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Chapitre 1. Cadre de la recherche

1.2 Participations sociales et vieillesse : études et enjeux

1.2.3 Facteurs de participations et inégalités sociales

Dans leur analyse documentaire, Emilie Raymond et al. (2008) soulignent que, comme phénomène à la fois individuel et collectif, la participation sociale est influencée par de nombreux facteurs, personnels, sociodémographiques et environnementaux (voir aussi Godbout, Filiatrault, & Plante, 2012). L’image globalement positive de l’évolution de la participation des aînés à différentes composantes de la vie sociale ne doit en effet pas faire oublier la grande diversité qui caractérise ces populations et leurs pratiques, ainsi que les inégalités qui marquent l’accès à la participation. Selon les auteurs, la catégorisation des facteurs d’influence peut varier16. Au-delà de ces différences, il est intéressant de souligner qu’il paraît toujours difficile de classer différents aspects qui sont effectivement des caractéristiques et ressources individuelles mais qui souvent renvoient plus ou moins directement aux statuts sociaux des individus. Nous nous limiterons ici à une première discussion des dimensions d’hétérogénéité qui seront développées dans la suite de ce travail, à savoir les facettes « sociales » de la participation en opposition à une approche plus psychologique.17 Cet aperçu doit en outre permettre de continuer à documenter deux enjeux qui traversent cette thèse : la diversité des participations et l’évolution socio-historique des logiques de participation.

Directement en lien avec la question de la place des individus dans le système de stratification socio-économique, l’impact positif d’un statut supérieur est largement démontré par les travaux empiriques. Parmi les indicateurs fréquemment utilisés, figurent le niveau d’instruction, le revenu et la catégorie socio-professionnelle (Broese van Groenou & Deeg, 2010; Gesthuizen, 2006).

Si un fort consensus se dégage autour de leur effet, il faut toutefois nuancer ces résultats selon le type de participation considéré. Ainsi, dans l’étude néerlandaise comparant participations formelles et informelles, les auteurs montrent que la participation religieuse est impactée positivement par un moindre niveau d’instruction, contrairement à toutes les autres formes (Broese van Groenou & Deeg, 2010).

Dans la suite des facteurs régulièrement cités dans les études sur la participation sociale des personnes âgées, intervient sans surprise l’âge. Si, comme mentionné précédemment et comme nous y reviendrons un peu plus bas, une certaine continuité des pratiques est observée, le « 4ème âge » apparaît toutefois comme marqué par un déclin de la participation sociale et un repli sur la sphère privée (Bickel & Cavalli, 2008). Ces observations peuvent être pensées comme exprimant la conséquence du processus interne du vieillissement et des déficiences engendrées sur l’état de santé physique et psychique, autres facteurs fréquemment relevés dans la littérature sur le sujet.

16 Par exemple, Godbout et al. (2012) parlent de facteurs liés à la personne, à l’environnement, à l’occupation.

17 La suite de ce chapitre est notamment basée sur différents articles portant sur l’étude de la participation (Bickel, 2014; Cutler et al., 2011; Dorfman, 2013; Godbout et al., 2012;

Morrow-Howell, 2010; O’Neill et al., 2011; Raymond et al., 2008).

Elles peuvent cependant aussi renvoyer de manière moins mécanique au processus d’adaptation individuel décrit à travers le modèle de « sélection, optimisation, compensation » développé par les psychologues Baltes et Baltes (1990; voir aussi Baltes, 1997) qui a été rapidement évoqué plus haut. Il conduirait les personnes à revoir leurs attentes et leurs buts en fonction de leurs ressources et possibilités, impliquant une centration des investissements autour des activités et des liens les plus significatifs comme l’explicite notamment la théorie de la sélectivité socio-émotionnelle proposée par Carstensen (Carstensen, Isaacowitz, & Charles, 1999).

