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L’abbatiat d’Angilbert (790-814)

L’abbaye de Saint-Riquier jusque vers 1100 : état des connaissances

C. L’abbatiat d’Angilbert (790-814)

Né vers 75059, Angilbert est de toute évidence le plus célèbre de tous les abbés de Saint-Riquier. Il fut un membre éminent de l’Académie palatine, où il portait le surnom d’Homère du fait de ses talents poétiques60, et eut deux fils, Nithard et Hartnid, avec Berthe, une des filles de Charlemagne61. C’est ce dernier qui le nomma abbé de Saint-Riquier en 79062. Certains historiens pensent que le roi des Francs aurait ainsi voulu le remercier pour ses services63 mais, pour autant que l’on sache, Angilbert ne semble pas avoir rempli beaucoup de fonctions officielles avant 790. Il est admis qu’il a été, dans les années 780, à la tête de la chapelle du jeune Pépin d’Italie, fils de Charlemagne64, mais la lettre d’Alcuin dans laquelle il est fait référence à cette fonction (primicerius), en plus de ne pas être très explicite, pourrait en fait être postérieure à 79065. En revanche, on sait qu’Angilbert, après sa nomination comme abbé de Saint-Riquier, a été envoyé en ambassade à Rome à trois

58 C. Mériaux, Gallia irradiata, p. 74-75. P. J. Fouracre a cependant tendance à minimiser les conséquences politiques à court terme de la bataille de Tertry (« Observations on the Outgrowth of Pippinid Influence », p. 12-14).

59 Vers 745 selon D. Iogna-Prat (La Maison Dieu, p. 141), vers 750 selon H. Beumann (Lexikon des Mittelalters, tome 1, col. 634) ainsi que selon M.-H. Jullien et F. Perelman (Clavis Scriptorum Latinorum Medii Aevi, tome 1, p. 152) et au milieu ou à la fin des années 750 selon S. A. Rabe (Faith, Art, and Politics at Saint-Riquier, p. 52-53).

60 Au sujet des œuvres d’Angilbert, voir MGH, Poetae, 1, p. 355-381 ; M.-H. Jullien et F. Perelman, Clavis Scriptorum Latinorum Medii Aevi, tome 1, p. 152-179.

61 Nithard, Histoire des fils de Louis le Pieux, éd. et trad. P. Lauer revues par S. Glansdorff, l. IV, c. 5, p. 148-151. Nithard et Hartnid étaient peut-être des jumeaux. Étant donné que l’on ne sait absolument rien sur Hartnid, à tel point que son existence réelle peut paraître incertaine, il est possible qu’il soit en fait mort en bas âge. 62 On considère que ce fut en 790 du fait d’une lettre d’Alcuin adressée à l’abbé Adalhard de Corbie, à la fin de cette même année, dans laquelle il lui demande de saluer « son fils Angilbert, de fils désormais devenu père » (MGH, Epistolae, 4, n° 9, p. 35 : Saluta et Engelberhtum filium, nunc vero ex filio patrem).

63 S. A. Rabe, Faith, Art, and Politics at Saint-Riquier, p. 74 ; F. Héber-Suffrin et A. Wagner, « Autels, reliques et structuration de l’espace monastique », p. 42 ; F. Möbius, Die karolingische Reichsklosterkirche Centula, p. 11.

64 Lexikon des Mittelalters, tome 1, col. 634 ; S. A. Rabe, Faith, Art, and Politics at Saint-Riquier, p. 52 ; F. Möbius, Die karolingische Reichsklosterkirche Centula, p. 10.

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reprises : en 792 pour conduire Félix d’Urgel auprès du pape Adrien Ier66, en 794 pour remettre à ce même pape un capitulaire contre le concile de Nicée II rédigé lors du concile de Francfort67 et en 796 pour offrir une part du trésor des Avars au pape Léon III68.

Dès le début de son abbatiat, Angilbert lança la reconstruction de l’abbaye de Saint-Riquier, un chantier qui fut contemporain de celui du palais et de la chapelle d’Aix69. La nouvelle abbaye comprenait trois églises, à savoir l’abbatiale dédiée au Sauveur et à Riquier, une église dédiée à la Vierge Marie et une église dédiée à Benoît. Ces trois églises, qui formaient un triangle irrégulier, étaient reliées par des galeries couvertes. Du fait de son architecture et de sa symbolique, l’abbaye carolingienne de Saint-Riquier a particulièrement intéressé les historiens et les historiens de l’art depuis le début du XXe siècle70. Cependant, nous n’entrerons pas ici dans l’analyse architecturale et symbolique de cette abbaye car c’est un travail qui n’est pas en rapport avec l’objet de ce chapitre. Rappelons simplement, car ce point a été clairement établi, qu’il faut voir dans l’abbaye reconstruite par Angilbert une concrétisation architecturale des conceptions théologiques carolingiennes et notamment du dogme de la Trinité.

