de l’éditeur au cours des années 1960, sans toutefois en devenir les têtes d’affiche. Ce rôle est plutôt réservé aux nouveaux superhéros créés par un scénariste et deux dessinateurs qui passeront à l’histoire. En 1961, Stan Lee (Stanley Lieber, de son vrai nom), éditeur-en-chef, directeur artistique et scénariste-en-chef chez Marvel Comics, s’adjoint les services des artistes Jack Kirby et Steve Ditko, dans le but d’enrichir le catalogue de la maison. Ensemble, ces trois créateurs donnent ainsi naissance, au cours des quelques années qui suivent, aux personnages et aux récits qui fondent le cœur de l’Univers Marvel.

S’éloignant de la rectitude morale, du triomphalisme et du manichéisme des productions de DC Comics, les publications de Marvel abordent avec une certaine nuance les thèmes et les questions qui semblent préoccuper un lectorat adolescent. En ce sens, la plus grande force de cet éditeur consiste à présenter des œuvres potentiellement subversives sans éveiller les soupçons de la censure. Malgré le fait qu’ils hébergent des superhéros tourmentés et des vilains avec lesquels il est possible de sympathiser, les comics de Marvel se plient effectivement aux contraintes du Comics Code :

Outsiders though they might be, there was never a question as to the morality of the Marvel superheroes. They never hurt innocent people, never killed anyone, and generally respected the

251 P. Bart. « Advertising : Superman Faces New Hurdles », New York Times, le 23 Septembre 1962, p. 166, cité dans

P. Lopes, Demanding Respect. The Evolution of the American Comic Book, Philadelphie, Temple University Press, 2009, p. 63.

law. The U.S. Army might torment the Hulk, and the police might harass Spider-Man, but superheroes and authority figures ultimately stood on the same side. Likewise, while often insensitive and wrongheaded, respected authority never appeared corrupt or malicious. Hedging of this sort allowed Marvel’s quietly subversive overtures to slip past the censorship of the comics code to perceptive young readers.

Marvel managed to strike an antiestablishment pose without appearing political253.

L’éditeur marche donc, durant la décennie 1960, sur la fine ligne peinte par le Comics Code afin de distinguer les productions exemplaires des comics corrupteurs.

Cette position prise par Marvel Comics, qui se distancie des récits et personnages sans équivoque présentés par DC Comics, entraîne une hausse considérable des chiffres de vente de l’éditeur, si l’on en croit les données fournies par la plateforme Comichron, dédiée au recensement statistique des ventes de comics aux États-Unis254. Les chiffres avancés nous révèlent dans un premier temps

que Marvel ne s’imposait pas, en 1960, comme un acteur majeur dans le milieu des comic books. Un an avant le lancement de ses nouvelles bandes dessinées de superhéros, l’éditeur publie trois titres seulement parmi les cinquante séries les plus vendues au cours de l’année. De plus, en moyenne, la somme des copies écoulées mensuellement255 pour ces trois titres ne dépasse pas le

demi-million. Si l’on considère que la série Superman (DC Comics), à elle seule, connaît des ventes moyennes par numéro s’élevant à 810 000 exemplaires, ces chiffres sont loin d’être reluisants.

Tableau 1 : Les ventes moyennes des comics chez Marvel en 1960256 Position dans le

palmarès annuel des ventes (top 50)

Titre Éditeur Nombre moyen de copies

vendues par numéro

253 B. W. Wright. Comic Book Nation […], p. 219.

254 Cette plateforme est le résultat du travail accompli par l’auteur et chercheur John Jackson Miller. Ce dernier est

entre autres le coauteur du Standard Catalog of Comic Books, un ouvrage répertoriant plus de 165 000 comic books publiés depuis les origines du médium jusqu’aux années 2000. Les travaux de Miller reposent sur les données trouvées dans les comics eux-mêmes : à partir de 1960, le gouvernement américain oblige les producteurs de magazines et de

comic books qui utilisent le service postal fédéral à publier annuellement, dans chaque titre de leur catalogue, un rapport

faisant état du nombre de copies dudit titre mis en circulation au cours de l’année. Les autorités gouvernementales, qui accordent des rabais sur les frais de port engagés par la distribution des magazines et comic books, peuvent ainsi vérifier que ces rabais ont bien été consentis uniquement à ces fins. En bref, ce rapport, officiellement nommé « Statement of Ownership », sert surtout à contrer le recours frauduleux au tarif postal réduit; Chomicron. « Comichron’s Postal Comics Sales Data Repository », Chomicron […]. Plusieurs exemplaires numérisés de ces rapports sont consultables en ligne.

255 Dans ces cas-ci, les ventes par numéros correspondent aux ventes mensuelles, étant donné le rythme de publication

mensuel des séries mentionnées.

256 Ce tableau et le suivant sont adaptés à partir de ceux trouvés sur le site Comichron; J. J. Miller. Comichron. A

Resource for Comics Research!, [En ligne], [s. d.], http://www.comichron.com/yearlycomicssales.html (Page consultée le 31 août 2017).

43 Tales to Astonish Marvel 163,156

45 Tales of Suspense Marvel 148,929

46 Kid Colt Outlaw Marvel 144,746

Pourtant, sept années plus tard, la situation s’est grandement améliorée pour Marvel. Neuf des séries publiées figurent désormais dans le palmarès des ventes annuelles de comic books et celles- ci représentent, en moyenne, une somme de 2 553 556 exemplaires vendus par mois. L’écart entre les chiffres propres aux deux années mentionnées confirme donc dans un même temps la poussée du genre superhéroïque et l’intérêt grandissant du lectorat envers le traitement que Marvel Comics lui réserve.