Au-delà d’un caractère biologique, l’âge est bien aussi un facteur social comme l’ont souligné les travaux de Riley sur la stratification sociale par âge (Riley, 1971). L’auteure « consider the role of social forces in shaping both aging as an individual, lifelong process and age as a feature of cultural and social system » (Dannefer, Uhlenberg, Foner, & Abeles, 2005, p. 296). Ceci rejoint nos propos sur le rôle de l’âge comme marqueur social d’entrée dans une étape de la vie et sur l’imbrication entre les représentations sociales dominantes du vieillissement et les pratiques et comportements individuels. On peut notamment faire référence à la distinction s’opérant au fil de l’amélioration des conditions du vieillissement entre un 3ème âge et un 4ème âge perçu et reconnu. Au premier, renvoyant à l’image du sénior dynamique chargé d’attentes fortes en matière de participation sociale, s’oppose le second porteur d’une image plus négative de la vieillesse où les pertes et la dépendance croissante invitent au retrait social18. Cette structuration sociale de l’âge doit en outre prendre en compte l’inscription des trajectoires dans leur contexte socio-historique. Cette remarque renvoie à la notion de cohorte qui, jusqu’à un certain point, lie l’âge et le positionnement dans la stratification sociale. En effet, les individus nés à la même époque partagent une histoire spécifique et dès lors des caractéristiques qui peuvent influencer la participation sociale au niveau macro ainsi que les différences entre classes d’âge à une période donnée (Lalive d’Epinay, Bickel, Cavalli, & Spini, 2005; Oris, Roberts, Joye, & Ernst-Stähli, 2016). Cutler et Hendricks (2000) montrent par exemple comment les écarts entre groupes d’âge observés par rapport à l’appartenance associative s’expliquent en grande partie par certains traits partagés au sein des différentes cohortes et différenciés entre elles. C’est une autre manière de discuter les effets compositionnels ou structurels évoqués plus haut quant à la hausse de la participation sociale, en les associant explicitement aux inégalités entre groupes d’âge.

La question de l’impact du sexe sur la participation est également abordée dans la littérature sur les pratiques de participation. Comme nous le développerons dans le prochain point (2.3), les différences entre hommes et femmes ne peuvent être comprises comme naturelles. Le sexe, à l’image de l’âge, est en effet un marqueur social important qui, en outre, impacte ou interagit avec de

18 De manière à la fois similaire et différente mais exemplifiant notre propos, la thèse de Barbara Masotti sur les soins formels à domicile au Tessin montre que pour les acteurs du système socio-sanitaire, à un âge donné, vers 80 ans, la personne âgée a droit à des aides, qu’elle soit en bonne ou mauvaise santé. Le marqueur d’âge chronologique et la représentation de la vieillesse qui y est associée l’emportent sur les réalités de l’âge biologique.

nombreux positionnements eux-aussi susceptibles d’affecter l’accès à différentes formes de participation sociale. Nous nous limiterons ici dans un premier temps à présenter les inégalités relevées dans la littérature.

Globalement, les études montrent que l’engagement associatif est plus présent chez les hommes, à l’inverse des pratiques religieuses qui sont davantage féminines (Bickel, 2014). La question du bénévolat reste controversée, certains travaux indiquant une absence d’effet de genre alors que les recherches qui mettent en évidence des inégalités entre sexes ne sont pas d’accord entre elles sur le sens de ces différences (Raymond et al., 2008; Wilson, 2000). Les activités de participation toujours hors du domicile mais plus informelles sont présentées, quant à elles, comme peu différenciées (Bickel, 2014) alors que les femmes seraient plus investies dans leurs réseaux personnels (Raymond et al., 2008).

Au sein de la liste de facteurs étudiés dans le champ de la participation sociale, compte tenu de notre perspective, nous citerons encore ici les questions liés au réseau d’ego, à son capital social. Moins pris en compte que le statut socio-économique, l’âge ou le sexe, quand il est considéré, c’est le plus souvent à travers l’impact du statut matrimonial. Le fait d’être marié apparaît globalement comme favorable à la participation (Broese van Groenou & Deeg, 2010; O’Neill, Morrow-Howell, & Wilson, 2011). Au-delà de ce constat général, des différences peuvent cependant apparaître selon les formes de participation considérées, comme le montrent Broese van Groenou et Deeg (2010) dans leur étude de la participation formelle et informelle des aînés aux Pays-Bas : être divorcé est positivement associé à la participation culturelle et récréative mais négativement à la participation associative ou religieuse (Broese van Groenou & Deeg, 2010).

Au-delà des associations entre réseau « disponible » (au sens d’existant comme l’existence d’un conjoint), certaines études montrent aussi la complémentarité entre différentes formes de participation. L’importance de la participation religieuse pour l’engagement social plus généralement a été relevée (Suanet et al., 2009; Wilson & Musick, 1997). Bukov, Maas et Lampert (2002), analysant la participation collective, productive et politique des aînés en Allemagne, soulignent quant à eux un principe cumulatif de participation sociale selon une hiérarchie avec en haut de la pyramide l’engagement politique, suivi de la participation productive, puis finalement de la participation collective.

