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Le recrutement de l’administration au I er siècle des Song

Dans le document La vie publique de Sima Guang (Page 32-36)

Pour que se forment les élites et donc les équipes gouvernementales, le système des concours, généralisé dès le début de la dynastie Song, devint alors la voie nor- male de recrutement des fonctionnaires, et un élément essentiel de la mobilité sociale. Cette procédure, efficace à plus d’un titre, permettait d’afficher une image d’impartialité aux yeux des gens du commun qui rivalisaient avec les familles aris- tocratiques pour un poste dans la fonction publique. Elle assurait aussi un équilibre géographique en imposant un quota aux candidats originaires des diverses régions. Elle offrait enfin aux souverains la possibilité de recruter parmi la population ordi- naire comme au sein des élites les fonctionnaires les plus loyaux au trône. La géné- ralisation et la popularité des concours administratifs eurent pour autre effet de modifier le statut du lettré, qui ne fut plus nécessairement fonctionnaire. Ils atti- rèrent un nombre croissant de candidats pour un nombre fixe de places. À la fin du esiècle, à chaque session, près de la moitié des   étudiants enregistrés

concouraient pour à peine  offres de grades académiques. De ces distorsions sor- tirait une couche sociale nouvelle : les lettrés sans emploi public, groupe conscient de sa valeur et tenu de jouer sur un vaste système de relations civiles pour garder le statut social que lui valait son niveau de culture, groupe hostile à toute transforma- tion par intérêt autant que par goût et au sein duquel se retrouveront quasi jusqu’au esiècle les plus fidèles admirateurs de la pensée et de l’œuvre de Sima Guang.

La bureaucratie chinoise de l’époque Song était fort éloignée de son modèle ori- ginal, le gouvernement à structure familiale et féodale de l’antiquité. Si elle gardait des traces de ses lointaines origines patrimoniales, surtout dans la dénomination de

. J. T. C. L, « An Administrative Cycle in Chinese History : e Case of Northern Sung Emperors »,

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certaines fonctions, la bureaucratie des Song possédait déjà pour l’essentiel maint trait des administrations dites modernes : spécialisation des fonctions, autorité hié- rarchisée, règles administratives formalisées, idéal d’impersonnalité. S’y trouvaient rangés, sous l’autorité potentielle de l’empereur, ministères, bureaux, commissions et organismes publics aux attributions et à l’autorité clairement dessinées. Outre la capitale, les  préfectures, zhou, divisées en   sous-préfectures ou districts,

xian, formaient le tissu de base de l’administration territoriale. Leur personnel se

composait de quelques dizaines de milliers de fonctionnaires de plein exercice, pla- cés sous l’autorité directe du gouvernement central, et dont la nomination, l’éva- luation et la promotion étaient soumises à des règles précises. L’administration de l’empire comptait aussi quelques centaines de milliers d’employés subalternes recru- tés localement. Beaucoup de commentateurs du temps jugeaient les effectifs de la bureaucratie des Song pléthoriques. Rétrospectivement, ce n’est pas le gigantisme de la machine administrative qui étonne, mais bien la faiblesse numérique de ses effectifs : environ   fonctionnaires pour gérer à l’apogée de la dynastie un empire de plus de cent millions d’individus répartis sur un territoire de quelques    km !

