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Chapitre 1. Cadre de la recherche

1.2 Participations sociales et vieillesse : études et enjeux

1.2.4 Liens à la santé et au bien-être

Nous avons abordé l’importance croissante du concept de participation sociale dans les discours sur le vieillissement dans le contexte contemporain, lié de manière plus ou moins nuancée à la question du « bien-vieillir ». En parallèle à ces changements dans la représentation du vieillissement et des retraités, de plus en plus d’études portent de fait sur les relations entre participation sociale et santé au sens large19. Elles montrent de manière constante que, pour les personnes âgées, les relations sociales sont associées à une meilleure santé tant physique que psychique. Dans son analyse documentaire portant sur « la participation sociale des aînés dans une perspective de vieillissement en santé », Emilie Raymond et al. (2008) recense ainsi des liens multiples et divers entre différents modes de participation et diverses dimensions de la santé : l’état cognitif et fonctionnel, la consommation de médicaments, les symptômes dépressifs, la perception de son état de santé ou encore la sensation de bien-être (voir aussi les aperçus offerts par Bath & Deeg, 2005; Cutler, Hendricks, &

O’Neill, 2011; Dorfman, 2013; Morrow-Howell, 2010; O’Neill et al., 2011; ainsi que l’article de Ihle et al., 2015 sur les données que nous utiliserons dans le cadre de cette thèse). Dans cette section, nous discuterons brièvement des mécanismes en jeu derrière les associations observées, ainsi que des implicites et limites des études qui abordent cette thématique.

Comme le soulignent Raymond et al. (2008) dans leur analyse documentaire, si le lien entre participation et bien-être (et plus généralement santé) est globalement reconnu, les processus sous-jacents sont sujets à discussion.

Différentes explications ont été avancées mais il s’agit avant tout de pistes de réflexion, tant les mécanismes en jeu se tissent en des systèmes complexes.

Les auteurs (Raymond et al., 2008) distinguent dans ce cadre trois ensembles interprétatifs. Ils ne concernent alors pas nécessairement la même définition de la participation sociale ou les dimensions de santé considérées. Le premier type d’explication postule que, sous-tendant une forme d’activité cognitive et physique, la participation sociale permettrait de se maintenir en forme. Ici, la perspective adoptée questionne plus particulièrement la santé physique.

Cependant, puisqu’il est démontré dans la littérature que santé physique et bien-être subjectif sont liés (e.g. Helliwell & Putnam, 2004), le lien entre participation sociale et bien-être peut être pensé comme indirect.

La participation sociale peut également être comprise comme une ressource identitaire (Raymond et al., 2008). Comme souligné par la perspective psycho-sociale du vieillissement, ce dernier peut être compris comme un processus fait de pertes et de deuils (tant au niveau sanitaire que social) auquel l’individu doit s’adapter. Permettre de continuer à occuper des rôles sociaux reconnus serait

19 Ici on peut faire référence à la définition de la santé de l’OMS comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité » (Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, 1946, in Actes officiels de l'Organisation mondiale de la Santé, n°2, p. 100).

alors une des fonctions des activités et permettrait par-là de se maintenir en meilleure santé, au moins subjective. La théorie des rôles est dans ce cadre souvent mobilisée pour questionner et comprendre les liens positifs entre participation sociale et bien-être après l’âge de la retraite (voir par exemple: N.

G. Choi, Burr, Mutchler, & Caro, 2007; Li & Ferraro, 2005; Morrow-Howell et al., 2003; Van Willigen, 2000). La participation formelle à l’espace public est particulièrement concernée par ce type d’explication, notamment le bénévolat qui est l’objet de nombreuses études. « In the act of helping others, volunteer serve a greater social good, construct meaningful social roles, and succeed in meeting the cultural expectation of staying active » (Li & Ferraro, 2005, p. 69).

Cette forme de participation présenterait en effet des caractéristiques la rendant d’autant plus bénéfique par rapport à d’autres rôles sociaux (Morrow-Howell, 2010). En termes de santé, outre la question identitaire, le bénévolat peut également être compris comme une ressource « sociale »20 en facilitant les interactions et en suscitant en retour le support social, comme le soulignent Musick et Wilson (2003).

