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La vie publique de Sima Guang

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Jean-Francois Vergnaud. La vie publique de Sima Guang : Homme d’État et historien chinois du XIe

siècle. Presses universitaires de la Méditerranée, 274 p., 2014, Histoire et sociétés, 978-2-36781-034-8.

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La vie publique de Sima Guang

Homme d’État et historien chinois du 

e

siècle

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Collection « Histoire et sociétés »

Directeur de collection Daniel L B

Comité scientifique

Christian A, Geneviève G-F, Carol I, Daniel L B

La collection « Histoire et sociétés » est le reflet des objectifs scientifiques des équipes des historiens montpelliérains médiévistes, modernistes et contemporanéistes et de la diver-sité actuelle de leurs champs de recherche. Les liens noués avec de nombreux chercheurs d’universités françaises et étrangères justifient également la publication, dans la collection, d’ouvrages de qualité rédigés par des historiens extérieurs à l’établissement, retenus en raison de l’originalité de leur démarche et de la nouveauté des sujets qu’ils traitent.

La série « Sem — Études juives et hébraïques », fondée et dirigée par Carol Iancu, a pour objectif la publication de travaux scientifiques dont le principal domaine de recherches concerne l’histoire des Juifs et de la civilisation d’Israël.

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Collection « Histoire et sociétés »

La vie publique de Sima Guang

Homme d’État et historien chinois du 

e

siècle

Jean-François V

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Illustration de couverture

Tous droits réservés, PULM, 

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La vie publique de Sima Guang : quelques questions

Il y a quelque chose d’attachant dans la personnalité de Sima Guang (-), du moins dans ce que laissent entrevoir les péripéties de sa carrière, ses correspondances, son œuvre d’historien. Certes, l’empathie avec un bureaucrate du esiècle, confucéen militant et exégète obstiné du passé, peut sembler difficile dans

sa recherche de règles pour une bonne administration de ses contemporains. Mais son attachement indéfectible aux principes, sa fidélité au souverain et à sa dynas-tie, voire son obstination à aller à contre-courant ne laissent pas de toucher, ainsi que son passage trop tardif aux plus hautes affaires de l’État, qui voue une poli-tique en apparence à rebours de la « modernité » de l’époque à être balayée par ses successeurs.

La curiosité que suscite le personnage justifie peut-être à elle seule qu’on s’efforce d’en reconstituer le parcours. Mais outre qu’il est l’auteur d’une œuvre historique dont le rôle fut fondamental dans l’évolution intellectuelle de la Chine, sa carrière manifeste, par la rigidité des pratiques combinée à l’art de naviguer dans les plus complexes des intrigues de cour, un souci probablement profond et sincère du bien-être du peuple et plus largement du bien public. D’où la popularité que laissent per-cevoir les commentaires hagiographiques du temps. Aussi Sima Guang apparaît-il comme une figure à la fois singulière et emblématique d’un mode de gouvernement qui soulève encore mainte question.

La vie publique de Sima Guang s’inscrit dans une étape très particulière de l’histoire des Song du nord. Elle occupe en effet le bref laps de temps qui sépare deux grands moments de réformes : les « Petites réformes » de Fan Zhongyan (-), autour des années , auxquelles Sima Guang apporta son soutien ; le mouvement des « Lois nouvelles » de Wang Anshi (-), dans les années -, dont notre fonctionnaire fut l’opposant le plus intransigeant.

En toute légitimité, la notoriété de Sima Guang repose d’abord sur son œuvre écrite. Mais c’est en raison de sa résistance aux bouleversements profonds et aux grandes réorientations politiques qui caractérisent les règnes des empereurs Song du nord, au titre de sa personnalité politique, que nombre d’auteurs se sont inté-ressés à lui. Aussi le trait principal et parfois même unique, retenu par les tra-vaux anciens ou récents et en général par les historiens de la période, est-il le

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conservatisme, tenu pour inhérent à ce personnage hostile en son temps à toute

transformation même modeste dans les pratiques administratives, fiscales, mili-taires ou agraires. Cette notion de conservatisme, jugée au cœur même de la pensée et de l’action de Sima Guang, a pu fournir le titre et la trame même des plus récents travaux, notamment la thèse de J Xiao-bin, qui définit le conservatisme comme le respect de la sagesse accumulée par le passé et le souci de préserver les fruits des mesures du passé1.

Or, à réduire le personnage au rôle de simple objecteur face à un flux de trans-formations irrésistibles et porteuses d’innovations censément très profondes, voire révolutionnaires ou « socialistes », on ne s’explique pas l’aura de Sima Guang dans la mémoire chinoise érudite ou même populaire. Il y est en effet évoqué comme l’une des grandes personnalités de la Chine, une des rares figures de son histoire qui se puisse qualifier d’universelle, et dont l’influence serait sensible aujourd’hui encore dans son pays et plus généralement en Asie orientale. C’est qu’à ce fonctionnaire sans doute intransigeant, peu d’aspects du mouvement d’idées de son siècle auront été étrangers. Et que, sur la fin de sa vie, cet homme d’État investi des plus hautes charges gouvernementales, ce membre éminent de la bureaucratie lettrée, demeure au premier chef l’homme de l’État chinois, qu’il sert tout au long de sa carrière et contribue à édifier par sa longue et rigoureuse pratique de la « remontrance ».

