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Chapitre 3. Progrès et inégalités : présentation des

3.7 Conclusions

Comme nous venons de le voir, la population retraitée de Suisse, et plus particulièrement celle issue des régions de Genève et du Valais central, illustre bien les différentes tendances exposées dans la littérature contemporaine. Notre base de données offre l’avantage rare d’en permettre la mesure et d’en analyser les premières différenciations. Les caractéristiques exposées dans ce chapitre représentent, du point de vue de l’individu, différents capitaux globalement associés à la participation sociale (voir point 1.2.3). D’un point de vue macro, ces évolutions sont pour la plupart perçues comme des « progrès » et associées par les chercheurs à l’augmentation des potentialités de vie et d’interactions sociales. En miroir de cette vision optimiste des conditions du vieillissement, la part de ceux restés en marge de ces avancées, la diversité de la population âgée et les inégalités qui y prennent place ne doivent pas être occultées.

Comme l’expriment Levy et al. (1997) par rapport à la stratification socio-économique sur la société suisse, les évolutions positives des positions peuvent être associées à un « effet d’ascenseur » qui ne va pas nécessairement dans le sens d’une diminution des inégalités mais bien plus de leur persistance. Au-delà, il est légitime de se demander si l’augmentation générale du niveau socio-économique tend à déprécier d’autant plus ceux qui n’en n’ont pas bénéficié en creusant les inégalités, en détériorant la position relative de ceux restés en marge des progrès. Dans le Rapport social suisse, les auteurs soulignent par exemple que ne pas avoir une formation au-delà de l’école obligatoire apparaît désormais comme un handicap plus important qu’auparavant sur le marché du travail ou dans le système social (Bühlmann et al., 2012, p. 28). Face à ces constats, on comprend qu’il est important d’intégrer plus généralement (au-delà de la stratification socio-économique) à notre interprétation des inégalités et différences de participation et leur évolution, cette dimension structurelle des

« capitaux » afin de mettre en perspective le destin de ces groupes jugés comme plus « vulnérables », tant du point de vue de la santé, du capital socio-économique que aussi de leurs ressources relationnelles.

Les ressources présentées ci-dessus doivent en outre être pensées au regard d’axes de stratification sociale exogènes. Par rapport à notre problématique genre, l’aperçu de l’évolution des conditions de vie à la retraite lors des 30 dernières années a démontré que les inégalités et différences entre les sexes n’ont pas disparu, malgré les attentes vers une plus grande égalité qu’apportent les changements intervenus dans la deuxième moitié du 20ème siècle en matière de droits et de mentalités. Si leurs conditions de vie suivent bien le trend global d’une augmentation des ressources sociales et individuelles, les femmes demeurent plus nombreuses dans des positions jugées comme plus vulnérables, notamment au regard des chances de participation sociale. Elles apparaissent toujours en moins bonne santé physique et psychique. Bien qu’elles accèdent de plus en plus à une scolarité post-obligatoire et au marché du travail, leur statut socio-économique reste relativement inférieur à celui des hommes. Entre individualisation et stratification, nous retrouvons ici les implications du statut-maître ou la force persistante de l’attribution de rôles traditionnels malgré la plus grande diversité dans l’accès à différents statuts sociaux.

En outre, la généralisation progressive (à travers son inscription dans la loi en 1985) de l’accès à des pensions de retraite (2ème pilier) implique des inégalités croissantes entre les sexes, les femmes étant plus souvent exclues de ce type de prévoyance et cela malgré leur intégration croissante au marché du travail.

Ici les « progrès » créent de nouvelles inégalités entre hommes et femmes. Au niveau du capital relationnel, la forte proportion de veuves comparée aux veufs est toujours impressionnante. En miroir, les veufs apparaissent quant à eux comme toujours plus isolés au sein du groupe masculin. Il faut toutefois relever qu’au niveau du réseau personnel, les évolutions tendent à favoriser l’accès des femmes à une nouvelle ressource par rapport aux hommes, l’ami intime. Par rapport à cette dernière remarque, et toujours dans la dialectique liant progrès et inégalités, ce sont les femmes n’entretenant pas de tels liens qui apparaissent comme d’autant plus minorisées.

La comparaison des deux régions (voir annexe B pour le détail des chiffres) mène également au constat ambivalent d’une persistance et/ou d’une transformation des inégalités régionales en matière de conditions de vie. Ainsi, comparé à Genève, le Valais reste moins favorisé en termes socio-économiques, bien que les écarts se cristallisent désormais en haut de l’échelle sociale (éducation tertiaire, statut hiérarchique élevé). En matière de capital social, si un certain rattrapage de Genève s’opère au niveau familial vers une moindre solitude, des différences subsistent. En outre, de nouvelles lignes de différenciation émergent, comme le souligne l’augmentation plus marquée du lien d’amitié en région urbaine. Par contre, les inégalités de santé évoluent favorablement en Valais par rapport à Genève, qui apparaît même plus défavorisé en 2011 au regard du niveau de fragilité moyen de la population.

En matière d’évolution des chances de participation et des inégalités de genre, enjeux importants dans ce travail, deux cadres de questionnement et d’interprétation seront ainsi conjointement mobilisés, l’un et l’autre n’étant d’ailleurs par exclusifs mais se nourrissant, comme l’exprime l’approche par les ressources développée au sein du projet VLV. Dans le prolongement de ce chapitre et des résultats présentés, le premier porte donc sur la distribution dans

la population des ressources à disposition des individus ; il renvoie à une possible polarisation des conditions d’existence qui assume que ceux restés en marge des progrès souffrent d’une double marginalisation, liée à leur position relative ainsi qu’à leur minorisation quantitative au sein de la population. Le second fait référence aux changements socio-culturels plus larges que nous avons notamment abordés dans le premier chapitre et renvoie à un processus d’individualisation croissante des sociétés, et donc des modes de participation.

Elle suggèrerait une transformation des forces structurelles vers une moindre stratification de la participation sociale parmi les retraités.

Chapitre 4. Participations sociales : entre