Malgré les handicaps du relief montagneux et forestier, des vastes entités régio- nales, des particularismes dialectaux et culturels ainsi que d’un système de commu- nications et de transports hautement organisé mais lent et peu efficace, le gouverne- ment central sut préserver l’unité de l’empire et une paix intérieure relative durant trois siècles. Plusieurs facteurs concoururent à cette stabilité. La défense reposait à la fois sur une diplomatie active et des forces armées nombreuses et étroitement contrôlées encore que peu efficaces. L’administration générale, une bureaucratie relativement homogène, en maillage régulier sur l’ensemble du territoire, s’appuyait sur un dispositif de corvées obligatoires pour les opérations de cadastrage, de recen- sement, de perception fiscale, de travaux d’intérêt public ou de maintien de l’ordre. Mais la réussite relative du gouvernement des Song tint aussi beaucoup à l’entretien soigneux de l’unité culturelle du pays. La notion de Cosmos ou d’Univers, implicite dans les Classiques et très développée par les néo-confucéens des Song, impliquait l’interdépendance et l’interrelation quasi organique du monde naturel et du monde moral. Le Fils du Ciel était le lien entre le Ciel et le monde « qui se trouvait sous le Ciel », tianxia. Sa capitale, d’où il régnait, était l’axe autour duquel tournaient les quatre saisons. Axe ensuite répliqué à l’identique et sur un plan symbolique, encore qu’à un échelon inférieur, dans tous les centres administratifs. De la même manière que l’empereur dirigeait ses ministres, les fonctionnaires traitaient avec leurs admi- nistrés, les pères avec leurs fils, les époux avec leurs épouses, les aînés avec leurs cadets, etc. Cette vision morale de l’univers, qui avait aussi pour principe fondateur de placer le généraliste sachant penser et agir au-dessus du spécialiste qui savait quoi faire, et de préférer de loin le premier au second, tenait la bonne compréhen- sion des principaux généraux pour plus importante que la maîtrise des détails pra- tiques. Elle contribua fortement à la stabilité de la société et, étendue à l’ensemble du corps social par les lois et règlements, usages patrimoniaux, manuels scolaires,

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récits et contes, imprégna si parfaitement l’inconscient des hommes qu’elle ne lais- sait à peu près aucune porte ouverte à une dissidence politique ou culturelle fondée sur des bases différentes.

De même que l’univers se divisait entre Ciel, Terre et Humanité, la bureaucra- tie des Song était divisée en trois corps : civil, militaire et clérical. Les fonctions publiques, civiles et militaires étaient comparables en importance, et de même niveau en théorie, encore que les premières fussent en fait et de loin les plus pres- tigieuses. Les unes comme les autres comportaient un système d’échelons, et de procédures établies de passage de l’un à l’autre. La fonction publique cléricale, dis- tincte, leur était inférieure. Les fonctions publiques civiles et militaires, parfaite- ment parallèles, étaient fortement structurées. Elles distinguaient les titulaires d’un concours mandarinal de ceux qui ne l’étaient pas. Les premiers formaient le cœur de la bureaucratie, dont les membres, classés en neuf échelons selon leur ancienneté ou leurs fonctions, étaient les « mandarins-fonctionnaires », guan, dits liunei, « dans le courant ». Les fonctionnaires sans concours et les employés subalternes, dits liuwai, « hors du courant », avaient leur place dans la hiérarchie des services et y assumaient en général des tâches secondaires ou spécialisées, mais ils n’avaient pas statut man- darinal et ne pouvaient l’acquérir qu’après avoir passé eux aussi les concours admi- nistratifs. Les « administrateurs » étaient aussi différenciés de l’« exécutif ». L’accès à leur corps était tenu pour l’étape la plus importante dans l’échelle des promotions. Tout fonctionnaire amorçait sa carrière dans l’exécutif et, selon les procédures du moment, devenait promouvable à la qualité d’administrateur après six à douze ans de service actif. Cependant, la majorité des fonctionnaires ne franchissaient jamais cette étape, et restaient durant toute leur carrière dans l’« exécutif ».

La réussite à un concours administratif constituait la voie normale d’entrée dans la fonction publique. Les épreuves étaient ouvertes à tous, à quelques exceptions près, au terme d’une procédure de qualification. La réglementation prévoyait en effet l’exclusion des concours mandarinaux des enfants issus de familles exerçant des professions réputées « viles1» comme les activités marchandes, même si l’on connaît

maint jinshi d’origine marchande, ainsi que des repris de justice, des hommes ayant d’une manière ou d’une autre failli à leurs devoirs de piété filiale, des anciens moines bouddhistes ou taoïstes, etc. Ils ne représentaient guère plus de  de la population, et encore la loi n’était-elle pas appliquée avec rigueur. Sous les Tang, un concours unique était accessible aux candidats provinciaux « recommandés » et aux étudiants des établissements d’enseignement de la capitale. Les Ming et les Qing, quelques siècles plus tard, institueront trois niveaux de concours : préfectoral, provincial et national ; le concours préfectoral était lui-même divisé en trois concours successifs. Le dispositif réglementaire des Song, à mi-chemin entre celui des Tang et des Ming, distinguait deux niveaux principaux. Un aspirant fonctionnaire devait présenter le concours préfectoral, jieshi, ou l’un des concours spéciaux où la compétition était moins aiguë. En cas de réussite, il recevait le grade de juren, littéralement « homme