Le point de vue courant ne recèle-t-il pas une dose persistante d’anachronisme ? Le même auteur qui met en avant le conservatisme de Sima Guang s’interroge peu sur la pertinence d’un terme qui, certes évocateur de la vie politique d’aujourd’hui, ne l’était pas autant dans le contexte du esiècle. N’est-il pas dès lors possible

d’abor-der la carrière de ce penseur et homme d’État en l’inscrivant dans des pratiques administratives et plus largement politiques liées à une conception donnée de l’exer-cice du pouvoir autant qu’à une conjoncture particulières, et l’une et l’autre profon-dément historiques ? La première, dans sa complexité propre, intègre une alterna-tive fonctionnelle, entre référence à l’Histoire et référence aux Sages. La seconde contraint les hommes politiques du temps à gouverner en permanence sous la pres-sion d’une menace extérieure, dans un environnement de périls et d’insécurité qui fait de la défense du pays un des problèmes centraux du gouvernement, et de la sur-vie de la dynastie une des grandes préoccupations du régime. C’est dans une telle perspective que nous tenterons de décrire la formation et l’action politique de Sima Guang. Nous suivrons la chronologie, comme dans toute biographie classique, car cette option narrative ne nous a pas paru interdire les nécessaires analyses d’idées ni gêner l’appréhension globale de l’évolution d’une pensée autant que du déroulement de l’action du personnage et, derrière celui-ci, d’un mode de gouvernement.

Un dernier mot sur la masse de nos sources textuelles et notre façon de les uti-liser. Nous exploitons largement l’œuvre de Sima Guang, de ses correspondances au monumental Zhizhi tongjian. Nous recourons aussi aux travaux anciens sur le

. V. J Xiao-bin, Politics and Conservatism in Northern Song China, the Career and ought of Sima

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personnage : chronologies nianpu, récits et commentaires des contemporains, de Su Shi à Wang Anshi, histoires dynastiques, analyses de commentateurs, souvent éminents, des Ming ou des Qing (v. bibliographie en annexe). Ces narrations ou travaux reconstituent d’abondance, sous forme de dialogues, les entretiens et débats entre Guang et son entourage, les audiences où il adresse réflexions ou arguments à son souverain, les réponses de celui-ci. Nous citons souvent ces passages in extenso : ce ne sont pas des « sténographies », loin de là, mais ces textes, à défaut de restituer une parole littérale, sont d’une élaboration qui traduit bien, nous semble-t-il, l’esprit de ces échanges et la place qu’ils pouvaient tenir dans les représentations lettrées. En ce sens, leur proximité avec le personnage et avec son milieu nous paraît bien réelle. Leur contenu et leur forme sont aussi fortement significatifs des débats, attitudes et façons de penser et d’agir de cette bureaucratie.

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La figure de Sima Guang, de l’histoire à

l’historiographie : un état des recherches

Toute figure historique est construction : fondée sur documents, certes, mais tri-butaire aussi, fût-ce par opposition, de constructions antérieures dont les traces, dans le cas de Sima Guang, sont multiples, nées de la notoriété du personnage en son temps comme du poids intellectuel de ses écrits. La première s’est construite autour de sa posture originale, et de sa confrontation avec cette autre personnalité notoire de l’époque, Wang Anshi. Le second témoigne du prestige singulier de sa grande œuvre, le Zizhi tongjian ou Miroir universel pour l’aide au gouvernement. Les textes et l’action du personnage furent âprement loués, commentés ou discutés par les contemporains, ainsi que par des successeurs et continuateurs aussi éloignés les uns des autres que dotés de leur propre envergure : Zhu Xi, Yuan Shu, Ma Duanlin ou Wang Fuzhi, pour ne citer que les plus connus.

Si Sima Guang continue de faire l’objet de travaux d’historiens, aucun d’entre eux n’a pu se dégager de l’image construite par cette tradition lettrée ni l’écarter d’emblée. Pas plus elle, d’ailleurs, que les débats suscités à travers le temps par sa carrière, son œuvre et les liens de l’une et de l’autre. Avant de retracer le parcours de l’homme politique, il nous a paru nécessaire d’évoquer ces approches : chinoises ou non, contemporaines de la carrière du haut fonctionnaire ou récentes, elles constituent en somme la généalogie de notre effort de reconstruction.

L’adversaire de Wang Anshi

Deux aspects de la pensée et de l’action politique de Sima Guang ont retenu plus que d’autres l’attention des commentateurs du esiècle : son confucianisme,

struc-turé autour d’une définition stricte des relations hiérarchiques, et surtout son oppo-sition à la politique de réformes engagée par Wang Anshi (-), qui appelle quelque précision.

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 L   S G,  ’  ’

Les problèmes chroniques dont souffre la Chine des Song dès les origines (voir chapitre ), tendent à s’accentuer dans la deuxième partie du esiècle1. Les

histo-riens chinois spécialistes de cette période évoquent ici les « trois excès » et les « deux accumulations » : d’un côté les sureffectifs militaires, la pléthore des fonction-naires émargeant au budget de l’État, le montant excessif des dépenses du gouver-nement ; de l’autre, l’effet cumulé du manque de moyens financiers et de la faiblesse opérationnelle des armées.

Les réformes de Wang Anshi, ainsi que de l’empereur Shenzong qui lui confia les rênes du gouvernement dans les années , représentent la tentative la plus importante et la plus radicale de résoudre ces difficultés. Furent-elles bénéfiques à la dynastie et à la population de la Chine ? Le débat n’est pas clos à ce jour. En Chine populaire, jusqu’à une date récente, la question de l’appréciation des réformes de Wang Anshi excédait de beaucoup l’univers académique, sous-tendue par d’âpres discussions autour des mérites respectifs des deux hommes. D’ailleurs, depuis l’ou-verture des années , il se pratique une lecture inverse de l’histoire qui conduit à réapprécier Sima Guang et à critiquer Wang Anshi2. Par suite, la personnalité de

Wang et sa politique ont nourri suffisamment d’ouvrages et d’articles, tant en Chine et par extension à l’étranger, pour faire de ce sujet le plus étudié de toute l’histoire des Song du nord3. Les travaux consacrés à Sima Guang en subirent le contrecoup

jusqu’à une date toute récente : le rôle de l’homme d’État fut constamment bien moins analysé pour lui-même qu’en contrepoint à celui de Wang.

