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LA NOTION DE TRAJECTOIRES SELON MUKAMURERA (1998)

CHAPITRE 2 : LE CADRE THÉORIQUE

2.4 LA NOTION DE TRAJECTOIRES SELON MUKAMURERA (1998)

Dans le cadre de notre recherche, nous étudions les parcours professionnels des enseignants et nous retraçons les évènements qui ont marqué la vie professionnelle de ces derniers. En 1998, Mukamurera a étudié le processus d’insertion professionnelle de jeunes enseignants à partir du concept de trajectoires10. Nous appuyons donc nos bases théoriques

sur les conclusions de Mukamurera (1998). Le concept de trajectoire étant complexe à définir, retenons ce passage en guise de définition : « l’analyse de l’insertion professionnelle en terme de trajectoire cherche non seulement à considérer l’ensemble des événements professionnels qui marquent les cheminements des jeunes enseignants, mais aussi à leur donner un sens, en les restituant par rapport aux mouvements d’ensemble qui structurent le marché du travail enseignant » (Mukamurera, 1998; p.355).

De façon plus détaillée, Mukumurera (1998) a montré les trois aspects fondamentaux récurrents dans les trajectoires des enseignants en période d’insertion professionnelle : la non-linéarité, l’amélioration progressive dans la situation professionnelle au fil du temps et l’historicité des trajectoires.

Premièrement, la non-linéarité signifie qu’il n’y a pas de modèle unique de trajectoire professionnelle chez les jeunes enseignants « comportant le déroulement d’une suite de phases ou d’étapes clairement définies » (Mukamurera, 1998; p.370). Plusieurs facteurs contribuent à l’évolution de ces trajectoires : l’enchevêtrement, le changement, la discontinuité, l’allongement et la perte de sens du processus d’insertion et la mouvance des limites initiales et finales des trajectoires. L’enchevêtrement signifie qu’il y a alternance et, parfois recoupement, entre recherche d’emploi, période de chômage, occupation d’un emploi, période d’inactivité, occupation d’un deuxième emploi, etc.

10 Afin de respecter l’authenticité des travaux de Mukamurera (1998), lorsque nous faisons référence à sa

théorie, nous utilisons le terme trajectoire, toutefois, dans le cadre de notre recherche, nous utilisons plutôt le terme parcours. Dans Le Nouveau Petit Robert, le vocable parcours est défini de la façon suivante : « Suite des activités et des décisions qui caractérisent la vie d’une personne » (« parcours », 2009). C’est cette définition que nous considérons, tout en nuançant le concept de « la vie » qui, pour nous, représente plutôt les années suivant la fin du baccalauréat jusqu’au moment de l’entrevue avec le participant. Nous voyons le concept de parcours professionnel comme une rétrospective de la vie professionnelle du participant. Notre définition de parcours est donc la suivante : suite d’activités et de décisions qui caractérisent la vie professionnelle de l’enseignant débutant au secondaire en phase de survie.

Le changement est un phénomène dominant chez les jeunes, en particulier à cause de leur statut précaire. Il se manifeste concrètement par les changements fréquents de milieux et de conditions de travail : changements de degrés d’enseignement, de tâches, de disciplines d’enseignement, d’écoles et de commissions scolaires, surtout dans les premières années d’enseignement. Ces changements s’expliquent surtout par les règles d’attribution des contrats à temps partiel et les pratiques d’affectation et de répartition des tâches qui donnent la priorité aux enseignants ayant plus d’ancienneté au détriment des plus jeunes (Mukamurera, 1999; p.72).

La discontinuité, qui peut être « à la fois temporelle et situationnelle » (Mukamurera, 1999; p.72), représente les périodes d’attente entre les contrats ou entre la fin de la formation et le premier emploi. Ainsi, cette discontinuité « ralentit le processus d’apprentissage du métier » (Mukamurera, 1999; p.72) et retarde possiblement la consolidation des compétences de l’enseignant, ce que Mukamurera appelle l’allongement et la perte de sens du processus d’insertion. En fait, la phase d’insertion ne devient plus un simple passage, mais devient « une sorte d’état professionnel dont la durée est souvent indéterminée ou du moins, dans la vaste majorité des cas, très longue » (Mukamurera, 1999; p.72). Enfin, la mouvance des limites initiales et finales des trajectoires signifie qu’il est quasi impossible de déterminer le début, la fin et la durée de l’insertion professionnelle. Il s’agit d’un processus ouvert et différent pour tous les enseignants.

