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Chapitre 1. Cadre de la recherche

1.4 Adopter une perspective large et plurielle sur la

1.4.2 Différentes structures relationnelles : évolution des

Dans les différentes définitions de la participation sociale, nous avons déjà fait référence à la question d’une participation sociale formelle ou informelle, cette dernière ne supposant pas l’inscription des pratiques dans un groupe organisé.

Plus généralement, au niveau structurel, les différentes formes de participation sociale supposent la participation à différentes structures relationnelles. Ces dernières représentent des formes de régulations ; elles peuvent être comprises comme des ressources, faisant notamment référence à la notion de capital social, mais doivent aussi être envisagées comme des contraintes (Bidart et al., 2011). Parmi les structures relationnelles, la notion de « cercle social »

différencie celles supposant une certaine institutionnalisation et celles centrées sur l’individu et ses relations. Elle renvoie directement aux formes de participation formelle (sous-entendu l’associationnisme) mais également à la famille ou à l’Eglise, comme nous le verrons au cours de nos développements.

Nous montrerons également que l’équilibre entre les différentes formes d’appartenance et leurs implications en termes de ressources/contraintes sous-tendent des enjeux socio-historiques faisant référence aux théories de la modernité et à la perspective du parcours de vie. Il s’agira alors d’aborder ces questions en s’appuyant sur des champs de recherche différents traitant de cercles sociaux particuliers ou de formes de liens plus flexibles et individualisées.

A un niveau global, on peut donc distinguer différentes formes de structures relationnelles auxquelles les individus peuvent prendre part. Bidart, Degenne et Grosetti (2011), dans leur ouvrage sur les réseaux sociaux, distinguent ainsi les relations, les réseaux et les cercles sociaux. Les relations interpersonnelles et les réseaux qu’elles constituent sont ainsi combinés à l’affiliation à des formes collectives, les « cercles sociaux ». Ces derniers se distinguent par des frontières plus ou moins claires et supposent une existence au-delà des relations personnelle qui s’y jouent, des formes d’identification collective, des droits et devoirs spécifiques envers leurs membres. Ils se différencient entre eux par leur forme et par des rôles plus ou moins marquants et normatifs.Si le cercle peut être vu comme un réseau, l’inverse n’est pas vrai. En outre, les relations sociales naissent souvent au sein de cercles – l’adhésion à celui-ci permettant des interactions pouvant devenir des relations qui à leur tour peuvent s’en émanciper. En retour, les relations peuvent également jouer un rôle dans la formation et l’évolution de cercles (Bès & Grossetti, 2003; Bidart et al., 2011).

L’inscription dans différentes structures relationnelles que suppose la participation sociale implique des enjeux importants en termes d’histoire récente. En effet, différentes théories – de la « modernité avancée » (Giddens, 1990) jusqu’à l’idée d’une « société liquide » (Bauman, 2006) - insiste sur le parallèle entre les changements structurels intervenus après la deuxième guerre mondiale (croissance économique, développement des Etats providence, tertiarisation et insertion des femmes dans le marché du travail pour n’en citer que les grands traits) avec la diffusion d’un nouveau modèle culturel prônant les valeurs individuelles et l’épanouissement personnel. Ces visions ont trouvé des échos empiriques dans les recherches issues du courant d’étude des parcours de vie, qui parlent notamment de déstandardisation des trajectoires individuelles qui deviendraient plus uniques et moins déterminées socialement (e.g. Cavalli, 2003; Oris, Roberts, et al., 2016; Widmer & Ritschard, 2009). Globalement, ces différentes théories supposent le recul de l’importance des institutions traditionnelles (comme la famille ou l’église, mais aussi de manière plus abstraite le statut social) au profit de liens sociaux plus flexibles et d’un affaiblissement des déterminismes sociaux au bénéfice des intérêts et choix individuels. La participation sociale de tout un chacun fonctionnerait dans ce cadre selon des modèles toujours plus individualisés et choisis. Simmel (2010) liait déjà au début du 20ème siècle la modernité à la diversification des cercles d’appartenance de l’individu, permettant une individualisation du lien social et une plus grande liberté personnelle (l’auteur décrit dans cette discussion le

passage d’une organisation concentrique des cercles d’appartenance à une plus grande juxtaposition et de multiples entrecroisements).28

Au-delà de ces propos généraux, il nous paraît également utile de nous pencher un peu plus sur l’étude de structures relationnelles particulières, permettant de préciser certains enjeux en termes de régulation et d’évolution, mais aussi de nuancer la « victoire » de l’individualisme. Pour cela, nous nous référons successivement à différents domaines de recherches. En lien avec les choix qui guident ce travail, nous nous pencherons sur les trois « cercles sociaux » que constituent la famille, les associations et la religion. En outre, nous aborderons un type de relation représentative des liens flexibles et individualisés que le contexte contemporain devrait valoriser dans une perspective d’individualisation – les liens d’amitié.

