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Introduction de la première partie

1.1. Les migrants, acteurs centraux des dynamiques urbaines

Quelle place pour les migrations intérieures au sein de la recherche sur les 1.1.1.

migrations ?

Depuis ses débuts, l’étude des migrations s’est constituée comme un champ de recherche fragmenté. Si l’absence de dialogue entre les différentes disciplines a aujourd’hui disparu3, un certain nombre d’oppositions binaires, héritées de cette période, sous-tendent encore nombre de travaux : forcées ou volontaires, temporaires ou permanentes, légales ou illégales, les migrations continuent à être lues selon des grilles d’analyse dialectiques, alors même que le bienfondé méthodologique de ces dernières est désormais discuté (Pryor, 1981). Parmi ces oppositions, la dichotomie emprunte de géographie entre migrations intérieures et internationales a acquis au fil du temps un tel caractère d’évidence qu’elle est devenue un élément structurant des études migratoires. Articles, livres, rapports, tous l’ont intégrée, la plupart du temps, d’ailleurs, au bénéfice presque exclusif d’une échelle internationale désormais hégémonique. D’un côté, la production scientifique contemporaine, de par l’attention que les auteurs portent désormais aux mouvements internationaux, exclue de fait la dimension nationale de la majorité des migrations actuelles. De l’autre, les rapports, notamment produits par les instances intergouvernementales officielles en charge des questions migratoires, participent eux-aussi a entériné un parti-pris scientifique pourtant discutable. Ainsi du Glossary on Migration publié par l’Organisation internationale des migrations (IOM) qui, derrière la volonté d’objectivité portée par le terme « glossaire », accorde deux entrées distinctes pour chaque type de migrations et valide ainsi ce cloisonnement scalaire (IOM, 2004).

Pour insatisfaisante qu’elle puisse être, la lecture de ces deux définitions fournit cependant des éléments de compréhension de ce que peuvent recouvrir chacun des deux termes. Aux migrations intérieures entendues comme des « mouvements de population temporaires ou permanents en provenance

d’une région d’un pays vers une autre dans le but ou dont l’effet est l’établissement dans un nouveau lieu de résidence [pour des] migrants [qui] se déplacent mais demeurent à l’intérieur de leur pays d’origine » (Ibid. :

32)4, répondent des migrations internationales qui correspondent, quant à elle, à des

3 Le domaine de la recherche sur les migrations est aujourd’hui en pointe dans le domaine de l’interdisciplinarité.

4 Nous retrouvons peu ou prou cette définition chez Jean-Marc Zaninetti pour qui « la migration intérieure est un changement durable de région de résidence, urbaine ou rurale, à l’intérieur d’un même pays » (Zaninetti, 2010).

« mouvement[s] de populations qui quittent leur pays d’origine, ou le pays de résidence habituel, pour s’installer de

manière permanente ou temporaire dans un autre pays ». La différence entre ces deux types de migrations

tiendrait donc à une donnée fondamentale : « Une frontière internationale est alors franchie » (Ibid. : 33). Cette définition binaire n’est pourtant pas suffisante. Bien trop figée dans le temps et dans l’espace, elle oublie presque totalement le caractère relatif des frontières tout comme leurs évolutions au cours de l’histoire : au sein de l’Union européenne et de l’espace Shengen, le fonctionnement mobilitaire et migratoire, sans régime de passeports, visas et autres contrôles aux frontières tend aujourd’hui à se rapprocher d’un fonctionnement migratoire intérieur, alors même que les frontières entre Etats, certes toujours plus poreuses, demeurent. A l’inverse, des frontières peuvent apparaître, disparaître ou modifier leurs tracés au gré des événements politiques : l’unification allemande a transformé le statut de migrants qui d’internationaux, sont devenus intérieurs ; la chute de l’Union Soviétique et notamment de la Yougoslavie a eu l’effet inverse : la création de nouveaux Etats a « internationalisé » des mouvements migratoires autrefois intérieurs. De même, la distance ne peut constituer un critère suffisant pour déterminer un supposé profil migratoire : un citadin de Copenhague décidant de s’installer à Malmö effectue une migration internationale de 3 kilomètres tandis qu’un habitant de New York partant pour Los Angeles sera considéré comme un migrant intérieur alors même que son trajet dépassera les 4000 kilomètres.

