• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1. Cadre de la recherche

1.2 Participations sociales et vieillesse : études et enjeux

1.2.2 Ampleur et évolutions

Dans les années 1970, Guillemard (1972), dans un ouvrage intitulé « La retraite.

Une mort sociale », montrait que cette étape de vie se caractérisait pour une majorité de Français par un retrait de la société. Trente ans plus tard, elle observe alors que ce modèle de retraite a fortement reculé au profit d’une

« retraite-loisirs » ou d’une « retraite-3ème âge », désormais majoritairement répandue parmi les aînés. En outre, elle souligne l’émergence d’une « retraite-solidaire » tournée vers la vie associative9 (Guillemard, 2002). L’importance

8 Il faut dire que cette définition de la participation a l’avantage d’avoir des limites plus claires et d’être plus facilement opérationnalisable (Raymond, Gagné, Sévigny, &

Tourigny, 2008).

9 La « retraite-loisirs » correspond à des pratiques tournées vers la consommation et la

« retraite-3ème âge » implique quant à elle des activités « para-productives » de type jardinage, bricolage etc. n’excluant pas l’adhésion à des groupes de sociabilité.

croissante de la participation sociale dans les représentations et discours sur la vieillesse semble donc être globalement allée de pair avec une montée en importance quantitative des pratiques. Si aujourd’hui de nombreuses études empiriques confirment à quel point les aînés sont actifs dans de nombreux domaines, il y a également dans la littérature une petite série de travaux portant plus particulièrement sur la comparaison à travers le temps de certaines formes de participation sociale (ou sur des pratiques que l’on peut assimiler à notre conception de la participation) des aînés qui permettent de rendre compte de leur évolution réelle. Ces recherches montrent bien une augmentation générale des divers types d’activités avec une exception notable, la participation religieuse. Ce point sera consacré à discuter de manière un peu plus détaillée les principaux résultats accumulés et les tendances mises en évidence.

Auparavant, il convient d’expliciter deux pistes explicatives quant aux évolutions observées, soulignant différents aspects socio-historiques et permettant de questionner les tendances établies.

Deux types d’explications sont généralement proposés dans des études qui en l’occurrence concernent particulièrement la participation sociale à l’espace public. Selon une première hypothèse, l’évolution de la participation sociale des aînés peut être comprise par l’arrivée à l’âge de la retraite de nouvelles cohortes dotées de plus de ressources que les précédentes10. Plusieurs travaux ont souligné cette nature structurelle (ou compositionnelle) du changement (notamment Bickel, 2003; Bickel & Lalive d’Epinay, 2001b; Broese van Groenou

& Deeg, 2010; Suanet, Broese van Groenou, & Braam, 2009). Parmi ceux-ci, Bickel et Lalive d’Epinay (2001b) montrent que ces évolutions vers une plus forte participation, dans le cas présent associative, s’observent déjà à mi-vie et que les observations concernant l’après retraite renvoient davantage à un maintien des activités jusqu’à un relatif grand âge11. Ceci conforte la théorie de la continuité discutée plus haut. Un deuxième type d’explication se trouve dans les composantes structurelles de la participation sociale des aînés à une période donnée. Dans ce cadre, Bickel (2014) met en avant deux éléments : les changements institutionnels et culturels et l’extension des opportunités de participation. Le premier fait référence aux transformations socio-culturelles valorisant l’activité des personnes âgées, soit une pression sociale qui inclut sa récompense (satisfaction de soi, voire reconnaissance sociale). Le deuxième élément insiste sur la palette des opportunités de participation, avec par exemple l’augmentation du nombre d’associations et de l’offre en termes de loisirs, notamment visant les personnes âgées.

Guillemard distingue aussi la « retraite-famille » qui privilégie les relations aux proches.

Enfin, la « retraite solidaire » se développerait dans le nouveau contexte du vieillissement où la meilleure intégration des retraités entre en conflit avec leur exclusion du marché du travail en fin de carrière.

10 Par exemple, on peut penser à un meilleur niveau d’éducation ou à un meilleur état de santé : ces deux domaines sont à la fois des éléments caractérisant les cohortes plus jeunes et des facteurs de participation sociale comme nous le verrons dans le prochain point.

11 Des études montrent en effet plus spécifiquement la forte continuité des activités au cours des trajectoires individuelles (e.g. Agahi, Ahacic, & Parker, 2006; Erlinghagen, 2010; Quéniart & Charpentier, 2010; Scherger, Nazroo, & Higgs, 2011).

Plus particulièrement maintenant, en nous focalisant sur l’évolution des pratiques des aînés, un premier ensemble de résultats confirme une augmentation de la participation sociale formelle, autrement dit la participation aux associations volontaires ou à l’engagement bénévole et politique.

Comparant deux cohortes de seniors aux Pays-Bas à 10 ans d’intervalle (1992-2002), Broese van Groenou et Deeg (2010) mettent en effet en évidence une hausse de ce type de participation12. Au Canada, Raymond et al. (2008) dégagent les mêmes tendances concernant le bénévolat des 65 ans et plus en comparant les statistiques nationales de 1998, 2000 et 2006. Un constat identique émerge aux Etats Unis à travers différentes enquêtes (Ajrouch et al., 2007; Einolf, 2009).13

Les résultats des travaux portant sur des modalités plus informelles de participation sociale confirment également leur augmentation. En Suède, Agahi et Parker (2008) montrent ainsi qu’entre 1992 et 2002, les activités sociales et culturelles des aînés (comme les visites au restaurant ou la participation à des cours) ont particulièrement augmenté. De même, Broese van Groenou et Deeg (2010), s’intéressant également à la participation informelle des Néerlandais de 60-69 ans entre 1992 et 2002, observent une hausse de cette dernière, par exemple dans les domaines culturel ou récréatif. Elle est cependant moins marquée que l’augmentation du volontariat formel. On comprend que si la hausse est générale, elle peut concerner les différentes activités de manière plus ou moins prononcée.

