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CHAPITRE 4 CONCLUSION-OUVERTURE « Connais-toi toi-même » : la préservation de

2. Les modèles du stress

2.7. De l’injustice informationnelle à celle relationnelle à la qualité du management : analyse de

2.7.1 Stress et injustice informationnelle

Depuis l’apparition des modèles de Karasek, puis de Siegrist, d’autres facteurs de stress ont été intégrées dans les modèles élargissant l’évaluation des facteurs psychosociaux au travail à des aspects jusqu’alors négligés. Il en va ainsi de l’injustice en terme d’information et de sa circulation, rendant compte de la qualité « informationnelle ». Dans les modèles de stress récents, de nouveaux facteurs apparaissent : l’injustice informationnelle et relationnelle. La qualité de la justice informationnelle porte sur les modalités de communication de la hiérarchie notamment en termes d’information sur les procédures et les résultats. Mise en cause pour ses manquements, « l’in »-justice et son étude ont fait leur apparition récemment dans la recherche sur la santé au travail via les travaux en épidémiologie (Elovainio et coll., 2002).

2.7.2 Stress et l’injustice organisationnelle et qualité du management : la défaillance managériale et organisationnelle

A l’injustice informationnelle s’ajoute celle relationnelle. La vague de suicides au travail, a mis en cause la qualité de la relation dans les transactions et précisément la qualité du management des personnes. La violence, l’insécurité et la précarité, ou encore le temps de travail prolongé sont aussi de nouveaux facteurs qui sont progressivement pris en compte.

La qualité du management (encore appelé « leadership » paradoxalement à l’étymologie de la racine « lead ») est désormais mise en question et devient une variable de stress. Celle-ci présente des liens avec celles de la justice relationnelle et informationnelle : elle a trait aux méthodes de management et de communication de la hiérarchie. Cette variable peut également être rapprochée du soutien social de la hiérarchie et des récompenses du modèle de Siegrist. Cependant, dans la mesure de la qualité du management, il est étudié concrètement les comportements et compétences managériales avec une perspective de prévention pour pouvoir mettre en place éventuellement des actions de prévention. La qualité du management, entendu du comportement du manager dans sa manière d’encadrer et de manager (questionné dans sa qualité d’un management au « leadership ») est perçu à travers cinq dimensions (Elovainio et coll., 2002) : l’intégrité (manager honnête, juste, fiable, sincère), la motivation (positif/optimiste, encourageant, mobilisateur, enthousiaste), l’intégration (intégrateur, informant, communicant, stimulant le travail en équipe), d’autocratisme (autocratique, autoritaire, élitiste, dictatorial), et l’auto-centrage (égoïste, asocial, solitaire, non-participatif). Nyberg et coll., (2009) mettent en avant les effets protecteurs d’une bonne qualité du management sur l’incidence de maladies cardiovasculaires. Ils suggèrent aussi que plus la durée d’exposition à une bonne qualité de leadership est longue, plus le risque de survenue de ces pathologies diminuerait. Des travaux de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail mettent en avant également comme fort risque psychosocial, la défaillance managériale et organisationnelle et particulièrement la relation « salariés-supérieurs hiérarchiques ». Et dans ces travaux, la France apparaît au bas du classement.

L’introduction de ce concept est très récente, et des études prospectives de qualité sont encore nécessaires pour asseoir les effets prédictifs de la qualité du management « leadership » sur la santé d’autant que les secteurs d’activité autrefois épargnés, se trouvent fortement confrontés au phénomène du stress. Il en va ainsi désormais entre autres, des métiers du service à la personne, du personnel de soins, des enseignants… autrement dit, dans les métiers émotionnels.

Tableau 2. Les types de problèmes de stress (Bason et ali., 2003).

