• Aucun résultat trouvé

Les diplômes recopiés ou évoqués par Hariulf

L’abbaye de la mort d’Angilbert jusqu’à l’attaque des Vikings (814-881)

B. Les diplômes recopiés ou évoqués par Hariulf

Après avoir étudié l’inventaire de 831, nous allons à présent nous pencher sur les dix actes recopiés et sur l’acte évoqué par Hariulf dans les vingt premiers chapitres du livre III de sa chronique. En voici la liste :

- livre III, chapitre II, p. 84-86 : un diplôme (3 avril 830, Saint-Valery) par lequel Louis le Pieux confirme aux moines de Saint-Riquier la possession des domaines constituant la mense conventuelle (MGH, Diplomata, DD Kar. 2, n° 285, p. 709-711). - livre III, chapitre VI, p. 104-106 : un diplôme (974, Compiègne) par lequel le roi Lothaire confirme aux moines de Saint-Riquier la donation des domaines de Bourecq86

et de Rollancourt87 faite par Hugues Capet (Recueil des actes de Lothaire et de Louis V, éd. H. d'Arbois de Jubainville, L. Halphen et F. Lot, n° 36, p. 88-89).

- livre III, chapitre VII, p. 107-108 : un diplôme (21 mai 843, Compiègne) par lequel Charles le Chauve confirme aux moines de Saint-Riquier la possession des domaines constituant la mense conventuelle (Recueil des actes de Charles II le Chauve, éd. A. Giry et alii, tome 1, n° 22, p. 53-55).

- livre III, chapitre VII, p. 109-111 : un diplôme (27 septembre 844, Compiègne) par lequel Charles le Chauve confirme aux moines de Saint-Riquier la possession des notamment liée au fait qu’on lit dans cet inventaire qu’il y avait 2500 mansiones à Saint-Riquier (Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 306-307), ce qui représente environ 10 000 habitants, voire plus. Même si F. Lot a ensuite émis l’hypothèse que le copiste du XIIIe siècle a changé le mot mansos en mansiones (« Les tributs aux Normands et l’Église de France au IXe siècle », p. 70, note 2), il serait surprenant que Saint-Riquier ait été aussi développée et peuplée dans la première moitié du IXe siècle. Par conséquent, nous sommes d’avis que T. Evergates et M. McCormick ont raison.

85 É. Renard, « Administrer des biens, contrôler des hommes, gérer des revenus », p. 12-13. 86 Dép. Pas-de-Calais, arr. Béthune, cant. Lillers.

195

domaines constituant la mense conventuelle ainsi que de ceux ajoutés à cette dernière par l’abbé Louis (Recueil des actes de Charles II le Chauve, éd. A. Giry et alii, tome 1, n° 58, p. 163-166).

- livre III, chapitre IX, p. 114-116 : un diplôme (29 février 856, Germigny-des-Prés) par lequel Charles le Chauve confirme aux moines de Saint-Riquier la possession des domaines constituant la mense conventuelle (Recueil des actes de Charles II le Chauve, éd. A. Giry et alii, tome 1, n° 183, p. 485-488).

- livre III, chapitre X, p. 119 : la Precaria Riberti : un acte, évoqué par Hariulf, par lequel l’abbé Helgaud (début du Xe siècle) cède en précaire Rollancourt88 et d’autres possessions de l’abbaye de Saint-Riquier à un certain Ribertus (acte aujourd’hui perdu et connu seulement par la chronique d’Hariulf).

- livre III, chapitre XIII, p. 124-125 : un diplôme (30 décembre 880, Compiègne) par lequel Louis III interdit à quiconque d’entrer dans le domaine de Chevincourt89 et d’y exiger le droit de gîte (mansionaticum) sans l’autorisation des moines de Saint-Riquier (Recueil des actes de Louis II le Bègue, Louis III et Carloman II, éd. F. Grat et alii, n° 43, p. 111-113).

- livre III, chapitre XV, p. 128-130 : un diplôme (7 décembre 867, Quierzy) par lequel Charles le Chauve donne aux moines de Saint-Riquier le domaine d’Hasloas (aujourd’hui Bray-sur-Somme90), à titre de refugium, et leur confirme la possession des domaines constituant la mense conventuelle (Recueil des actes de Charles II le Chauve, éd. A. Giry et alii, tome 2, n° 306, p. 177-179).

