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Face aux révoltes

Dans le document La vie publique de Sima Guang (Page 66-69)

Au e mois de l’année , Renzong proclamait une amnistie générale. Sima

Guang composa à cette occasion un élogieux quatrain de circonstance en vers heptamètres.

Le tonnerre des tambours se répand de toute part, fracture du grand silence, Le Ciel ouvre les serrures des prisons, libération des condamnés,

Les courriers se dispersent de tous côtés, oiseaux annonciateurs, En un jour, la miséricorde impériale irrigue toutes les préfectures4.

Pourtant, l’amnistie à peine proclamée, un soulèvement populaire mit à feu et à sang une partie du nord du pays. Ce n’était pas un événement isolé : la Chine de cette période n’est pas loin d’évoquer, pour reprendre les termes imagés de Georgij

la fidélité. Quand les hommes de bien utilisent ces principes pour perfectionner leur propre personne, ils partagent un même idéal, et sont utiles les uns aux autres. Quand ils utilisent ces principes au service du pays, ils partagent les mêmes sentiments et s’entraident mutuellement. La fin est en tout point pareille au commencement : c’est l’amitié entre hommes de bien.

Que l’on prenne la simple résolution de chasser l’amitié fallacieuse des hommes de peu et d’utiliser l’amitié authentique des hommes de bien et l’empire sera en bon ordre. »

Une traduction légèrement différente est donnée par G. M, Le Kouwen chinois, Paris : Geuthner, , p. -. Voir également James T.C. L, Ou-yang Hsiu, An Eleventh-Century Neo-

Confucianist, Stanford University Press, , p.  et suiv.

. edegré principal de la grille de la fonction publique, zheng bapin.

. Dalisi cheng, edegré secondaire de la grille, cong qipin.

. Sima Guang occupa ces fonctions pendant trois ans, de  à . Voir G Donggao, Sima Tai-

shi..., op. cit., p. .

 L’    (-)

Smolin, « un volcan à cratères multiples1». En effet, « chaque année, des mouve-

ments insurrectionnels paysans éclataient, en tel ou tel lieu de l’empire. La tension politico-sociale était plus forte au nord où, à l’exploitation traditionnelle de la petite paysannerie liée à la concentration foncière, s’ajoutait l’augmentation de la pression fiscale engendrée par le coût croissant des conflits frontaliers entre les Song et les Xixia ou les Liao ».

Un soldat de la préfecture de Beizhou dans l’actuel Hebei, Wang Ze2, appuyé sur

une société secrète à caractère politico-religieux Milejiao3, avait gagné le soutien

des mécontents d’une dizaine de préfectures. Les rebelles, s’étant rués sur l’arsenal, mirent à mort quelques fonctionnaires corrompus ou jugés tels, puis ouvrirent les portes des prisons. La place de Beizhou, au cœur de l’insurrection, n’était pas for- tuite : la ville et son territoire étaient l’un des foyers de longue date du Milejiao. De plus, forteresse placée sur une hauteur, entourée de murailles puissantes et d’un fossé profond, elle offrait aux insurgés une excellente position stratégique. Aussitôt la ville enlevée, Wang Ze se proclama Roi de la commanderie de Dongping. Don- nant à son royaume le nom d’Anyang, il inaugura une ère de règne : dès le début, la révolte se donnait pour but le renversement des Song. La réaction du pouvoir fut aussi prompte que violente : une armée impériale vint assiéger la place forte tandis qu’une répression terrible s’abattait sur toute la région, sans provoquer toutefois, dans l’immédiat, la chute de la ville ni la réduction du mouvement.

Vice-commissaire aux Affaires militaires4, Pang Ji, l’ancien ami de Sima Chi et

« protecteur » de Sima Guang, était l’un des responsables de l’organisation mili- taire de l’empire. Sima Guang, qui s’était rangé sans hésitation dans le camp de la dynastie Song, lui soumit ses réflexions ainsi qu’un plan d’action. Fonctionnaire de rang modeste, il n’avait pas à intervenir ; il s’y risquait néanmoins, par égard, dit-il, pour son protecteur et pour le trône5. Il recommandait l’abandon de la répression

. S Georgij, « La révolte de la société secrète du Mi-Lë-chiao conduite par Wang Tse (- ) », in Etudes Song in memoriam Étienne Balazs, Françoise Aubin (éd.), Paris : Mouton, , série , t. , p. .

. « Né d’une famille pauvre de paysans, Wang Ze avait connu dès son jeune âge l’adversité, la faim, un lourd travail. Durant une des années de mauvaises récoltes, il fut contraint d’abandonner sa famille et d’errer, en quête de subsistance, dans les districts voisins. Le sort le jeta finalement à l’extrémité méri- dionale du Hebei, dans la région de Beizhou, où on l’engagea comme berger. Durant la famine de , quand le gouvernement recruta des affamés, Wang Ze entra dans le régiment de Beizhou. Assez vite, il réussit à atteindre le grade militaire inférieur de Xiaojiao, “caporal” ». Sur la révolte de Wang Ze, lire l’article de S Georgij, « La révolte de la société secrète du Mi-Lë-chiao conduite par Wang Tse (-) », in Etudes Song in memoriam Étienne Balazs, Françoise Aubin (éd.), Paris : Mouton, , série , t. , p. -.