Dans le cadre du travail enseignant, on retrouve entre autres ce phénomène. Mais les facteurs de stress dans ce milieu sont multiples. D’une part, une des caractéristiques, entre autres, du système éducatif français est la multitude des prescriptions, des réformes avec, en revanche, assez peu d’éléments ou d’outils sur le « comment faire », laissant ainsi le souci du réel à la charge du personnel enseignant. D’autre part, Bergugnat-Janot (2003) la charge de travail grandissante, la demande et pression sociale de plus en plus exigeantes (des élèves et des parents) procurant un sentiment de non maîtrise de l'environnement. La solitude du métier et l’absence ou la rareté du soutien et de l'action du collectif s’ajoutent aux facteurs de stress et obligent le personnel enseignant d’opérer des compromis entre d’un côté la volonté d’être efficace et de l’autre celle de se maintenir en bonne santé professionnelle. Egalement, la faible reconnaissance sociale (salaire, statut social), le faible soutien social sont très souvent

invoqués dans les expressions du mal-être enseignant ; et au-delà, la durée des horaires, les mauvaises conditions en général de travail font partie de la liste des éléments évoqués comme facteurs participants au stress du personnel enseignant. Ces évolutions du métier et des conditions de travail amène à classer le métier d’enseignant comme dans le tableau de Bason et ali. (2003) dans les nouveaux métiers à risque (cf. Tableau 2).

Cependant, ces modèles ne détectent pas la dynamique du processus de changement dans le travail. D’autres modèles de compréhension du stress au travail sont apparus avec l’analyse psycho-dynamique du travail. Le stress au travail serait lié à la non

prise en compte par l’organisation, des projets, des désirs, de la volonté de mettre à profit les potentiels, à mobiliser pleinement les compétentes, aspirations de ses

collaborateurs, leurs attentes vis-à-vis du travail comme source

d’accomplissement, pour pouvoir se réaliser, exister…. Reconnaître le rôle central du travail dans le bien être de l’individu : le travail réalise, transporte, porte et apporte une identité (identité professionnelle), le respect de soi, le soutien social, la récompense pas seulement matérielle quand les personnes jouissent d’un degré normal d’autonomie, et quand le climat de l’entreprise, l’organisation est sympathique et favorable, l’environnement capacitant (Gendron,2015).

Le concept de système d’activité comme unité d’analyse médiatisant l’individu et l’environnement et l’approche renvoyant à la théorie culturelle et historique de l’activité (Engeström et coll. 1999) peuvent venir enrichir les modèles de stress en analysant des changements au travail. A travers ces deux éléments, sujet et objet du système d’activité, l’enseignant et la communauté scolaire façonnent leur motivation au travail et fixent les objectifs de leur action individuelle (Engeström et coll. 1999). La relation entre le sujet et l’objet est médiatisée par différents modèles et outils, à l’aide desquels le sujet pourra tenter d’influer sur l’objectif de son travail.

Ainsi, dans le travail quotidien du personnel enseignant, les pressions continues de changement se manifestent sous forme de nouveaux défis, et de tensions internes voire de conflits dans ou entre les éléments du système d’activité. Ces conflits sont

vécus comme des troubles, des coupures, des situations problématiques ou comme des anomalies par rapport aux attentes envers le travail ou à son déroulement normal. La répétition de ces situations de trouble amène l’enseignant à trouver ses tâches difficiles ou impossibles à réaliser, pouvant se traduire à long terme par un mauvais climat de travail (Engeström 1988; Launis 1999). La multiplication des réformes (fréquence, rapidité) souvent a minima au rythme des changements gouvernementaux, impactant jusqu’à la pratique même du corps enseignant et le sentiment de perdre son orientation et de voir son travail vidé de sens et son expertise remise en cause et sa liberté d’action réduite à un rôle d’exécutant du politique qui lui échappe ou qu’il ne comprend plus…sont autant de source de mal-être.

Dans le travail enseignant, les problèmes du bien-être au travail ne peuvent être éliminés en identifiant et en supprimant des facteurs de charge isolés ou en consolidant simplement la condition physique, les ressources et les compétences émotionnelles du corps enseignant. Les compétences ne suffisent pas elles seules, la reconnaissance de l’efficacité sociale de la personne et de son action, et le soutien social sont nécessaires, dans un système qui doit garder son sens et poursuivre les valeurs pour lesquelles il y est entré.

