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A - L'absence d'outils de pilotage des crédits des unités mixtes de recherche

Le modèle privilégié de coopération entre les différents acteurs de recherche publique est l'unité mixte de recherche (UMR). Ces unités représentent aujourd'hui une part importante du potentiel de recherche et incluent la quasi-totalité des laboratoires les plus prestigieux.

Cette organisation particulière, si elle paraît féconde pour la structuration de la recherche, n'est pas sans poser des difficultés de gestion identifiées depuis de nombreuses années. Le résultat des différentes initiatives lancées depuis 2008 pour en améliorer la gestion est aujourd'hui décevant et pose la question de la pertinence des orientations retenues.

1 - La généralisation du modèle de l'unité mixte de recherche Au cours des dernières années, les structures de recherche ont connu un mouvement de regroupement fondé sur différents objectifs parmi lesquels l'amélioration de la visibilité internationale, la diversification des compétences scientifiques et la mutualisation des moyens supports. Ainsi, au sein des établissements étudiés, le nombre de laboratoires de recherche n'a cessé de diminuer, par regroupements successifs, au fur et à mesure du renouvellement des unités lors de la définition des contrats quadriennaux. En revanche, le nombre moyen de tutelles des nouvelles unités a augmenté.

Ainsi à l'université Pierre et Marie Curie, le nombre d'unités qui était de 154 pour le contrat 2004-2008 est descendu à 106 pour le contrat 2009-2012, avec une moyenne de trois tutelles par unité. L'université précise par ailleurs que le nombre de tutelles peut aller jusqu'à cinq pour le contrat 2009-2012. À Paris-Sud, la part des unités mixtes, qui était de 36 %, est passée à plus de 60 % sur le contrat quadriennal 2006-2009 et à 75 % depuis le nouveau contrat 2010-2014. En 2012, l'université compte 81 unités mixtes sur 107 unités, soit 75 %. 59 d'entre elles ont deux tutelles, 17 trois tutelles et 5 quatre tutelles.

Le tableau ci-dessous illustre le phénomène de regroupement des unités de recherche du CNRS depuis 2000 et l'augmentation du nombre moyen de tutelles.

Tableau n° 21 : unités de recherche du CNRS

Source : Centre national de la recherche scientifique

L'institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) a développé un autre mode de coopération avec les universités sous la forme d' « équipes-projets »71, créées pour quatre ans renouvelables après évaluation, et regroupant autour d’un responsable scientifique un groupe de chercheurs et d’ingénieurs qui travaillent sur un

71 Ces équipes-projets ne sont pas des unités mixtes de recherche, même si elles peuvent accueillir des chercheurs d’autres établissements. Inversement ces équipes sont parfois hébergées dans un laboratoire commun ou encore chez un partenaire (grande école, université, autre organisme de recherche, centre hospitalier universitaire).

CNRS 2000 2006 2012

Nb d'unités de recherche 1307 1188 1029

Part des unités mixtes 88% 93% 95%

Nb de tutelles des unités mixtes 2,3 2,5 2,8

même programme de recherche et qui peuvent être employés dans différentes structures : organismes de recherche comme l’INRIA ou le CNRS, universités ou écoles. Les collaborations se font sur la base d’une convention qui peut prévoir, notamment, des moyens et la copropriété des résultats au prorata des moyens affectés.

En Allemagne, la recherche est également organisée au sein d'organismes de recherche et d'universités. Le modèle des unités mixtes de recherche (UMR) n'existe pas, chaque établissement n'ayant que des laboratoires en propre et les seuls partenariats entre équipes pouvant être organisés sur des projets de recherche. Pour renforcer les liens entre équipes universitaires et équipes d'organismes de recherche, une expérimentation va y être lancée sur le modèle des unités mixtes.

2 - Les difficultés de gestion importantes, que la délégation globale de gestion n'a pas résolues

Comme la Cour l’a souligné depuis 200572, l’appartenance des laboratoires à plusieurs tutelles entraîne une complexité de leur gestion administrative.

Selon le statut des personnels ou l'origine des crédits, les modalités de gestion entre établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) et universités diffèrent, comme par exemple les règles concernant le recrutement des personnels contractuels, l'exonération de la TVA pour les achats scientifiques, les frais de mission ou les procédures d'achats.