Le questionnement juridique qui expliquait une analyse par définition dichotomique des phénomènes migratoires a néanmoins dépassé son cadre disciplinaire originel pour percoler la majeure partie des recherches sur les migrations. L’attention des chercheurs s’est alors concentrée sur des migrations et des migrants internationaux, peut-être plus emblématiques de problématiques migratoires actuelles, mais a, du même coup, minoré les points de convergence qu’une lecture croisée aurait permis de synthétiser. En d’autres termes, les études migratoires continuent, de manière plus ou moins consciente, à se construire sur ce présupposé scalaire, alors même que plusieurs géographes ont montré que le local et le global entretenaient des relations plus complexes qu’un stricte antagonisme d’échelles (Pumain, 2003 ; Lévy, 2008 ; Lussault, 2013). La suprématie des migrations internationales dans les préoccupations des chercheurs pourrait laisser penser que les effectifs d’immigrés prennent largement le pas sur les migrants internes. L’analyse des données statistiques disponibles tend à démontrer le contraire : la majorité des déplacements humains s’effectue à l’intérieur de frontières nationales (PNUD, 2009).

Le poids des migrations intérieures dans le contexte migratoire mondial 1.1.2.

Comparer les données relatives au nombre de migrants internes et celles concernant les effectifs d’immigrés transnationaux est une tâche malaisée. Aux problèmes inhérents à tout dénombrement statistique viennent se greffer des biais méthodologiques propres à l’étude des faits migratoires, parmi lesquels la production incomplète de données exhaustives. Les migrations internationales, fortement surveillées et étudiées, font l’objet, pour leur part, de comptages systématiques qui, s’ils sont discutés voire critiqués, n’en demeurent pas moins des bases qui dessinent des tendances à même de saisir les réalités migratoires contemporaines. Le croisement des estimations fournis par plusieurs agences officielles (DAES-ONU, Banque Mondiale, PNUD) à différentes dates évalue ainsi le nombre de migrants internationaux à 175 millions en 2000, 191 millions en 2006, à plus de 214 millions en 2013 : rapporté à la population mondiale, ce chiffre est faible, seulement de l’ordre de 3% (IOM, 2013). Au sein des contextes démographiques nationaux, les taux d’émigration représentent, là encore, des proportions somme toute assez réduites, même si quelques exceptions (Kazakhstan, Biélorussie, pays du Caucase, …) nuancent cette affirmation (CARTE 1). La part des migrations intérieures dans la démographie mondiale est bien plus difficile à établir. Les plupart des agences statistiques nationales, à commencer par celles des pays les plus développés, ne dénombrent pas ou plus les migrations qui s’effectuent à l’intérieur de leurs frontières nationales : le manque de données fiables, pour ne pas dire, dans bien des cas, le manque de données tout court, participe à rendre « invisibles » des mouvements migratoires pourtant majeurs dans les transformations des profils démographiques nationaux et internationaux (CARTE 1b). Même lorsque les données existent, le problème de la définition du terme « migrant intérieur » demeure. Souvent relatifs à des périodes très courtes, quelques années tout au plus, les chiffres disponibles ne concernent que les individus s’étant déplacés pendant cette phase migratoire et n’englobent en rien les mouvements antérieurs. Dans ce contexte, l’analyse ne peut être qu’incomplète, d’autant plus que les tentatives de les confronter avec les données antérieures se heurtent, là encore, à une absence de statistiques disponibles. Plus souvent mentionné dans les bases de données disponibles, le lieu de naissance des individus, s’il dessine des tendances statistiques quant au volume des flux intérieurs et permet de déterminer les régions émettrices de flux migratoires, reste une donnée figée qui ne nous renseigne malheureusement que trop peu sur les trajectoires et les expériences migratoires des individus concernés.

Face à l’impossible calcul exact du poids des migrations intérieures dans la démographie mondiale, plusieurs organismes internationaux ont néanmoins proposé des estimations visant plutôt à définir un ordre de grandeur vis-à-vis des flux internationaux. Ainsi du PNUD qui, dans son Rapport mondial sur le développement humain, écrit : « Même en retenant une définition conservatrice de la

migration interne qui ne tiendrait compte que des déplacements entre les plus grandes démarcations territoriales despays concernés, le nombre de migrants internes de notre échantillon est six fois plus élevé que le nombre d’émigrants » (PNUD, Op. cit. : 23).