Enfin, comme précédemment mentionné, un type de participation sociale ne montre pas la même tendance : la participation religieuse baisse ou du moins stagne. Ces résultats se retrouvent dans différentes études mesurant la participation aux offices (Agahi & Parker, 2005; Ajrouch et al., 2007) ou incluant aussi la participation active aux organisations religieuses (Broese van Groenou

& Deeg, 2010).

Plus proche de nous géographiquement, tous ces différents résultats font globalement écho ou prolongent dans le temps ceux publiés dans le cadre des enquêtes suisses dans lesquelles s’insère ma thèse. Comparant des données récoltées en 1979 et 1994 auprès des 65-94 ans de deux régions, Lalive d’Epinay et al. (2000) montraient une hausse de la participation à différentes activités sociales (notamment engagement et sociabilité14 communautaire,

12 Plus particulièrement, être membre d’une association ou faire du bénévolat sont des activités plus courantes dans la plus jeune génération des 60-69 ans, la hausse entre les deux cohortes étant particulièrement marquée concernant le volontariat.

13 On peut souligner que la question des rôles et de la participation civique des individus s’est vue fortement stimulée, en Amérique du Nord notamment, par les écrits de Putnam (2000) qui montraient une baisse importante du capital social et des liens communautaires dans la société américaine (Cutler, Hendricks, & O’Neill, 2011; O’Neill, Morrow-Howell, & Wilson, 2011).

14 Le terme sociabilité n’est pas neutre en sociologie et fut initialement utilisé par Simmel pour désigner une forme d’interaction, cette question étant alors au cœur de son approche du monde social dont les relations sont à la base (e.g. Rivière, 2004).

Aujourd’hui, les sciences sociales le définissent comme « l’ensemble des relations qu’un individu (ou groupe) entretient avec d’autres, compte tenu de la forme que prennent ces relations » (Forsé, 1991, p. 247). Cette définition n’est alors pas sans rappeler la

pratiques culturelles), sauf, ici aussi, dans le domaine religieux. En outre, les résultats de cette première comparaison ont mis en avant la vitalité grandissante de la participation à une sociabilité familiale et amicale à travers un échange croissant de visites. Sans pouvoir parler d’évolution, les données de 1994 indiquaient également un engagement non-négligeable des aînés au service de leurs proches.

Par rapport à ce dernier résultat et en parallèle à ceux des travaux sur la définition de la participation sociale, il faut relever que la question des pratiques de participation plus privée, et notamment leurs évolutions, est plus rarement abordée, du moins dans la littérature concernant explicitement la participation sociale15. Des chercheurs s’intéressant plus particulièrement aux relations sociales, notamment familiales, confirment cependant l’importance de ces échanges, qu’ils soient de temps ou de services (Bonvalet & Lelièvre, 2005;

Desmulier et al., 2003). Ces constats s’opposent aux idées reçues sur la perte des liens familiaux dans un contexte marqué par des fortes valeurs individuelles (Attias-Donfut, 2002). Qui plus est, ces questions peuvent aussi être abordées sous l’angle du réseau extra-familial en considérant les amis, connaissances et voisins, un ensemble de relations qui semble prendre une importance particulière dans nos sociétés contemporaines comme nous l’aborderons dans la section 2.4. Avant d’aborder plus largement ces enjeux dans la suite de ce travail, signalons ici que quelques études portant sur les personnes âgées soulignent déjà l’intérêt de s’interroger sur l’importance et l’évolution des relations amicales parmi ces populations (Huxhold, Miche, & Schüz, 2014;

Suanet, van Tilburg, & Broese van Groenou, 2013).

Ce premier survol de la littérature a permis de mettre en avant la palette croissante et la diversité des modes de participation sociale des aînés.

L’évolution ne concerne cependant pas toutes les pratiques de la même manière et certaines sont mieux documentées que d’autres. Plus encore, s’il y a un accord général sur les tendances, les études mesurent rarement la même chose, rendant délicate une discussion approfondie des différents aspects. Dans la suite de ce chapitre, nous allons expliciter deux éléments importants dans l’étude de la participation sociale : la question des facteurs de participation et conception de la participation sociale adoptée dans cette thèse, cette dernière intégrant cependant une dimension « volontaire » et extra-domiciliaire (du point de vue de l’individu) supplémentaire.

Dans ce travail, nous utiliserons cependant le terme « sociabilité » dans un sens restreint, permettant de distinguer certaines pratiques d’autres. Plus particulièrement, nous ferons référence à la « sociabilité » quand les activités ne supposent pas une dimension d’engagement envers quelqu’un ou quelque chose, soulignant une dimension plus expressive de la participation. Rendre visite à des proches incarne alors particulièrement bien cette définition, le lien étant central à l’activité, mais plus largement elle fait aussi référence à des activités informelles dans l’espace public.

15 Parmi les études sur la participation sociale déjà citées, Broese van Groenou et Deeg (2010) intègrent la question de l’étendue du réseau sans cependant parler de participation à ce dernier. Ajrouch et al. (2007) analysent quant à eux les contacts avec les amis et parents - sans cependant distinguer ces deux types de réseaux ni le type de contact (activités extérieures avec, visite reçues, visites rendues) – mais concluent à une baisse de ce type de participation dans les cohortes les plus récentes.

des inégalités sociales et celle des liens entre participation sociale et bien-être physique et psychique.