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CHAPITRE 5 : LA DISCUSSION

5.1 LA PHASE DE SURVIE

5.1.2 Les conditions de travail et la suppléance

Les conditions d’insertion dans la profession enseignante ainsi que les conditions de travail que doivent traverser les nouveaux enseignants ont été décrites et analysées dans de nombreuses recherches (Borman et Dowling, 2008; COFPE, 2002; Conseil supérieur de l’éducation, 2004; Gingras et Mukamurera, 2008; Sauvé, 2012); la précarité et l’instabilité semblent caractériser la voie d’accès à la profession enseignante depuis plusieurs années. Les enseignants ayant participé à notre recherche ont confirmé ces données. D’abord, ils dénoncent le fait de toujours vivre dans l’inconnu. Les enseignants sont confrontés plusieurs fois par semaine, et parfois même plusieurs fois par jour, à de nouvelles écoles, à de nouveaux élèves et à de nouvelles façons de gérer une classe. Cela vient appuyer l’étude de Sauvé (2012) qui concluait que le deuxième facteur de l’attrition des enseignants était la précarité causée par cette mobilité : « le fait de devoir changer d’école, ou même de niveau, à chaque année et parfois plus d’une fois par année, est une source d’insatisfaction majeure influençant la décision de quitter la profession » (Sauvé, 2012; p.160). Cela a également un

autre impact sur les enseignants : ils ont de la difficulté à développer une relation avec les élèves et à avoir un impact dans l’éducation de ces derniers. Ils se sentent alors comme des surveillants plutôt que comme des enseignants.

Ensuite, les participants à notre recherche ont dénoncé, en raison des conditions de travail, les difficultés qu’ils ont à se projeter dans l’avenir et à faire des projets avec leur conjointe ou leur conjoint. Cela est causé par des soucis financiers et par l’instabilité professionnelle. De plus, les questionnements relatifs à la possibilité de travailler ou non minent constamment le moral des enseignants et les amènent à se remettre en question régulièrement. Toujours concernant les conditions de travail, les enseignants ont déploré les conditions qu’ils doivent vivre en tant qu’enseignants précaires. Par exemple, en ce qui concerne le nombre d’heures travaillées et rémunérées, des enseignants nous ont fait part de situations embarrassantes. Remplaçant des enseignants pour plusieurs jours ou plusieurs semaines, mais n’ayant pas de contrats officiels, ils se retrouvent parfois dans l’obligation de faire de la planification ou de la correction sans être payés pour ces tâches, mais ils ne dénoncent pas ces situations par crainte de perdre leur remplacement. Dans le cadre de notre recherche, ils sont treize enseignants sur vingt rencontrés à occuper un deuxième emploi, complexifiant davantage la gestion de leur horaire. En effet, lorsqu’ils sont moins en demande pour la suppléance, ils sont heureux de pouvoir compter sur un autre revenu, mais lorsqu’ils travaillent beaucoup dans les écoles, ils sont parfois contraints de travailler sept jours sur sept. En lien avec les conditions de travail difficiles qu’ils doivent subir, les enseignants trouvent aussi déplorable que la mobilité entre commissions scolaires ne soit pas tolérée. Onze participants songent à déménager pour travailler, mais ils sont inquiets, puisque ce choix les priverait d’accumuler de l’ancienneté dans leur ville de départ. Plusieurs préfèrent donc attendre plutôt que de déménager.

Dans le même ordre d’idées, les enseignants-suppléants ont dénoncé leurs conditions de travail ou plutôt le sentiment de ne tout simplement pas avoir de conditions de travail. Ils se sentent impuissants devant la possibilité ou l’impossibilité de travailler, ils ont le sentiment d’être inutiles dans la société et ils trouvent très difficile de vivre avec l’instabilité causée par la suppléance. De même, plusieurs nous ont mentionné qu’ils

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vivaient une sorte d’obsession envers leur téléphone, ayant toujours la crainte de manquer un appel ou de devoir dire non à une école, ce qui nuirait à leur réputation.