 L C  S

présenté », ce qui ne le qualifiait pas d’office pour une fonction, comme ce sera le cas plus tard, sous les Ming et les Qing. Dans chacune des quelque  préfectures, des fonctionnaires de l’administration scolaire surveillaient la population étudiante et organisaient les épreuves au siège du gouvernement préfectoral. Le nombre de candidats est estimé à quelque  à   au début du esiècle, et à plus de  

à la fin. Le taux de réussite variait selon les années, de  à un peu plus de  au mieux.

Le lauréat du concours préfectoral se rendait ensuite à la capitale, où il présentait le concours dit « départemental », shengshi, placé sous la supervision du Ministère des rites. Il était rare qu’un candidat réussît à la première tentative, mais il pouvait se représenter autant de fois qu’il le désirait. Une fois les épreuves départementales satisfaites, le candidat était invité à se présenter au concours dit du « Palais », dian-

shi yushi, une épreuve assez formelle destinée surtout à classer les impétrants. Les

lauréats retenus recevaient alors le grade de jinshi, « lettré avancé », qui les rendait éligibles à des fonctions officielles.

Dans les débuts de la dynastie, les concours étaient ouverts sans périodicité régu- lière, se tenant tantôt tous les ans tantôt tous les deux ans. À partir de , les épreuves se tinrent tous les trois ans : à l’automne pour les épreuves du concours pré- fectoral, au printemps suivant pour les épreuves départementales et du Palais. Cette pratique restera en vigueur jusqu’à la suppression des concours quelques années avant la fin de l’empire, en .

En dehors des concours mandarinaux, une procédure parallèle de recrutement, dite de « l’ombre », yinbu, ou de la « grâce », enyin, correspondait au privilège héré- ditaire accordé à une partie du mandarinat. Des hauts dignitaires du gouvernement étaient ainsi autorisés à proposer un ou plusieurs membres de leurs familles à des postes de la fonction publique. L’intégration n’était cependant pas automatique, et les bénéficiaires devaient subir une épreuve particulière dite de « placement », quan-

shi. La sélection n’y était pas féroce, dans l’ensemble, puisque plus de la moitié des

candidats, dans l’hypothèse la plus basse, étaient admis. L’échelon initial de ces fonc- tionnaires « protégés » pouvait varier mais il demeurait bas. Eu égard à l’ensemble de la fonction publique, ils étaient relativement peu nombreux ; cependant, beau- coup d’enfants de fonctionnaires pouvaient intégrer la fonction publique grâce à cette libéralité.

Il existait enfin une voie dite de « repêchage », spécifique du dispositif des Song. Elle permettait à des candidats âgés, ayant accumulé les échecs à l’un des concours voire à l’épreuve terminale du Palais, de se présenter à de nouvelles épreuves, moins ardues1. Le nombre d’échecs requis fluctua longtemps : de  en  à  en .

Des règles furent établies en  :  tentatives au concours départemental,  ans d’âge minimum pour les candidats du domaine littéraire,  à  tentatives et plus de  ans pour les autres domaines. Pour les candidats qui avaient réussi au concours départemental et échoué au concours du Palais,  tentatives infructueuses étaient

L    S G 

nécessaires. Âgés d’au moins cinquante ans, titulaires d’un grade sans prestige, leur force politique était négligeable. Cette disposition n’en était pas moins importante sur le plan social, car elle conférait un statut, avec toutes ses prérogatives, à des hommes qui sinon n’auraient jamais franchi la barre des concours mandarinaux.

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