Deuxièmement, Mukamurera (1998) soutient qu’il y a une amélioration progressive dans la situation professionnelle des jeunes enseignants au fil du temps. D’après les analyses de la chercheuse, la non-linéarité des trajectoires n’implique pas nécessairement qu’il n’y a pas de progression et d’amélioration. En effet, Mukamurera (1998), par l’analyse des trajectoires des participants à sa recherche, a conclu qu’il y a une certaine trame récurrente vécue par ces derniers :

période d’attente avant le premier contrat, suppléances dans différentes écoles du système scolaire québécois, accompagnées parfois d’emplois de transition en dehors des milieux scolaires ou dans d’autres provinces canadiennes, passage de la suppléance occasionnelle à la situation de travail avec contrat, premiers contrats généralement de très courte durée, avec une tâche réduite en termes de pourcentage d’une pleine tâche éducative annuelle, puis, progressivement, embauches dans des contrats à temps partiel de plus en plus substantiels et travail à longueur de l’année scolaire, enfin, possibilité croissante d’obtenir un contrat à temps plein

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dans sa commission scolaire, après un laps de temps plus ou moins long de travail à statut précaire (Mukamurera, 1998; p.372).

Concernant cette suite d’évènements, Mumakurera (1999) rappelle qu’il ne s’agit pas d’étapes subséquentes, mais d’un modèle global, où les étapes, plus ou moins longues, apparaissent à différents moments dans la carrière des enseignants.

Troisièmement, les conclusions de Mukamurera (1998) démontrent que les trajectoires professionnelles des jeunes enseignants « sont aussi porteuses, à travers l’investissement et l’action des acteurs, à travers le temps, d’une historicité, c’est-à-dire de la structuration continuelle du présent à partir des actions et des évènements passés » (Mukamurera, 1998; p.373). Tous les évènements, les choix, les actions et les décisions des enseignants s’influencent et s’additionnent pour former leur trajectoire. Il y a trois phénomènes qui influencent cette historicité. D’abord, la propriété cumulative des actions et situations d’insertion signifie que les actions prises par les enseignants agissent sur leurs actions prochaines et leur trajectoire. « Par exemple, lorsqu’un jeune enseignant, après avoir envoyé des curriculum[s] vitæ un peu au hasard, parvient à se faire un “contact” dans une commission scolaire ou une école, ce contact fait désormais partie de l’historique de sa trajectoire : il peut prendre appui sur cet investissement pour tenter d’autres actions et trouver d’autres opportunités » (Mukamurera, 1998; p.373). Ensuite, l’historicité objective rappelle que les trajectoires des enseignants se construisent dans un « contexte socio- institutionnel qui enregistre leur existence et leurs traces sous la forme de documents, de contrats, de rapports d’évaluation, de bonification du salaire, de noms inscrits sur des listes, etc. » (Mukamurera, 1999; p.75). Cela démontre justement l’importance de l’histoire et des évènements passés dans le marché du travail. Enfin, la construction subjective du sens d’insertion et des trajectoires « renvoie aux interprétations que les acteurs édifient à propos de leur situation passée et actuelle. […] Leur cheminement n’est pas qu’une suite d’actions et d’évènements professionnels, mais relève, de leur part, d’une interprétation constante de ce qu’ils ont réalisé auparavant, de l’étape où, à leurs yeux, ils sont rendus et de ce qu’ils espèrent obtenir par la suite » (Mukamurera, 1998; p.374).

Ainsi, l’étude de Mukamurera (1998) nous donne une première idée des parcours professionnels que nos participants auront possiblement empruntés. Plus de quinze ans

après les conclusions de cette recherche, nous pourrons comparer les processus d’insertion professionnelle des nouveaux enseignants d’aujourd’hui avec ceux de cette époque afin de savoir s’il y a eu une évolution avec les années.