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Analyse du catalogue : le superhéros, un genre parmi d’autres?

PARTIE II : LES COMICS DE SUPERHÉROS AMÉRICAINS RÉÉDITÉS AU QUÉBEC

LES ÉDITIONS HÉRITAGE : PORTRAIT D’UNE ENTREPRISE PIONNIÈRE

2. Les comics Héritage et le développement de la bande dessinée sérielle au Québec

2.3 Analyse du catalogue : le superhéros, un genre parmi d’autres?

Le déclin des comics Héritage au milieu des années 1980 n’a pas empêché cet éditeur de produire un inventaire de comic books sans commune mesure dans le paysage éditorial québécois. Avec une production totale de plus de 3000 numéros publiés en un peu moins de 20 ans, les comics Héritage représentent en fait la plus importante partie du catalogue de l’éditeur de Saint-Lambert, durant les décennies 1960 à 1980. Ce vaste corpus se compose en plus grande partie de séries bédéesques que l’on pourrait regrouper en quatre catégories ou collections280 relativement homogènes : les séries

Archie, les séries de superhéros, les séries pour jeunes enfants et les séries « Séries Québec ».

277 Même si les principes des ententes survenues entre les Éditions Héritage et les différents éditeurs américains dont

ils traduisent les œuvres demeurent inconnus, il y a fort à parier que ces contrats n’autorisent pas la création l’adaptation trans ou crossmédiatique des licences en question.

278 Les Éditions Héritage offrent par contre quelques produits dérivés des comics qu’ils traduisent, comme des affiches

représentant les superhéros de Marvel (et produites par des artistes de l’éditeur américain) données en échange de trois abonnements annuels aux titres de leur catalogue, ou encore des écussons à l’effigie des personnages d'Archie Comics, vendus par correspondance; A. Salois, G. Lévesque, R. Fontaine et J.-F. Hébert. Le Guide des comics Héritage […], p. 363.

279 E. Madore. « Les Éditions Héritage » […], p. 42.

280 Le mot « collection » est entendu sous sa forme éditoriale, c’est-à-dire comme « un ensemble (achevé/inachevé) de

textes publiés qui partagent un label, une présentation matérielle et un projet officiel communs. ». Dans les cas qui nous occupent, une collection est formée de plusieurs séries bédéesques. Par exemple, la collection composée des

comics de superhéros comprend les séries L’Incroyable Hulk, L’Étonnant Spider-Man, Les X-men, etc.; S. Montreuil.

« Le livre en série : Histoire et théorie de la collection littéraire », thèse de doctorat (Ph. D.), Montréal, Université McGill, octobre 2001, f. 396.

Tableau 3 : Nombre de comics Héritage publiés par collection281

Type de comic books Nombre de séries Nombre de numéros publiés

(toutes séries confondues)

Séries de l’éditeur Archie Comics 10 ± 800282 Séries de superhéros 18 1550 Séries jeunesse 20 629 « Séries Québec » 4 28 Total 52 ± 3007

Les séries de superhéros

En 1968, les Éditions Héritage lancent prudemment leur gamme de comic books en mettant sur le marché leurs deux premières séries de superhéros, Hulk et Fantastic Four, auxquelles s’ajoute l’année suivante L’Étonnant Spider-Man. Puis, de mois en mois, le catalogue superhéroïque de l’éditeur s’agrandit encore pour accueillir un nombre croissant de séries :

Tableau 4 : Séries de superhéros publiées par les éditions Héritage

(Première partie) (Deuxième partie)

Titre Année de lancement Année de fin Titre Année de lancement Année de fin Hulk / L’Incroyable Hulk 1968 1987 Karate Kid 1977 1978

281 Ces chiffres sont fournis dans le Guide des comics Héritage. Ils ont été validés en consultant le catalogue IRIS de

Bibliothèque et Archives nationales du Québec; A. Salois, G. Lévesque, R. Fontaine et J.-F. Hébert. Le Guide des

comics Héritage […], p. 13. Par ailleurs, la catégorisation des types de comic books reprend celle établie par l’éditeur

dans le catalogue Les bandes dessinées Héritage, paru en 1984. Cette publication répertorie l’ensemble des séries de

comics traduites par les Éditions Héritage cette année-là, en plus de reproduire le « Guide Héritage des collectionneurs

de bandes dessinées » trouvé originalement dans au moins un comic de superhéros (Thor no 123-124, octobre 1982);

Anonyme. Les bandes dessinées Héritage. 1984. Saint-Lambert, les Éditions Héritage, 1984, 32 p.

