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CHAPITRE 4 : LA PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

4.1 L’ENTRÉE SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL

4.2.4 La transformation de l’insertion professionnelle

4.2.4.1 Le choc de la réalité

Nous présentons ici des éléments reliés au choc de la réalité vécu par les participants, divisés en trois catégories : la précarité, la tâche ainsi que les disparités entre la formation et la pratique. La figure 7 schématise la fréquence des mots-clés reliés à ces trois catégories. Ainsi, nous constatons que les enseignants ont autant parlé de la précarité que de la tâche. Les disparités entre la formation et la pratique ont également été abordées, mais dans une plus faible proportion. Dans les prochaines lignes, nous présentons donc les résultats relatifs à ces trois catégories en voyant ce que nos participants avaient à en dire.

 La précarité

La difficulté d’accéder à un contrat, faire de la suppléance plusieurs années, ne pas réussir à être embauché dans une commission scolaire, attendre que le téléphone sonne, ce sont tous des éléments de la précarité qui ont été dénoncés par neuf enseignants. En fait, la problématique de l’accès à l’emploi était au cœur des commentaires de nombreux participants : Ce qui ne répondait pas à mes attentes, c'était les critères, c'était l'embauche, l'employabilité. (P1.EF) Oui, je me suis sentie démunie pareil, parce que des fois tu sais pas où tu t'en vas. […] Le fameux système de carte aussi, je sais pas si ça peut rentrer dans ça. Faut que tu fasses des cartes, faut que tu ailles en porter. Ok… je ne savais pas ça! (P2.EFET) Quand j'étais dans mon stage IV, le prof a dit: « Il faut même être prêt à payer des fleurs à la madame qui fait la suppléance pour avoir une job. » […] C'est chacun pour soi. (P4.EUS) Je pense que la réalité la plus difficile, ce n'est pas nécessairement de se préparer à la matière, à la gestion de classe, c'est vraiment la réalité de la précarité. C'est vraiment ça qui est le plus difficile quand on commence. (P17.EFET) En entrant au bac, moi, ma vision, c'était : quand je vais avoir fini mon bac, je vais enseigner, je vais avoir mes groupes, ça va bien aller, ça va être le fun, je vais avoir des élèves trippants! Une espèce de vision naïve peut-être, sauf que, en même temps, y'a jamais personne pendant le bac qui m'a ramenée sur terre. (P8.A)

Précarité 37% Disparités formation et pratique 26% Tâche 37%

Fréquence des mots-clés (%)

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Conditions de travail, accès à un emploi… D'avoir un emploi pis pouvoir l'exercer, c'est pas évident. Attendre pour la suppléance, attendre pour des contrats qui ne viennent pas, en tout cas, pas à la commission scolaire où j'étais. Suppléance, essentiellement aux adultes, quand ta formation c'est à la formation plus pour le secteur général des jeunes. Ça, ç’a été assez décevant. […] C'est pas normal que tu sois obligé d'aller en Colombie- Britannique ou à Port-Cartier pour avoir des emplois. On s'est fait dire qu'il en manquait des profs, ils sont où ces emplois-là? (P6.EFET)

 La tâche

Neuf participants à notre recherche ont exprimé le fait qu’ils se sont retrouvés en choc par rapport à la tâche enseignante et aux responsabilités qui y sont associées. Pour certains (N = 5), ce choc est relié à la gestion de classe : Moi je remplaçais une prof qui remplaçait une prof, fac j'étais la troisième. Avec un groupe, ç’a été vraiment difficile… Je n'ai pas trouvé la situation évidente étant la remplaçante de la remplaçante. […] Je comptais le nombre de périodes qui me restaient avec mon groupe avec lequel l'intégration c'était moins bien faite. Parce que je n'étais plus capable. (P18.ET) Je ne voulais plus rien savoir de toucher à quoi que ce soit qui concernait les adolescents. […] Ça m'a tellement fait mal que j'avais trop peur que ça me fasse mal [encore]. (P20.ET) Au début, chaque période, c'était vraiment une situation de survie, j'arrivais pis je savais vraiment pas à quoi m'attendre. (P10.EF)

Pour d’autres (N = 7), le choc relié à la tâche est plutôt en lien avec la planification, la correction et les responsabilités quant à la réussite des élèves; l’ensemble de la tâche enseignante qui demande beaucoup plus de temps qu’ils ne le croyaient. Quatre de ces enseignants en ont d’ailleurs souffert psychologiquement et physiquement : Y'avait beaucoup de planification, beaucoup d'organisation. Ça m'a demandé beaucoup de temps. Je trouvais ça, surtout au début, très exigeant mentalement. (P11.EF) Je me souviens que je me couchais à minuit pis je me levais à 6 h du matin pis c'était ça à tous les jours. (P18.ET) En tant que femme, en tant qu'humain, c'est tellement un échec. […] J'étais tellement humiliée. C'est vraiment intense. […] Quand tu te plantes dans un emploi qualifié de même, tu te mets à te remettre en question, tu as juste envie de te terrer. (P19.A)