Le métier d’enseignant est à la fois une activité multi-couche (didactique, pédagogie, personnalisée, individualisée, de groupe), ancré dans un système multi-niveaux (classe, école, district-zone académique, équipe de recherche, nationale, européenne…) où

l’enseignant est désormais « professeur » formé jusqu’au niveau du cycle d’étude doctoral, inscrit dans un ancrage scientifique et voit son évolution didactique et pédagogique par la recherche.

Il est enchâssé dans un système politique avec des programmes nationaux qui évoluent au gré des réformes et des gouvernements successifs, qui ces derniers s’inscrivent eux- mêmes dans une dynamique européenne d’harmonisation des systèmes éducatifs et des recommandations ou des lignes à suivre des ‘cahiers blancs’ et rapports de la commission européenne au niveau macro. Il est également à l’interface du « local » dans l’articulation des activités intra-péri-scolaire, où chaque niveau , où chaque couche a son degré de pressions, de tensions et d’entrée possibles en conflits vraisemblables au niveau méso… et au plus fin, il s’inscrit dans une carte scolaire, sur territoire socio- économique, un établissement pour finir au plus petit niveau, son cœur de métier, la classe.

La problématique est la même dans le monde du soin avec l’encastrement des niveaux de l’activité, la profession de la personne, le patient, la chambre, le service, l’établissement, le politique local, régional, national.

Dès lors, tous projets sur le bien-être et la communauté de travail qui seraient séparés du travail lui-même et dans lesquels le travail effectué serait laissé de côté, risqueraient fortement de ne pas aboutir aux résultats escomptés en matière de promotion permanente du bien-être au travail. Pour cela, il importe de combiner plusieurs approches et plusieurs ressorts et ressources pour permettre le maintien du bien-être au travail dans des environnements changeants. Toute politique de promotion de la santé mentale en éducation, comme dans le champ de la santé, devra cibler les différents terrains sociaux et environnements où se risque en grande partie la santé mentale des corps.

En cela, l’analyse de l’activité, et particulièrement, l’analyse des difficultés quotidiennes du travail d’enseignant et du soignant permettre de décrire le système d’activité du personnel dans ces milieux et des tensions au sein de leur système respectif. Généralement, les troubles sont des situations où le travail ne se déroule pas de manière attendue ou prévue, perturbant le déroulement « normal » du travail. Dès lors, le bien- être ou le mal-être apparaît comme la conséquence d’une activité de travail concrète et avant tout des changements intervenus dans l’objet de l’activité. Cependant, sans une analyse de ces troubles, ces derniers pourraient être vus comme de simples écarts isolés du « déroulement normal » du travail et « qu’on a toujours su régler et que l’on saura régler d’une manière ou d’une autre », situation par situation ou au cas par cas. Or les opportunités de développement résident avant tout dans les troubles et leur analyse. En effet, le bien-être au travail se construit mais se démolit aussi dans la vie quotidienne du travail et son développement ne peut se faire en l’isolant des situations de travail concrètes. Le fait d’inclure les situations de troubles dans des discussions constructives peut permettre d’analyser ensemble à quels facteurs partiels (sujet, moyen, objectif, règles, communauté, division du travail) les troubles sont le plus souvent liés et de mettre en évidence les types de tensions ou conflits qui règnent à l’intérieur de l’organisation.

Pour résumé, ces différents modèles du stress professionnel présentent un intérêt scientifique de partager une conception commune de la représentation théorique du stress fondée sur la relation entre l’emploi et la personne qui l’occupe, notamment, le modèle «exigences professionnelles/ autonomie dans le travail» et le modèle d’adéquation «personne-environnement». De ce point de vue, il y a stress professionnel et risque de pathologie lorsque les exigences professionnelles s’écartent des besoins, attentes ou capacités de l’individu. Le stress professionnel est dans l’interaction de la rencontre entre une personne et son environnement. Il va dépendre des ressources propres de la personne dont son capital émotionnel et des ressources liées entre autres, au travail lui-même, aux relations, et conditions d’exercice de l’activité et sa satisfaction dans son équilibre vie privé et travail dépendantes de la Qualité de vie au travail (QVT). Il nécessite donc de questionner ce concept de QVT dans sa relation schématiques mais aussi conceptuelle aux précédents utilisés.

Figure 17 Facteurs de la qualité de vie au travail