282 Il s’agit d’une approximation basée sur les chiffres suggérés dans le Guide des collectionneurs de comics Héritage,

Fantastic Four 1968 1984 Wonder Woman 1977 1981 Spider-Man 1969 1987 Kamandi le dernier garçon sur Terre 1978 1981 Capitaine America 1970 1984 Flash 1979 1981

Rawhide Kid 1970 1979 Daredevil,

l’homme sans peur! 1979 1984 Conan le barbare 1972 1984 Docteur Strange 1979 1981 Le Puissant Thor 1972 1984 X-Men 1981 1987 L’Invincible Iron Man 1972 1984 Flash 3- dans-1 1981 1981 Cheyenne Kid 1972 1973 Superman 1982 1986 Fantômes, échos du monde du spiritisme 1972 1975 Batman 1982 1984 Aventures dans la Jungle 1973 1973 G. I. Joe 1982 1987 Le Tombeau de Dracula 1973 1979 Star Wars 1983 1984 Le monstre de Frankenstein 1973 1975 Équipe Marvel 1983 1985 Les Mains de Shang-Chi, maître du Kung Fu 1974 1983 Les nouveaux jeunes Titans 1984 1984

Les Vengeurs La Légion des super- héros 1984 1984 Le Fantôme 1975 1977 Les Nouveaux jeunes Titans et la Légion des super- héros 1985 1986 Flash Gordon 1975 1976 Sectaurs 1985 1986 Le pouvoir de Warlock 1976 Transformers 1985 1987

Cette production abondante est caractérisée par une diversité qui émane autant de l’identité générique des titres publiés que des supports privilégiés, selon les séries et les années. En premier lieu, si les Éditions Héritage rangent tous ces titres dans la catégorie des comics de superhéros, comme en témoigne le fascicule Les bandes dessinées Héritage et les bons d’abonnement imprimés dans les comic books eux-mêmes, il appert effectivement que cette appellation générique est employée comme fourre-tout. Bien que représentative de la plupart des séries qui la portent, elle se pose toutefois dans certains cas comme l’équivalent du récit d’aventures au sens large. Sous l’égide du superhéros, les séries de science-fiction (Star Wars, Sectaurs, Flash Gordon, Kamandi) côtoient sans peine les récits d’horreur (Le Tombeau de Dracula, Le monstre de Frankenstein, Fantômes, échos du monde du spiritisme) et d’arts martiaux (Shang-Chi, maître du Kung Fu, Karate Kid), qui ne subissent aucune discrimination générique dès lors qu’ils accordent une place prépondérante à l’action et à la représentation d’un protagoniste aux aptitudes exceptionnelles. Si la présente thèse se concentre sur les séries superhéroïques au sens strict formulé par les études sur ce genre, il importe néanmoins de noter que les Éditions Héritage retiennent et projettent une définition assez souple du superhéros en tant que catégorie générique.

Le support privilégié pour les séries de superhéros se montre en second lieu sujet à de multiples expérimentations. Jusqu’à la parution des premiers numéros de Capitaine America et de Rawhide

Kid, en 1970, les comics de superhéros comportent 24 pages en couleur283, sont imprimés sur du

papier journal et mis en vente mensuellement. Par la suite, Héritage trouve un format qui lui convient mieux. Les fascicules de 48 pages sont donc imprimés sur du papier journal, en noir et blanc. Ils disposent également d’une couverture en couleur de qualité matérielle supérieure, durable. Par ailleurs, durant près de trois ans, chaque numéro des comics Héritage contient l’équivalent de deux numéros originaux (américains) d’une même série. Ces formats doubles, publiés de façon bimestrielle, plaisent vraisemblablement au public québécois et sont tirés à 22 000 exemplaires par numéro, dans les meilleurs cas. Par ailleurs, à partir de 1971, les invendus sont remis sur le marché sous forme de reliures contenant habituellement trois numéros. Affichant un prix réduit (49 ¢ pour l’ensemble, au lieu des 25 ¢ demandés pour les numéros individuels), les comics ainsi recyclés permettent à Héritage de limiter ses pertes et de maintenir des tirages assez élevés.

C’est aussi à cette époque que le logo des Éditions Héritage apparaît systématiquement dans le coin supérieur gauche des comics publiés; il est toutefois remplacé brièvement par celui des « Éditions PS », qui fait allusion à l’imprimerie Payette & Simms et qui vise une fois de plus à séparer les comics Héritage de la production livresque de l’éditeur. Cette stratégie de marketing est toutefois abandonnée presque aussitôt après avoir vu le jour, causant inutilement de la confusion chez le lectorat déjà familier avec l’image de marque de la maison.

