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B - Des leviers d’action à renforcer

Si la principale faiblesse de la France réside dans le niveau d’investissement privé dans la recherche, lui-même lié au phénomène de désindustrialisation que connaît l’économie nationale depuis une quinzaine d’années, la recherche publique n'en a pas moins un rôle majeur à jouer dans l’innovation et dans la création de valeur économique. Plusieurs actions ont été mises en place dans ce sens, mais leur application est encore lacunaire et leur champ n'est pas suffisamment large.

1 - Promouvoir une culture de l’intelligence économique dans les établissements de recherche

Le financement public d’une recherche fondamentale de qualité doit permettre de répondre à des enjeux de long terme. Il ne doit donc pas ignorer l’enjeu du maintien du tissu industriel et de la commercialisation des produits innovants sur le territoire.

L’État s’est doté, en mars 2012, d’un « guide de l’intelligence économique pour la recherche », qui présente les actions fondamentales à mettre en place par les opérateurs de recherche pour se doter d’une politique d’intelligence économique. Il leur fournit, à travers cinq fiches, une soixantaine de recommandations très concrètes concernant la veille stratégique, la gestion du patrimoine immatériel, la sécurité des systèmes d’information, le développement de l’interface entre la recherche publique et le monde socio-économique et la politique internationale.

La prise en compte de ces enjeux est aujourd’hui très inégale chez les opérateurs de recherche.

Certains opérateurs spécialisés, comme le CNES ou le CEA, ont une organisation historiquement tournée vers les filières industrielles.

Plusieurs autres opérateurs ont entrepris récemment des démarches en vue d'accroître l’efficacité du transfert des résultats de leurs recherches vers le monde socio-économique.

Exemple d'une étude du CNES

Une étude, menée par le CNES en amont du financement d'un projet par le programme des investissements d’avenir, mérite d’être citée en exemple. Elle identifie précisément :

- les applications commercialement pertinentes du projet ; - le marché cible correspondant ;

- les acteurs français qui auraient de vrais avantages compétitifs sur certaines applications et pourraient être de bons supports à un développement commercial efficace ;

- enfin, les leviers qui peuvent être appliqués par le CNES ou l'État pour maximiser les chances des filières françaises de capturer la valeur identifiée.

Le programme des investissements d’avenir, dont l’objectif est d’avoir un impact positif sur la croissance nationale, prévoit de mesurer les retours socio-économiques des projets financés. Il doit être l’occasion pour l’ensemble des acteurs de prendre conscience de ces enjeux et de développer des méthodologies adéquates.

2 - Accroître la sensibilisation et la formation des chercheurs à la valorisation

Un des axes de développement de la valorisation et du transfert des résultats de la recherche publique dans l’économie est d’améliorer la sensibilisation et la formation des chercheurs.

Plusieurs dispositions sont mises en œuvre par les opérateurs de recherche : organisation de formations au niveau national ou directement dans les laboratoires, mise en place de correspondants au niveau de l’opérateur ou d’une filiale spécialisée. Cependant, l'évaluation des chercheurs et enseignants-chercheurs ne prend pas suffisamment en compte les activités de valorisation et de transfert.

Depuis 2011, un critère spécifique portant sur l’activité de valorisation a été ajouté aux critères d’attribution de la prime d’excellence scientifique des chercheurs et enseignants-chercheurs, principale prime attribuée sur des critères scientifiques.

3 - Appliquer et étendre le champ des dispositifs de la loi de 2006 visant à favoriser le transfert aux PME

La Cour avait souligné, dans son rapport public annuel de 2011, que l’ANR ne mettait pas en œuvre le dispositif spécifique de valorisation des résultats des recherches publiques qu’elle subventionne, tel qu’il est prévu par l’article L. 329-7 du code de la recherche. Ce dispositif, qui s'inspirait du Bayh Dole Act américain106, en réservant de façon prioritaire la valorisation des projets soutenus par l'ANR à des PME communautaires, n'était en effet tout simplement pas appliqué : il ne figurait pas dans les conventions d'aide de l'agence. Cette disposition avait été perdue de vue, alors même qu'il s'agissait d'un des rares articles de loi applicable à l’ANR.

Ce n’est qu’en décembre 2012 que le conseil d’administration de l’ANR a adopté des mesures visant à rendre opérationnelle cette disposition législative, à travers son introduction dans les conventions d’aide. L’ANR ne souhaite néanmoins pas rendre le suivi de sa mise en œuvre systématique.

