• Aucun résultat trouvé

La loi

Dans le document Un état des lieux du droit (Page 40-45)

5 Les sources du droit

5.2 La loi

La loi est sans doute le véhicule auquel nous pensons en premier lorsqu’il est question des sources du droit. Il s’agit, en fait, d’une déclaration expresse de la volonté du législateur67. Au Canada, afin d’être valide, une loi doit, à tout moment, respecter la Constitution. Elle doit donc avoir été adoptée par l’organe compétent (le législateur fédéral ou le législateur provincial, selon le partage des compétences) et respecter la Charte canadienne des droits et libertés. Lorsqu’il s’agit d’une loi québécoise, elle doit également être conforme à la Charte québécoise.

68 Stéphane BEAULAC, Précis d’interprétation législative : méthodologie générale, Charte canadienne et droit international, Montréal, Lexis Nexis, 2008.

69 Idem.

Normalement, une loi énonce en termes généraux la façon dont les citoyens doivent se conduire. Le législateur ne cherche pas à imaginer toutes les situations possibles qui peuvent survenir dans une société et auxquelles il faut prévoir des solutions. Il utilise plutôt des termes généraux qui doivent être interprétés par la suite par les tribunaux.

Il est très important de souligner le rôle de l’interprétation dans l’application des lois. Il est évident que le législateur essaie toujours d’être aussi clair et concis que possible lors de la rédaction des lois. Or, parfois, il y a tout de même certaines imprécisions dans le texte même. Il peut également arriver qu’une loi doive être lue à la lumière d’un autre texte législatif68. Bref, bien qu’à la lecture d’un article de loi, nous ayons parfois l’impression de posséder un certain droit, il se peut qu’en réalité l’interprétation faite par les tribunaux diffère de la nôtre.

Au fil du temps, il y a plusieurs règles d’interprétation des lois qui ont été développées par les tribunaux. Pour la plupart, les juges adoptent le principe d’interprétation proposé par le juriste Elmer Driedger. Ce dernier prônait qu’une loi devait toujours être lue à la lumière de son texte, de son contexte et de son objet. Les juges cherchent donc à trouver la volonté du législateur en analysant le texte même d’une disposition (le sens des mots, le sens grammatical, etc.), en regardant son contexte (les autres dispositions de la loi ou d’autres lois qui touchent à la même matière) et en prenant en compte l’objectif de la loi. En considérant ces trois volets, le juge devrait être en mesure de découvrir l’intention du législateur69.

Nous allons illustrer l’importance de l’interprétation législative à l’aide d’un exemple que nous avons déjà mentionné plus haut : le droit à l’égalité garanti par la Charte canadienne et la Charte québécoise. L’article 15 de la Charte canadienne est rédigé comme suit : La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont

droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Pour sa part, l’article 10 de la Charte québécoise énonce que :

Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques,

70 Idem.

71 Annuaire du Canada 1988, Ottawa, Approvisionnements et Services, 1987.

72 Éric MONTIGNY et Réjean PELLETIER, « Le pouvoir législatif » dans Réjean PELLETIER et Manon TREMBLAY, Le parlementarisme canadien, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2005, p. 299.

73 Idem, p. 300.

74 Idem.

la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour palier à ce handicap. Il y a discrimination lorsqu’une discrimination, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

Ces deux articles se ressemblent à première vue. Toutefois, comme nous l’avons déjà souligné, l’article 15 de la Charte permet l’inclusion des motifs analogues, alors que dans le cas de la Charte québécoise, lorsqu’on est discriminé pour un motif autre que ceux apparaissant à l’article 10, on n’est pas protégé. Lors de la rédaction de l’article 15, le législateur a utilisé le terme « notamment ». Les juges considèrent souvent que lorsque des termes comme « notamment » ou « tel que » sont employés, le législateur ne désire pas dresser une liste exhaustive70. À la lecture de l’article 10 de la Charte québécoise, on ne trouve pas une telle « ouverture » et les Cours sont donc arrivées à la conclusion que l’interprétation ne permettait pas l’ajout d’autres motifs.