À cet égard, dès le début du chapitre qu’il lui consacre dans son Histoire de la

pensée politique chinoise. Xiao Gongquan donne le ton de façon éclairante :

Au début de l’ère Yuanyou (), Sima Guang devint le principal animateur des débats à la Cour. Après son arrivée à la tête du gouvernement, les lois nouvelles instaurées par Wang Anshi et Lü Huiqing furent complètement abolies. J’estime ne guère me tromper en affirmant que Sima Guang est le représentant principal des factionnalistes4.

. Y Tan, Dabianfa : Song Shenzong yu shiyi shiji de gaige yundong, Beijing : Sanlian shudian, , p. -.

. V. Peter B, « Goverment, Society, and State : On the Political Visions of Ssu-ma Kuang and Wang An-shih », in Ordering the World : Approaches to State and Society in Sung Dynasty China. Berkeley : University of California Press, , p. .

. Selon H K’uan-ch’ung, « Trends in Sung Historical Research in Taiwan and Mainland China »,

Journal of Sung-Yuan Studies ,  : , p. -. Wang Anshi et Yue Fei sont les deux personnages les

plus étudiés de la dynastie Song. Parmi les études les plus notables sur les réformes de Wang Anshi, voir H. R. W, Wang An-shih, Chinese Stateman and Educationalist of the Sung Dynasty,  vol., Londres : Arthur Probsthain, - ; J. M, (éd.), Wang An-shih : Practical Reformer ?, Boston : D.C. Heath and Co,  ; James T. C. L, Reform in Sung China : Wang An-shih (-) , Cambridge : Harvard U.P., . En langue chinoise, v. notamment : Q Xia, Wang Anshi bianfa, Shanghai : Shanghai renmin chubanshe, .

. X Gongquan, Zhongguo zhengzhi sixiangshi, Taibei : Zhongguo wenhua daxue chubanshe, , p. .

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L    S G 

Xiao Gongquan dresse ensuite en trois points une sorte de réquisitoire contre Sima Guang. Il dénonce en bloc son esprit partisan, qui l’aurait conduit à abroger les « lois nouvelles » contenues dans le programme de réformes de Wang Anshi ; ses convictions taoïstes, empreintes d’une vision mystique et déterministe des liens de cause à effet, en vertu desquelles il aurait encouragé les souverains à gouverner selon le principe du « non-agir » ; sa croyance enfin en un ordre naturel, justification d’un système politique despotique où le souverain aurait eu seul, en dernier ressort, le contrôle du pouvoir. Autoritaire, Guang l’aurait été aussi, dans son culte pour le passé aux antipodes d’un penseur original. « On dit dans l’Histoire officielle des

Song », écrit encore Xiao, « qu’en matière d’érudition il n’y a rien dont Sima Guang

n’ait eu l’intelligence ; mais sa pensée politique est une pâle copie de celle des pen-seurs antérieurs, et elle manque d’esprit de système1». Sima donc, porte-parole et

avocat de ce que Xiao appelle l’ordre politique despotique2. Sima donc, tenu pour

responsable de la mise à l’écart des conceptions « démocratiques » de Mengzi au profit d’une affirmation éminemment conservatrice : le caractère « naturel » des distinctions sociales, dans leur hiérarchie. Xiao Gongquan tire aussi argument de la vision peu interventionniste, ou plutôt peu volontariste de l’État prônée par Sima Guang, pour en faire un taoïste adepte du « non-agir » ; à l’inverse, Wang Anshi est présenté en avocat de l’égalitarisme et en partisan de l’interventionnisme au service du petit peuple. Dans les deux cas, cette lecture nous semble abusive.

Le sinologue américain Frederic Mote, traducteur en anglais d’une partie de l’œuvre de Xiao Gongquan, reprend et développe ce discours qui voit en Sima Guang le suppôt de l’ordre despotique. Il trouve même chez Sima l’origine des théories de Karl Wittfogel sur le despotisme oriental :

Dans ses très influents écrits historiques, Sima Guang va jusqu’à interpréter le gou-vernement féodal décentralisé de la Chine des temps pré-impériaux comme un des-potisme hautement centralisé. [...] Ce faisant, il constitue en tradition cette vision de l’histoire, et il est possible que celle-ci ait été transmise en Occident au esiècle,

à travers la traduction du résumé orthodoxe du travail de Sima Guang effectuée par de Mailla. Il se peut même que la vision de l’histoire de la Chine antique développée par Wittfogel remonte en fin de compte pour partie à la vision de Sima Guang, qui en est très proche. [...]

Non seulement Sima Guang n’a pas compris (ou peut-être choisi de ne pas perpétuer la compréhension de) la nature hautement décentralisée du gouvernement des temps vénérés des Zhou, mais, comme on le sait fort bien, il s’est efforcé de saper l’autorité de Mencius, le penseur confucéen à l’esprit le plus libéral de cette époque.

Et l’historiographie de peindre ainsi, assez systématiquement, les idées de Sima Guang sous un jour négatif, par opposition aux analyses pleines d’empathie pour le

. Id.

. X G. appuie sa démonstration sur le passage du premier commentaire contenu dans le Zizhi

tongjian, où Sima Guang rapproche les notions de « rituel », « hiérarchie » et « dénominations ». Selon

Xiao Gongquan, le but de Sima Guang était de contribuer à mettre en valeur l’idée de la séparation à la fois en titres et en rangs entre le souverain et ses ministres. Ibid., p. .