Concernant le premier point, la famille, des études montrent l’émergence d’un

« individualisme familial », expression qu’utilise Déchaux (2007, 2011) pour résumer les transformations qui touchent ce cercle et qui impliquent une plus grande liberté dans les rapports de l’individu à sa famille. Cependant, l’auteur souligne bien que ces évolutions sont synonymes de redéfinition des normes en vigueur et non de leur disparition, les règles se distinguant non pas tant par leur affaiblissement que par leur multiplication. Deuxièmement, des études sur l’engagement social indiquent également une transformation du paysage associatif tout en s’opposant à l’hypothèse faisant rimer modernité avec égoïsme et repli sur soi. Ion (2012) montre ainsi que l’engagement individuel apparaît comme plus diversifié et pluriel, moins lié à la politique et s’organisant selon des réseaux plus horizontaux. Les acteurs changent aussi et les hiérarchies sont bouleversées. Se référant à un troisième type de cercle social, deux types d’hypothèses marquent l’étude de la participation et des croyances religieuses : celle de la sécularisation et celle de l’individualisation. Si la première porte sur le déclin des communautés, pratiques et croyances religieuses dans nos sociétés occidentales contemporaines, la seconde souligne les changements qui s’y opèrent, se traduisant par plus d’indépendance et d’individualité dans les comportements (Stolz, 2008). Au-delà, Campiche (1993) tempère la perception d’un processus d’individualisation du religieux en soulignant l’ancrage des croyances, mêmes pluralisées et individualisées, dans les cadres traditionnels.

Ces résultats soulignent tous l’ambivalence, entre continuité et changement, du rôle des structures institutionnalisées et des logiques sociales traditionnelles.

Ambivalence que l’on retrouve, comme mentionné précédemment, dans les questions portant sur l’histoire récente des rapports de genre, mais aussi plus généralement par rapport à une démocratisation de nos sociétés. Cette dernière interrogation est cruciale car le mouvement vers un individualisme croissant dans les modes d’appartenance et de participation à la société pose en effet des

28 Dans le cadre des changements socio-historiques marquant la 2ème moitié du 20ème, on peut aussi relever le développement de l’analyse de réseau. S’appuyant notamment sur les écrits de Simmel, des chercheurs affirment l’importance d’étudier les relations effectives et les réseaux personnels qu’elles forment au-delà de la question de l’intégration de l’individu dans différents liens formels (Mercklé, 2004).

enjeux importants en termes d’inégalités et différenciations (supposant alors un moindre déterminisme social).

En parallèle à ces différents champs de recherche s’intéressant plus ou moins directement à des cercles sociaux particuliers, la question des relations sociales

« non institutionnalisées » est notamment traitée à travers la thématique de l’amitié. Ce lien représente en effet par excellence une relation élective basée sur des intérêts communs, supposant une certaine réciprocité entre les individus (Allan, 1979, 2008). Pensée comme une relation libre, fondée avant tout sur le choix des individus, dépendante de la volonté et la qualité de l’échange, ce type de lien offre théoriquement plus de liberté à ses protagonistes que ceux plus institutionnalisés. Bidart (1997) tempère cependant en soulignant que les relations amicale suivent également des régularités sociales perceptibles dans le choix de l’ami, mais aussi dans le contexte de rencontres et d’exercice de l’amitié ou encore par rapport aux liens entre amis et autres relations et cercles sociaux. En outre, un autre aspect à prendre en compte par rapport à la nature élective de ces liens est qu’ils demandent plus d’entretien, plus d’effort en vue de leur maintien.

Cette remarque s’applique plus généralement aux différents liens et à leur potentielle « individualisation ». Elle met en avant une ambivalence forte dans l’articulation entre liberté et vulnérabilité. On peut ici prendre l’exemple des relations de couples : le divorce permet une certaine liberté mais provoque aussi une certaine insécurité. Ceci n’est pas sans poser question au niveau des ressources nécessaires au développement et au maintien des relations dans un contexte promouvant des normes plus individuelles. Si les anciennes institutions perdent de leur force intégratrice et structurante, la distribution des capitaux nécessaires à participer « librement » n’implique-elle pas également de fortes inégalités ?