Il faut donc retenir que même si la loi est le moyen d’expression du législateur, il faut être vigilant lors de sa lecture. Comme avec tous les textes écrits, qu’il s’agisse d’un poème, d’un roman ou d’une loi, il est toujours possible de faire des interprétations différentes. Il vaut donc mieux vérifier comment les tribunaux interprètent un texte de loi donné, afin de connaître son application.

Processus d’adoption d’une loi

Le processus pour adopter une loi peut parfois être très lourd. En principe, chaque député peut proposer un projet de loi, à l’exception des lois qui ont une incidence financière qui, elles, relèvent de la compétence exclusive du gouvernement71.

Au Parlement fédéral, une fois un projet de loi proposé, il est présenté à la Chambre, ce qu’on appelle la « première lecture »72. À cette première lecture, suit immédiatement la deuxième, lors de laquelle on débat du principe général derrière la loi. Les députés se posent, par exemple, la question si la loi répond à un besoin réel des électeurs73. Suite à ce débat, le projet doit passer par un premier vote. Lorsqu’il est rejeté, le projet tombe immédiatement.

S’il passe ce premier vote, il est envoyé à l’étude par une commission parlementaire74. Celle-ci est composée de membres des différents partis selon leur nombre de sièges à la Chambre. À cette étape, il peut y avoir des interventions par des membres du public concernés par le projet. La commission étudie le projet et prépare un rapport détaillé, proposant des amendements le cas échéant, et fait des recommandationsà la Chambre. Ce rapport est ensuite présenté au Parlement et chaque député peut proposer des changements. Enfin, les députés

75 Idem.

76 Idem.

77 Idem.

passent au vote final sur le projet, ce qu’on appelle la « troisième lecture »75. Par la suite, le projet est envoyé au Sénat où il fait face, en principe, à la même procédure76. Il faut toutefois remarquer que dans la réalité, il n’arrive pas souvent que le Sénat refuse de laisser passer une loi qui a déjà été adoptée par la majorité des députés de la Chambre des communes77. Finalement, la loi obtient la sanction royale par le gouverneur général et entre en vigueur. Au niveau provincial, ce processus est très semblable, à l’exception du Sénat qui doit approuver la loi par un vote. Nous invitons le lecteur à consulter le tableau ci-après pour plus de détails.

AU QUÉBEC

Projet de loi publique AU FÉDÉRAL

Projet de loi publique Présentation

Un ministre ou un député peut déposer un projet de loi.

L’Assemblée nationale adopte la motion de se saisir du projet de loi sans débat.

Dépôt et première lecture

Le projet de loi peut émaner de la Chambre des communes (« C ») ou du Sénat (« S »). Il est déposé devant

l’une ou l’autre des Chambres, celle qui n’est pas la Chambre de laquelle provient le projet. Lecture du titre

et distribution du texte imprimé.

Consultation publique (facultative) Le projet est envoyé à une commission qui s’occupera de faire des consultations auprès des acteurs concernés par le projet de loi. Les groupes concernés par un projet

loi peuvent être entendus à cette étape et présenter des mémoires.

Dépôt et deuxième lecture et renvoi à un comité Débat sur le principe du projet et renvoi devant

le comité.

Adoption du principe

L’Assemblée nationale débat sur la pertinence du projet de loi et vote sur le principe. Si le projet est jugé pertinent,

il est renvoyé à la commission parlementaire.

Étude en comité

Les citoyens peuvent être entendus. Le comité étudie article par article le projet de loi. Des amendements peuvent être apportés à cette étape. Plus l’enjeu est grand,

plus cette étape sera longue.

Étude détaillée en commission parlementaire Le projet est étudié article par article.Les membres de la

commission peuvent proposer des amendements.

Débat à l’étape du rapport du comité à la Chambre des communes

Quarante-huit heures après le dépôt du rapport du comité, les parlementaires peuvent proposer de nouveaux

amendements.

Dépôt du rapport de la commission et prise en considération du rapport Le rapport de la commission est déposé à l’Assemblée nationale. Les membres de l’Assemblée nationale peuvent

apporter d’autres modifications.

Débat en troisième lecture Adoption du projet de loi après débat.

Adoption

Débat et adoption du projet de loi à l’Assemblée nationale. Dépôt du projet de loi devant le Sénat Adoption du projet de loi après débat.

