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Introduction de la première partie

CHAPITRE 3 : Les usages du manuel numérique au primaire et au secondaire

1. L’intégration et l’appropriation

1.1 L’intégration des TICE

1.3.2. Les théories de l’innovation

1.3.2. Les théories de l’innovation

1.3.2.1 La théorie de l’innovation sociale de Schumpeter

J. Schumpeter (1883-1950) est le « père fondateur » de l’économie de l’innovation. Il distingue l’invention (création d’un objet) de l’innovation (passage de l’invention sur le marché). La théorie du développement économique (1911, 1939, 1942) qu’il développe offre une place prépondérante à l’innovation. Sa théorie repose sur trois fondements : les grappes d’innovation, la destruction créatrice et le rôle de l’entrepreneur.

Une grappe d’innovations est l’apparition de plusieurs innovations dans une période

courte. Elle survient généralement lors d’une dépression et permet à l’économie de redémarrer. Un cycle économique est constitué de deux phases : une phase d’expansion débutant à partir d’une grappe d’innovations puis une phase de récession où vont germer les inventions permettant ensuite la relance de l’économie. Selon la théorie Schumpétérienne, les cycles ont une durée de 50 à 60 années. Exposant la dynamique économique de l’innovation de J. Schumpeter, les auteurs T. Loilier et A. Tellier267 signalent que ces inventions et innovations qui en découlent sont perturbatrices.

264

Cros, F. (1997). L’innovation en éducation et en formation. Revue Française de Pédagogie, n°118, janvier-février-mars 1997, 127-256, p. 128.

265 Idem, p. 136.

266 Schumpeter, J. (1939). Les cycles des affaires (Business Cycles: a Theoretical, Historical and Statistical

Analysis of the Capitalist Process).

267

Loilier T., Tellier A. (2013). Gestion de l'innovation: Comprendre le processus d'innovation pour le piloter, Éditions EMS.

122 Lors de la récession, les marchés sont saturés et les grandes innovations ont été exploitées. Pour survivre face à la concurrence, les entreprises doivent innover. Des entreprises se créent pendant que d’autres disparaissent. Il s’agit de la destruction créatrice. N. Alter268 indique que dans les entreprises, l’innovation « détruit les formes sociales établies et avant

de parvenir à les détruire, les bouscule et les transgresse. C’est bien cette violence singulière qui permet l’émergence de nouvelles formes sociales, la créativité » en la matière. La destruction créatrice est ainsi, bien plus qu’une destruction, suivie d’une création. Elle représente l’articulation sociale et économique nécessaire au mouvement de l’innovation, laquelle n’est pas une histoire et une seule, celle d’une technologie ou d’une méthode de gestion, mais un enchevêtrement de circonstances, dans lequel le risque et la déviance deviennent une situation courante. ». Pour J. Schumpeter, les crises sont difficiles mais sont

nécessaires au progrès économique.

Dans ce processus d’innovation, J. Schumpeter donne un rôle déterminant à

l’entrepreneur. Celui-ci doit être hors du commun, aventurier, dynamique, ne pas avoir peur

du risque et avoir du charisme pour convaincre (salariés, clients, investisseurs, etc.). Il est le moteur du processus d’innovation.

Néanmoins, J. Schumpeter remettra en question, à la fin de sa vie, la nature même de l’innovation, le passage de l’invention à l’innovation et le rôle de l’entrepreneur. Sans être toutefois convaincu, il donnera « l’art » comme explication à ces questions. Le texte

Entwicklung Development montre, selon C. Deblock, que J. Schumpeter « se trouvait devant une impasse théorique et qu’il cherchait à résoudre un problème fondamental, celui des origines mêmes de l’innovation. 269»

1.3.2.2 La théorie de l’innovation sociale d’Alter

Se basant sur la théorie de Schumpeter et plus particulièrement sur le déroulement des cycles d’innovation, le sociologue N. Alter élabore une théorie basée sur l’idée que le mouvement caractérise les situations de travail.

Rejoignant la théorie de J. Schumpeter, N. Alter associe l’innovation à l’idée de progrès, de vie, de créativité et d’entrain. Elle s’oppose selon lui à la routine. Toutefois, elle peut être

268 Alter, N. (2000). L’invention ordinaire, Paris, PUF, p.173.

269

Deblock, C. (2012). Présentation du dossier : Innovation et développement chez Schumpeter, Revue

123 négative, douloureuse ou catastrophique. On parle ainsi de « destruction de structures sociales », de changement ou encore de « dégâts du progrès ». Reprenant l’idée centrale de « destruction créatrice » de J. Schumpeter (1942), N. Alter explique que « l’innovation repose

sur le développement simultané des forces de destruction et de création. […] Elle détruit les règles sociales dont la stabilité donne sens aux pratiques, assure la socialisation et l’accès à l’identité. Mais ces règles sont également source de routinisation, d’incapacité à agir, d’impuissance devant le besoin de donner vie à des alternatives, à de nouveaux acteurs, ou de nouveaux horizons. L’innovation représente alors une création : elle ouvre et enrichit les modes de sociabilité, elle défait des positions acquises pour laisser place à de nouveaux acteurs, elle donne un autre sens au monde270 ». Selon l’auteur, la destruction et la création œuvrent constamment et simultanément dans de nombreuses entreprises. L’innovation est alors un mouvement permanent mais ni rationnel, ni pacifique. Cependant, à la différence de l’invention qui peut être située dans le temps, l’innovation est un processus en mouvement commençant à un moment imprécis et qui n’a pas réellement de fin.