Durant l’année 1972, les Éditions Héritage semblent insatisfaites du format choisi pour leurs comics et y vont encore de quelques expérimentations : le nombre de pages de chaque fascicule passe de 48 à 40, puis à 32, obligeant la publication d’un seul récit par numéro et, par le fait même, le retour à un rythme de parution mensuel. Ce dernier format, qui permet de rester plus fidèle aux pratiques des éditeurs américains et d’éviter que les lecteurs soient tentés d’acheter les comics dans leur version originale, demeure inchangé jusqu’en 1976. Mais le retour au format double bimestriel est inévitable et se concrétise en février 1977. Plusieurs arguments penchent en faveur de celui-ci :

Dans un premier temps, le laps de temps très court entre la version américaine d’un comic et sa traduction par Héritage force l’équipe de production à travailler très près de l’heure de tombée,

283 Même si les comics originaux que traduisent les Éditions Héritage comportent 32 pages, aucun contenu n’est absent

des versions françaises. La différence de huit pages entre les deux éditions s’explique par le fait que les premiers

comics Héritage ne réservent aucun espace à la publicité hors des plats (deuxième, troisième et quatrième de

avec peu de marge de manœuvre. De plus, il arrive fréquemment qu’Héritage soit incapable d’utiliser la couverture d’origine à cause des délais de production trop serrés. Enfin, et c’est le point le plus important, Héritage produisant 12 séries régulières de superhéros, la mensualité amène une durée de vie très courte en kiosque en plus de saturer le marché, chaque série pouvant porter ombrage à l’autre. Dans cette optique, la bimestrialisation désengorge le marché et augmente la durée d’exposition en kiosque284.

Aucun autre changement majeur n’affectera le catalogue des comics de superhéros Héritage avant 1981, année où de nouvelles séries sont introduites dans un format inédit, le trois-dans-un. Ainsi, la série X-men est lancée dans un fascicule de 64 pages où l’on retrouve deux séries secondaires, Nova et Les Défenseurs. Les titres Flash trois-dans-un et Marvel trois-dans-un tenteront la même expérience, mais avec un succès plus mitigé285. La couleur est aussi réintroduite dans les formats

doubles, en commençant par les premiers numéros des séries Batman, Superman et G. I. Joe, parus en 1982, avant de gagner toutes les séries de superhéros en 1984.

Ces efforts déployés dans le but de dynamiser le catalogue superhéroïque de l’éditeur, qui peine à ce moment à garder ses lecteurs, se révèlent par contre insuffisants : 11 des 17 séries de superhéros mises en circulation au début de l’année 1984 périssent avant la fin de l’an 1985. Par respect pour les lecteurs, les Éditions Héritage arrivent tout de même, dans la majorité des cas, à poursuivre les intrigues entamées dans les titres annulés en les scindant et en les répartissant à l’intérieur des séries toujours publiées. Par exemple, les aventures de Batman sont continuées dans les numéros de Superman à raison de quelques pages par livraison. Cependant, il ne s’agit là que d’une solution temporaire en attendant l’abandon subit et définitif des comics de superhéros par les Éditions Héritage en avril 1987.

Les séries Archie

Les séries de l’éditeur Archie Comics forment ensuite la deuxième collection dominante au sein du catalogue des Éditions Héritage. Celles-ci racontent toutes sur un ton humoristique les tribulations amoureuses et la vie quotidienne d’une bande d’adolescents vivant à Riverdale, une banlieue américaine fictive. Lancées à l’automne 1971 afin de rejoindre un lectorat féminin peu

284 A. Salois, G. Lévesque, R. Fontaine et J.-F. Hébert. Le Guide des comics Héritage […], p. 26.

285 Flash trois-dans-un contient les séries Flash, Wonder Woman et Kamandi. Marvel trois-dans-un recueille les séries

intéressé par les comics de superhéros286, les rééditions des séries principales de l’univers d’Archie,

Archie et Betty et Veronica287, sont rapidement rejointes par Jughead en 1972. Cette offre initiale

couvre les aventures des quatre principaux personnages de l’univers d’Archie, soit Archie lui- même, ses deux fréquentations amoureuses – à la fois rivales et meilleures amies – et son ami d’enfance. En 1974, la famille s’agrandit et accueille les séries Josie (Josie and the Pussycats) et Sabrina (Sabrina the Teenage Witch). Bien que les héroïnes de ces titres côtoient à l’occasion Archie et sa bande dans les récits qui les mettent en scène, elles évoluent habituellement dans leurs univers respectifs, soit ceux de la tournée musicale et de la sorcellerie. Cette collection sera complétée par d’autres séries proposant un contenu similaire à celui d'Archie et Betty et Veronica : Jeune Archie (1976), Betty et moi (1977), Bingo Wilkin (1977), Copains et Copines d’Archie (1979) et Le monde d'Archie (1982).