Les résultats dessinent donc un portrait nuancé et démontrent bien la complexité des logiques liées à la participation sociale et ce d’autant plus en tenant compte de ses formes plurielles. Ce constat est particulièrement bien supporté par les (quelques) études portant simultanément sur différents modes de participation. Dans ce cadre, les différents travaux effectués sur la base des deux enquêtes suisses de 1979 et 1994 indiquent également que les profils en termes de genre, mais aussi de région (Genève vs. Valais) et de statut socio-économique, peuvent varier selon les types d’activité (Bickel & Lalive d’Epinay, 2001a, 2001b; Bickel et al., 2005).

Dans la même perspective, il faut également relever que l'analyse de modes de participation plus privés tend également à nuancer le portrait des participants.

Wilson et Musick (1997) montrent par exemple que si le capital socio-économique est un facteur influençant positivement le bénévolat organisé, il ne

l’est pas dans le cadre du bénévolat informel (ou de l’aide aux proches). Forsé (1999) montre quant à lui une sociabilité plus développée dans les catégories supérieures, sauf concernant les relations au sein de la parenté.

Au-delà de la question des facteurs et des profils variés qui peuvent être associés à différentes formes de participation, se pose également celle de l’évolution des logiques et des inégalités. Peut-on, exemple signifiant pour nous, supposer une baisse des différences de genre sous l’effet des transformations socio-culturelles qui se sont opérées au cours des dernières décennies et qui auraient marqué les cohortes de retraités, en particulier les plus jeunes ? Globalement, peu d’évidences ont été apportées au regard des profils de participants. Parmi de rares études, les analyses menées aux Pays-Bas montrent notamment un recul des inégalités de sexe en matière de participation bénévole et une augmentation quant à la participation religieuse (Broese van Groenou & Deeg, 2010). Mais la plupart des résultats disponibles quant à une évolution des facteurs influençant la participation montrent surtout un maintien des logiques anciennes (Broese van Groenou & Deeg, 2010; Suanet et al., 2009). Nous devons toutefois préciser que seuls 10 ans (de 1992 à 2002) séparent les deux enquêtes analysées par les chercheurs néerlandais. En Suisse, Bickel et collègues (Bickel & Lalive d’Epinay, 2001b; Bickel et al., 2005), s’interrogeant plus particulièrement sur une démocratisation de différents types de loisirs ou de l’appartenance à des associations volontaires en comparant deux cohortes de retraités (65-74 ans), observent une baisse de l’impact négatif d’être une femme sur les pratiques de sociabilité communautaire entre 1979 et 1994. Ces derniers résultats confirment l’importance de considérer les enjeux de genre dans l’analyse de la participation sociale et de ses évolutions.

Avant de passer au point suivant, deux remarques s’imposent encore.

Premièrement, à un niveau plus macro, les études internationales soulignent la dimension culturelle de la participation sociale. Erlinghagen et Hank (2006) montrent par exemple que les populations d’Europe du nord participent dans une plus grande mesure à des activités bénévoles que celles du sud, différences que les écarts structurels (en termes d’éducation, de santé, d’âge…) n’expliquent qu’insuffisamment. A une échelle plus locale, Lalive d’Epinay et al.

(2000) ont également mis en évidence les particularités régionales, avec des variations entre Genève et le Valais notamment au regard de la vie familiale mais aussi religieuse et culturelle. Deuxièmement, et bien que ce dernier aspect dépasse l’objet des analyses menées dans ce travail, il paraît toutefois important de préciser notre propos général au regard de l’approche longitudinale. Comme mentionné dans le point précédent, diverses études montrent globalement une forte continuité dans les trajectoires individuelles : les expériences passées sont donc un facteur important pour comprendre la participation au moment de l’enquête. Les conclusions quant à l’impact de certaines variables statutaires restent cependant tout à fait pertinentes. Par exemple, Bukov et al. (2002), étudiant l’évolution des pratiques à 4 ans d’intervalle, observent ainsi que les ressources socio-économiques sont globalement associées positivement à l’intensité de la participation, les changements de pratique étant quant à eux plus explicables par l’âge et la santé. Les auteurs soulignent bien ici l’imbrication entre inégalités sociales et aspects plus individualisés de la participation. Le

prochain point va compléter ce tableau en développant une question récurrente en gérontologie : les liens entre participation sociale et bien-être.