• Aucun résultat trouvé

La jurisprudence

Dans le document Un état des lieux du droit (Page 47-51)

5 Les sources du droit

5.4 La jurisprudence

La jurisprudence est une autre source du droit au Canada. Il s’agit des décisions rendues dans les Cours de justice. Les juges interprètent la loi et l’appliquent aux faits en espèce.

En consultant les jugements antérieurs, un justiciable devrait en principe être en mesure de prévoir comment une situation semblable sera tranchée par les juges96. Lorsque la Cour suprême du Canada rend une décision, les Cours inférieures du pays sont censées la suivre et ne pas rendre de jugements qui vont dans un sens contraire.

97 Idem.

98 Gérald A. BEAUDOIN, préc., note 22, p. 93.

99 René DAVID et Camille JAUFFRET-SPINOSI, Les grands systèmes de droit contemporain, Paris, Dalloz, 2002, p. 25.

L’importance de la loi et de la jurisprudence varie selon le système de droit dans lequel on se trouve. Dans un contexte de common law, la jurisprudence est une source du droit primordial alors que dans un contexte de droit civil, c’est la loi écrite qui prévaut97. Puisque nous nous trouvons au Québec, il est indispensable d’expliquer ces différences.

Hiérarchie des normes : droit civil vs. common law (Québec vs. Provinces anglophones)

Au Canada, lors de la conquête britannique, le système de droit anglais, la common law, a été importé. Partout au pays, c’est donc la common law qui est en vigueur, à l’exception d’une seule province : le Québec. Avec l’Acte de Québec, sanctionné en 1774, la Couronne britannique permettait aux Québécois de conserver le droit civil, droit de tradition française, afin de gérer les rapports de droit privé98. Il en résulte que dans toutes les provinces anglophones, dans un contexte de droit public ou de droit privé, c’est la common law qui s’applique. Au Québec, toutefois, c’est uniquement le droit public qui est régi par la common law. En droit privé, c’est le droit civil qui s’applique.

Droit civil

Comme toutes les personnes vivant au Québec peuvent le confirmer, la belle province est différente sur plusieurs points par rapport au reste du pays. La différence la plus fondamentale sur le plan culturel est l’aspect linguistique. La langue française que la majorité des Québécoises et Québécois parle et qui a sa place ici pour des raisons historiques est présente dans notre vie de tous les jours. Les juristes ont quant à eux hérité de la présence française par rapport à un autre élément important : le droit civil. Beaucoup de Québécois, lorsqu’ils mentionnent le Code civil du Québec, ne se rendent probablement pas compte qu’ils réfèrent à un texte qui est unique au Canada et qui n’existe pas sous une telle forme dans les provinces anglophones.

Le droit civil est une forme de droit qui s’est développée sur le continent européen. Il a ses origines dans le droit romain, mais il a ensuite évolué principalement en France.

Aujourd’hui, tous les pays du continent européen sont des pays civilistes. Il en est également ainsi pour les États qui ont été colonisés par la France, dont les pays francophones de l’Afrique99. Une des caractéristiques les plus importantes du droit civil est la codification des textes législatifs.

Dans les pays civilistes, le législateur fait un effort considérable pour écrire des lois qui

100 Joseph DAINOW, « The civil law and the common law : some points of comparison », (1966-67) 15 Am J Comp L 419.

101 Gilles LÉTOURNEAU, « Le Code criminel canadien ou la faillite du pouvoir législatif », dans 100 Years of the Criminal Code in Canada, Canadian Bar Association, 1992, p. 78.

102 R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, préc., note 47, p. 107.

103 Idem, 221.

104 J. DAINOW, préc., note 100.

105 Idem.

sont applicables à tout le monde. Il choisit des termes généraux pour que le texte puisse s’appliquer à une multitude de situations. Ensuite, il rassemble toutes les dispositions dans un seul et unique livre, le code. À l’intérieur du code, il y a une structure logique. Par exemple, il y a une partie plus générale sur le droit contractuel, suivie des règles applicables à certains contrats spéciaux, comme le bail ou le contrat d’assurance100.

Cet ouvrage de codification est propre au droit civil. Ceci devient évident si on prend l’exemple du Code criminel canadien. Il s’agit d’une œuvre qui porte le nom « code », mais en réalité, il n’est pas comparable à un code de droit civil (on se rappelle que le droit criminel fait partie du droit public et au Canada, ce type de droit est régi par la common law). Dans le Code criminel canadien, on trouve des dispositions, mais elles ne sont pas structurées de la même façon que dans un code civiliste101. Deux dispositions qui, en principe, devraient être lues en conjonction peuvent se trouver à des endroits tout à fait différents dans le Code criminel, sans explication logique. C’est exactement cette confusion qu’essaient d’éviter les maîtres du droit civil, lorsqu’ils codifient leurs textes.