Cette dernière remarque nous mène au dernier type d’explication avancé par Raymond et al. (2008) qui renvoie plus généralement aux relations sociales comme ressource dans le processus de vieillissement. Plus que l’activité réalisée, ce sont les contacts induits qui seraient au cœur du lien entre participation sociale et santé. Ils permettraient de trouver des buts et de préserver un sens à sa vie. Avoir des échanges significatifs et réciproques serait ainsi particulièrement important. Au-delà, les espaces d’échange créés à travers ces relations à autrui contribuent à maintenir, voire renforcer l’intégration sociale, et à stimuler les capacités individuelles. Dans ce cadre, certains contextes de participation peuvent apparaître plus significatifs que d’autres : Maier et Klumb (2005) soulignent ainsi l’effet particulièrement favorable des relations amicales par rapport aux probabilités de survie.

Ces premières constatations invitent plus pragmatiquement à souligner les différences que peuvent impliquer les différents types de participation sociale en termes de bénéfices sur la santé. C’est ce qu’a par exemple confirmé Potočnik et Sonnentag (2013) dans leur étude de l’impact des activités sur la dépression et la qualité de vie des aînés sur 2 ans. Partant du constat que « not all activities older adults engage in have positive effects on well-being » (Potočnik &

Sonnentag, 2013, p. 499), les auteurs ont examiné sept pratiques21 et ont confirmé l’impact positif de seulement trois d’entre elles sur bien-être : faire du bénévolat, offrir de l’aide informelle et participer à des clubs sportifs ou sociaux.

Cependant, les résultats peuvent aussi varier d’une étude à l’autre. Ainsi, Li et Ferraro (2005), interrogeant l’impact du bénévolat sur les symptômes

20 Musick et Wilson (2003) postulent deux types de mécanismes qui peuvent expliquer l’impact du bénévolat sur le bien-être : parce qu’il augmente l’estime de soi (ressource psychologique) et/ou l’intégration sociale (ressource sociale). Leurs résultats montrent qu’une part des effets du bénévolat sur le niveau de dépression est compréhensible en termes d’intégration sociale mais ne passe pas par l’estime de soi.

21 Il s’agit de: bénévolat, aide informelle au réseau personnel, prendre part à des organisation politiques ou communautaires, fréquenter de cours, participer à des club de sport ou sociaux, prendre part à des organisations religieuses et prendre soin d’adultes malades.

dépressifs, montrent un effet positif du bénévolat formel mais non informel.

Comme le rappellent les auteurs dans leur introduction, « informal helping usually carries more obligations and receives less recognition than formal volunteering » (Li & Ferraro, 2005, p. 68‑69). Au-delà de ne pas avoir d’impact, des analyses sur SHARE (Survey on Health, Aging and Retirement) montrent que si les symptômes dépressifs sont moindres parmi ceux qui participent à du bénévolat formel ou informel, prendre soin de ses petits-enfants est associé avec plus de risque de dépression (K.-S. Choi, Stewart, & Dewey, 2013). De manière cohérente, Moen et al. (1992), suivie par de nombreux autres chercheurs, avait déjà dénoncé le coût psychique du care.

Plus que d’énumérer les résultats autour de ce large champ de recherche, qui en raison de la diversité des définitions et mesures sont difficilement comparables, il s’agissait ici de mettre en évidence les enjeux potentiellement multiples derrière la relation entre participation et santé. On peut encore ajouter qu’au-delà des types de participation, d’autres éléments viennent complexifier cette question. Ainsi, un certain nombre d’auteurs démontrent que l’effet de la participation varie en fonction de caractéristiques individuelles. Morrow-Howell et al. (2003, p. 138) utilisent par exemple le concept de « contexte de rôle » (role context) pour exprimer que le bénévolat (ou toute forme de participation en ce qui nous concerne) pourrait ne pas être également bénéfique pour tous de la même façon selon leurs caractéristiques sociales et/ou individuelles. Emprunté à Moen et al. (1992) et ancré dans la perspective du parcours de vie, ce

