• Aucun résultat trouvé

L’ajout de documents à la suite de la chronique d’Hariulf

Présentation de la chronique d’Hariulf

B. L’ajout de documents à la suite de la chronique d’Hariulf

D’une part, selon Ferdinand Lot142, le manuscrit original contenait, outre la chronique d’Hariulf, la Vie de Mauguille rédigée par Hariulf vers 1085/1090143 ainsi que la Vie et les trois livres de miracles d’Angilbert rédigés par Anscher vers 1110/1115. Grâce à Jean

135 Certains historiens persistent cependant à croire qu’Angilbert et Berthe étaient mariés, notamment S. A. Rabe (Faith, Art, and Politics at Saint-Riquier, p. 73-74) et F. Möbius (Die karolingische Reichsklosterkirche Centula, p. 12) pour qui il s’agissait même d’une Friedelehe.

136 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. XLIX-LV.

137 Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti, saeculum IV, pars prima, p. 123-130 et 130-145. 138 Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti, saeculum IV, pars prima, c. 2, p. 124.

139 Au sujet du caractère de plus en plus sacré du mariage aux yeux de l’Église, voir G. Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre ; J. Goody, L'évolution de la famille et du mariage en Europe ; J.-C. Bologne, Histoire du mariage en Occident.

140 Au sujet de l’évolution du processus de canonisation au cours du Moyen Âge, voir A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge ; N. Herrmann-Mascard, Les reliques des saints, p. 92-103.

141 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. XLVIII-XLIX et LV. 142 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. LXV-LXVI.

52

Mabillon144, nous savons de plus que la Vie de Mauguille était précédée par l’Éloge d’Anscher rédigé, comme nous le montrerons dans notre chapitre 2, entre 1113 et 1136145. D’autre part, dans le ms. lat. 12893 de la Bibliothèque nationale de France, on trouve, après la copie de la chronique d’Hariulf faite par André Duchesne au début du XVIIe siècle (fol. 183r-250r), les documents suivants :

- fol. 250v : le propre de l’abbaye. - fol. 251r : l’épitaphe d’Hariulf. - fol. 251r : la dédicace d’Hariulf. - fol. 251r : l’obituaire de l’abbaye.

- fol. 251v : un acte du comte Guy Ier de Ponthieu datant de 1100146. - fol. 252r-252v : l’Éloge d’Anscher.

- fol. 252v : les premiers mots (jusque Anscheri) de l’inventaire des actes conservés à

l’abbaye en 1098147 ainsi que l’analyse faite par André Duchesne de l’acte de l’évêque Radbod II de Noyon-Tournai datant de 1087 et concernant l’église de Bredene148. - fol. 253r-253v : un diplôme donné par Charlemagne en 797 sur lequel nous allons revenir un peu plus loin.

- fol. 254r-259v : des extraits de la Vie d’Angilbert par Anscher. - fol. 259v : des extraits de la Vita Karoli d’Éginhard149.

- fol. 260r-260v : des extraits des trois livres de miracles d’Angilbert par Anscher. - fol. 261r : des extraits de la Vie de Mauguille par Hariulf.

Le fait de retrouver, dans la copie faite par André Duchesne, l’Éloge d’Anscher et, de façon partielle, la Vie de Mauguille rédigée par Hariulf ainsi que la Vie et les trois livres de miracles d’Angilbert rédigés par Anscher laisse penser que ces quatre sources figuraient bien dans le manuscrit original. Cependant, il n’est pas certain que ce soit également le cas de tous

144 Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti, saeculum IV, pars secunda, p. 537. 145 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 321-322.

146 Recueil des actes des comtes de Ponthieu, éd. C. Brunel, n° XIII, p. 25-26. C. Brunel a édité cet acte à partir de la Gallia christiana dont il dit qu’elle n’indique pas sa source. Celle-ci doit justement être la copie faite par A. Duchesne.

147 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 314.

148 Belgique, prov. Flandre-Occidentale, arr. Ostende ; Episcopalis officii sollicitudo, éd. J. Pycke et C. Vleeschouwers, tome 1, n° 66, p. 103-104 ; Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 318.

149 Éginhard, Vie de Charlemagne, éd. et trad. M. Sot et C. Veyrard-Cosme, c. 18, p. 42-45, et c. 20, p. 48-49. Étant donné qu’il est question de trois concubines de Charlemagne, et non de quatre, ces extraits sont tirés d’un manuscrit appartenant à la classe A ou à la classe B. À ce sujet, voir M. Sot, « Trois ou quatre concubines », p. 119-125.

