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CHAPITRE 4 CONCLUSION-OUVERTURE « Connais-toi toi-même » : la préservation de

1. Emotions, origines, fonctionnement et rôles

1.1. Les émotions et leurs origines : approches théoriques

Le concept d’émotion fascine les hommes depuis l’Antiquité. Longtemps considérées comme perturbatrices ou parasites, elles devaient être évitées à tout prix car opposées à la raison. En effet, la dimension émotionnelle apparaissait pratiquement toujours posée en altérité et en opposition à la dimension dite rationnelle ou logique. Cependant, avec l’émergence de nouveaux domaines de recherche et l’interdisciplinarité de certains travaux scientifiques, ce courant de pensée s’est estompé pour une réhabilitation des émotions. C’est ainsi que les émotions font aujourd'hui l'objet d'un intérêt grandissant

en neurosciences, comme en témoigne la croissance exponentielle des publications dans ce domaine, depuis la fin des années 1990. Ce rebondissement s'explique par la convergence d'au moins trois facteurs : en premier lieu, l'essor des neurosciences cognitives ; en second lieu, de récents progrès techniques, comme l’imagerie fonctionnelle ; et enfin, une reconsidération de cette idée ancienne, avec l’introduction de la notion d’utilité des émotions. En effet, les émotions jouent chez l’homme un rôle critique dans la prise de décision, la perception, l’interaction et l’intelligence. Elles sont omniprésentes et influencent notre vie au quotidien. Elles ont leur place dans toutes les sphères des activités humaines ; donc au travail qu’il soit scolaire ou professionnel. Elles interviennent dans le fonctionnement de nombre de nos facultés, comme la mémoire, le raisonnement, la prise de décision ou encore l’adaptation sociale. Elles ont un rôle de nature purement social et sont décisives pour l’adaptation de l’individu et ceci, dès sa naissance jusqu’à l’âge adulte à des degrés divers. Pour cela, dans le champ de l’éducation, elle concerne autant l’enfant, l’élève, l’apprenant que l’adulte, l’enseignant, le professionnel. Aussi, leurs régulations renvoient à de réelles compétences et participent de la constitution d’un capital émotionnel utile pour faire face aux adaptations nécessaires et changements qu’interviennent dans nos sociétés autant au travail que dans sa vie privée.

Darwin (1872) fut l’un des premiers à s’intéresser aux phénomènes émotionnels pour leur qualité primitive adaptative, résultant d’une sélection phylogénétique. En partie universelles (elles possèdent des bases génétiques), les émotions sont aussi en partie culturelles. En psychologie, nombre d’auteurs ont tenté de conceptualiser l’émotion, tant sur le domaine touchant aux composantes, aux déterminants, aux effets sur les comportements ou encore à leurs fonctions. Divers courants de pensées et modèles théoriques ont émergé, chacun avec un paradigme de recherche propre. Pour une revue détaillée, nous renvoyons aux travaux de Rivière et Godet (2003) dont la suite rend compte de manière synthétisée. Les premières théories se sont basées sur les changements et l’activation physiologiques (James et Lange, 1884) qui jouent un rôle majeur dans le déclenchement des émotions. A la perception d’un stimulus, des changements périphériques se mettent en place. C’est la perception de ces changements qui constitue pour ces auteurs l’émotion. En outre, des changements physiologiques périphériques différents entraînent des émotions différentes, et un feed-back corporel (c’est-à-dire une perception viscérale) est nécessaire pour permettre l’émergence d’une émotion. Autrement dit, au temps du romantisme, les émotions sont mises au niveau corporel et la raison dans le cerveau. Il faut attendre le 20 et 21ème siècles pour que les émotions soient réintégrées au niveau cérébral cependant d’abord en les reléguant dans les strates neuronales inférieures.

Cannon (1927) va proposer une théorie centrale des émotions où les émotions seraient induites par l’excitation du thalamus, qui en retour, provoquerait des changements physiologiques. Les changements physiologiques seraient donc non plus les causes mais les conséquences de l’expérience émotionnelle.