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 L   S G,  ’  ’

programme de Wang Anshi. La majeure partie de la sinologie occidentale reprend cette antienne. Sur ce point, l’analyse d’Étienne Balazs est significative :

Se débattant au milieu de ces graves problèmes économiques, secouée par une crise sociale latente, humiliée de sa faiblesse militaire, la Chine du esiècle était mûre pour des réformes radicales. [...] Les meilleures intelligences, les esprits les plus géné-reux se mirent en quête de moyens d’action susceptibles de sauver la patrie en danger. Le plus célèbre de ces patriotes désintéressés, le plus capable aussi et le plus coura-geux, fut Wang Ngan-che (Anshi) (-1) [...] L’application des réformes

ren-contra l’opposition de tous ceux qui tenaient pour l’ordre ancien. À mesure que la mise en pratique des idées de Wang Ngan-che (Anshi), bousculant les habitudes invé-térées, menaçait de balayer les routines et de mettre en question les anciens modes de pensée et de vie, les représentants de la tradition se rendirent compte de la portée de cette « révolution » opérée par la voie administrative. Ce n’étaient plus seulement leurs intérêts immédiats qu’il fallait défendre : l’existence même du système dont ils vivaient, leur raison d’être étaient en jeu2. [...] Lorsque Wang Ngan-che, écœuré, [...]

se retira [...] les chefs du parti conservateur, le grand historien Sseu-Ma Kuang et ses amis, gonflés de rancœur, prirent leur revanche sans aucune mesure3. [...] Sseu-ma

Kuang, vieillard entêté, n’écouta pas le conseil des modérateurs4.

On pourrait multiplier les citations dans ce registre, perceptible chez plusieurs générations de spécialistes. Est-ce bien utile ? Sans discuter sur le fond des argu-ments d’Étienne Balazs, qui ont leur justification, ce parti-pris en faveur de Wang Anshi paraît assez vain, et surtout entaché d’anachronisme. C’est l’adaptation d’un débat vieux de près d’un millénaire aux nécessités de temps plus proches.

Michael Denis Freeman reprend une partie des présupposés de Xiao Gongquan5.

Il attribue un rôle prépondérant dans le mouvement « anti-réformes » à Sima Guang qui, dit-il, disposait de la capacité de rassembler dans cette opposition des hommes originaires des différentes régions de l’empire. Ceux-ci, même s’ils aimaient à se dépeindre en continuateurs des réformes qu’avait menées Fan Zhongyan dans les années , s’en écartaient sur bien des points. Le premier mouvement réformiste n’était pas en quête d’orthodoxie : les hommes d’État de cette période croyaient que les institutions pouvaient être changées. À l’inverse, les « soi-disant » réformateurs dirigés par Sima Guang se cramponnaient à l’antiquité par refus de toute évolu-tion instituévolu-tionnelle. La politique du gouvernement comportait pour eux une com-posante mystique en rapport avec le mouvement même de l’univers. Immuables étaient les institutions fondamentales, et le devoir premier du gouvernement était d’en assurer la préservation en l’état. Pour Freeman, les « anti-réformistes », dénatu-rant la forme et la finalité de l’écriture historique, sont sortis des limites du

confu-. H. M, É. B, Histoire et institutions de la Chine ancienne, Paris : PUF, , p. . . Ibid., p. .

. Ibid., p. . . Ibid., p. .

. M. D. F, Luoyang and the Opposition to Wang An-shih : e Rise of Confucian Conservatism,

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L    S G 

cianisme en faisant de la survie dynastique une question clé. Le monde était pour eux une entité intangible : « ils voyaient un ordre durable fondamental derrière les désordres du monde naturel et historique. » Les écrits du groupe de Sima Guang privilégiaient l’action morale qui, ancrée dans le cœur des hommes, rendait inutile tout changement institutionnel. Mais, en répétant après d’autres que l’opposition aux réformes de Wang Anshi constituait le déterminant unique des actes et des propos de Sima Guang, Freeman lui dénie, dans une perspective très téléologique, toute existence intellectuelle antérieure, comme s’il n’avait jamais tendu qu’à devenir l’opposant de Wang Anshi.

Anthony Sariti réfute, lui, nombre de ces arguments1. Pas plus qu’il ne voit en

Sima Guang un adepte du taoïsme, même si celui-ci partagea le penchant taoïste pour une intervention politique minimale, il ne le tient pour l’apôtre du despotisme souvent décrit. Par souci de réduire les risques de chaos politique, Sima militait pour une hiérarchie sociale stricte et intangible, pas en vue d’instaurer un absolutisme quelconque. Sa conception de la « remontrance à l’empereur » l’atteste : le ministre loyal a le devoir, au besoin au péril de sa vie, de pratiquer la critique du souverain ; à l’inverse, le souverain doit accepter la critique des ministres, en ce qu’elle offre une barrière contre les risques d’erreurs et favorise l’action en conformité ; de même, si le devoir d’un ministre est de rester aussi longtemps que possible au service de son souverain, il est en droit de démissionner si sa politique est totalement rejetée. Nous faut-il pour autant suivre Sariti quand il postule que Sima Guang aurait fait de l’empereur le simple arbitre des affrontements politiques de sa cour ? On peut en douter. Dans les termes de Sima Guang, en effet, nulle ambiguïté : l’empereur n’est pas l’arbitre, mais bien le détenteur suprême du pouvoir décisionnel2.

