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Les pratiques liturgiques mises en place par Angilbert

Angilbert, le saint reconstructeur de l’abbaye

C. Les pratiques liturgiques mises en place par Angilbert

Comme nous l’avons dit plus haut, Hariulf a recopié intégralement le De perfectione Centulensis ecclesiae d’Angilbert dans les chapitres VIII à X du livre II de sa chronique. Dans le chapitre VIII, il est question des différentes cérémonies de consécration46, en 798-799, des trente autels47 présents dans la nouvelle abbaye ainsi que des reliques qu’ils contenaient48. Parmi les évêques consécrateurs, on note la présence de l’évêque Georges d’Amiens puis, lors d’une autre cérémonie de consécration, celle de son successeur Jessé49. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est la première (et l’une des rares) fois que l’évêque d’Amiens est mentionné dans la chronique d’Hariulf. Dans le chapitre IX, on trouve une énumération, sous la forme d’une typologie, des nombreuses reliques rassemblées à l’abbaye de Saint-Riquier par Angilbert (reliques du Christ, de la Vierge Marie, des apôtres et des évangélistes, des martyrs, des confesseurs et des vierges50) ainsi qu’une description des châsses qui les renfermaient51. Enfin, dans le chapitre X, il y a une nouvelle énumération, cette fois-ci des

45 Le dogme de la Trinité avait d’autant plus d’importance aux yeux de Charlemagne et de ses conseillers qu’il fut remis en cause, à la fin du VIIIe siècle, par les partisans de l’adoptianisme (aux premiers rangs desquels figuraient Élipand de Tolède et Félix d’Urgel) pour qui Dieu a adopté Jésus comme son Fils lors du baptême de ce dernier dans le Jourdain.

46 À ce sujet, voir D. Méhu (éd.), Mises en scène et mémoires de la consécration de l’église dans l’Occident médiéval ; D. Iogna-Prat, La Maison Dieu, p. 260-284 ; É. Palazzo, Liturgie et société au Moyen Âge, p. 71-77 ; N. Herrmann-Mascard, Les reliques des saints, p. 146-168.

47 À partir du VIIIe siècle, on assiste à une multiplication des autels dans les églises monastiques du fait de la cléricalisation du monachisme et du développement de la liturgie stationnale.

48 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 57-61. 49 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 58 et 60.

50 P. Cordez souligne le fait qu’Angilbert est le premier ou l’un des premiers à classer les reliques selon la hiérarchie universelle des saints. Il pense que cette présentation hiérarchique est sans doute empruntée aux litanies dont la diffusion au sein du monde franc doit beaucoup à Alcuin et à Angilbert (« Gestion et médiation des collections de reliques au Moyen Âge », p. 44 et 48-49).

51 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 61-67. Certaines des reliques rassemblées par Angilbert provenaient de Rome : au sujet des translations de reliques romaines dans le royaume des Francs puis dans l’Empire carolingien, voir J. M. H. Smith, « Old Saints, New Cults », p. 317-339.

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objets et des vêtements liturgiques, une rapide mention des livres de la bibliothèque et une évaluation de la valeur totale du trésor de l’abbaye52.

Le chapitre XI du livre II débute par la préface de l’Institutio de diversitate officiorum53 qui constitue la seconde partie du Libellus d’Angilbert. Dans celle-ci, Angilbert décrit les pratiques liturgiques54 qu’il a mises en place à l’abbaye de Saint-Riquier. Cependant, selon Jean Mabillon qui a consulté le manuscrit original, ce chapitre XI, à partir de spiritualibus Christo55, est d’une autre main56. De plus, seule la préface de l’Institutio de diversitate officiorum, jusque jugiter persolvamus57, figure dans la chronique d’Hariulf. Enfin, la suite du chapitre XI comprend une succession désordonnée de documents divers58 : le début et la fin de la lettre de Charlemagne à Alcuin, datant de 798, au sujet des dimanches de la Septuagésime, de la Sexagésime et de la Quinquagésime59, des éléments concernant les œuvres composées par Alcuin en l’honneur de Riquier60, l’épitaphe de Riquier composée par Angilbert61, la date de la mort d’Alcuin (le XIIII des calendes de juin, c’est-à-dire le 19 mai), l’évocation des liens entre Paschase Radbert62 et l’abbaye de Saint-Riquier et enfin les épitaphes de Chaydocus et de Fricorus composées par Angilbert63. Est-ce simplement le résultat d’un changement momentané de scribe ou faut-il y voir autant de preuves d’une interpolation ? Si le passage suivant, qui se trouve à la fin du chapitre X et sert de transition avec le chapitre XI, ne répond pas de façon définitive à cette question, il montre en tout cas que la copie partielle de l’Institutio de diversitate officiorum était volontaire :

52 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 67-70.

53 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 70-72 ; Corpus Consuetudinum Monasticarum, éd. K. Hallinger, tome 1, p. 291-293.

54 Au sujet de la liturgie carolingienne, voir É. Palazzo, « La liturgie carolingienne : vieux débats, nouvelles questions », p. 219-241.