Tableau 2 : Les ventes moyennes de comics chez Marvel en 1967

Position dans le palmarès annuel des

ventes (top 50)

Titre Éditeur Nombre moyen de copies

vendues par numéro

14 Amazing Spider-

Man

Marvel 361,663

17 Fantastic Four Marvel 329,536

21 Thor Marvel 298,219

30 Avengers Marvel 269,139

31 Tales to Astonish Marvel 269,132

34 Uncanny X-Men Marvel 266,034

36 Sgt. Fury and his

Howling Commandos

Marvel 260,930

37 Tales of Suspense Marvel 257,342

45 Strange Tales Marvel 241,561

Cette croissance rapide se concrétise surtout auprès de nombreux groupes d’étudiants, qui voient dans ces imprimés l’expression d’un anticonformisme auquel ils s’identifient. Citant un article paru

dans la revue Esquire, en septembre 1966, Wright explique la réception des comics Marvel sur les campus américains :

A long-haired student at Southern Illinois University identified with the Hulk because « he’s the outcast against the institution. » A bearded Stanford University student cited Spider-Man as his favorite because the hero was « beset by woes, money problems, and the question of existence. In short, he is one of us. » A 1965 college poll conducted by Esquire revealed that student radicals ranked Spider-Man and the Hulk alongside the likes of Bob Dylan and Che Guevara as their favorite revolutionary icons. The outsider hero had arrived as the most celebrated figure in youth culture, and Marvel had him257.

En créant des héros qui vivent en marge de la société – mais non contre elle –, qui sont victimes de racisme (les mutants de la série The X-men), d’intimidation (Peter Parker / Spider-Man dans la série The Amazing Spider-Man) ou de la persécution militaire (Hulk / Bruce Banner, dans la série The Incredible Hulk), Marvel rejoint un lectorat plus âgé et intéressé par la dimension sociale et philosophique qu’arborent alors ses productions.

L’éditeur est conscient que la niche qu’il se crée n’est pas encore exploitée par ses principaux rivaux, à la tête desquels on retrouve DC Comics. Aussi, Stan Lee mise-t-il justement sur la prétendue maturité du catalogue qu’il supervise (et qu’il scénarise en majeure partie) pour alimenter l’effet de mode dont Marvel fait l’objet : « At the end of 1961, he changed the title of Amazing Adventures to Amazing Adult Fantasy (subtitled, “the magazine that respects your intelligence”), and began actively recruiting a more “discriminating” and mature reader to his titles258. » À la même époque, Marvel publie dans ses comics les lettres d’étudiants et de

professeurs d’université, soutenant l’impression que son lectorat s’avère relativement sophistiqué. Le bandeau apposé aux publications de l’éditeur et sur lequel on peut lire l’inscription « A Pop Art Production! » illustre tout aussi éloquemment la volonté de Marvel Comics de se positionner comme l’éditeur de référence pour un lectorat plus sélectif et exigeant, voire amateur d’arts visuels. Malgré leur apparence opportuniste, ces procédés employés par Marvel se doublent d’une portée discriminatoire efficace, au sens où ils instaurent une division du lectorat de comic books de superhéros. Il y aurait d’un côté les lecteurs de Marvel, intelligents, difficiles, et de l’autre, le lectorat de la concurrence, qui apparaît plus niais par contraste. De l’aveu de Stan Lee lui-même : « I wanted the readers to feel that we were all part of an “in” thing that the outside world wasn’t

257 B. W. Wright. Comic Book Nation […], p. 223.

258 J. Gardner. Projections. Comics and the History of Twenty-First-Century Storytelling, Stanford (Californie),

aware of259. » Dans la mesure où Marvel ne quitte jamais le monde de la (très) grande distribution,

cette hiérarchisation du lectorat basé sur un certain élitisme peut sembler factice; mais si on peut imaginer sans peine qu’un lecteur de Marvel consomme aussi, dans les faits, les publications de DC Comics, cela ne réduit en rien la force d’attraction que peut exercer sur le lecteur la promesse d’intégrer un cercle sélect. D’ailleurs, en plus de courtiser ses lecteurs en leur faisant miroiter leur distinction, Lee va à leur rencontre en donnant des conférences aux universités de Columbia et de New York, à la Princeton Debating Society et au Bard College260. À travers ces événements, Lee

et Marvel Comics, par extension, témoignent de leur volonté de demeurer proches de leur clientèle et donnent une existence concrète au groupe qu’ils forment habituellement par l’intermédiaire des comics. En effet, par ces interventions, Marvel Comics se présente moins comme une corporation informe que comme un rassemblement palpable et accessible d’auteurs, d’artistes et, ultimement, de fans.

Marvel se distingue donc en partie des autres éditeurs de comics de superhéros en misant sur la formation d’un clan où existent une connivence et une réciprocité. L’adresse à un lectorat composé d’adolescents et de jeunes adultes; le recours à des genres paralittéraires pour émettre, sous une forme métaphorique, des commentaires sociaux; la présence systématique d’un discours péritextuel incarné, c’est-à-dire signé de la main des auteurs et éditeurs appréciés du lectorat; la suggestion de la supériorité de ses lecteurs par rapport aux autres consommateurs de comics; ainsi que la consolidation d’une communauté de fans qui établissent un lien de complicité avec l’éditeur sont tous des procédés contribuant à l’érection d’une stratégie éditoriale axée sur la proximité entre le producteur, le produit et le lecteur261. En d’autres mots, si DC Comics a le mérite d’avoir su ranimer