Contrairement à celui de comics de superhéros, le format des séries Archie demeure relativement stable d’année en année. Mis à part les sept premiers numéros des titres Archie et Betty et Veronica, publiés sous forme de numéros doubles similaires à ceux qui composent la majeure partie des séries de superhéros de l’éditeur québécois, la plus grande part de cette production se décline en comic books traditionnels (7 pouces X 10 pouces; 32 pages) et en éditions de poche, baptisées Sélection (5 pouces X 7 pouces; environ 96 pages288). Ces dernières, lancées en 1975, colligent un choix de

récits publiés préalablement sous forme de comic books dans un petit format au péritexte éditorial épuré. En effet, hormis leurs dimensions, ce qui distingue ces deux types de comics Archie produits par les Éditions Héritage réside dans le traitement qu’ils réservent chacun aux multiples rubriques éditoriales créées par l’éditeur québécois. Absentes des éditions de poche, la section « Chères Betty et Veronica », qui permet au lectorat de questionner les deux amoureuses d’Archie sur tous les sujets liés aux relations sentimentales, ainsi que les chroniques d’un dénommé Bernard, qui

286 C’est du moins ce que soutiennent les auteurs du Guide des comics Héritage, en se fiant aux propos de Robert St-

Martin; A. Salois, G. Lévesque, R. Fontaine et J.-F. Hébert. Le Guide des comics Héritage […], p. 21.

287 En 1969, Archie est le comic book le plus vendu aux États-Unis avec une moyenne de 515 356 copies écoulées

mensuellement. Betty and Veronica se classe au cinquième rang de ce palmarès annuel en vendant 384 789 copies par mois, en moyenne; J. J. Miller. « Comc Book Sales Figures for 1969 », Comichron. A Resource for Comics Research!, [En ligne], [s. d.], http://www.comichron.com/yearlycomicssales/postaldata/1969.html (Page consultée le 28 septembre 2017).

288 Le nombre de pages des Sélections Archie varie d’une livraison à l’autre, mais il est généralement triplé par rapport

à celui des comics standards. Depuis les années 1990, Héritage met aussi sur le marché des Sélections Archie en format double (192 pages) et en format géant (384 pages). Il faut noter que ces éditions de poche conservent le titre de la série qu’elles reprennent (par exemple, Sélection Archie, Sélection Betty et Veronica).

décortiquent certains des thèmes abordés dans les récits (la drogue, le respect des autorités parentales), demeurent exclusives aux éditions fasciculaires. Le sort de ces rubriques est peut-être déterminé par l’identité du public qui consomme les bandes dessinées Archie : les comic books semblent s’adresser à un public de collectionneurs actifs, qui souhaitent interagir avec l’éditeur et les personnages, tandis que les Sélections ciblent probablement un public intéressé uniquement par les récits eux-mêmes, comme en témoigne l’utilisation optimale qu’elles font des pages disponibles, presque entièrement consacrées au contenu narratif.

Les séries jeunesse

Grâce aux séries de superhéros et de l’univers Archie Comics, les Éditions Héritage sont bien en selle pour élargir leur offre de comic books traduits en français. En 1975, elles se tournent vers des titres concordant parfaitement avec la spécialité qu’elles développent dans le domaine de la littérature pour la jeunesse, et plus spécifiquement dans le livre pour les enfants de moins de 10 ans289. Une série d’ententes sont ainsi conclues avec trois importants éditeurs américains de comic

books destinés à un public infantile : King Features, Gold Key et Harvey Comics.

