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Chapitre 2. Construction de la recherche

2.5 Comprendre la participation à travers la mesure des

2.5.1 Inégalités et différences : choix et présentation des variables 79

formes de participation font référence d’une part au statut social de la personne âgée et d’autre part à ses conditions de vie et de santé considérées comme des ressources potentielles associées. Le choix autour de ces différentes caractéristiques et capitaux s’est fait en fonction de mon orientation théorique et des questions de recherches, à savoir une approche sociale de la participation des aînés et un approfondissement de ces logiques en termes de genre. Dans ce cadre, les variables retenues ont été identifiées dans la littérature comme influençant la participation sociale et comme étant différemment associées aux hommes et femmes (en termes de distribution ou dans la possible signification de ces ressources). Elles renvoient à cinq domaines ; stratification sociodémographique, capital socio-économique, ressources de santé, capital social et opinions. Par rapport aux différentes variables disponibles dans la base de données formée par les trois enquêtes, certaines ont été écartées58, d’autres simplifiées en vue de leur introduction dans les modèles de régression. Il n’est en effet pas conseillé d’intégrer des variables avec un nombre important de catégories, d’autant plus si celles-ci ne représentent qu’une faible proportion de l’échantillon. Pour les variables catégorielles, la catégorie utilisée comme référence dans les analyses est soulignée ci-dessous.

Trois variables caractérisent le statut sociodémographique des individus. Il s’agit du sexe (femme/homme), de la région d’habitation (Genève/Valais) et des groupes d’âge (65-69 ans/70-74 ans/75-79 ans/80-84 ans/85-94 ans). Ces trois éléments sont également les critères de stratification des échantillons d’enquête.

58 Certaines variables présentent par exemple un taux de non-réponse très élevé ou posent des problèmes de comparabilité importants du fait de divergences dans la manière dont les questions ont été libellées (voir annexe A), nous y reviendrons au fil du propos.

Ils représentent des facteurs exogènes au sens où ils ne peuvent pas être influencés par les autres variables introduites dans le modèle et se distinguent ainsi des autres facteurs que nous allons présenter ci-dessous (appelés alors variables endogènes).

L’inégalité de statut socio-économique est documentée par le niveau d’instruction (obligatoire, secondaire supérieur, tertiaire). Outre sa dimension culturelle propre, cette dernière information peut être considérée comme un indicateur de bien social au même titre que le revenu et la position professionnelle. Levy et al. (1997, p. 87‑92) montrent dans ce cadre une certaine cristallisation autour des statuts occupés dans ces différents domaines.

Le niveau d’instruction a été préféré à ces deux derniers indicateurs en raison de la relative fiabilité de la variable dans nos bases au regard des deux autres59. En outre, il suppose indéniablement une antériorité avec la situation actuelle qui permet une réflexion en termes de causalité (Gabriel, Oris, Studer, & Baeriswyl, 2015).

Les autres groupes de variables renvoient à la situation de l’individu au moment de l’enquête. Si leur statut de « non-antériorité » empêche toute interprétation directe en termes de causalité par rapport à notre variable d’intérêt, il n’en demeure pas moins qu’elles renvoient à un « système de ressources » individuel (Lalive d’Epinay et al., 2000, p. 12) dont il est intéressant d’interroger les relations aux participations (qui en font partie) et les évolutions de ces associations entre 1979 et 2011.

Une première variable fait indirectement référence au capital économique de la personne à travers la question des sources de revenu. Cet indicateur distingue les individus touchant un 2ème et/ou un 3ème pilier (oui/non). La littérature a en effet confirmé la vulnérabilité économique des gens vivant uniquement avec le 1er pilier (Gabriel et al., 2015). Cette variable nous renseigne ainsi globalement sur une certaine précarité économique dans le cas d’une réponse négative. Un doute subsiste toutefois quant à savoir si cette ressource renvoie à l'individu ou à son ménage60. En effet, l’intitulé des questions ne précisait pas cet élément :

« je vais vous énoncer différents types de ressources financières, pouvez-vous me dire si vous en bénéficiez ou non ». Certaines personnes pourraient ainsi avoir déclaré des revenus touchés indirectement, ceci d’autant plus que le revenu « du ménage » était ensuite explicitement demandé dans les autres questions concernant la situation financière d’ego61. La dimension « collective »

59 Le revenu comporte en effet un nombre relativement important de données manquantes (Gabriel, Oris, Studer, & Baeriswyl, 2015). Quant à la catégorie socio-professionnelle, elle pose d’importants problèmes du point de vue de la comparaison : elle n’a pas été construite de la même manière entre les trois enquêtes et un manque d’information quant aux procédures passées empêche de reproduire la variable (ou de s’en approcher) sur 2011 (voir annexe A, dernière profession).