5.1.3 Les disparités entre la formation et la pratique

Les disparités entre la formation et la pratique forment un autre élément qui a contribué à laisser les nouveaux enseignants dans la phase de survie. Nos participants ont été nombreux (N = 17) à mentionner que les cours qu’ils avaient reçus dans leur formation n’avaient pas favorisé leur insertion dans le marché du travail. Ces enseignants dénoncent le fait qu’il y avait trop de théories et qu’il manquait d’éléments pratiques, concrets dans leur baccalauréat. Une fois en classe, ils n’utilisent pas les notions qu’ils ont vues à l’université, ils doivent plutôt se référer à leurs expériences personnelles, du temps où ils étaient eux-mêmes élèves. L’amélioration de la formation initiale en lien avec la réalité du milieu est d’ailleurs l’une des conclusions de la recension des écrits sur le décrochage enseignant de Karsenti, Collin et Dumouchel (2013).

De plus, la construction des examens et l’évaluation des connaissances sont des éléments qui ne sont pas assez vus à l’université, selon nos participants. Cette problématique ne semble pas nouvelle dans le milieu de l’éducation, puisqu’en 2004, Uwamariya avait déjà soulevé que la formation universitaire était trop théorique et éloignée de la réalité du milieu. Les novices rencontrés par cette chercheuse avaient aussi soulevé que la formation n’outillait pas les enseignants à surmonter les difficultés reliées à la gestion de classe et les difficultés relatives à l’insertion professionnelle (Uwamariya, 2004), problèmes également mentionnés par nos participants. Effectivement, comme nous l’avons mentionné précédemment, le contenu des cours de gestion de classe ne semble pas adapté à la réalité du milieu de l’éducation. Les participants à notre étude nous ont dit qu’ils n’avaient pas eu assez de cours de gestion de classe et que ceux-ci ne leur avaient pas apporté les outils, les trucs et les compétences nécessaires.

En outre, les enseignants ont dénoncé le manque d’informations relatives à l’insertion professionnelle. Rappelons que dix-huit enseignants nous ont dit que l’université ne leur avait pas transmis d’informations quant à l’entrée sur le marché du travail. Ils sont

d’avis que les informations qui circulent depuis plusieurs années ne correspondent pas à la réalité quant aux perspectives d’emplois en enseignement; ils croyaient qu’ils pourraient accéder à des postes ou, du moins, à des contrats, plus rapidement. De plus, ils auraient aimé recevoir plus de renseignements sur les processus d’embauche, sur le fonctionnement des listes de priorité d’emploi, sur le fonctionnement des commissions scolaires et sur le système scolaire québécois.

Afin de valider ces informations, nous avons analysé les cours composant le programme d’enseignement au secondaire à l’Université Laval ainsi que ceux des programmes d’enseignement au secondaire des autres universités québécoises (l’Université de Sherbrooke, l’Université de Montréal et le réseau de l’Université du Québec). Quels sont les contenus des cours obligatoires des étudiants en enseignement au secondaire? Ont-ils accès à des informations sur le système scolaire, sur le fonctionnement du marché du travail et sur leur insertion professionnelle? Quelle place prend la gestion de classe dans la formation des futurs enseignants au secondaire?

Premièrement, nous avons analysé le programme de l’Université Laval. L’annexe H présente le cheminement au baccalauréat en enseignement au secondaire à l’Université Laval (Université Laval, 2015c). Ce schéma illustre la maquette de cours suivis par un futur enseignant en univers social (histoire et géographie), mais les activités de formation communes à toutes les concentrations sont indiquées par une étoile. À partir de cette maquette de cours, nous constatons que 68 crédits sur les 120 crédits du baccalauréat sont accordés aux cours portant sur l’histoire et la géographie ainsi que sur la didactique de l’histoire et de la géographie. Il en est de même dans les autres champs d’enseignement; par exemple, 68 crédits sur 120 sont accordés à la grammaire, à la linguistique, à la littérature et à la didactique du français pour les étudiants ayant choisi la concentration français, langue première (Université Laval, 2015b). Les 52 autres crédits sont attribués aux activités de formation communes qui concernent l’enseignement au secondaire, à l’exception de trois crédits accordés à un cours de langue seconde. Le tableau 8 présente la répartition des 49 autres crédits en fonction des sujets abordés dans les cours.