« contexte » renvoie plus particulièrement aux circonstances personnelles dans lesquelles prend place une activité et qui peuvent influencer le sens de cette dernière aux travers d’attentes ou de contraintes spécifiques. Si empiriquement les résultats ne sont à nouveau pas toujours cohérents et/ou les effets différentiels pas toujours vérifiés (voir Morrow-Howell et al., 2003, p. 138), certaines études confirment ces hypothèses. Nous nous limiterons ici à certains résultats provenant de travaux suédois et concernant les enjeux de genre. Les femmes sembleraient ainsi bénéficier davantage en termes de survie des activités supposant des interactions sociales (Agahi, 2008; Agahi & Parker, 2008). D’autres résultats suggèrent également que la participation dans la vieillesse est associée avec de meilleures chances de survie surtout pour les hommes, alors que pour les femmes ce sont les activités antérieures qui seraient plus importantes (Agahi, Silverstein, & Parker, 2011).

Avant de clore cet état des lieux de l’étude de la participation sociale, deux remarques importantes doivent encore être faites concernant l’interprétation du lien entre participation sociale et santé. La première concerne la difficulté que pose l’établissement du sens de causalité de cette relation. En effet, la perspective transversale, qui domine (encore) les études réalisées et qui nous concernera plus particulièrement, ne permet pas d’affirmer unilatéralement que la participation sociale est « bonne » pour la santé puisqu’un bon état de santé pourrait également être compris comme facteur de participation (e.g. Raymond et al., 2008). Nous pouvons toutefois relever que les résultats des études longitudinales semblent confirmer un lien de causalité allant de la participation au bien-être (e.g. Abu-Rayya, 2006; Li & Ferraro, 2005; Morrow-Howell et al., 2003; Potočnik & Sonnentag, 2013). La deuxième remarque concerne la question de l’accès inégalitaire à la participation sociale évoquée dans le point

précédent. En effet, certaines caractéristiques peuvent confondre ou modifier les associations entre participation et santé car elles sont liées aux deux (Potočnik

& Sonnentag, 2013). Alors que les études n’abordent que très et trop rarement les questions de santé et d’accès aux formes de participation, en parallèle, il faut faire attention à ne pas sous-estimer les potentiels systèmes d’inégalités plus profonds qui sont susceptibles de construire, à tout le moins d’influer sur, les liens entre ces deux dimensions. Nous reprendrons ces questions, plus particulièrement en lien avec le sujet du bien-être, dans la dernière partie de ce chapitre.

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A ce stade, il ressort que la participation sociale à la retraite a été largement traitée mais que la mise en parallèle des différents résultats est rendue difficile par la variabilité dans les définitions et les mesures. Le plus souvent, toutefois, la participation sociale est étudiée sous la forme de l’engagement formel que représente le bénévolat organisé ou l’associativité des aînés. Plus encore, rares sont les recherches qui incluent dans l’analyse la participation à la sphère privée et familiale alors que d’autres études, centrées, elles, sur les liens et solidarités dans la sphère familiale ou de proximité, montrent que ce type de participation est loin d’être négligeable et comporte des enjeux tant sociaux qu’individuels (Girardin & Widmer, 2015; Huxhold et al., 2014; Pin, Guilley, Spini, & Lalive d’Épinay, 2005; Suanet et al., 2013; Vollenwyder, Bickel, Lalive d’Epinay, &

Maystre, 2002). En outre, en parallèle au repli sur le privé, qui fut et reste encore souvent présenté comme caractéristique de la grande vieillesse (Carstensen et al., 1999), il est intéressant de prendre en compte et d’interroger des formes de participation qui peuvent apparaître comme moins exigeantes, ou plus significatives, pour l’individu et qui lui permettraient toutefois de maintenir des activités sociales au-delà des limites de son ménage privé. Plus généralement, les questions liées à l’évolution, aux différences et inégalités dans les profils de participation ainsi que les associations entre activités de participation et santé gagneraient à être étudiées de manière à la fois intégrée et différenciée, un regard croisé permettant de dégager plus largement les opportunités et chances de participer au lien social après l’âge de la retraite. Cet intérêt est d’autant plus justifié au regard de la question des inégalités de genre, comme nous allons l’exposer dans la section suivante.