La suprématie des flux migratoires intérieurs sur ceux internationaux semble donc être un fait admis, mais demeure mal évalué par les organismes gouvernementaux. Afin d’affiner l’ordre de grandeur proposé par le PNUD entre les différentes migrations, le travail de King, Skeldon et Vullnetari propose de mettre en perspective le chiffre total des migrants internationaux avec le nombre de migrants intérieurs des deux colosses démographiques mondiaux, la Chine et l’Inde : en 2001, année où les données disponibles sont globalement peu discutées, les estimations du nombre de migrants intérieurs chinois dépassent les 100 millions (Deshingkar et Grimm, 2005), alors que les migrants indiens, quant à eux, sont évalués à plus de 300 millions, soit 30% de la population nationale (Deshingkar, 2006). A eux seuls, les migrants intérieurs chinois et indiens sont deux fois plus importants que l’ensemble de l’effectif mondial d’émigrés (King, Skeldon et Vullnetari, 2008). Les trois auteurs vont plus loin et voient dans l’urbanisation généralisée de la planète un autre argument pour justifier l’importance des migrations intérieures dans les dynamiques démographiques contemporaines, notamment urbaines : « lors de la période 1900-2000,

les effectifs de la population vivant en ville ont été multiplié par vingt passant de 262 millions (163 millions dans les pays développés, 99 millions dans ceux en développement) à 2,856 milliards (882 millions dans les pays développés, 1,974 milliard dans ceux en développement) » (Ibid. : 3). Ces dynamiques avaient déjà fait

l’objet de comptages qui estimaient que 40% de l’urbanisation des pays asiatiques, africains ou latino-américains, était le fait des migrations intérieures (Skeldon, 2006). Néanmoins, si les statistiques disponibles témoignent de l’hégémonie quantitative des migrations effectuées à l’intérieur de frontières nationales, force est de constater que les sciences sociales peinent aujourd’hui à prendre en compte à leur juste valeur ces mouvements migratoires. Un regain d’intérêt à leur égard, s’il s’avère nécessaire, ne doit pourtant pas devenir une fin en soi : il s’agit plutôt de proposer une approche globale des faits migratoires débarrassée d’un cloisonnement épistémologique et méthodologique sans fondement qui empêche, aujourd’hui encore, une pleine et entière compréhension des évolutions démographiques et migratoires actuelles.

Migrations intérieures vs. internationales : une dichotomie pertinente ? 1.1.3.

Les sciences humaines et sociales sont entrées depuis quelques années maintenant dans un nouveau paradigme scientifique, celui de l’interdisciplinarité, auquel se rattache la place nouvelle acquise par l’analyse systémique des phénomènes sociaux et spatiaux. Colloques, séminaires, projets de recherche, offres de formation universitaire, tendent à rapprocher et à rassembler autour de thématiques communes des chercheurs issus d’horizons disciplinaires variés, afin que leurs approches dialoguent et s’enrichissent mutuellement (Hamel, 2013). Particulièrement influencé par les avantages que peut apporter la déconstruction des cadres disciplinaires traditionnels, le champ de recherche sur les migrations a profondément intégré ces nouvelles manières de produire de la connaissance scientifique5, mais continue trop souvent à oublier les flux migratoires infra-étatiques, tout au moins à ne pas voir les relations évidentes qu’ils peuvent entretenir avec les flux internationaux. Derrière les déclarations de principe, certains héritages épistémologiques demeurent, malheureusement creusés par l’appropriation au fil du temps de certains objets de recherche par quelques disciplines. L’incapacité à associer les différentes dimensions des phénomènes migratoires n’est certes pas une tendance nouvelle, mais a toutefois connu une bascule radicale dans le choix de l’échelle de recherche. Au moment où naît un intérêt pour le comportement des migrants, en particulier avec la théorie pionnière des « lois des migrations6 » (laws of migration) d’E. G. Ravenstein (Ravenstein, 1885), les chercheurs s’appuient uniquement sur l’observation des migrations internes aux pays européens. Dans un contexte où la mondialisation est encore loin d’occuper les préoccupations des chercheurs, l’ouverture du regard est longue à se dessiner : dans la deuxième version de sa recherche, Ravenstein pressent que les phénomènes migratoires commencent à dépasser l’échelle locale7 et que l’analyse doit intégrer des distances plus importantes (Id., 1889), mais peine à systématiser une intuition qui remettrait en question un paradigme scientifique qui circonscrit alors les migrations à une dimension strictement locale (Grigg, 1977).