L’étude de Peter Bol offre le tableau comparatif le plus complet des vues poli-tiques des deux hommes3. Il y propose des arguments complexes auxquels il paraît

difficile de rendre justice en quelques mots. Selon Bol, bien avant la polémique qui les opposera quant aux réformes, Sima Guang et Wang Anshi avaient développé des vues parfaitement divergentes de l’action gouvernementale. Bol fait sienne l’opinion courante du conservatisme de Sima Guang ; mais il s’appuie sur l’idée que ce der-nier voulait conserver en l’état la structure sociale et politique en place, parce que constituée de diverses forces dont chacune jouait un rôle dans l’équilibre du tout. Il entendait veiller à la défendre contre tout changement intempestif et tout vecteur de dégradation, aussi longtemps que toutes ses parties constitutives demeureraient en bon état. La contribution de Bol, profonde et originale, a de plus le mérite d’illustrer le processus de réévaluation équilibrée, depuis quelques années, des rôles respectifs

. A. S, « Monarchy, bureaucracy, and Absolutism in the Political ought of Ssu-ma Kuang »,

Journal of Asian Studies, nos-, , p. -.

. V. J Xiao-bin, Conservatism and Court Politics in Northern Sung China : the ought and Career

of Ssu-ma Kuang, PhD, Princeton, , p. .

. P. K. B, « Government, Society and State : On the Political Visions of Ssu-ma Kuang and Wang An-shih », in Robert p. H, C. S (eds.), Ordering the World : Approaches to State and

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 L   S G,  ’  ’

de Sima Guang et Wang Anshi. C’est aussi ce qui domine la thèse de Ji Xiao-bin, à laquelle nous faisions allusion plus haut. Si, comme nous le soulignions, le « conser-vatisme » de Sima Guang reste pour lui une notion constitutive du personnage, il envisage la carrière de ce dernier dans une perspective large, non tant pour ses posi-tions théoriques, que dans le cadre de choix raisonnés au sein des équilibres subtils entre forces politiques à la cour. En bref, pour éviter le monopole absolu des réfor-mistes sur la cour, Shenzong maintint quelques anti-réforréfor-mistes dans des fonctions élevées sans contact directs avec les réformes. Ainsi, en accordant des faveurs à des opposants de premier plan à la réforme, ce qui était le cas de Sima Guang, l’empereur s’assura la loyauté des anti-réformistes qui se trouvaient par ailleurs écartés du gou-vernement central. Shenzong instrumentalisait ainsi ses excellents rapports avec Sima, rapports dont il faisait un outil de contrôle du pouvoir des réformateurs1. Ce

déplacement des approches, ainsi pratiqué par Bol, nous paraît le bienvenu.

 Les lectures du Zizhi tongjian

Sima Guang fut l’homme pour qui l’action politique ne se dissociait pas de la connaissance historique. Sa réputation en ce domaine repose sur le Zizhi tongjian [Miroir universel pour l’aide au gouvernement]. Cette histoire générale de la Chine en  chapitres couvre une période de  ans, de  av. J.-C. à  apr. J.-C. ; dans son édition actuelle la plus courante, elle compte  volumes et   pages2.

C’est l’une des rares œuvres louées par la postérité quasi unanime en Chine, non seulement comme modèle de l’érudition ou de l’esprit critique des lettrés, mais sans doute aussi en tant qu’illustration exemplaire de leur philosophie de l’histoire.

Grâce à sa méthode de rédaction et aux champs de recherche nouveaux qu’il ouvrit à ses successeurs lettrés, Sima Guang contribua au renouvellement de l’écri-ture de l’histoire en Chine. Il avait élaboré une méthode de rédaction en trois étapes. Ses assistants et lui rédigeaient d’abord un canevas général, puis ils rassemblaient la documentation la plus complète à partir de toutes les sources disponibles et compi-laient un premier jet appelé « version longue », non destiné à la publication, dont la taille excédait de beaucoup la version finale. Enfin, Sima Guang condensait la ver-sion longue et y ajoutait ses éventuels commentaires. Il est aussi le premier historien chinois à accompagner son travail de commentaires critiques. Dans un texte inti-tulé Kaoyi, [Recherches et divergences], il justifie sa méthode et ses choix de rédaction face aux nombreux cas de divergence entre ses sources de référence. Cette critique commentée des sources inaugure une pratique qui devait s’imposer en norme dans les études historiques en Chine. Accessoirement, elle eut aussi le mérite de préserver une information précieuse sur des ouvrages aujourd’hui totalement disparus3.

. Id., p. .

. Dans son édition actuelle la plus courante, accompagnée du commentaire de Hu Sanxing, l’ouvrage compte  volumes et   pages. Sima Guang, Zizhi tongjian, Beijing : Zhonghua shuju, .

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L    S G 

L’œuvre historique de Sima Guang exerça une influence immense sur le public lettré chinois :

Liang Qichao a déclaré un jour que les lettrés chinois avaient consacré à l’étude du

Zizhi tongjian un temps et une assiduité équivalentes à ceux qu’ils avaient consacrés

au Shiji et au Hanshu réunis1. Et encore, ce jugement appliqué aux seuls lettrés ne

rend-il pas justice à l’étendue du lectorat du Zizhi tongjian en Chine, sous une forme ou sous une autre. En réalité, le livre de Sima Guang, dans ses nombreuses refontes, versions abrégées ou suites, fut pratiquement la seule histoire générale familière à la majorité des lecteurs de la Chine pré-républicaine2.