60 Les autres indicateurs sélectionnés représentent tous des ressources qui renvoient directement à l'individu.

61 La série de questions sur la situation économique était posée lors de l’entretien en face-à-face avec un enquêteur, celui-ci connaissait ainsi le contenu du questionnaire suivant la première question sur les sources de revenu.

de cet indicateur doit ainsi être prise en compte dans l’interprétation des résultats attachés.

Nous prendrons également en compte la question de la santé à travers deux indicateurs renvoyant d’une part à la santé physique et d’autre part à la santé psychique. La première est documentée par le score de fragilité et la composante psychique par une adaptation de l’échelle de dépression établie par Wang et ses collègues (1975) (pour plus de précision sur ces variables, voir annexe A, santé physique et psychique, et notamment le tableau A.7). Les questions de santé entretiennent globalement des relations importantes avec la participation comme nous l’avons montré dans le chapitre 1. Elles peuvent notamment être comprises comme des pré-conditions de la participation.

Cependant, la relation causale n’est pas aussi évidente qu’il puisse sembler et il faut garder à l’esprit que la santé peut être à la fois cause et conséquence de la participation62. Plus généralement, l’introduction des indices de fragilité et de dépression doit compléter les cinq groupes d’âges en dissociant l’âge chronologique de ses manifestations biologiques en termes de dégradation de l’état de santé et dès lors mieux faire ressortir la diversité des conditions individuelles dans la vieillesse (Lalive d’Epinay & Spini, 2008).

Un score sur trois opinions touchant les rôles et statuts sociaux nous renseigne sur les représentations sociales de l’individu entre traditionalisme et ouverture. A savoir : « ne pas trop en demander à ses enfants car ceux-ci ont leur travail » (ouverture), « les jeunes d’aujourd’hui ont la vie trop facile » (tradition), « la place de la femme est d’être au foyer » (tradition). L’idée d’une certaine participation sociale des aînées peut en effet être replacée dans le contexte plus large de l’évolution des rapports sociaux. Faire preuve de plus d’ouverture pourrait ainsi être lié à des pratiques sociales, ou du moins certaines de leurs formes (l’exemple contraire pourrait typiquement être les activités religieuses).

Finalement, trois variables renvoyant au capital social de la personne sont intégrées à l’analyse. Pour rappel, les questions attachées au réseau personnel sont moins présentes dans la recherche sur la participation sociale, notamment dans le cadre d’une définition plus restreinte comme celle de la participation

« publique-formelle ». Pourtant, dans notre approche soulignant l’importance des relations comme forme structurelle, ces éléments sont pertinents et intéressants à prendre en compte.

L’entourage « familial » de la personne est documenté par une variable sur son ménage (non-marié vivant seul/ marié/ non-marié cohabitant) et sur la présence de descendants (sans/ au moins un enfant vivant/ au moins un petit-enfant). La première simplifie les informations concernant l’état civil de la personne (être marié, célibataire, divorcé ou veuf) et le fait de vivre seul. Ces deux indicateurs sont en effet fortement corrélés : la construction d’une seule variable en trois catégories permet ainsi d’éviter ce biais. La variable obtenue se concentre alors

62 Par exemple, Lalive d’Epinay et Guilley (2006) ont souligné les contraintes et limites à la participation liées aux processus de fragilisation. La même équipe, dans le cadre de sa recherche sur les octogénaires, a aussi montré que le maintien de l’activité, particulièrement d’activités extérieures au domicile, est un facteur permettant de diminuer les effets négatifs de la fragilisation sur le bien-être (Bickel, Girardin Keciour, & Lalive d’Épinay, 2007).

autour de la notion de solitude au niveau du ménage tout en distinguant le conjoint (et dans ce cas, le statut d’habitation n’est plus un critère63) des autres