- livre III, chapitre XVI, p. 130-131 : un diplôme (27 mars 868, Senlis) par lequel Charles le Chauve donne aux moines de Saint-Riquier des biens situés dans le domaine de Vallis91 (Recueil des actes de Charles II le Chauve, éd. A. Giry et alii, tome 2, n° 313, p. 191-192).

88 Dép. Pas-de-Calais, arr. Montreuil, cant. Auxi-le-Château. 89 Dép. Oise, arr. Compiègne, cant. Thourotte.

90 Dép. Somme, arr. Péronne, cant. Albert.

196

- livre III, chapitre XVII, p. 132-134 : un diplôme (29 mai 868, Quierzy) par lequel Charles le Chauve donne à l’abbaye de Saint-Riquier, pour l’entretien du luminaire, le domaine de Bersaccas situé non loin de l’abbaye92 (Recueil des actes de Charles II le Chauve, éd. A. Giry et alii, tome 2, n° 315, p. 196-198).

- livre III, chapitre XIX, p. 137-139 : un diplôme (15 janvier 870, Aix-la-Chapelle) par lequel Charles le Chauve donne à l’abbaye de Saint-Riquier, pour l’entretien du luminaire, le domaine de Drucat93, qu’Hungarius a tenu en bénéfice par le passé, ainsi que des biens situés dans plusieurs autres domaines (Recueil des actes de Charles II le Chauve, éd. A. Giry et alii, tome 2, n° 333, p. 236-238).

Il ne s’agit pas ici d’étudier en détail le contenu de chacun de ces onze actes (dont un est d’ailleurs perdu) mais, tout d’abord, de s’intéresser de façon globale à leur utilité pour Hariulf. Si ce dernier a recopié dix d’entre eux, c’est sans doute pour mieux assurer leur conservation (car ils sont anciens et donc vénérables) mais aussi et surtout parce que ce sont presque tous des confirmations des domaines constituant la mense conventuelle ou des donations venant augmenter celle-ci. Hariulf réaffirme donc, à chaque fois qu’il recopie un de ces actes, les droits des moines sur les domaines qui fondent leur pouvoir temporel. On retrouve ici la raison pour laquelle il n’a recopié que les noms des domaines dans la deuxième partie de l’inventaire de 831. Cette interprétation nous paraît de plus confirmée par le fait qu’Hariulf n’a pas recopié mais simplement évoqué la Precaria Riberti qui allait à ses yeux au détriment des intérêts des moines de Saint-Riquier :

Nous possédons une petite charte de précaire de cette opération. Mais nous n’exposons rien ici de ces choses qui constituent non un surcroît d’honneur mais plutôt un sujet de douleur94.

Cinq de ces onze actes sont plus particulièrement intéressants de par la façon dont Hariulf les présente ou les situe dans le temps. Le premier est le diplôme de 830 :

92 Il y a aujourd’hui un lieu-dit Fond de Bessac situé à environ un kilomètre et demi au nord-ouest de Saint-Riquier.

93 Dép. Somme, arr. Abbeville, cant. Abbeville-1.

94 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 119 : Cujus facti precaria cartula a nobis habetur. Sed nihil eorum hic ponimus, quae non honoris augmentum, quin potius materiem doloris praestarent.

197

À cette époque, alors que le glorieux Auguste Louis arrivait dans la province du Ponthieu, il se rendit au vénérable temple de saint Riquier pour y prier. Les frères du monastère, redoutant qu’un membre de la famille dudit Heuto n’usurpe le domaine de Sorrus95, prièrent et persuadèrent la majesté royale d’octroyer un précepte de son autorité, au sujet de ce domaine et de tous ceux que son père Charlemagne leur avait conférés par don royal et qu’ils craignaient de perdre de quelque manière que ce soit, garantissant que ledit domaine et les autres possessions soient librement au service du monastère, sans objection de quiconque, et qu’aucun des futurs abbés, en soustrayant plus tard quelque chose à la propriété du lieu, ne le donne à quelqu’un96.