L’innovation étant une activité collective, c’est donc l’ensemble du groupe social qui va s’approprier progressivement la nouveauté, lui donner du sens (par la critique et par la déviance) et l’introduire dans leurs pratiques. Les croyances des individus vont les pousser à s’engager et à employer cette nouveauté. Se référant à la théorie de N. Alter, les auteurs J. L. Metzger et C. Delalonde soulignent « qu’une invention n’est le support d’innovations

sociales qu’à certaines conditions, notamment que des acteurs puissent adopter des comportements « déviants » et développer des pratiques non prévues271». Ce travail d’innovation sociale nécessite un réseau.

Le processus d’innovation passe selon N. Alter272 par trois phases :

l’incitation à l’innovation qui émane de la direction. Pendant cette phase, les

futurs innovateurs résistent au changement puisqu’ils ne voient pas les avantages et pensent que cela va modifier à leur désavantage l’ordre établi. Les raisons données par les acteurs réfractaires manquent souvent de rationalité et de sens. Une mésentente peut surgir sur leurs attentes.

l’appropriation par les innovateurs. La direction laisse les innovateurs découvrir

les avantages de l’innovation et la déformer en suivant leurs propres

270 Alter, N. (2000). Op. cit., p.1.

271 Metzger, J.L., Delalonde, C. (2005). Innovation pédagogique et collectifs dans la formation en ligne en France et aux Etats-Unis. In : Communication et langages, n°144, 2ème trimestre 2005. Dossier : Les collectifs d’apprentissage à l’épreuve du changement. pp.25-36, p.25.

124 conceptions. A l’inverse, les légalistes (les conservateurs porteurs de la logique de la règle) résistent et introduisent du désordre dans l’organisation.

l’institutionnalisation (routinisation). Elle se concrétise par la généralisation de

la pratique et son absorption par le système. La direction reprend le contrôle de l’innovation et définie de nouvelles règles avec les légalistes pour assurer un équilibre entre les deux parties. Ceci réduit l’autonomie des innovateurs qui deviennent à leur tour des résistants.

Cependant, l’auteur souligne que « l’innovation ne permet en effet ni l’existence d’un ordre

stable, ni celle d’une transformation linéaire, ni celle d’un processus de transformation contrôlé. 273 » Les acteurs de l’entreprise sont dans l’incapacité de contrôler ce tumulte qui peut aboutir à des échecs, des situations absurdes, des réussites ou encore des découvertes.

1.3.3.3 La théorie de la diffusion de l’innovation de Rogers

Dans les années 1960, le sociologue et statisticien E. Rogers a développé la théorie de la diffusion de l’innovation. Il tente d’expliquer comment, pourquoi et à quel rythme les nouvelles idées se propagent sur un marché. L’auteur soutient que la diffusion est le processus par lequel l’innovation est communiquée entre les adoptants.

E. Rogers274 modélise le processus d’innovation par une courbe de diffusion divisée en sections d’adopteurs.

Schéma 9 : Courbe de diffusion de l’innovation - Rogers (1962)

273 Alter, N. (2010). L’innovation ordinaire. Paris, PUF, « Quadrige », p.2

125 Il distingue ainsi :

les innovateurs. Ouverts aux nouvelles idées, ils présentent l'innovation à l'intérieur

de leur système social.

les premiers adoptants adoptent l'innovation, informent les autres membres du

système et donnent leurs avis.

la première majorité (majorité précoce) représente le tiers des membres du

système. Ils adoptent l'innovation avant la moyenne du système social, lorsque les avantages et les inconvénients sont démontrés.

la majorité tardive représente un autre tiers des membres du système. Ils adoptent

l'innovation après la moyenne du système social et généralement sous la pression d'une nécessité économique.

les retardataires suspectent l'innovation et résistent. Ils veulent être certains de la

réussite de l'innovation avant de l'adopter. Il n'est pas rare qu'ils refusent l'innovation. La courbe de diffusion montre les cinq catégories d’adopteurs que l’innovation doit convaincre pour être diffusée dans la société. A noter que le passage d’une catégorie à une autre n’est pas automatique. La diffusion de l’innovation se manifeste différemment en fonction de l’adopteur et du processus de décision de l’innovation. Rogers décèle cinq phases d'adoption d'une innovation :

la connaissance. L'utilisateur découvre l'innovation, l'explore et demande

quelques modalités de fonctionnement.

la persuasion. Des individus présentent les avantages de l'innovation.

L'utilisateur s'intéresse à cette dernière, cherche activement des informations et réfléchi à la manière de l'introduire dans sa pratique.

la décisionnel. L’individu pèse les avantages et les inconvénients de l’innovation

et décide de l’adopter ou de la rejeter.

l'implantation. L’utilisateur emploie l’innovation, détermine son utilité et peut

chercher des informations sur l’objet.

la confirmation. L’individu finalise sa décision sur l’usage de l’innovation.

Cependant, le succès de la diffusion de l’innovation dépend également des qualités de celle-ci. Des facteurs endogènes à l’innovation peuvent expliquer la variation de l’adoption du produit comme son avantage par rapport aux autres produits, sa compatibilité (avec les valeurs du groupe d'appartenance), son niveau de simplicité d’utilisation (celui-ci peut être un catalyseur à sa diffusion ou un frein), la possibilité de la tester et la visibilité de ses résultats.

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