« cohabitants » possibles. La question du réseau familial formel64 est quant à elle réduite ici à la descendance avec une idée de cumul des générations. Dans ce cadre, la catégorie « au moins un enfant vivant » sous-tend l’absence de petit-enfant alors que celle « au moins un petit-enfant » implique pour la majorité des cas l’existence d’un enfant vivant65. Les liens de filiation paraissent particulièrement importants en termes de non-isolement social (e.g. Bickel &

Girardin, 2008; Lalive d’Epinay et al., 2000) En outre, ils condensent aussi les normes d’obligations familiales tant au niveau légal que moral, normes dont la tension avec les nouvelles valeurs d’autonomie tend à être thématisée sous le concept d’ambivalence dans les relations intergénérationnelles (e.g. Widmer &

Lüscher, 2011; Kellerhals & Widmer, 2007). Cette variable intègre aussi la question des petits-enfants qui semble devenir un élément toujours plus important de la vie des aînés (e.g. Attias-Donfut, 2008; Bonvalet, Olazabal, &

Oris, 2015). Quant au fait d’avoir un parent encore vivant, la faible proportion d’individus dans ce cas, notamment en 1979, ne permet pas des analyses robustes.

Autre dimension du capital social, le réseau personnel est également interrogé sous l’angle des relations amicales. Les théories de la modernisation que nous avons évoquées au chapitre 1 montrent en effet une importance croissante des relations plus flexibles, individualisées, dont l’amitié peut apparaître comme la forme typique. Accompagnés par des évolutions démographiques favorables (on peut penser à la longévité des contemporains), ces liens apparaissent comme devant être pris en compte comme ressource associée à la participation à l’heure de la retraite. Cette question sera saisie à travers une variable sur l’existence d’un ami ou d’une amie proche dans la vie de la personne (oui/non).

Notre indicateur renvoie ainsi plus particulièrement à une relation amicale intime, supposant une certaine profondeur et a priori inscrite dans la durée par rapport à des connaissances plus passagères ou superficielles. Elle peut aussi faire référence à une pseudo-conjugalité, le « partenaire particulier ». Les données ne nous offrent cependant aucune précision quant au statut de ces amis ou amies (sexe, âge, parcours d’amitié)66.

63 Au total, 50 individus sont mariés mais vivent seuls (35 en 1994).

64 Nous entendons par-là le réseau existant, sans tenir compte des relations effectives.

65 Seuls 18 individus sur les trois échantillons sont dans la situation d’avoir un petit-enfant mais plus d’enfant en vie.

66 Dans ce cadre, l'usage général du masculin quant à la présence d'au moins un ami sous-entend également la forme féminine.

Tableau 2.4 : Présentation des différentes variables catégorielles « ressources individuelles » par enquête et par sexe

NB : sur la population de 65-94 ans apte vivant à domicile en Valais et à Genève ; données pondérées ; * : p<0.1, ** : p<0.05, *** : p<0.01.

Tableau 2.5 : Présentation des différentes variables score « ressources individuelles » par enquête et par sexe

NB : sur la population de 65-94 ans apte vivant à domicile en Valais et à Genève ; données pondérées ; * : p<0.1, ** : p<0.05, *** : p<0.01.

Nous n’entrons pas dans les détails des tendances que montrent les statistiques descriptives sur les variables explicatives, ces questions seront plus spécialement abordées dans le prochain chapitre.

2.5.2 La question du bien-être subjectif (2011) : l’échelle de satisfaction de vie

La question du bien-être subjectif sera mesurée à travers l’échelle de satisfaction de vie développée par Diener et al. (1985). Cette échelle mesure plus particulièrement la dimension cognitive du bien-être subjectif : pour répondre, l’individu doit procéder à une évaluation de son existence en s’appuyant sur des critères qui lui sont propres pour intégrer et pondérer l’ensemble des dimensions de vie (famille, travail, santé, etc.) et poser un bilan (voir encadré 2.3).

Encadré 2.3 : Questions composant l’échelle de satisfaction de vie (ESDV-5), validation canadienne-français du « Satisfaction with lifescale » de Diener et al.

(1985) par Blais, Vallerand, Pelletier et Brière (1989)

Pour chacun des énoncés suivants, encercle le chiffre qui correspond le mieux à ton degré d'accord ou de désaccord67.