Rappelons ce que nous avons dit au début de ce chapitre, à savoir que, selon le premier miracle contenu dans les deux livres de miracles de Riquier du IXe siècle, l’abbé Hericus a donné le domaine de Sorrus à un vassal nommé Heuto qui mourut après avoir commis le sacrilège d’y abattre le hêtre sous lequel Riquier avait l’habitude de se reposer et de prier avant ou après ses voyages outre-Manche97. Hariulf pense donc que l’abbaye de Saint-Riquier a récupéré le domaine de Sorrus après la mort d’Heuto et que c’est parce que les moines vivant à cette époque craignaient que la famille de ce dernier ne cherche à s’en emparer à nouveau qu’ils sollicitèrent et obtinrent de Louis le Pieux le diplôme de 830. Cependant, on ne trouve pas d’allusion à cette crainte des moines dans ce diplôme où Sorrus n’est mentionné que comme l’un des domaines constituant la mense conventuelle. Hariulf semble donc avoir inventé ce développement pour faire la transition entre les chapitres I et II du livre III de sa chronique. Par ailleurs, il considère que ces domaines ont été donnés par Charlemagne. Cependant, on ne trouve pas d’allusion à une quelconque donation de Charlemagne dans le diplôme de 830 tandis que le diplôme par lequel Charlemagne donne la cella de Forest-Montiers à l’abbaye de Saint-Riquier, le 28 avril 797, à Aix-la-Chapelle, à la demande d’Angilbert98, n’a aucun rapport avec Sorrus et les autres domaines constituant la mense

95 Dép. Pas-de-Calais, arr. Montreuil, cant. Berck.

96 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 84 : Tempore isto, cum contigisset Hludogvicum gloriosum Augustum Pontivam intrare provinciam, venerabile templum sancti Richarii orationis gratia petivit. Fratres igitur monasterii, timentes ne aliquis de parentela saepedicti Heutonis villam Sidrudem sibi usurparet, majestatem regiam exorant et suadent, ut super hac et super omnibus, quas aliquo eventu perdere metuebant, villis, et quas Karolus Magnus, ejusdem genitor, dono regio contulerat, suae auctoritatis praeceptum firmaret, quo jam dicta villa, vel aliae possessiones, absque alicujus contradicto, monasterio libere deservirent, et ut nemo abbatum futurorum ex eis aliquam a loci dominio ulterius auferens alicui donaret.

97 Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti, saeculum II, l. I, c. 1, p. 213-214.

198

conventuelle. De fait, soit Charlemagne a effectivement donné ces domaines mais aucune trace de ces donations n’a été conservée, soit Hariulf a inventé ces dernières.

Le deuxième acte est le diplôme de 974 :

À cette époque, un duc nommé Hugues donna au bienheureux Riquier quelques domaines qui lui appartenaient pour le salut de son âme. Cette donation effectuée, il se rendit auprès du roi Lothaire et lui demanda que l’autorité de son précepte confirme ces domaines, à savoir Rollancourt et Bourecq, de telle façon qu’ils soient soumis à l’avenir, sans contestation possible, au service du saint. En vérité, il apparaît dans l’inventaire qui a été partiellement recopié un peu plus haut que ces domaines étaient au service du monastère du saint. Il est donc évident qu’ils ont été usurpés par quelqu’un puisqu’ils ont ensuite été restitués par ce duc de la façon que nous venons de voir. Lothaire favorisa ce dernier de façon très généreuse : en effet, il eut pour épouse sa fille nommée Ermengarde […]99.

Le duc Hugues dont il est question n’est autre qu’Hugues Capet, contemporain du roi Lothaire (954-986). Toutefois, la mention d’Ermengarde montre qu’Hariulf a confondu le roi Lothaire avec l’empereur du même nom (823/840-855) et donc qu’il a confondu Hugues Capet avec le comte Hugues de Tours qui appartenait à la famille des Étichonides100. Il est difficile de déterminer si cette confusion est simplement le fruit d’une méprise ou s’il s’agit d’une falsification volontaire d’Hariulf ayant pour but d’accroître l’ancienneté de la possession des domaines de Bourecq et de Rollancourt. En revanche, il est certain qu’il a ensuite recopié ce diplôme en en modifiant l’année : […] en l’an 843 de l’Incarnation du Seigneur, sixième indiction, dans la vingt-et-unième année du règne du très glorieux roi Lothaire101. En effet, l’année 843 est bien la vingt-et-unième année du règne de l’empereur Lothaire si l’on prend comme point de départ son couronnement impérial en 823. Par ailleurs,