Une telle importance est accordée à la conception de la loi écrite parce qu’il s’agit de la source première en droit civil. La loi est en fait l’outil principal pour les juges afin de trancher un litige. Le juge joue ici un rôle de deuxième rang : il interprète le droit, mais il n’en est pas le créateur102.

Common law

La common law s’est développée en Angleterre, à l’abri de l’influence du droit européen continental103. À la différence des pays de tradition civiliste, le législateur est resté plutôt passif en Angleterre. Il intervenait seulement de façon ponctuelle, lorsqu’il fallait régler des questions précises. Ses « statuts » ne ressemblaient pas aux lois civilistes. Il n’utilisait pas des termes généraux pour que le texte soit applicable à une multitude de situations ; il se servait plutôt de formulations précises afin de bien cibler les circonstances qu’il cherchait à réguler104. C’étaient donc les juges qui devaient trouver des solutions justes et équitables pour les situations qui leur étaient présentées. Le juge devient ainsi créateur du droit au lieu du législateur105. Afin de connaître le droit et prévoir comment un conflit sera réglé, on ne doit donc pas regarder la loi, mais plutôt consulter les jugements qui ont été rendus dans la même matière, et plus précisément les décisions rendues par les plus hauts tribunaux du pays. Pour cette raison, la jurisprudence est la source de droit la plus importante en common law, plus importante encore que la loi.

106 Idem.

107 Code criminel, L.R.C. (1985), ch. c-46, art. 9.

108 Charte canadienne des droits et libertés, préc., note 1, art. 11.

109 Code criminel, art. 8(3).

110 Hugues PARENT, Traité de droit criminel, Montréal, Éditions Thémis, 2005-2007, p. 493.

Pour assurer une certaine stabilité et continuité du droit, on a instauré la règle que lorsqu’une question a déjà été traitée par une Cour de justice, cette décision doit dorénavant être suivie dans des situations semblables. S’ensuit une hiérarchie très nette : lorsqu’une décision a été rendue par une instance supérieure, les instances inférieures doivent la suivre106. À l’inverse, une instance supérieure peut renverser l’approche juridique adoptée par les Cours de première instance. Ainsi, lorsqu’une Cour d’appel est saisie d’une question et rend une décision, celle-ci devient le droit applicable pour les instances inférieures.

Afin d’illustrer les différents rôles que jouent la loi et la jurisprudence dans les deux systèmes judiciaires, prenons un exemple pratique du droit criminel canadien. En droit criminel, il existe une règle fondamentale qui veut que personne ne puisse être poursuivi pour une infraction qui n’est pas prévue dans le Code criminel107. Ce droit est également garanti par la Charte canadienne des droits et libertés108. En même temps, toujours au bénéfice des accusés, il y a une disposition qui permet d’invoquer un moyen de défense qui ne se trouve pas textuellement dans le Code criminel, mais qui a été reconnu par la common law, donc qui a été développé par les tribunaux109. Ainsi, une personne accusée d’avoir causé la mort peut être trouvée non coupable si elle convainc le juge ou le jury qu’elle était dans un état de nécessité lorsqu’elle a agi. Les tribunaux ont considéré que l’accusé, se trouvant dans une situation tellement imminente et dangereuse qu’il n’avait pas d’autre choix que d’agir comme il a agi, devrait être excusé pour ses actes, même si ceux-ci ont causé des conséquences graves pour une autre personne110. Il s’agit d’un moyen de défense de common law qu’on ne trouve pas écrit dans le Code criminel ou dans un autre texte législatif. Or, la pensée civiliste ne connaît pas cette idée d’invoquer un principe qui n’a pas de base législative.

Nous pouvons donc conclure que nous nous trouvons dans une situation particulière au Québec comparativement aux autres provinces anglophones. Lorsque nous faisons face à une problématique qui ressort du droit privé, nous devons consulter la loi écrite afin de trouver la règle de droit qui s’applique. Il est vrai qu’il peut être utile de vérifier comment les tribunaux ont interprété la disposition législative qui contient la règle de droit applicable. Toutefois, si nous n’avons pas un texte de loi comme point de départ, nous ne serons pas en mesure de convaincre un juge que nous avons un droit quelconque.

Par ailleurs, dans un contexte de droit criminel, il se peut que la règle de droit ne se trouve pas dans la loi écrite, mais dans la jurisprudence. Le fait de démontrer au juge qu’il y a un principe reconnu antérieurement par les tribunaux serait donc assez pour avoir gain de cause. Voilà pourquoi il est important de faire la différence entre la common law et le droit civil lorsqu’il est question des sources du droit au Québec.

111 L. BÉLANGER-HARDY et A. GRENON, préc., note 96, p. 160.

112 Idem.

113 Idem.

Dans le document Un état des lieux du droit (Page 47-51)