(1) en général, ma vie correspond de près à mes idéaux (2) mes conditions de vie sont excellentes

(3) je suis satisfait-e de ma vie

(4) jusqu'à maintenant j'ai obtenu les choses importantes que je voulais (5) si je pouvais recommencer ma vie je n'y changerais presque rien

Les participants sont priés de noter leur réponse en allant de 1 (fortement en désaccord) à 7 (fortement en accord). On notera que la première question n’est pas sans renvoyer à la vision de Sen du bien-être exprimée dans une de ses phrases célèbres : « to lead the kind of lives we have reason to value » (Sen, 1999, p. 285). Les autres dimensions relèvent également de cette perspective individualisée du bien-être. La seconde question renvoie plus aux conditions matérielles de l’existence et à la situation actuelle ; la troisième offre une formulation synthétique et ramassée ; la quatrième et la cinquième impliquent une réflexion plus directement rétrospective en termes de satisfaction (4) et de regrets (5).

Les recherches existantes montrent que la satisfaction de vie ainsi mesurée a des composantes à la fois de « long terme » (cf. personnalité, circonstances de vie stables), de « moyen terme » (événements de la vie courante, cognition) et aussi de « court terme » (humeur actuelle, circonstances de vie immédiates) (Pavot & Diener, 2009, p. 107). Cette mesure apparaît ainsi comme particulièrement intéressante à interroger en lien avec différentes pratiques de participation sociale mais aussi dans le cadre plus large du système d’inégalités et de différences qui marquent les conditions de vie et de santé à la retraite.

Sur le plan empirique, l’échelle de satisfaction de vie a fait l’objet de travaux de validation poussés qui ont établi la pertinence de la mesure dans des contextes variés, depuis le milieu clinique jusqu’aux enquêtes à grande échelle (Pavot &

Diener, 1993, 2009; Pavot, Diener, Colvin, & Sandvik, 1991). Ces analyses ont aussi validé les traductions en d’autres langues que l’anglais (e.g. Arrindell, Meeuwesen, & Huyse, 1991; Blais et al., 1989). Par rapport aux données de l’enquête VLV (pour rappel, seules les données de 2011 intègrent les questions composant l’échelle de satisfaction de vie), les résultats obtenus correspondent globalement à ceux présentés dans les revues (Pavot & Diener, 1993, 2009).

Avec un alpha de Cronbach de 0.85 et une analyse en composantes principales

67 Dans VLV, l’échelle était introduite ainsi : « Dans quelle mesure êtes-vous en désaccord ou en accord avec les énoncés suivants ? », la personne devant cocher la case correspondant à son degré de (dés)accord (fortement en désaccord / en désaccord / légèrement en désaccord, ni en désaccord / ni en accord / légèrement en accord / en accord / fortement en accord)

indiquant un premier axe expliquant pas moins de 64 % de la variance, la cohérence d’ensemble des réponses est confirmée au niveau individuel. Une moyenne à 27 et un écart-type de 5.4 rapprochent plus particulièrement les résultats établis sur la base VLV de ceux portant sur les personnes âgées calculés par Blais et al. (1989).68

Tableau 2.6 : Présentation des items et du score de satisfaction de vie par sexe

NB : sur la population de 65 ans et + ans apte vivant à domicile en Valais, à Genève, Berne, Bâle et au Tessin et à Genève ; données pondérées ; * : p<0.1, ** : p<0.05, *** : p<0.01.

En considérant de manière décomposée ce score, les valeurs moyennes sur les différents items sont globalement hautes et proches (voir tableau 2.6). La question portant sur l’évaluation globale de sa vie (3) montre les valeurs les plus élevées. A l’inverse, celle portant sur un bilan en termes de regrets (5) représente les moyennes les plus basses. Se dessine ici un processus voulant que les individus sélectionnent les éléments positifs dans l’évaluation globale de leur vie, processus qui n’est pas sans rappeler le concept de « sélection, optimisation, compensation » développé par les époux Baltes et permettant de rendre compte du maintien d’un sentiment de bien-être face au vieillissement (Baltes & Baltes, 1990; Baltes, 1997). En termes d’écart de genre, les femmes tendent à afficher un moindre niveau de satisfaction de vie, à l’exception de l’item concernant l’évaluation globale.