. Le Milejiao était sous les Song une secte politico-religieuse secrète très populaire en Chine du nord. Sa doctrine était fondée sur la croyance en la venue future sur terre du bouddha Maitreya pour libérer l’humanité de ses souffrances. Vers le milieu du esiècle, la secte avait amassé des traditions et

de l’expérience en matière d’activités insurrectionnelles. S Georgij, op. cit., pages -. . Fumi fushi.

. Sima Guang citait en préambule un passage des Entretiens de Confucius (VIII, § ). Le Maître dit : « Qui n’est pas appelé à occuper un poste, ne se mêle pas d’en concevoir l’organisation ». Traduction Anne Cheng, Entretiens de Confucius, Paris : Seuil, Sagesses, , p. .

L    S G 

aveugle, au profit de ce qu’on pouvait qualifier de maniement habile de la carotte et du bâton1.

Avec toute mon ignorance, je me permets de penser que la population de la ville n’a sans doute pas dans son ensemble un esprit de révolte, et que le nombre des meneurs et des auteurs du projet n’excède pas quelques individus. Tous les autres ont été contraints par la violence et n’ont pu faire autrement que de suivre. Ils espèrent l’arrivée de l’armée impériale et la publication de l’ordre d’amnistie, tel celui qui est sur des charbons ardents attend de l’aide, ou celui qui est attaché à un arbre d’être libéré.

Aujourd’hui la Cour devrait agir avec sincérité, dépêcher les troupes des commande- ries voisines et mettre le siège autour des remparts sans lancer l’assaut, mais en empê- chant seulement quiconque de sortir. Dans un deuxième temps, (la Cour) offrira de fortes récompenses à des volontaires dont la mission sera d’entrer dans la ville brû- ler les réserves et détruire les appuis afin que (les insurgés) n’aient plus ni lieu où fuir ni bien à garder. Ensuite, la Cour désignera des émissaires à la vertu parfaite et respectés des soldats, ils seront porteurs d’une proclamation promettant une forte récompense à tous ceux qui, entraînés dans l’affaire contre leur gré, auront capturé ou tué un meneur ou appelé à la reddition ; ceux qui, bien que membres actifs de l’af- faire, seront capables de reconnaître très vite leurs torts et de faire amende honorable seront graciés et éviteront ainsi la mort ; ceux qui (par contre) s’obstineront dans leur forfaiture et oseront résister à l’armée impériale ne bénéficieront d’aucune mesure de grâce et seront exécutés avec femmes et enfants.

En agissant ainsi, en peu de temps, la tête des chefs de l’insurrection sera sans faute déposée à la porte du palais.

Le gouvernement ne devait pas poursuivre, jugeait-il, dans la voie d’une réplique brutale, comme cela avait été le cas jusque là : les meneurs auraient alors beau jeu d’inciter leurs compagnons à demeurer dans l’enceinte de la ville, afin d’échapper au massacre promis. Guang proposait au contraire de rétablir la confiance grâce à l’offre de récompenses attrayantes.

Certains pensent sans doute que la force militaire réduira les rebelles, mais ceux-ci s’appuient sur des murs solides et disposent d’armes et de réserves de nourriture [...] L’emploi de forces même cent fois supérieures ne garantira pas pour autant le succès. C’est pourquoi il ne faut lésiner ni sur les récompenses ni sur les titres accordés afin de ruiner leur parti. Il n’y a rien de mieux à faire aujourd’hui2.

Son avis ne fut, on s’en doute, pas suivi ; à la fin de l’année , la loi martiale était proclamée dans la région. Les forces assiégeantes se lancèrent à l’assaut des défenses de la ville, elles furent repoussées. Le Commissaire impérial chargé de la pacification des rebelles, Ming Hao, fit alors cerner la cité d’une palissade aussi haute que ses murailles ; les insurgés y mirent le feu, et il fallut aux assaillants trois jours

. « Shang Pang Shumi lun Beizhou shi yishu », Zhuanjiaji, ch. , op. cit., t. , p. - ; Quan Song

wen, op. cit., t. , p. -.

 L’    (-)

pour éteindre l’incendie1. Au début de l’année , un haut fonctionnaire de la

cour, le grand conseiller aux affaires d’État2Wen Yanbo, qui avait remplacé Ming

Hao, fit creuser une galerie sous le mur sud. Grâce à ce subterfuge, au ermois de

l’année , deux cents volontaires investirent de nuit la ville, surprenant la garde et la neutralisant. Après une résistance de soixante-six jours et au terme de vingt- quatre heures de combats de rues acharnés, l’armée impériale enleva la ville3. Wang

Ze, qui avait profité du désordre pour s’enfuir, fut capturé dans un village voisin, il fut aussitôt transféré à la capitale et écartelé en place publique4. La répression

qui suivit fut extrême : les défenseurs furent mis à mort et leur parentèle exécutée ou déportée. Les villages des alentours furent incendiés, les paysans, soupçonnés d’avoir soutenu l’insurrection, massacrés ou réduits en servitude. Enfin, pour effacer jusqu’au souvenir de la ville rebelle, le gouvernement la rebaptisa du nom d’Enzhou (la Préfecture de la « grâce impériale »...).

Dans le document La vie publique de Sima Guang (Page 66-69)