99 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 104 : Eo itaque tempore quidam dux, nomine Hugo, donavit beato Richario villas aliquas suae proprietatis, ob animae suae salvationem. Celebrata autem donatione, accessit ad regem Hlotharium, postulans ut suae praeceptionis autoritatem super illas villas, id est Rollenicurtem et Botritium firmaret ; quatinus per futura tempora absque calumnia sancti servitio subiacerent. Sane in illa descriptione, quae paulo superius ex parte relata est, invenitur quia eaedem villae sancti servissent monasterio, et constat eas ab aliquo fuisse subtractas, quandoquidem ab isto duce modo reddebantur. Hlotharius igitur ei benignissime favit ; nam ejus filiam, nomine Ermengardam, uxorem habebat […].

100 Au sujet du comte Hugues de Tours, voir P. Depreux, Prosopographie de l’entourage de Louis le Pieux, p. 262-264.

101 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 105-106 : […] anno Dominicae Incarnationis DCCCXL tertio, indictione VI, regnante gloriosissimo rege Hlothario anno XXI.

199

Hariulf indique que les deux domaines figuraient dans l’inventaire de 831. C’est effectivement le cas de Bourecq, comme nous l’avons vu plus haut, mais pas de Rollancourt. Cependant, comme il le dit lui-même, Hariulf n’a pas recopié intégralement cet inventaire. Dans tous les cas, on voit qu’il pense que ces deux domaines ont été usurpés entre 831 et 843 alors que nous savons grâce à la Precaria Riberti qu’ils ont été cédés en précaire par l’abbé Helgaud, au début du Xe siècle, à un certain Ribertus.

Le troisième acte est le diplôme de 843. Dans celui-ci, la date est exprimée de la façon suivante : Donné le XII des calendes de juin, dans la quatrième année du règne du seigneur Charles, roi très serein, sixième indiction102. Dans sa présentation de ce diplôme, Hariulf dit pourtant qu’il date de 844 : En l’an 844 de l’Incarnation du Seigneur, dans la quatrième année du règne de Charles, sixième indiction, sous le pontificat de Serge, pape de l’Église romaine, […]103. Les éditeurs du diplôme pensent qu’Hariulf aurait modifié l’année dans sa présentation de celui-ci car il n’aurait pas voulu le dater de la même année que le diplôme qu’il a faussement attribué à l’empereur Lothaire104. Cette hypothèse semble appuyer l’idée d’une falsification volontaire d’Hariulf mais il se peut également que cette différence d’une année entre 843 et 844 soit la conséquence d’une mauvaise lecture car III, s’il est mal écrit, peut être confondu avec IV.

Le quatrième acte est la Precaria Riberti, simplement évoquée :

Alors que l’abbé Helgaud, également comte, était à la tête de ce monastère, ah ! douleur !, il donna en bénéfice à un homme de guerre, sous la dénonciation d’un certain temps, Rollancourt et d’autres domaines que notre lieu avait auparavant récupérés grâce au duc Hugues105.

Hariulf pense donc que l’abbaye de Saint-Riquier a perdu par la faute d’Helgaud les domaines récupérés grâce à Hugues de Tours alors qu’elle a récupéré grâce à Hugues Capet les domaines perdus par la faute d’Helgaud. La plainte exprimée par Hariulf, qui n’est pas

102 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 108 : Data XII Kal. Junii, anno IV regnante domno Karolo serenissimo rege, indictione VI.

103 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 106 : Anno Dominicae Incarnationis DCCCXLIV, regnante Karolo anno IV, indict. VI, praesule Romanae Ecclesiae Sergio papa, […].

104 Recueil des actes de Charles II le Chauve, éd. A. Giry et alii, tome 1, n° 22, p. 54.

105 Hariulf, Chronique de l’abbaye de Saint-Riquier, p. 119 : Abbas ergo Heligaudus simulque comes, cum hujus coenobii moderator existeret, cuidam militari viro Rollenicurtem, et alia quaedam, proh dolor ! quae nuper a duce Hugone noster receperat locus, in beneficium sub certi temporis denuntiatione tradidit.