Les lecteurs lettrés chinois abordèrent le Zizhi tongjian avec des motivations fort différentes, mais tous avec le sentiment d’un profit en raison de l’abondance, de la pertinence et de la fiabilité de ses informations. Dès le e siècle, Hu Sanxing

(-), commentateur de l’œuvre de Sima Guang, décrit ainsi son expérience de lecteur :

Dans sa rédaction du Zizhi tongjian, Sima Guang n’a pas limité son attention aux seules manifestations du bon ordre politique ou du chaos ; il nous fournit aussi une information détaillée sur les rites et la musique, le calendrier, l’astronomie et la géo-graphie. Les lecteurs du Tongjian sont semblables à des souris buvant à une rivière — chacune est en mesure d’y satisfaire pleinement sa soif3.

L’œuvre inspira maints continuateurs, souvent forts éloignés les uns des autres. Nous en citions quatre en tête de ce chapitre, dont les œuvres s’étendent du e

au esiècle : Zhu Xi, Yuan Shu, Ma Duanlin, Wang Fuzhi. Le premier, Zhu Xi

(-), déclara avoir conçu son Zizhi tongjian gangmu pour remédier à deux inconvénients du travail de Sima Guang : ses dimensions, qui compliquaient la mémorisation et la maîtrise du récit historique ; sa structure, qui ne lui semblait pas éclairer suffisamment le sens des événements. Zhu Xi réécrivit l’ouvrage : réduit dans ses proportions, celui-ci présentait désormais en exergue et en gros caractères les événements importants d’une année donnée, et en petits caractères les points de détail et les commentaires ; cette approche permettait de parcourir l’ouvrage plus facilement afin d’en percevoir l’essentiel. Selon Zhu, le cadre chronologique une fois mis en place, les avertissements contenus dans le texte se révélaient d’eux-mêmes : « quand les yeux du peuple seront ouverts, les subtilités seront connues et tout le monde pourra atteindre la connaissance à travers l’investigation des choses ». Pour Zhu Xi, les événements se déroulent et se succèdent au sein d’un ordre qui les trans-cende. Lorsqu’ils sont organisés de manière adéquate, cet ordre brille à l’image d’un modèle sur lequel ajuster les affaires humaines : « le Dao du Ciel s’éclaircissant, la voie des hommes sera établie ». Zhu Xi entendait ainsi mettre en évidence des juge-ments moraux à valeur universelle, à l’instar du Classique Printemps et automnes. Il

. Respectivement les Mémoires historiques de Sima Qian et l’Histoire dynastique des Han de Ban Gu. . A. F, e Chronicle of the ree Kingdoms (-) : Chapters - from the Tzu chih t’ung

chien of Ssu-ma Kuang (-), éd. par Glen W. B, Cambridge MA : Harvard U. P., ), XVII.

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 L   S G,  ’  ’

suggère que le Zizhi tongjian contient ces mêmes vérités, mais de façon non expli-cite. En fait, la réécriture de Zhu Xi révèle surtout les différences de tempérament entre les deux hommes, et la profonde évolution des préoccupations des lettrés des Song du sud, par rapport à ceux de la période antérieure de la dynastie. Sima Guang avait poursuivi, en rédigeant son histoire, des buts très éloignés de ceux de Zhu Xi ; nous y reviendrons.

Yuan Shu (-), auteur du Tongjian jishi benmo, s’était fixé lui aussi pour objectif de faciliter la consultation de l’œuvre de Sima Guang tout en remédiant aux difficultés rencontrées à sa lecture. Selon lui, l’une d’elles tenait à la forme chrono-logique rigoureuse du Zizhi tongjian : l’appréciation globale d’un phénomène histo-rique était brouillée, car les éléments en étaient dispersés sur plusieurs chapitres dès lors qu’ils couvraient de nombreuses années. Bouleversant l’ordre original du texte, Yuan Shu regroupa les faits en grandes entités thématiques, exposées chacune dans leur continuité. Sans prétendre créer un genre nouveau, il espérait apporter plus de clarté et de vérité dans l’entendement historique. Il n’en ouvrit pas moins la voie à un nouveau genre historique, le jishi benmo, qui sera illustré par de nombreuses contri-butions allant dans le même sens, et sa méthode fut d’abord appliquée au Zuozhuan, l’un des commentaires du classique Chunqiu, avant d’être appliquée à l’ensemble des histoires dynastiques et à toutes les grandes époques. Ce choix méthodologique comportait toutefois ses propres limites : en présentant les faits selon une chrono-logie globale, le Zizhi tongjian, offrait une meilleure vision de la complexité réelle du monde à un moment donné. L’exposé, choisi par Yuan, des tenants et aboutis-sants d’un problème ou d’un événement, contraignant l’angle de vision, simplifiait à l’excès l’analyse des rapports entre faits concomitants, par une volonté explicative systématique. En un sens, le Jishi benmo de Yuan Shu ne se substituait pas plus au

Zizhi tongjian qu’il n’en constituait une forme supérieure. Il fournissait toutefois un

excellent guide pour sa lecture.

Comme Yuan Shu et Zhu Xi, Ma Duanlin (-) reconnaît sa dette à l’égard de Sima Guang. Il eut, d’après lui, l’immense mérite de renouveler le genre historio-graphique par son refus du cadre dynastique étroit et rigide en vogue depuis Ban Gu, et par son retour à une histoire « universelle », tong. Dans la préface au

Wen-xian tongkao, Ma écrit : « depuis Ban Gu et ses successeurs, c’est-à-dire depuis qu’on

écrit l’histoire en tranches dynastiques, il n’y a pas de principe général qui fourni-rait une explication d’ensemble et un lien de continuité ». Il reprend donc à Sima Guang l’idée d’histoire universelle, qu’il assortit comme lui d’un examen critique des documents originaux, wen, et des textes apparentés, xian.