53

les autres documents car certains donnent l’impression d’être des notes prises par André Duchesne, notamment les premiers mots (jusque Anscheri) de l’inventaire des actes conservés

à l’abbaye en 1098 et son analyse de l’acte de l’évêque Radbod II de Noyon-Tournai datant de 1087 et concernant l’église de Bredene. On peut aller plus loin en constatant que plusieurs de ces autres documents sont liés à Anscher : l’acte du comte Guy Ier de Ponthieu date de son abbatiat, les premiers mots de l’inventaire des actes conservés à l’abbaye s’arrêtent à Anscheri

et, dans son analyse de l’acte de l’évêque Radbod II de Noyon-Tournai, André Duchesne écrit, à tort150, que Radbod II donna l’église de Bredene à Anscher. Peut-être s’intéressait-il à cet abbé et a-t-il copié des informations qu’il avait trouvées à son sujet ? De plus, nous n’avons pas la certitude qu’André Duchesne a copié les documents que nous venons d’énumérer en respectant l’ordre dans lequel ils se trouvaient dans le manuscrit original, même si c’est ce que la logique voudrait. Enfin, il se peut tout simplement, si le manuscrit disparu en 1719 est en fait une copie datant du Moyen Âge, que ces documents ne figuraient pas ou pas tous dans le véritable manuscrit original.

Pour toutes ces raisons, nous avons décidé de ne présenter ici que les quatre premiers documents énumérés, à savoir le propre de l’abbaye, l’épitaphe d’Hariulf, la dédicace d’Hariulf et l’obituaire de l’abbaye, car ils sont plus intéressants que les autres. Les fêtes les plus récentes contenues dans le propre de l’abbaye151 commémorent des événements ayant eu lieu sous l’abbatiat d’Anscher (1097-1136), à savoir la Reconciliatio totius loci post vastationem, le jour des calendes d’octobre (le 1er octobre), consécutive à l’incendie de l’abbaye de Saint-Riquier provoqué le 28 août 1131 par Hugues III Candavène, comte de Saint-Pol152, et la Dedicatio ecclesiae S. Nicolai sub domno ANSCERO abbate, le VIII des calendes de mai (le 24 avril), même si l’on ignore en quelle année a eu lieu la consécration de cette église. Dans le propre, on constate toutefois que cette dernière fête a été ajoutée ultérieurement car elle se trouve en dernière position, après les fêtes du mois de décembre. Il y a donc deux possibilités : soit le propre a été copié en 1131 au plus tôt puis complété après la consécration de l’église Saint-Nicolas (qui a pu avoir lieu en 1132 car le 24 avril était cette année-là un dimanche), soit le moine ayant copié le propre en 1131 au plus tôt s’est rendu compte qu’il avait oublié cette fête et l’a ajoutée à la fin du propre (auquel casla consécration

150 A. Duchesne se trompe en écrivant que Radbod II donna cette église à Anscher car cet acte date de l’abbatiat de Gervin II et Anscher n’y est pas mentionné.

151 Paris, BnF, ms. lat. 12893, fol. 250v ; F. Lot, « Nouvelles recherches sur le texte de la chronique », p. 269-270.

54

de l’église Saint-Nicolas a pu avoir lieu en 1099, 1104, 1110, 1121, 1127 ou 1132, années où le 24 avril était un dimanche).

Les deux vers suivants de l’épitaphe d’Hariulf153 laissent penser que celle-ci fut composée après sa mort à l’abbaye Saint-Pierre d’Oudenburg dont Hariulf fut abbé de 1105 jusqu’à son décès en 1143 : Il fut le troisième abbé d’Oudenburg. / […] Désirant toujours ardemment, Pierre, accroître les richesses pour les tiens154. Cependant, à la suite de Jean Mabillon155, Ferdinand Lot pense qu’Hariulf l’a lui-même ajoutée après sa chronique, peut-être lorsqu’il vint à l’abbaye de Saint-Riquier en 1121156. De plus, comme cette épitaphe (que nous appelons épitaphe de Saint-Riquier) diffère de celle qui nous a été transmise par le Chronicon monasterii Aldenburgensis majus (milieu du XVe siècle)157, il estime que cette dernière épitaphe (que nous appelons épitaphe d’Oudenburg) est une version modifiée, peut-être par Hariulf lui-même, de celle de Saint-Riquier158. Toutefois, étant donné qu’une autre explication nous paraît possible, il convient de comparer les deux épitaphes. Voici tout d’abord celle de Saint-Riquier :

Hariulf, né dans le Ponthieu, enclin aux études, Entra enfant dans le cloître du bienheureux Riquier,

Dans lequel il fut instruit de ce qu’il convient à un maître de savoir. Il fut le troisième abbé d’Oudenburg.