Les théories cognitives se sont focalisées ensuite sur les aspects conscients des émotions ainsi que sur la notion d’évaluation. Elles ont émergé avec la naissance d’un nouveau courant de pensées, prenant en compte le rôle de la cognition face aux stimuli de l’environnement. Arnold (1950) introduit la notion d’évaluation cognitive. Pour lui, l’être humain évaluerait premièrement le stimulus en fonction de sa mémoire d’expériences émotionnelles antérieures générant ensuite une tendance à l’action. De cette première attitude émotionnelle spécifique de l’émotion s’en suit des impulsions nerveuses corticales, provoquant des changements physiologiques. Ces derniers seraient réévalués par un système de feed-back, donnant enfin naissance au label émotionnel de

la situation. L’émotion est ainsi vue comme un processus temporel, comprenant divers mécanismes psychologiques, à travers lesquels une situation va devenir un stimulus émotionnel et donner lieu à une évaluation. Plus tard, Lazarus (1991) propose une théorie relationnelle, motivationnelle et cognitive des émotions s’appuyant sur le fait que les émotions résultent de l’influence mutuelle d’un sujet et de son environnement. L’homme est décrit comme un organisme évaluateur (« appraisal »), qui cherche constamment à évaluer la situation par rapport à son bien être personnel, en se basant sur des normes, règles et caractéristiques sociales de l’environnement. Ce résultat serait par ailleurs indissociable de la notion d’adaptation (« coping »).

Pour les constructivistes, les émotions sont le produit de constructions sociales et dépendent essentiellement du contexte social et interactionnel dans lequel elles apparaissent. On retrouve dans cette mouvance, les travaux de Wallon (1938) et de Averill (1980). Précisément, pour Wallon, dès les premiers jours de la vie de l’enfant, les réactions motrices et les attitudes posturales font naître des émotions auxquelles le milieu est appelé à répondre. Ce sont d’elles que proviennent les premières régulations du comportement, puis les progrès des habitudes motrices ; approche qui tente d’expliquer l’émotion par le contexte social et interactionnel.

Les approches multidimensionnelles des émotions, proposent des appréhensions compréhensives et multidisciplinaires des émotions. Pour Scherer (1984), l’émotion est composée d’une évaluation, d’une activation physiologique, de l’expression motrice, de la motivation et de la subjectivité du sujet. Sa fonction fondamentale serait alors de permettre une bonne adaptation du comportement aux stimuli internes ou externes. D’autres chercheurs ont repris ce concept par la suite. Ainsi, Frijda (1986), introduisit une composante supplémentaire de préparation à l’action. Bower, (1981) assimile l’émotion à un réseau de nœuds interdépendants, représentant chacun un concept sémantique, permettant ainsi une diffusion de l’activation. L’intensité de l’émotion influencerait alors la mémorisation, via un système d’amplification entre le nœud émotionnel et la trace mnésique de l’information traitée. L’approche dimensionnelle de Lang et al. (1993) se focalise sur l’organisation des émotions qui s’effectue sur des continuums particuliers. Celle-ci dépend en outre de la mobilisation de deux systèmes de motivation (aversif/appétitif). Basé sur les travaux de Hebb (1949), la motivation est définie comme facteur pouvant déterminer « la direction et la vigueur » des comportements. Dès lors, ces deux caractéristiques peuvent être représentées respectivement comme des paramètres quantifiables : la valence affective (positive / négative) et l’intensité de l’activation. L’intensité correspond à la disposition de l’organisme à réagir selon différents niveaux d’activation, tandis que la valence correspond à la disposition de l’organisme à émettre des comportements d’approche ou d’évitement. Les émotions, de part leur implication dans de multiples réponses et de part leur extrême variabilité, ont une composition psychophysiologique chargée, que Lang distingue par trois canaux d’expression : celui comportemental (par des actes conscients ou des séquences de comportement fonctionnel, ex : attaque, fuite, comportement d’approche sexuelle…), langagier (incluant la communication expressive (ex : cris de menace, attaque verbale…et l’évaluation du ressenti : description des sentiments ou attitudes générées) et celui physiologiques (ex : changements du tonus musculaire, des viscères, du système immunitaire…).