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Tableau 8 : Répartition des activités de formation communes des étudiants au baccalauréat en enseignement au secondaire à l'Université Laval, en fonction des sujets abordés et du

nombre de crédits accordés aux cours

En analysant le tableau 8, nous constatons que, comme nous l’ont mentionné les participants à notre étude, la gestion de classe ne prend qu’une petite place dans la formation des futurs enseignants au secondaire, avec seulement deux crédits sur les 120 crédits du baccalauréat. Sachant qu’il existe des « relations significatives entre la gestion de classe et une variété de retombées telles que la réussite, les attitudes et le comportement des élèves ainsi que la santé mentale, la satisfaction au travail et l'efficacité des enseignants » (Léveillé et Dufour, 1999; p.515), nous considérons que les étudiants au baccalauréat en enseignement au secondaire gagneraient à recevoir une formation en gestion de classe plus élaborée, davantage pratique et axée sur les réalités du milieu.

Sujets abordés Titre des cours Nombre de crédits

Formation pratique

Stage I : Exploration du rôle professionnel (ENS 1500) Stage II : Initiation à l’enseignement (ENS 2500)

Stage III : Prise en charge de groupes-classes (ENS 2510) Stage IV : Enseignement en responsabilité (ENS 3500)

21

Psychologie

Adolescence (ENS 1001)

Apprentissage et cognition (PPG 1902)

Élèves en difficulté de comportement (ENS 2001) 9

Problématiques sociales en éducation

Aspects sociaux de l’éducation (ENS 1002) Éducation en milieux défavorisés (ADS 1902)

ou

Éducation en milieu interculturel (ADS 1905)

ou

École d’été en éducation à l’environnement et développement durable (EDC 3000)

6

Communication et technologies de

l’information

Les TIC dans l’enseignement secondaire (TEN 1903)

ou

Communication orale en enseignement (COM 1903) 2

Fondements de l’éducation

Fondements philosophiques de l’éducation (PHI 1905)

ou

Évolution des idées et pratiques en enseignement (ENS 2001) 3

Évaluation Évaluation des apprentissages au secondaire (MEV 1904) 3 Éthique Formation éthique et enseignement (EDC 1901) 3 Gestion de classe Gestion de classe I (ENS 1003) Gestion de classe II (ENS 2000) 2

Mentionnons que les étudiants en enseignement au secondaire vivent une introduction aux fondements de l’éducation. En effet, d’après la maquette de cours présentée à l’annexe H, les étudiants doivent choisir entre deux cours à la dernière session : Fondements philosophiques de l’éducation, où la réflexion est mise de l’avant : « Que veut dire éduquer? Enseigner? Qu'est-ce qu'une science? Une science de l'éducation? Que veut dire former? » (Université Laval, 2015e) ou Évolution des idées et pratiques pédagogiques, visant l’initiation des étudiants à l’évolution des idées et des pratiques pédagogiques depuis l’Antiquité (Université Laval, 2015d). Ces cours ne répondent toutefois pas aux critiques et aux demandes de nos participants.

Effectivement, nous confirmons que les étudiants en enseignement au secondaire à l’Université Laval n’ont pas de cours portant sur le système scolaire du Québec, les commissions scolaires ou le fonctionnement de l’embauche et de l’affectation. Pourtant, d’après nos recherches, trois cours offerts par le Département des fondements et pratiques en éducation de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval ont des objectifs qui répondraient aux demandes de nos participants, mais ces cours ne s’adressent pas aux étudiants en enseignement au secondaire. Le cours Aspects politiques des systèmes scolaires (ADS 1901), qui fait partie du baccalauréat en éducation au préscolaire et en enseignement au primaire, est décrit de cette façon : « Fonctionnement dynamique des établissements scolaires du Québec : politiques, structures, règles, réformes, contraintes, régimes pédagogiques, programmes, etc. Dynamique des relations de travail et syndicalisme enseignant. Évolution de la profession enseignante au Québec. Valeurs, normes et identité professionnelle. Enjeux d'une professionnalisation de l'enseignement. » (Université Laval, 2015a). Ces thèmes font entre autres partie des manquements de la formation de nos participants. Le cours Organisation scolaire et profession enseignante (ADS 1903) fait partie du baccalauréat en enseignement de l’éducation physique et à la santé et a sensiblement la même description que le cours précédent (Université Laval, 2015f). Le cours Système scolaire du Québec (ADS 1904), qui est offert aux étudiants du baccalauréat en psychologie, du baccalauréat intégré en sciences des religions ou du certificat en sciences de l’éducation, « a pour but de faire connaitre et de faire comprendre l'essentiel du système scolaire à travers son organisation dynamique : structures, règles, réformes, contraintes, projets éducatifs, régimes pédagogiques, programmes