La première de ces ententes concerne trois titres que la King Features Syndicate fait paraître dans les journaux nord-américains de l’époque290 et qu’elle a adaptés brièvement sous forme de comic

books en 1966 et 1967. Les droits de reproduction des séries Popeye291, Blondinette (Blondie) et

Félix le chat (Felix the Cat) sont ainsi acquis en 1975 et exploités par les Éditions Héritage durant quatre années292. L’éditeur québécois éprouve cependant de la difficulté à trouver un format qui

convient bien à cette nouvelle gamme de comics :

Lorsqu’en 1977, les séries principales de super-héros devinrent bimestrielles et en format double,

Félix le chat (au numéro 25) et Blondinette (au numéro 24) emboîtèrent le pas. Cependant, Félix le chat redevint en format 32 pages (cette fois, on y ajouta la couleur) après quatre numéros

seulement tandis que Blondinette se poursuivit jusqu’à la fin en format double de 48 pages à double

289 Si les comics de superhéros et les séries d’Archie Comics sont certainement consommés par des lecteurs de ce

groupe d’âge, un survol rapide du courrier des lecteurs publié dans ces imprimés laisse penser que leur lectorat est surtout composé de préadolescents et d’adolescents. Ce constat sera détaillé davantage au chapitre IV.

290 Il s’agit alors, ainsi que nous l’avons expliqué dans le chapitre I, de la plus importante firme de replacement de

comic strips aux États-Unis. Elle détient les droits de plusieurs dizaines de titres, dont elle loue les droits d’exploitation

aux journaux intéressés.

291 Lorsque le titre d’une série n’est pas accompagné de sa version originale mise entre parenthèses, cela signifie qu’il

n’a subi aucune modification lors de la traduction.

292 Le contenu de ces rééditions en français des séries semble provenir aussi bien des comic books que des comic strips

numérotation. Quant à Popeye, même s’il n’a jamais été publié en format double, il eut la joie d’accueillir la couleur dans ses pages dès le numéro 33293.

Cette première incursion dans le secteur des comics pour la jeunesse est donc marquée par une unité paratextuelle déficiente, qui s’avère peut-être symptomatique de l’éclectisme des titres choisis par Héritage. Bien qu’ils aient en commun le recours au genre humoristique, ceux-ci relèvent effectivement de sous-genres difficilement assimilables l’un à l’autre : les comics animaliers (Félix le chat), les family strips (Blondinette) et la comédie d’aventure (Popeye) n’utilisent ni les mêmes ressorts narratifs ni un style visuel uniforme, d’autant plus que ces deux derniers genres s’adressent historiquement à un public de tous âges, c’est-à-dire potentiellement adulte294. De 1978 à 1979, d’ailleurs, sept numéros des séries Casper le gentil fantôme et Richie

Rich, de l’éditeur Harvey Comics, sont réédités par Héritage dans un format de 32 pages en couleur, ce qui ne contribue en rien à la constitution et au respect d’un « label » éditorial clair295.

Il faut plutôt compter sur l’entente conclue en 1976 entre les Éditions Héritage et Whitman Golden Limited, qui détient les droits de l’éditeur Gold Key Comics, afin qu’une certaine cohérence s’applique aux séries jeunesse de l’éditeur québécois et leur donne l’apparence d’une collection à part entière. Cette année-là paraissent trois titres, Titi et Sylvestre (Tweety and Sylvester), Bugs Bunny et Petite Lulu (Little Lulu). Au cours des deux années suivantes, ce nombre double alors que Beep Beep Road Runner (Beep Beep the Road Runner), Woody le Pic (Woody Woodpecker) et La Panthère rose (The Pink Panther) rejoignent le catalogue de l’éditeur québécois. Lorsque la série Petite Lulu est annulée, en 1979 – années où disparaissent aussi les traductions des comics de King Features – les séries jeunesses acquièrent une homogénéité leur faisant défaut auparavant : elles se concentrent sur le genre animalier et disposent d’une facture visuelle reconnaissable d’un titre à l’autre. Par ailleurs, jusqu’au milieu de l’année 1981, ces comic books conservent un rythme de publication bimestriel et un format traditionnel de 32 pages, en plus d’être offerts en couleur à

293 A. Salois, G. Lévesque, R. Fontaine et J.-F. Hébert. Le Guide des comics Héritage […], p. 351.

294 J. Robinson. The Comics. An Illustrated History of Comic Strip Art, 1895-2010, Milwaukie (Oregon), Dark Horse

Books, 2011, p. 157-163.

295 La définition du mot « label » retenue dans ce cas-ci est celle élaborée par Gérard Genette, selon qui le label éditorial

« indique immédiatement au lecteur potentiel à quel type, sinon à quel genre d’ouvrage il a affaire. » Il se manifeste dans la matérialité du livre, par exemple en tant qu’indication générique, maquette ou identité visuelle particulière; G. Genette. Seuils, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points essais », 2002 [1987], p. 27.

partir de 1978296. En juin 1981, toutefois, leur parution devient trimestrielle et leur format rétrécit,