L'appartenance à différentes tutelles implique une multiplication des actes de gestion administrative en raison de l’absence de coordination des différents processus gérés par les différentes tutelles : procédures budgétaires, notification des crédits attribués, rapports et comptes rendus d’activités par exemple. L’utilisation de systèmes de gestion financière distincts73 selon l'origine des crédits supposerait que les personnels administratifs soient familiarisés avec le fonctionnement de chacun. Les coûts d’hébergement des équipes de recherche ne sont pas identifiés dans l’allocation des moyens de l’établissement hébergeur.

72 Cour des comptes, Rapport public particulier : La gestion de la recherche dans les universités. Octobre 2005 (p. 157 à 162).

73 Majoritairement SIFAC pour les universités, SAFIR pour l'INSERM, X-LAB pour le CNRS par exemple.

Cette complexité de gestion conduit également à des doublons au niveau territorial entre les délégations régionales des EPST (CNRS et INSERM) et les services de gestion des universités.

Enfin, en termes de valorisation de la recherche, la copropriété des brevets issus des travaux d’une unité mixte complique et peut même compromettre, par trop de lourdeur et de lenteur, le succès des négociations de licence. L'absence d'un interlocuteur unique ne facilite pas les relations avec les industriels.

Ces difficultés de gestion ont été dénoncées depuis de nombreuses années. Le rapport des états généraux de la recherche proposait déjà en 2004 de confier la gestion à une seule tutelle. Plusieurs chantiers ont été engagés dans ce sens par le ministère chargé de la recherche, portant sur la notion de mandataire unique pour la valorisation, le développement de la délégation globale de gestion et la définition de procédures communes.

Le décret du 10 juin 2009, relatif à la gestion, entre personnes publiques, de la propriété industrielle des résultats issus de travaux de recherche réalisés par des fonctionnaires ou des agents publics, a instauré le principe du mandataire unique74. Sur le fondement de cette nouvelle réglementation, des conventions de partenariat ont été établies entre EPST et universités pour simplifier la valorisation des travaux issus de leurs unités communes. Cependant, malgré cette simplification, la valorisation des travaux des unités mixtes reste encore complexe du fait de la multipropriété intellectuelle.

La délégation globale de gestion (DGG) repose sur le principe que le mandataire est chargé de l'intégralité de la gestion administrative, c'est-à-dire des moyens matériels, financiers et humains à l'exception de la gestion des personnels titulaires des autres établissements. Plusieurs expériences de délégation globale de gestion entre EPST et universités ont été lancées. Cinq ans après, le résultat est cependant particulièrement décevant.

Le faible développement de la délégation globale de gestion À l’université Paris-Sud, seules huit unités de recherche sont en délégation globale de gestion (7 % des unités de recherche de l'université), quatre en gestion par le CNRS et quatre en gestion par l'université.

74 Une seule personne publique, par défaut celle qui héberge l’unité de recherche, est chargée de la protection et de l’exploitation des inventions.

À l'université Pierre et Marie Curie, 16 unités sont en délégation globale de gestion (15 %), dix sont gérées par l'université, cinq par le CNRS et une par l'INSERM.

Au CNRS, 54 UMR sont en délégation globale de gestion (soit 5 % seulement des unités du CNRS) : 27 gérées par l'université et 27 par le CNRS. Le CNRS s'est engagé, dans son plan d'action 2012-2015, à proposer aux établissements un plan de déploiement de la délégation globale de gestion reposant sur plusieurs critères dont notamment une délégation assurée par le CNRS quand la masse salariale qu'il finance est supérieure à 70 % et une délégation globale de gestion assurée par l'université quand elle est inférieure à 30 %. Entre 30 et 70 % la répartition n'est pas automatique. Le nombre d'unités en délégation globale de gestion de l'INSERM a triplé entre 2010 et 2011, passant de 10 à 29 (10 % des unités). L'objectif pour l'INSERM, comme pour l'IRD, est d'atteindre 25 % d'unités en délégation globale de gestion (soit environ 70 unités INSERM).

L’INRA a mis en place une délégation globale de gestion avec l’université d’Aix-Marseille II.

Le principe de la délégation de gestion à l'organisme hébergeur de l'unité mixte, qui est dans l'essentiel des cas l'université, nécessite que celle-ci prenne la responsabilité de la gestion administrative des unités de recherche.