Pour Sima Guang, la notion d’« universalité » consistait à discerner la perma-nence ou la répétition des phénomènes à travers l’analyse d’exemples historiques ; on pouvait alors en tirer les leçons nécessaires au meilleur gouvernement des hommes. L’histoire institutionnelle était inséparable du comportement des acteurs histo-riques déterminants, ceux qui sont à l’origine de la naissance et de la disparition des dynasties. Sa motivation première était la mise en lumière des rôles respectifs

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L    S G 

des souverains et de leurs ministres dans le processus de naissance et de mort de ces dernières.

À l’inverse, chez Ma Duanlin, l’« universalité » transcende les dynasties, dont le destin particulier ne le préoccupe guère. À ses yeux, l’histoire événementielle, dominée par la contingence, est sans grand intérêt. Seule l’histoire institutionnelle permet de déterminer une suite, une continuité, une sorte d’évolution ou de déve-loppement. Le Wenxian tongkao se concentre donc sur les rites, les châtiments, la fiscalité, le système des examens, l’évolution des titres administratifs, etc., sur tous les domaines susceptibles d’évolution temporelle et qui devraient constituer le terrain de prédilection d’une histoire à vocation « universelle », ainsi que l’expose clairement son introduction :

[Le Zizhi tongjian] est précis pour l’ordre et le désordre, l’ascension et le déclin, mais sommaire quant aux statuts et institutions... Or, à mon avis, ordre et désordre, ascen-sion et déclin, sont des faits sans continuité, sans rapports réciproques... [Tandis que] statuts et institutions ont réellement une continuité, des rapports de réciprocité1.

Ma Duanlin juge que Sima Guang « a dû centrer son travail sur certains pro-blèmes à cause de l’extraordinaire abondance de ses matériaux, et a été par là même contraint d’en négliger d’autres. » Au fond, comme Zhu Xi ou Yuan Shu, Ma tire parti de la renommée de Sima Guang et se place sous son « patronage » pour justi-fier sa propre conception de l’écriture historique. En invoquant le manque de place pour expliquer l’absence de l’histoire institutionnelle dans l’œuvre de ce dernier, il feint d’en ignorer les choix raisonnés, au même titre que la sélection et l’utilisation des matériaux historiques, qui avaient donné sa forme au Zizhi tongjian.

Sur la fin de sa vie, Wang Fuzhi (-) rédige des notes sur le Zizhi tongjian et les conclut par une claire interprétation de l’ouvrage :

C’est une idée profonde qui a inspiré à Sima Guang le titre de son ouvrage, le Zizhi

tongjian, le « Miroir universel pour servir au gouvernement ». Quand il parle de

« servir au gouvernement », il ne s’agit pas simplement de faire connaître les périodes de bon ordre et celles de chaos, mais de fournir les éléments grâce auxquels on peut, par un effort soutenu, parvenir au bon ordre. Si l’on devait se contenter de lire en admirant les périodes de bon ordre et en déplorant les autres, et si, la lecture une fois terminée, et le livre replié, tout cela disparaissait sans laisser de souvenir, au moment d’agir, on reviendrait à ses errements habituels. Même si l’on avait beaucoup appris et vérifié dans le détail, ce serait, comme disait maître Cheng, « un amusement qui fait perdre le but le plus élevé2».

Pour Wang Fuzhi aussi, l’ordre dans le monde tient d’abord au comportement correct du souverain — qu’il convient d’éclairer — et au choix de ministres compétents. La parole des Sages compte certes, mais « le point crucial est de savoir si la pensée du . Cité et traduit par É. Balazs, La bureaucratie céleste, p. - ; voir également la tr. anglaise de D B (éd.), Sources of Chinese Tradition, nd ed., New York : Columbia University Press ,  (t. ) et  (t. ).

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 L   S G,  ’  ’

souverain est respectueuse ou dissolue, et si ses dispositions sont laxistes ou rudes à l’excès... Le rôle du gouvernement est d’employer des hommes compétents et de pro-mouvoir l’éducation morale. » Comme Sima Guang, Wang Fuzhi tente de découvrir les règles qui président aux cycles des changements dynastiques : « J’ai cherché dans mes écrits la source du succès et de l’échec du gouvernement, et à mettre mes idées en accord avec les principes fondamentaux du gouvernement des Sages ». Bien que le plus éloigné dans le temps, Wang est sans doute ainsi le plus proche des concepts et des intentions de Sima Guang.

En dehors de ces penseurs, de nombreux lettrés se sont attachés à des aspects plus techniques du Zizhi tongjian. Leurs minutieux travaux sur des erreurs ou des lacunes du texte donnèrent naissance à un petit champ académique : les « Études du

Zizhi tongjian », Tongjianxue. Malgré la fiabilité de l’érudition de Sima Guang, des

erreurs factuelles étaient inévitables, dans la relation des événements comme dans les commentaires que son œuvre avait suscités. Ainsi, l’érudit Yan Yan passa le plus clair de son temps, entre  et , à comparer le texte de Sima Guang et celui du commentateur Hu Sanxing à d’autres sources. Le résultat de son labeur est un ouvrage en  chapitres, intitulé Zizhi tongjian pu, « Compléments au Zizhi

tong-jian », dont un ou deux pour cent consistent en corrections d’erreurs de Sima Guang,

et le reste en additifs aux relations des événements1... Cette exégèse minutieuse du

Zizhi tongjian s’est poursuivie jusqu’au esiècle, avec par exemple le travail de Cen

Zhongmian, en , sur l’étude des problèmes factuels relevés à propos des dynas-ties Sui et Tang2; ou celui de Wu Yugui, en , sur le contrôle et la correction des

datations3.