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d'enseignement, modes d'évaluation et relations de travail » (Université Laval, 2015g). Ainsi, l’ajout de cours portant sur ces thématiques du système scolaire permettrait aux futurs enseignants au secondaire d’affronter la phase de survie avec un plus grand bagage de connaissances.

Deuxièmement, nous avons constaté que les étudiants en enseignement au secondaire des autres universités québécoises ayant comme langue d’enseignement le français ont, dans leur cheminement, un cours obligatoire sur l’organisation scolaire au Québec et la profession enseignante. L’Université de Sherbrooke propose le cours Organisation scolaire et travail enseignant, ayant pour but de permettre à l’étudiant de

comprendre le fonctionnement de l'école secondaire et pouvoir s'y situer en tant qu'acteur et actrice; comprendre le cadre légal et règlementaire qui régit l'éducation scolaire et le travail enseignant; délibérer sur les enjeux et les défis majeurs de l'école secondaire et leur incidence sur le rôle et le travail de l'enseignante ou de l'enseignant; se donner une vision cohérente du travail et de la carrière en enseignement (Université de Sherbrooke, 2015).

L’Université de Montréal propose le cours Système d'éducation et profession enseignante, qui est défini ainsi : « Initiation aux institutions scolaires du Québec et, au premier chef, à l'école. Initiation aux rôles professionnels des enseignants. Perspectives historique et contemporaine » (Université de Montréal, 2015). Puis, le réseau de l’Université du Québec offrant un baccalauréat en enseignement au secondaire à Chicoutimi, à Trois-Rivières, à Montréal, à Rimouski, en Outaouais et en Abitibi- Témiscamingue propose le cours Organisation de l’éducation au Québec qui vise à « comprendre l'évolution du système d'éducation québécois et de la profession enseignante, à situer le milieu scolaire dans la société québécoise et à aider l'enseignant ou le futur enseignant à se situer dans son milieu professionnel » (Université du Québec à Montréal, 2015). Des sujets comme les « lois et règlements actuels régissant le système scolaire », les structures de l’éducation au Québec (ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport, Commission scolaire, Conseil supérieur de l'éducation, Conseil d'établissement et autres comités de l'école), la « dynamique des relations de travail et [le] rôle du syndicalisme enseignant », les « convention[s] collective[s], [les] statuts d'emploi, [les] conditions de travail et [la] rémunération », les « processus d'embauche et [d’]insertion des enseignants

débutants » y sont abordés (Université du Québec à Montréal, 2015). En plus de ce cours, l’Université du Québec à Trois-Rivières propose également le cours Le renouveau pédagogique et le programme de formation de l’école québécoise, visant à « initier les futurs enseignants des programmes de formation à l'enseignement aux diverses politiques ministérielles et aux orientations générales qui ont mené à la constitution du Programme de formation de l'école québécoise » (Université du Québec à Trois-Rivières, 2015). Notre recherche nous permet donc de conclure que seule l’Université Laval n’offre pas aux futurs enseignants au secondaire un cours portant sur la profession enseignante et l’éducation au Québec.

Pour conclure cette section sur les disparités entre la formation et la pratique, mentionnons tout de même que la formation pratique a été très reconnue par nos participants. En effet, ils sont seize personnes à avoir mentionné que les stages formaient l’élément du baccalauréat ayant le plus favorisé leur insertion dans le marché du travail.