Or les moyens humains des universités consacrés à la gestion administrative des laboratoires sont bien moins importants que ceux des EPST ou des EPIC. De plus, sur la même période, les universités ont été mobilisées par le passage aux responsabilités et compétences élargies qui imposaient la prise de nouvelles responsabilités dans la gestion des ressources humaines, budgétaires et financières. En l'absence de redéploiement de moyens de gestion, la délégation globale de gestion a peu prospéré alors qu’elle était un mode de simplification de la gestion des unités mixtes et qu’elle aurait permis d’asseoir le rôle d’opérateur de recherche des universités.

D'autres formes de partenariat se sont développées, comme les plates-formes mutualisées de gestion, qui bénéficient de personnels administratifs des différentes tutelles pour la gestion des unités communes. Si le retour d'expérience de l'INSERM avec l'université Paris- Diderot est aujourd'hui positif, celui du CNRS avec l'université de Strasbourg l’est moins, le CNRS mettant en avant les difficultés de l'université à tenir ses engagements de mise à disposition de personnels.

L'INRA est également impliqué dans un projet de plate-forme mutualisée de gestion avec deux écoles de l’enseignement supérieur agronomique

« Agro campus ouest » et « Montpellier sup agro » sur les sites d’Angers,

Montpellier et Rennes. Enfin, l’INRIA a développé un autre mode de coopération sous la forme d’équipes-projets gérées dans le cadre de conventions entre partenaires.

Quelle que soit la solution retenue, le point essentiel est de mettre en place, pour les unités mixtes, une unicité de gestion budgétaire et comptable ainsi que des procédures harmonisées.

3 - Une absence de vision consolidée des moyens obérant les capacités de pilotage

Jusqu'à une période très récente, aucun des établissements n'avait de vision des moyens attribués aux unités par leurs autres tutelles, ni des contrats de recherche obtenus, en dehors de ceux qu'il gérait lui-même.

Aujourd'hui encore, la connaissance des moyens humains et financiers des unités reste le plus souvent lacunaire et, en l'absence d'interface entre les systèmes de gestion des tutelles, passe simplement par une interrogation des différents partenaires75.

Depuis 2004, les conditions de gestion des unités mixtes de recherche se sont peu améliorées. L'absence de vision des ressources globales des unités, connues uniquement des directeurs d'unités, entretient une forme d'opacité vis-à-vis des tutelles, que la Cour avait fortement critiquée dans son rapport public annuel de 2011 du point de vue du pilotage et de l'efficacité de l'allocation des moyens76.

La situation est cependant en train de changer. La convention de partenariat conclue en mars 2011 entre la conférence des présidents d'université (CPU), le CNRS et l'Agence de mutualisation des universités et établissements (AMUE) fixe un certain nombre d'objectifs et instaure différents cadres de discussions entre universités et organismes pour les mettre en œuvre.

75 L'université Pierre et Marie Curie dispose d’une base de données de ses laboratoires qui contient les informations sur les crédits alloués et les ressources humaines fournies par ses services centraux ainsi que les mêmes informations provenant des organismes et des contrats propres. Au sein de l’université Paris-Sud, aucune procédure de coordination et d’information entre les tutelles des unités mixtes n’a été mise en place pour l’allocation des moyens aux unités de recherche. Les procédures de coordination les plus avancées concernent la gestion des unités communes avec le CNRS.

76 Cour des comptes, Rapport public annuel 2011, Deuxième partie, Le CNRS dans le nouveau paysage de la recherche, p. 121 à 151. La Documentation française, Février 2011, 414 p. et disponible sur www.ccomptes.fr.

Plusieurs initiatives ont été lancées pour améliorer la gestion financière des unités mixtes de recherche : travail sur l’harmonisation budgétaire et comptable, expérimentation de processus budgétaires partagés entre le CNRS, l’INSERM et plusieurs universités, développement d’interfaces entre systèmes d’information77. Néanmoins, ces initiatives ne progressent que lentement, les différents partenaires se renvoyant mutuellement la responsabilité du retard.

Or, tant que les opérateurs ne disposeront pas d’une connaissance des moyens de leurs laboratoires et d’une procédure budgétaire impliquant l'ensemble des partenaires de l'unité, le système de financement ne pourra pas être efficace du point de vue de la puissance publique.

Il revient au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche de faire du règlement de cette question une priorité.