De plus, pour l’une des participantes, le choc relié à la tâche a été vécu en suppléance : Y'a des écoles qui sont super bien préparées pour les suppléants. [D’autres non.] Y'a la fiche, y'a toutes les consignes. Qu'est-ce que tu fais pour les absences, qu'est-ce que tu fais pour ci? (P2.EFET)

Enfin, toujours à propos de la tâche, une enseignante a vécu une situation particulière. Travaillant dans un milieu défavorisé, elle a été confrontée à une réalité qu’elle ne connaissait pas :

Des fois aussi des chocs humains. Ces enfants-là, tu te dis : oh… toi, ton background, ça ne va pas du tout. […] On en avait parlé un petit peu des fois dans les cours : les enseignants qui enseignent dans des milieux défavorisés n'ont pas les backgrounds défavorisés, donc ne comprennent pas forcément la réalité de ces personnes-là qui sont un petit peu en choc. Pis là je le vis un peu : j'ai jamais pensé, j'ai jamais eu personne dans ma vie ou dans mon entourage qui a eu des histoires aussi dures. […] Pis t'as une responsabilité aussi par rapport à cet enfant-là, de lui fournir un climat qui est sain pis des belles relations pis des gens qui vont être significatifs dans sa vie, parce que souvent, ils n'en ont pas. Fac, tu as ce poids-là en plus, de te dire : je ne fais pas qu'enseigner. (P13.EUS)

 Les disparités entre la formation et la pratique

Les disparités entre la formation et la pratique ont été peintes par les enseignants comme un manque de cohésion entre ce qui est vu à l’université et ce qui se fait réellement sur le terrain. Les neuf enseignants qui nous ont parlé de ces disparités ont exprimé qu’il leur était quasi impossible d’utiliser les notions vues dans leurs cours universitaires, qu’ils devaient plutôt se référer à leurs propres expériences personnelles : Jamais en classe que je fais des retours : ah oui, j'ai vu ça à l'université. Jamais. C'est trop complexe pour eux. Ça ne m'a pas aidée à comment enseigner les mathématiques. (P7.EM) Vraiment beaucoup [de disparités]. […] C'est pas qu'il y a trop de théories, mais il n'y a pas assez de pratique. On n'est pas assez plongé dans le milieu pis dans la vraie vie. On ne sait pas qu'est-ce qui se passe. C'est comme si on vivait en arrière d'un mur, on étudie les choses, mais on les voit pas pis on ne les comprend pas. (P8.A) Ce qu'on apprend à l'école ce n'est pas du tout la même chose que sur le marché du travail, aucunement, aucunement. C'est à des mille et

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une lumières de ce qu'on dit en classe, la théorie, de ce qu'on discute puis ce qui se passe en réalité, ce n'est pas la même chose. (P16.ES)

Non pis on dit souvent aussi que c'est dans les cours de didactique qu'on apprend comment enseigner telle, telle affaire, mais plus ou moins je te dirais! […] Mettons : avec telle notion pour telle année du secondaire, qu'est-ce que je peux faire? Ça aurait probablement aidé. Mais là, vu que je n'avais pas tant de ressources que ça, je prenais le manuel, je prenais ce que ma prof faisait, ce que j'avais vu antérieurement dans mes années au secondaire pis là j'essayais de faire de mon mieux là-dedans... (P20.ET)

Finalement, une enseignante est allée beaucoup plus loin dans sa réflexion, puisque pour elle, il n’y a pas seulement des disparités entre la formation et la pratique à propos des théories, mais dans toutes les sphères de l’enseignement :

Oui, dans le sens, on a passé tellement de temps dans le bac à apprendre justement beaucoup de choses théoriques, à propos de la matière qu'on allait enseigner, puis beaucoup de choses au point de vue didactique, de comment l'enseigner. Mais je trouvais que quand j'étais dans ma classe, quand j'étais dans l'école même, ce n'était plus tant ça qui prévalait. Je veux dire la relation avec les élèves, la relation avec les collègues, tout ce qu'il y a à faire comme je disais au point de vue administratif, le lien avec la direction... Bac, pas bac, ça change rien, j'avais beaucoup de choses à gérer, y'avait beaucoup de problèmes en classe, en dehors de la classe, pis mon bac ne me servait à rien à ce moment-là. Je savais comment enseigner le participe passé, mais y'a trop de choses autour [pour pouvoir enseigner]. (P5.EFET)