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PARTIE II : LES COMICS DE SUPERHÉROS AMÉRICAINS RÉÉDITÉS AU QUÉBEC

LE PÉRITEXTE DES COMICS HÉRITAGE

2. Des pistolets, des pouliches et des frites

2.1 Le contenu publicitaire américain

Le premier chapitre de cette thèse a permis de mesurer l’intérêt de la jeunesse canadienne-française pour les comics américains, en particulier, mais aussi pour l’ensemble des loisirs issus des États- Unis. Précisons que ce phénomène s’inscrit dans le cadre plus large d’une américanisation de la culture québécoise qui touche aussi les tranches d’âge adultes et outrepasse la question du divertissement pour atteindre celle des biens de consommation. Plusieurs spécialistes s’entendent effectivement pour affirmer que l’intérêt du Québec envers la culture de divertissement et les produits de consommation issus des États-Unis remonte au moins à la fin du XIXe siècle :

[l]’avancée économique des États-Unis est suivie d’une percée dans le secteur du loisir et des médias de communication, au moment précisément où la culture se transforme en loisir en se commercialisant. Parcs d’amusement (Coney Island à New York, Parc Sohmer à Montréal, tous deux ouverts en 1889), transformation de la presse partisane en presse d’information à grand tirage financée par la publicité, multiplication des « magasins à rayons » au plus grand bonheur des dames, vaudeville, cinéma muet (1895-), radiophonie commerciale (1922-), lente expansion du parc automobile sont autant de signes d’une progressive commercialisation de la vie quotidienne des Québécois et de la mise en place d’un système de production, de distribution et de consommation de masse. À telle enseigne que se crée un clivage dans la culture nationale des Canadiens français avec, d’une part, une élite bourgeoise centrée sur la langue française et tournée vers la France et, d’autre part, des milieux populaires et une classe moyenne attirés par le loisir et par une certaine culture matérielle dont les formes nouvelles sont fournies par les États-Unis407.

Dans une perspective qui nous est plus contemporaine, Karine Prémont observe à son tour que

l’omniprésence des références culturelles américaines est nettement perceptible depuis de nombreuses années, que ce soit par la présentation du football américain à la télévision de Radio- Canada, par la traduction de chansons en provenance des États-Unis et reprises par les artistes d’ici dans les années 1960 ou, encore, par l’adaptation de jeux télévisés américains408.

407 Y. Lamonde. « Antiaméricanisme européen et anti-américanisme vus du Québec », dans O. Dard et H.-J. Lüsebrink

(dir.). Antiaméricanisation et anti-américanismes comparés, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2008, p. 83.

408 K. Prémont. « L’influence des médias américains sur la culture québécoise ou l’impact de l’“American Way of

Life” sur les Québécois », dans G. Lachapelle (dir.). Le destin américain du Québec, Coll. « Prisme », Québec, Presses de l’Université Laval, 2010, p. 115.

L’exposition soutenue du Québec à la culture médiatique américaine et l’adoption de plus en plus affirmée d’un modèle économique basé sur la consommation ouvrent autrement dit la voie à l’intégration de la publicité pour des produits américains dans la sphère québécoise, phénomène auquel n’échappent pas les comics publiés par les Éditions Héritage. Ces derniers reposant eux- mêmes sur une industrie culturelle américaine importante, ils véhiculent effectivement un contenu publicitaire composé principalement des traductions des publicités retrouvées dans l’un ou l’autre des comics publiés à l’époque par Marvel et DC Comics409.

Mises à part quelques réclames pour des produits alimentaires et de la restauration rapide (les céréales Cheerios, les restaurants McDonald’s), la catégorie de produit faisant l’objet du plus grand nombre de publicités est sans conteste celle des jeux (vidéo et de société) et des jouets. Deux géants officiant dans ce marché précis se partagent la quasi-totalité des publicités y étant associées, seulement deux jouets annoncés dans le corpus étudié étant vendus par des entreprises québécoises. Parker Brothers, d’une part, est l’éditeur du jeu de société La Grande ruse et des neuf jeux vidéo410

jouissant d’une réclame en quatrième de couverture des comics Héritage. Hasbro, d’autre part, fait la promotion de jeux de société411 et, surtout, de figurines à l’effigie des personnages de G.I. Joe

et Transformers, deux franchises déclinées sous forme de dessins animés (en syndication) et de comic books (chez Marvel Comics). D’ailleurs, ces séries télévisuelles et bédéesques sont aussi disponibles au Québec; les comics sont adaptés par les Éditions Héritage et les dessins animés G.I. Joe et Transformers sont diffusés à la télévision québécoise de 1985 à 1986 et de 1984 à 1987, respectivement, selon l’organisme Doublage Québec412. Il appert, cela étant dit, que les publicités

de jeux et de jouets présentées dans les comics de superhéros des Éditions Héritage reposent sur une stratégie de convergence caractéristique de toute franchise crossmédia ou transmédia. Les marques G.I. Joe et Transformers, par exemple, ont été conçues et commercialisées initialement comme des gammes de figurines articulées. Les séries bédeesques, télévisuelles et cinématographiques qui en découlent résultent de leur déclinaison crossmédiatique (ou

409 Il peut aussi bien s’agir des comics originaux que traduisent les Éditions Héritage ou d’autres comic books publiés

par ces entreprises américaines.