5 Les exemples de l’interdisciplinarité dans le domaine des recherches sur les migrations abondent et ne peuvent être présentés ici de manière exhaustive. Mentionnons cependant, pour le contexte scientifique francophone, l’existence depuis 1985 de l’unité de recherche MIGRINTER (UMR 7301) rattachée à l’université de Poitiers qui associe en son sein sociologues, anthropologues et géographes travaillant sur les migrations internationales et à laquelle se rattache la Revue Européenne des Migrations Internationales (REMI). Cette volonté de dialogue disciplinaire se retrouve au sein du laboratoire TELEMME de l’université d’Aix-Marseille avec le groupe Telemmig regroupant historiens, géographes, anthropologues, sociologues et linguistes. Concernant les revues existantes (Hommes et migrations, Migrations Société, Les cahiers de l’URMIS, Diasporas, Passerelles, Migrations Santé, etc.), leurs lignes éditoriales, pour différentes qu’elles puissent être, se rejoignent toutes sur la volonté de rassemblement de chercheurs aux profils variés (Tardif, 2009).

6 Parmi les onze lois que définit Ravenstein, la première d’entre elles constate que la majorité des mouvements migratoires s’effectue sur de courtes distances.

7 Ravenstein fonde notamment sa démonstration sur l’exemple de la traversée transatlantique qui connait, à la fin du XIXe, un fort accroissement de sa fréquentation.

Ce cloisonnement que déplorait encore Robin Pryor au début des années 1980 (Pryor, Op. cit.) a marqué durablement une certaine partition dans les études migratoires qui donne aujourd’hui lieu à deux corpus de recherche étrangers l’un à l’autre, élaborés chacun à partir d’outils théoriques, conceptuels et méthodologiques différents. Les raisons sont autant structurelles que conjoncturelles : sources et natures des données démographiques utilisées, appartenance disciplinaire des chercheurs, méthodologie d’analyse, nature des programmes de recherche et, parfois, de leurs financements (Salt et Kitching, 1992 ; Skeldon, Op. cit.). De même, l’importance – encore prégnante aujourd’hui –, dans plusieurs pays occidentaux et notamment en France, d’une certaine idéologie d’unité nationale a longtemps biaisée le regard des chercheurs : la population nationale est considérée comme un ensemble homogène (Thiesse, 2001 ; Anderson, 2006) au sein duquel les différences régionales sont soient folklorisées soient convoquées pour montrer la capacité assimilatoire de la nation (Csergo, 1995). Impossible, dans ce contexte politico-scientifique, de proposer une véritable analyse des stratégies d’adaptation élaborées par des migrants alors non reconnus comme tels. En d’autres termes, une approche globale des faits migratoires serait impossible puisque chaque « tradition migratoire » engendrerait des conséquences démographiques, sociales, économiques, politiques et culturelles distinctes.

Sans aller jusqu’à parler d’« appartheid » épistémologique (Champion, 1993), cette division persistante entre migrations intérieures et internationales « freine le développement d’un travail théorique

et fait obstacle à la compréhension du rôle des migrations dans les dynamiques démographiques » (Salt et

Kitching, op. cit. : 160). Rapidement attirés vers les migrations et les migrants internationaux, géographes humanistes, sociologues et anthropologues abandonnent aux économistes, démographes l’étude des migrations intérieures. L’écrasante majorité des recherches s’attache alors à élaborer des méthodes de mesure de ces mobilités dont le but est l’élaboration de modèles explicatifs des conséquences économiques et démographiques des flux migratoires internes (Tugault, 1973 ; Todaro, 1976 ; Courgeau, 1988 ; Lucas, 1997). L’analyse économique en termes de coûts-bénéfices de Sjaastad (Sjaastad, 1962), celle de Wolpert sur l’importance des comportements dans le processus décisionnaire de migrer (Wolpert, 1965), ou encore le travail de théorisation de Lee (Lee, 1966) s’appuient quant à eux sur des exemples de flux migratoires internes aux Etats, sans jamais les faire dialoguer avec l’échelle internationale (White et Woods, 1980). Quelques travaux de géographie humaine tentent toutefois d’appliquer aux migrations internes certaines grille d’analyse traditionnellement réservées aux migrations internationales. Philippe Fargues propose ainsi une étude des migrations internes en Syrie (Fargues, 1979) à partir de la notion de « champ migratoire » forgée quelques années auparavant par Roger Béteille dans son étude sur les Aveyronnais à Paris, tandis que Tajeddine Baddou développe une analyse

psychosociologique afin de comprendre les stratégies d’adaptation des migrants marocains à Fès et Taza (Baddou, 1973). La majeure partie des travaux de géographes demeurent toutefois fortement influencée par une approche quantitativiste des phénomènes migratoires (Kosinski et Mansell Prothero, 1975).