55 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 70.

56 Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti, saeculum IV, pars prima, p. 117, note a. 57 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 72.

58 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 72-76.

59 MGH, Epistolae, 4, n° 144, p. 228-230. Cette lettre avait peut-être été copiée intégralement dans le manuscrit original de la chronique d’Hariulf, à moins qu’il s’agisse d’un exemple de la pratique consistant à ne copier que les premiers mots d’un document et à inviter le lecteur à le consulter dans les archives (N. Mazeure, La vocation mémorielle des actes, p. 242-243).

60 À ce sujet, voir W. Berschin, Biographie und Epochenstil, tome 2, p. 90-94, et tome 3, p. 139-157 ; N. A. Orchard, « An Anglo-Saxon mass for St Willibrord and its later liturgical uses », p. 1-10 ; Id., « St Willibrord, St Richarius, and Anglo-Saxon symptoms in three mass-books from northern France », p. 261-283.

61 MGH, SS, 15, 1, p. 178-179.

62 Au sujet de Paschase Radbert, voir Lexikon des Mittelalters, tome 6, col. 1754-1755 ; D. Ganz, Corbie in the Carolingian Renaissance, p. 31-32, 82-87 et 103-120 ; H. Peltier, Pascase Radbert, abbé de Corbie.

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Ici s’achève l’ouvrage d’Angilbert, homme très saint, au sujet de la construction, de la consécration et des ornements de l’église de Centule. C’est pour la connaissance des hommes à venir que nous avons recopié ici, non sans peine, cet ouvrage qui, depuis ce même homme vénérable jusqu’à notre époque, a été conservé pendant trois cents ans et même plus. On peut assurément y découvrir de nombreux autres éléments institués dignement par lui, comme ceux vus plus haut, pour l’éclat de l’office divin ; mais, étant donné qu’ils n’ont pas été conservés chez nous après un tel intervalle de temps, tant du fait des changements survenus dans notre abbaye que de la volonté des abbés, nous nous gardons de les rapporter tous ici ; cependant, parmi ces éléments, nous en mentionnons quelques-uns pour témoigner de la grandeur de notre abbaye64.

Les « éléments institués dignement par [Angilbert] […] pour l’éclat de l’office divin » désignent de toute évidence les pratiques liturgiques que ce dernier a mises en place à l’abbaye de Saint-Riquier. Hariulf a donc fait le choix de recopier la préface de l’Institutio de diversitate officiorum pour donner une idée de la richesse de la liturgie pratiquée à Saint-Riquier à l’époque carolingienne65 mais il n’a pas recopié la suite car ces pratiques liturgiques n’avaient plus cours à son époque. En ce qui concerne les différents documents qui se trouvent après la préface de l’Institutio de diversitate officiorum, leur succession désordonnée peut s’expliquer par le fait qu’ils proviennent, au moins pour certains d’entre eux, du manuscrit de Gorze rapporté par l’abbé Gervin (1045-1071) car on retrouve la même impression de désordre dans celui-ci66. Plus généralement, ce passage permet de comprendre pourquoi Hariulf a pris la peine de recopier l’intégralité du De perfectione Centulensis ecclesiae : cette œuvre a été écrite par Angilbert lui-même, elle est donc ancienne et vénérable (Hariulf ayant même tendance à la présenter comme un peu plus ancienne qu’elle ne l’est réellement) et elle contribue à glorifier l’abbaye de Saint-Riquier puisque celle-ci a connu son apogée à l’époque carolingienne. On retrouve bien ici l’objectif qu’Hariulf s’était fixé dans la

64 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 69-70 : Huc usque sanctissimi viri Angilberti scriptura de constructione et dedicatione, sive ornatu ecclesiae Centulensis digesta est, quae ab ipso venerabili viro usque ad haec nostra tempora per CCC annos, et amplius valde, inveterata, non sine labore ad futurorum eruditionem a nobis huic opera inserta est. Sunt certe et alia multa, quae ad decorem divini officii cum superioribus inveniuntur ab eo honeste statuta ; sed quia, post tanta tempora, apud nos, tam pro loci immutatione quam pro abbatum voluntate, non servantur, ob hoc istic referre omnia vitamus ; e quibus tamen aliqua adhuc assumemus, ob magnitudinem loci nostri exprimendam.

65 Angilbert avait notamment instauré la pratique de la laus perennis (Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 71). À ce sujet, voir C. Maître, « De Saint-Maurice d’Agaune à Saint-Denis-en-France », p. 5-36 ; J. Dyer, « The Psalms in Monastic Prayer », p. 60 ; I. van’t Spijker, Als door een speciaal stempel, p. 35 ; F. Prinz, Frühes Mönchtum im Frankenreich, p. 106-107 et 300 ; K. Hallinger, Gorze-Kluny, tome 2, p. 901. 66 Nous le montrerons en détail dans notre chapitre 14.

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préface de sa chronique, à savoir rassembler tous les éléments témoignant de l’antiquité et de la noblesse de l’abbaye de Saint-Riquier et les conserver pour la connaissance de la postérité67.