410 Les titres sont Qbert, Reactor, Amidar, Star Wars : Jedi Arena, Star Wars : The Arcade Game, Frogger, Tutankham,

Popeye et Montezuma’s Revenge.

411 On compte parmi ces jeux Hippo l’affamé, Ballon Babouin, Empilade, Saute mouffette et Pop Pop Pop Attack. 412 Doublage Québec. « Transformers », « G.I. Joe », DoublageQc.Ca. Le site internet officiel du doublage au Québec,

transmédiatique) et en sont des produits dérivés. L’intégration sous forme de publicité du produit source (les jouets) dans les comics Héritage réactualise donc à rebours le processus de mise en marché qui a fait naître ces objets. Dans ces cas, les figurines deviennent les produits dérivés de bandes dessinées ayant forgé, chez le lecteur, le lien de fidélité ou d’affection aux marques qu’elles représentent et dont la publicité entend tirer parti.

Cette convergence s’implante même dans la dimension narrative des jouets annoncés. Pour la plupart, ces objets, tout comme les illustrations et le discours qui en font la promotion, logent effectivement sous le paradigme de l’action et de l’aventure. Le jeu vidéo Star Wars : Jedi Arena propose ainsi de vivre les mêmes sensations qu’un maître Jedi en participant à une série de duels :

Utilisez votre SABRE-LUMIÈRE pour diriger l’attaque du tourbillonnant « REPÉREUR ». Mais prenez garde, car votre adversaire peut attaquer en tout temps. Alors suivez vos instincts, et en un rien de temps vous serez un MAÎTRE JEDI, prêt à livrer bataille, sabre en main, à tout adversaire qui osera vous attaquer413.

Sans surprise, le combat et l’action se trouvent aussi au cœur des publicités pour les jouets de la série G.I. Joe : canons, mitraillettes et fusils sont ainsi représentés aux côtés de descriptions expliquant leurs atouts. Il est donc possible de se procurer une « motocyclette munie d’un canon de 20 mm amovible », une « [a]rme de conception récente avec canons rotatifs » ou encore un « [v]éhicule tout terrain avec roues motrices à grande puissance, mitraillettes jumelées et figurine G. I. Joe. “Clutch” »414. Les figurines inspirées du film Rambo, fabriquées par Coleco, font l’objet

d’un discours semblable, alors que ce dernier encourage les lecteurs à « collectionner chaque personnage avec son arme unique à action simulée415. » Bref, ces publicités invitent le lecteur à

prolonger le sentiment d’aventures que lui procurent les comics Héritage hors du cadre de ces derniers, en misant particulièrement sur les attributs guerriers des jeux et des jouets proposés. Plus encore, elles promettent une transformation du rapport entre le lecteur et l’aventure : ce dernier n’en sera plus seulement que le spectateur, mais aussi l’un de ses participants, voire son instigateur. Ces produits, qui occupent la majorité de l’espace publicitaire disponible dans les comics des

413 Publicité trouvée entre autres dans J. Byrne. Fantastic Four, no 141/142, Saint-Lambert [New York], Éditions

Héritage [Marvel Comics], mars 1983, quatrième de couverture.

414 Publicité trouvée entre autres dans R. Stern. J. Romita Jr. L’Étonnant Spider-Man, no 145/146 […], quatrième de

couverture.

415 Publicité trouvée dans C. Claremont et D. Cockrum, Les Mystérieux X-Men, no 66, Saint-Lambert [New York],

Éditions Héritage, se font donc les compléments idéaux de ces publications en offrant la chance au lecteur de devenir à son tour le héros d’une aventure sensationnelle.

Dans une large proportion, en d’autres mots, les Éditions Héritage importent dans un même élan les comics de superhéros de Marvel et DC Comics, certaines des publicités qui parsèment ces derniers et les rapports existant entre le contenu publicitaire et les séries bédéesques publiées. Ce phénomène indique que la lecture de bandes dessinées américaines traduites en français s’accompagne ou participe d’une adoption plus large de la culture du divertissement et des habitudes de consommation propres au lectorat américain.