Charlemagne, qui a apporté une aide financière à la reconstruction de l’abbaye de Saint-Riquier, est également l’auteur, le 28 avril 797, à Aix-la-Chapelle, d’un diplôme par lequel il lui donne, à la demande d’Angilbert, la cella de Forest-Montiers71 :

Décidant, nous ordonnons par conséquent, et nous voulons que cela reste perpétuellement acquis par le droit le plus ferme en ce qui concerne le monastère

66 Annales regni Francorum et Annales q. d. Einhardi, p. 90. 67 MGH, Epistolae, 5, n° 2, p. 5-7.

68 Annales regni Francorum et Annales q. d. Einhardi, p. 98-99.

69 Éginhard, Vie de Charlemagne, éd. et trad. M. Sot et C. Veyrard-Cosme, c. 26, p. 60-61. Au sujet du palais et de la chapelle d’Aix, voir, entre autres, G. Bandmann, « Die Vorbilder der Aachener Pfalzkapelle », p. 424-462 ; F. Kreusch, « Kirche, Atrium und Portikus der Aachener Pfalz », p. 463-533 ; L. Hugot, « Die Pfalz Karls des Großen in Aachen », p. 534-572 ; M. Sot, « Le palais d’Aix : lieu de pouvoir et de culture », p. 243-261.

70 On peut citer, entre autres, les références bibliographiques suivantes (dans l’ordre chronologique) : G. Durand, La Picardie historique et monumentale, tome IV, seconde partie, p. 136-196 ; W. Effmann, Centula – St. Riquier ; Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, tome 14, deuxième partie, col. 2430-2454, plus précisément col. 2435-2452 ; J. Hubert, « Saint-Riquier et le monachisme bénédictin en Gaule à l’époque carolingienne », p. 293-309 ; C. Heitz, Recherches sur les rapports entre architecture et liturgie à l’époque carolingienne ; S. A. Rabe, Faith, Art, and Politics at Saint-Riquier ; D. Iogna-Prat, « Architecture et liturgie », p. 297-307 ; H. Bernard, « Saint-Riquier : l’abbaye carolingienne d’Angilbert », p. 55-82 ; F. Héber-Suffrin et A. Wagner, « Autels, reliques et structuration de l’espace monastique », p. 27-55 ; F. Möbius, Die karolingische Reichsklosterkirche Centula ; C. Sapin, Les cryptes en France ; M.-L. Pain, « L’abbaye de Saint-Riquier : églises et liturgie », p. 27-37.

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renommé de Centule, que le susdit Angilbert et ses successeurs à perpétuité, qui auront été à travers les âges les recteurs de ce monastère, tiennent et possèdent, par ce précepte de concession et de confirmation de notre sérénité, la susdite celle de Forest-Montiers avec tout le mobilier de l’église et tous ses biens et dépendances ou annexes, tout ce qu’elle apparaît posséder justement et raisonnablement aujourd’hui ou qui lui aura été ajouté ou délégué de même par la suite avec justice et équité par l’attribution du souverain […]72.

Cette donation royale avait peut-être pour but d’aider financièrement l’abbaye de Saint-Riquier à une époque où les travaux de reconstruction n’étaient pas encore terminés. Cependant, il ressort surtout de ce diplôme que la cella de Forest-Montiers s’est apparemment développée de façon autonome pendant plusieurs décennies puisqu’elle n’a appartenu à Saint-Riquier qu’à partir de 797.

L’un des temps forts de l’abbatiat d’Angilbert fut assurément la venue de Charlemagne à l’abbaye, en avril 800, pour la fête de Pâques73. Le roi était venu inspecter et renforcer les défenses côtières face à la menace nouvelle que représentaient les Vikings. Il avait quitté Aix-la-Chapelle en mars et était passé par Bertin avant d’arriver à Saint-Riquier. Par la suite, il se rendit à Rouen puis à Saint-Martin de Tours dont l’abbé n’était autre qu’Alcuin. Il revint en juillet à Aix-la-Chapelle en passant par Orléans et Paris74. Comme nous l’avons déjà dit, c’est à l’occasion de ce passage de Charlemagne à Saint-Riquier qu’Angilbert demanda à Alcuin, qui faisait partie de la suite du roi, de réécrire la première Vie de Riquier75. Entre 800 et son décès, le 18 février 814, trois semaines après celui de Charlemagne (le 28 janvier 814), Angilbert semble avoir vécu essentiellement à

Saint-72 MGH, Diplomata, DD Kar. 1, n° 182, p. 246 : Statuentes ergo iubemus, quod perpetualiter circa memoratum monasterium Centulum iure firmissimo mansurum esse volumus, ut suprascriptus Anghilbertus suique in perpetuum successores, qui fuerint per tempora rectores ipsius monasterii, supradictam cellam Foreste cum omni ornatu ecclesiae et omnibus rebus vel appendiciis seu adiacentiis suis, quicquid ad praesens iuste et rationabiliter possidere videtur, aut inantea domino tribuente ibidem additum vel delegatum cum iustitia et aequitatis ordine fuerit, per hoc nostrae serenitatis concessionis atque confirmationis praeceptum teneant atque possideant […].

73 Annales regni Francorum et Annales q. d. Einhardi, p. 110-111.

74 Annales regni Francorum et Annales q. d. Einhardi, p. 110-111 ; MGH, Diplomata, DD Kar. 1, n° 191, p. 256. É. Lesne assimile ce voyage de Charlemagne à une sorte de pèlerinage à différents sanctuaires et estime que Charlemagne n’avait pas spécialement décidé de venir à Saint-Riquier pour fêter Pâques (Histoire de la propriété ecclésiastique, tome 2, fasc. 2, p. 389, note 10).

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Riquier76. Il n’est mentionné hors de son abbaye que lors de la rédaction du testament de Charlemagne, en 811, à laquelle il assista77.