Il accrut de toutes ses forces le patrimoine qui lui avait été confié,

Désirant toujours ardemment, Pierre, accroître les richesses pour les tiens. Montrant l’exemple aux frères compatissants,

Il passa sous silence bien des choses qu’il aurait fallu dire. Centule garde en mémoire les anciens frères qu’elle a aimés, Aimant toujours voir ce qui leur fait honneur159.

153 Paris, BnF, ms. lat. 12893, fol. 251r ; Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 285.

154 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 285 : Aldenborgensis tertius abba fuit. / […] Crescere, Petre, tuis semper opes sitiens.

155 J. Mabillon, Veterum Analectorum tomus I, p. 437.

156 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. XIII-XIV. 157 Chronique du monastère d’Oudenbourg, éd. F. Van de Putte, p. 79. 158 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. XIV, note 4.

159 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 285 : Pontivo natus, pronus studiis Hariulfus, / Almi Richarii claustra puer subiit ; / In quibus imbutus deceat quid nosse magistrum. / Aldenborgensis tertius abba fuit. / Rem sibi commissam pro viribus amplificavit, / Crescere, Petre, tuis semper opes sitiens. / Fratribus exemplum pratendens compatientis, / Multa nimis tacuit quaeque loqui decuit. / Centula quos fratres retinet coluit seniores, / Illis quod sit honor cernere semper amans.

55 Voici maintenant celle d’Oudenburg :

Hariulf, né dans le Ponthieu, enclin aux études, Entra enfant dans le cloître du bienheureux Riquier,

Dans lequel il fut instruit de ce qu’il convient à un maître de savoir. Il fut le troisième abbé d’Oudenburg.

Il accrut de toutes ses forces le patrimoine qui lui avait été confié,

Désirant toujours ardemment, Pierre, accroître les richesses pour les tiens. Montrant l’exemple aux frères compatissants,

Il passa sous silence bien des choses qu’il aurait fallu dire. Il rédigea la Vie du bienheureux évêque Arnoul,

Apportant ainsi un grand honneur aux citoyens d’Oudenburg. Et par son dévouement furent élevés de terre les membres De ce même évêque, avec l’aide de Dieu,

Pour ceux-ci, la couronne est donnée à juste titre par le Seigneur À Hariulf, sous le regard de Dieu160.

On observe que l’épitaphe d’Oudenburg, longue de quatorze vers, mentionne essentiellement l’action d’Hariulf en tant qu’abbé d’Oudenburg tandis que celle de Saint-Riquier, longue de seulement dix vers, est identique pour les huit premiers vers mais mentionne, dans les deux derniers, le souvenir positif laissé par Hariulf dans sa première abbaye. Il nous semble donc possible que l’épitaphe d’Oudenburg ait été composée en premier, à la suite du décès d’Hariulf en 1143, puis transmise à Saint-Riquier et recopiée, après avoir été adaptée en fonction de ce qui intéressait l’abbaye, dans le manuscrit original contenant la chronique d’Hariulf.

La dédicace d’Hariulf161 est le poème suivant :

160 Chronique du monastère d’Oudenbourg, éd. F. Van de Putte, p. 79 : Pontivo natus, pronus studiis Hariulphus, / Almi Richarii claustra puer subiit, / In quibus imbutus deceat qui nosse magistrum. / Aldenburgensis tercius abba fuit, / Rem sibi commissam pro viribus amplificavit. / Crescere, Petre, tuis semper opes siciens / Fratribus exemplum pretendens compatientis, / Multa nimis tacuit queque loqui decuit ; / Arnulphi vitam conscripsit presulis almi, / Civibus Aldenborgh tale ferendo decus. / Ipsius et studio de terra membra levantur / Presulis ejusdem, auxiliante Deo, / Pro quibus a Domino donetur rite corona, / Huic Hariulpho pro[s]piciante Deo.