C'est pourtant au travers de tels dispositifs que les retombées économiques de la recherche publique pourront être renforcées sur le territoire national. De tels dispositifs pourraient trouver à s'appliquer dans un cadre plus large que celui des aides de l'ANR. Ils auraient pu être retenus dans le cadre des investissements d'avenir ou encore de l'activité de valorisation des organismes et des universités.

D'une manière générale, le rôle des opérateurs publics en matière de transfert vers l'économie mérite d'être affirmé.

__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS _________

Les bons résultats de la recherche en matière de publications et les distinctions internationales accordées à des chercheurs français sont une mesure essentielle de leur performance. Il ne fait pas de doute que la recherche, instrument du progrès de la connaissance et outil de formation

106 Le Bayh-Dole Act est une loi votée en 1980 par le Congrès des États-Unis, avec pour objectif d’ancrer la propriété intellectuelle et la création de valeur et d’emplois sur le sol américain. Elle permet aux universités et organismes de recherche à but non lucratif bénéficiant de fonds publics de breveter leurs inventions sans avoir à demander l’aval de l’agence fédérale qui les a financées. Les détenteurs de brevets doivent, en échange, favoriser le transfert de leurs technologies par des licences exclusives bénéficiant préférentiellement à des PME américaines.

universitaire irremplaçable, a une valeur en soi et suscite des retombées économiques diffuses et mal mesurées à ces deux titres.

La politique de recherche s'efforce par ailleurs de développer des instruments visant à stimuler une circulation fluide entre le monde de la recherche et celui de l'entreprise, à assurer un continuum de l'amont vers l'aval et à faciliter la transformation des découvertes de la science en innovations sur le marché.

Or, il existe des signes d'une difficulté particulière à cet égard : étanchéité relative des circuits de financement de la recherche publique et de la recherche en entreprise ; difficulté de mise en œuvre des instruments du Programme des investissements d'avenir visant à associer financements publics et privés dans des dispositifs partenariaux de type IRT ou Instituts Carnot ; baisse des performances françaises dans la participation aux programmes européens, accentuée sans doute par le déplacement vers l'aval du centre de gravité du programme-cadre ; circulations de carrière des chercheurs vers l'entreprise qui demeurent l'exception. En outre, les performances des chercheurs en matière de valorisation ne sont, dans les faits, pas suffisamment prises en compte dans leur évaluation.

Le positionnement de la France en matière de compétitivité ajoute à ces signaux des constats plus explicites qui vont malheureusement dans le même sens. Il y a derrière cette situation des causes plus profondes : une performance de la France bonne en recherche, moins bonne en innovation. La France a davantage tendance à exporter ses technologies qu'à en développer les usages sur son territoire au profit de son industrie.

Il y a plus largement des problèmes de compétitivité globale, et, au premier chef, la faiblesse des marges bénéficiaires des entreprises françaises par rapport à leurs concurrents, comme l’avait déjà souligné la Cour dans son rapport sur les prélèvements fiscaux et sociaux France-Allemagne107.

Les dispositifs publics autres que le crédit d’impôt recherche (CIR) qui visent à soutenir la recherche et l'innovation des entreprises, le recours de celles-ci à la recherche publique, la valorisation et le transfert des résultats de la recherche sont foisonnants, pour certains redondants, et appellent de toute évidence un effort de simplification.

107 Cour des comptes, Rapport public thématique : Les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne. La Documentation française, Mars 2011. p. 27 à 30, disponible sur www.ccomptes.fr

Les organismes publics et les universités devraient dans ce contexte développer une plus grande conscience des enjeux économiques de la recherche et mieux s'approprier la culture de l'intelligence économique.

Il faudra également veiller à ce que les nouveaux opérateurs de transfert de technologies créés dans le cadre du programme des investissements d’avenir (PIA), les sociétés d’accélération du transfert de technologie (SATT), n'affaiblissent pas les opérateurs publics existants dans ce domaine.

Enfin, la valorisation des résultats des recherches publiques sur le territoire national doit être encouragée.

En conséquence, la Cour formule les recommandations suivantes : 17. simplifier les aides financières en faveur de la recherche des

entreprises ou destinées à soutenir les actions partenariales, de valorisation ou de transfert des opérateurs publics ;

18. mieux prendre en compte la valorisation, ainsi que la participation aux programmes communautaires, dans les évaluations des chercheurs et des unités de recherche ;

19. renforcer la part accordée au transfert et au développement technologique dans les indicateurs de performance de la politique de la recherche ;

20. étendre et appliquer les mécanismes favorisant le transfert de la recherche soutenue par l'État au profit des PME communautaires.