Devenue une thématique de plus en plus présente à mesure que le processus de mondialisation s’accroît, la recherche sur les mouvements migratoires ne parvient toutefois pas à résorber le fossé méthodologique qui ne cesse de se creuser, notamment avec la place désormais hégémonique acquise par les migrations internationales. La production scientifique regorge d’exemple de ce déséquilibre quantitatif devenu, par extension qualitatif : Gildas Simon, dans La

planète migratoire dans la mondialisation (2008) ne propose à aucun moment une analyse, même

parcellaire, des migrations intérieures aux Etats ; L’économie politique des migrations (2010) est une économie internationale ; Les nouvelles migrations (2013) de Catherine Withol de Wenden sont internationales ; les Migrations contemporaines (2009) que se propose d’étudier la revue neuchâteloise de géographie sont elles aussi internationales. La recherche francophone n’est pas la seule, loin de là, à focaliser son attention sur cet aspect du fait migratoire. Qu’il s’agisse des ouvrages Age of

Migration (1993) de Castles et Miller, Global Migration Crisis (1995) de Myron Weiner ou Migration Theory (2000) de Brettell et Hollifield, à chaque fois, les phénomènes étudiés s’inscrivent dans un

contexte mondial, tout au moins transnational. Parallèlement, la réactualisation des recherches sur le fonctionnement des groupes diasporiques, tombés dans un oubli relatif depuis les travaux de l’Ecole de Chicago (Vertovec et Cohen, 1999), ne facilite pas le regain d’intérêt à l’égard de migrations intérieures dédaignées par un champ de recherche toujours plus tourné vers l’échelle globale. La définition que donne Gildas Simon de « la planète migratoire » entérine un paradigme dans lequel l’échelle régionale tendrait presque à devenir un anachronisme : « Faire référence à la

planète migratoire, c’est affirmer la prévalence des logiques planétaires sur les modes de fonctionnement locaux ou régionaux ; non que ces derniers aient disparu ou soient devenus sans objet mais le fait est qu’aujourd’hui leur rôle tend à se subordonner […] » (Simon, 2008 : 4). Cette réorientation scalaire suit finalement les

évolutions démographiques, politiques, sociales et sociétales que les sociétés occidentales connaissent depuis une trentaine d’années : la transition démographique symbolisée par l’exode rural s’est achevée et a été remplacée par des flux migratoires non plus régionaux8 mais en

8 Cette idée couramment répandue pose néanmoins la question de l’existence ou non de migrations intérieures dans les pays ayant achevé leur transition démographique et leur révolution urbaine. L’hypothèse de Jean-Marc Zaninetti prend le contre-pied des théories traditionnelles : d’une part, les migrations intérieures, notamment en France et aux Etats-Unis, sont toujours actives, d’autre part les conditions de migration n’ont jamais été aussi favorables puisque « l’unité politique, linguistique et juridique des pays occidentaux développés facilitent incontestablement les migrations intérieures, la libre circulation de la population et le libre choix de sa région de résidence sont des droits reconnus dans ces pays […] » (Zaninetti, op. cit. : 91). L’intérêt très limité à leur égard s’expliquerait-il par la volonté de ne plus utiliser un lexique jugé inapproprié pour les contextes européens et désormais supplanté par le terme (trop) englobant de « mobilités » ?

provenance de l’ensemble de la planète. Ces dynamiques migratoires ont donné naissance à des configurations socio-spatiales d’un type nouveau dont la gestion politique pose une batterie d’interrogations : quel statut juridique pour les immigrés ? Quelles politiques les Etats et/ou les instances supranationales doivent-ils mettre en place ? La gestion étatique traditionnelle s’adapte-t-elle à des sociétés désormais multiculturelles ? Quels enjeux politiques et géopolitiques soulèvent ces nouveaux flux migratoires ? A l’échelle des individus, ces flux donnent lieu à de nouvelles approches. Aristide Zolberg les considèrent comme des « processus sociaux de distinction » au sein desquels le contexte étatique les singularise des mouvements intérieurs : les régulations aux frontières, les difficultés pour résider, trouver un emploi voire accéder à la citoyenneté du pays d’arrivée, représentent des obstacles sociaux, administratifs et politiques difficiles à surmonter qui sélectionnent les immigrés, en même temps qu’elles les singularisent dans leur nouveau pays de résidence (Zolberg, 1989).

L’hégémonie actuelle de l’échelle internationale ne doit pourtant pas occulter l’intérêt actuel d’un