56

Centule, je t’aime, pris par l’amour de celle qui enseigne ;

Quand je t’offre les présents les plus modestes, ô mère, je te salue ; Et toi, en retour, dis à ton enfant : porte-toi bien, ô mon enfant. Il reconnaît pour vrai qu’il y a toujours chez vous un grand amour Celui qui, en écrivant de telles choses, accroît pour vous l’honneur, Et il se souvient de vous, si quelque occasion se présente à lui.

Qu’il manifeste que c’est une chose tout à fait digne de notre connaissance, Et je pense que vous avez cela à l’esprit depuis longtemps, et qu’il n’empêche pas De conserver vos armoires cachées avec des clefs distinctes162.

Ferdinand Lot pense qu’Hariulf l’a rédigée en 1105, avant de partir pour Oudenburg163, ce qui n’est pas impossible. Toutefois, selon les observations de Jean Mabillon et d’Edmond Martène, cette dédicace figurait après l’épitaphe d’Hariulf dans le manuscrit original164 alors qu’elle est a priori chronologiquement antérieure à l’épitaphe. Il y a donc trois possibilités : soit la dédicace d’Hariulf ne se trouvait pas dans le manuscrit original en 1105 mais y a été recopiée ultérieurement, en 1143 au plus tôt, soit elle n’est pas d’Hariulf, soit il s’agit d’une nouvelle preuve en faveur de l’hypothèse selon laquelle ce que nous appelons le « manuscrit original » est en fait une copie datant du Moyen Âge.

Grâce à une lettre de Thomas Boucher, moine de Saint-Riquier, adressée à Jean Mabillon en 1693 et que Ferdinand Lot a fait figurer dans les appendices de son édition de la chronique d’Hariulf165, nous avons la certitude que l’obituaire de l’abbaye166 se trouvait bien à la fin du manuscrit original. Le fait qu’il suive l’épitaphe et la dédicace d’Hariulf laisse penser qu’il a lui aussi été copié en 1143 au plus tôt. Ferdinand Lot pense pourtant que l’obituaire de l’abbaye a été rédigé du vivant d’Hariulf et peut-être par ce dernier167. Cela voudrait alors dire qu’il a d’abord été rédigé à part avant d’être recopié dans le manuscrit original. Cependant, en

162 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 285-286 : Centula, diligo te, doctricis captus amore ; / Ultima cum tibi do munuscula, mater, aveto ; / Atque vicem referens dic nato : nate valeto. / Comprobat hinc magnum circa vos semper amorem ; / Talia scribendo qui vobis auget honorem, / Et memor est vestri, si quis locus accidit illi, / Conferat ut nostrae condignam notitiae rem, / Quam puto vos latuisse diu, nec vestra tenere / Condita secretis armaria clavibus arcet.

163 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. XIV. 164 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. XIII-XIV. 165 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 294-295.

166 Paris, BnF, ms. lat. 12893, fol. 251r ; F. Lot, « Nouvelles recherches sur le texte de la chronique », p. 266-269. En suivant la distinction établie par N. Huyghebaert entre nécrologe et obituaire (Les documents nécrologiques, p. 33-37), il nous semble que l’obituaire de Saint-Riquier est en fait un nécrologe. À ce sujet, voir aussi J.-L. Lemaître, « Un livre vivant, l’obituaire », p. 92-94.

57

l’absence de ce dernier et d’un éventuel original de l’obituaire, il est difficile de confirmer ou d’infirmer son opinion. Tout ce que l’on peut affirmer, c’est que les personnes qui figurent dans l’obituaire sont décédées entre le IXe siècle (notamment Alcuin, Charlemagne et Angilbert) et le XIIe siècle (notamment Charles le Bon, Hariulf et l’abbé Jean de Forest-Montiers)168. Dans tous les cas, il est surprenant que l’abbé Anscher, décédé en 1136, en soit absent alors que l’abbé Jean de Forest-Montiers, attesté entre 1146 et 1167169, y est quant à lui mentionné170.

De façon générale, les documents ajoutés à la suite de la chronique d’Hariulf montrent que le manuscrit original contenant celle-ci peut être assimilé à ce que Pascale Bourgain appelle un « livre-archive », c’est-à-dire une œuvre conservée dans une institution et qui est souvent un ouvrage historique conçu comme le mémorial de l’établissement et périodiquement complété et mis à jour171.