Sanction et entrée en vigueur

Pour qu’un projet de loi adopté devienne officiellement une loi, le lieutenant-gouverneur du Québec doit signer la copie officielle du projet. Une loi produit des effets

juridiques lors de son entrée en vigueur.

Sanction et entrée en vigueur

Une fois adopté par le Sénat, le projet de loi est prêt à recevoir la sanction royale par le gouverneur général

du Canada. Une loi produit des effets juridiques lors de son entrée en vigueur.

78 Loi modifiant le Code criminel (blesser ou causer la mort d’un enfant non encore né au cours de la perpétration d’une infraction), projet de loi n° C-484, 2e sess., 39e légis. (Can.).

79 Tremblay c. Daigle [1989] 2 S.C.R. 530.

Nous pouvons donc retenir que le processus d’adoption d’une loi n’est pas toujours facile, et qu’il faut franchir plusieurs étapes avant qu’une loi puisse entrer en vigueur. L’un des aspects cruciaux pour la démocratie est que le processus d’adoption des lois soit fait d’une manière aussi transparente que possible. Les citoyens doivent être informés sur ce qui pourra avoir un effet sur leurs droits. Les débats parlementaires sont donc publics.

Parfois, il peut y avoir des réactions importantes : le gouvernement, l’opposition ainsi que des groupes de pression se livrent au débat dans les médias. Le projet de loi C-48478, proposé par le député conservateur Ken Epp, en 2008, peut être cité à titre d’exemple. Ce projet prévoyait qu’une personne qui blesse une femme enceinte, portant ainsi atteinte à la vie ou à la santé du fœtus qu’elle porte, devrait être accusée d’un acte criminel à l’égard de la mère ET de l’enfant à naître. Pour ce crime, le Code criminel ne prévoit normale-ment qu’un seul chef d’accusation, celui pour la violence contre la femme. Suite à cette proposition, des groupes de défense des droits de la femme et de la liberté de terminer une grossesse non désirée accusaient le gouvernement Harper de vouloir introduire des principes de droit qui, à long terme, pourraient avoir comme effet de remettre en question le droit à l’avortement. Il faut comprendre que dans sa décision Daigle c. Tremblay79 qui a marqué la décriminalisation de l’avortement au Canada, la Cour suprême s’est basée en grande partie sur l’argument qu’en droit canadien et québécois, on ne reconnaît pas le statut de « personne » à l’enfant à naître. Pour cette raison, le droit à la vie de l’enfant conçu et à naître ne peut pas jouir de la même protection que celui d’une personne née vivante et viable et il doit être concilié avec le droit d’une femme de disposer librement de son corps et de sa vie. Selon la Cour, les droits de la femme, une personne, étaient plus importants que ceux du fœtus et elle devait donc avoir le droit de mettre fin à une grossesse lorsqu’elle le désire. La crainte était donc que la modification du Code criminel accordait justement le statut de « personne » au fœtus et que ceci pourrait être invoqué comme argument par les gens qui voudraient rouvrir la question de l’avortement. Le projet de loi a passé la première lecture, mais la réaction de groupes dits « pro-choix » était tellement massive que le gouvernement Harper s’est vu obligé de l’abandonner.

Cet exemple démontre que le processus législatif canadien invite les membres de la société à intervenir avant l’adoption et l’entrée en vigueur d’une loi. Il se peut qu’un projet de loi, même s’il a eu beaucoup d’attention dans les médias, n’entre jamais en vigueur. Ceci est également vrai pour les projets de loi moins controversés qui pourraient tout de même avoir un effet favorable pour un grand nombre de personnes. Il faut donc, lorsqu’on

80 Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, L.R.Q., c. A-2.1.

81 Règlement sur les frais exigibles pour la transcription, la reproduction et la transmission de documents et de renseignements personnels, c. A-2.1, r. 3.

82 Patrice GARANT, Droit administratif, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 388.

83 Pierre ISSALYS et Denis LEMIEUX, L’action gouvernementale : Précis de droit des institutions administratives, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 448.

croit avoir un droit parce qu’on a entendu parler d’un projet de loi quelconque, faire les vérifications nécessaires pour s’assurer que la loi est véritablement entrée en vigueur.

Dans le document Un état des lieux du droit (Page 40-45)