Au début du esiècle, alors que les intellectuels chinois étaient confrontés au

défi de l’Occident et à la crise de leurs valeurs traditionnelles, beaucoup se lancèrent dans un grand mouvement de réévaluation de leur passé. Le cas de Liang Qichao (-) est l’un des plus connus. Pour lui, la question de l’écriture historique en Chine était cruciale4. Reprochant à l’historiographie chinoise son manque

d’au-dace, en particulier vis-à-vis de l’histoire contemporaine, il critiquait en substance Sima Guang d’avoir clos son ouvrage sur la période des Cinq Dynasties, et ainsi évité d’aborder l’histoire de son temps présent, la dynastie régnante des Song. Il reprochait aussi aux historiens chinois en général un manque d’originalité. Pour lui, sur les deux mille ans de l’écriture historique en Chine, seuls six ouvrages pou-vaient être qualifiés de créatifs, les autres n’ayant fait que suivre les traces de ces rares pionniers. Le Zizhi tongjian est, écrivait-il, l’une de ces œuvres fondatrices qui incitèrent les historiens des époques postérieures à travailler dans le sens de l’« uni-versalité ». Liang encensait aussi Sima Guang pour la profondeur de sa pensée dans le Sushui qiwen, et pour son sens critique dans le Tongjian kaoyi. En conclusion,

. L’ouvrage de Y Yan a fait l’objet de deux publications, en  et en . Une version abrégée fut publiée dans les années  : Feng Huimin, Tongjian Yan pu jiyao, Jinan : Qi Lu chubanshe, . Il semble que l’ouvrage de Feng Huimin soit le seul de ce type au esiècle.

. C Zhongmian, Tongjian Sui Tang ji bi shi zhiyi, Hongkong : Zhonghua shuju, . . W Yugui, Zizhi tongjian yinian lu, Beijing : Zhonghua shuju, .

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L    S G 

estimait-il, si Sima Guang a engendré une belle descendance d’historiens, aucun de ses successeurs n’atteignit jamais son niveau. Ajoutant enfin qu’à ses yeux les deux Sima, Sima Qian et Sima Guang, dominaient le monde de l’historiographie chinoise traditionnelle1.

Le Zizhi tongjian a récemment fait l’objet de plusieurs traductions en chinois moderne. Ainsi Bo Yang, l’écrivain populaire taiwanais, a consacré dix années à cette tâche. L’objectif était de rendre le texte de Sima Guang accessible au plus large public, hors des cercles académiques traditionnels. Sa version, publiée à Taiwan au rythme d’un volume tous les deux mois entre  et  et forte de  volumes, reçut un accueil enthousiaste et connut peu après une édition en caractères simplifiés en Chine populaire. Le texte de B Yang, de lecture agréable, n’est hélas guère utili-sable pour un autre usage, car le traducteur a pris le parti de transcrire les titres des fonctionnaires dans leurs équivalents modernes supposés et choisi aussi de nom-mer les empereurs d’après leurs noms personnels et non d’après leur titre posthume, selon l’usage2.

En Chine, durant près de dix siècles, l’œuvre de Sima Guang a donc suscité d’in-nombrables études et analyses, autant, voire plus, que les Mémoires historiques de Sima Qian. Telle fut sa popularité auprès des milieux lettrés chinois qu’un recen-sement exhaustif des commentateurs est tâche impossible3. En Occident, le Zizhi

tongjian est connu, du moins par son titre, des sinisants qui ont eu un jour à se

pencher sur l’histoire ancienne ou impériale de la Chine. Il a cependant attiré jus-qu’ici peu d’études de fond, eu égard à sa place en Chine, et à l’abondance de tra-vaux sur des ouvrages de moindre influence4. L’auteur du Zizhi tongjian n’a droit

à aucune entrée dans les Sung Biographies, pourtant l’un des ouvrages de référence de la sinologie occidentale sur la période5. Mais il est vrai aussi que

l’historiogra-phie chinoise n’a jamais vraiment passionné en Occident. Face à l’abondante lit-térature sur l’historiographie occidentale, quiconque étudie l’historiographie chi-noise doit s’en remettre à des travaux rares, anciens ou synthétiques de Pulleyblank et quelques autres auteurs : Chinese Traditional Historiography6 (), Elements

of Chinese Historiography7(), Historians of China and Japan8 (), Ssu-ma

T’sien et l’historiographie chinoise9. À quoi s’ajoutent une dizaine d’articles au plus.

. Ibid.

. Bo Yang ban Zizhi tongjian,  vol., Taibei : Yuanliu chubanshe, - ; puis en Chine populaire sous le titre Baihua yiben Zizhi tongjian, Beijing : Youyi chubanshe, .

. V. M K. C., « e Historiography of the Tzu-chih t’ung-chien : A Survey », Monumenta Serica, vol. XXXI, -, p. -, Z Xuhou, Tongjianxue, Anhui : Anhui jiaoyu chubanshe, , L Naihe et S Yanshen, Sima Guang yu Zizhi tongjian, Changchun : Jilin renmin chubanshe, .

. V. R. A. L, A Rhetoric of Remonstrance : History, Commentary, and Historical Imagination in Sima Guang’s « Zizhi tongjian », PhD, University of Chicago, mars .

. Herbert F (éd.), Sung Biographies,  vol. Wiesbaden : Franz Steiner Verlag, . Sima Guang a fait récemment l’objet d’une entrée séparée sous la plume de J X., Journal of Sung-Yuan Studies , .

. Charles G, Chinese Traditional Historiography, Cambridge : Harvard U. P., . . H Y., Elements of Chinese Historiography, Hollywood : Wm. Hawley & Co., .

. W. B et E. G. P, Historians of China and Japan, London : Oxford U. P., . . D C., Ssu-ma T’sien et l’historiographie chinoise, Paris : POF études, INALCO, s.d.

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 L   S G,  ’  ’

Quant au Zizhi tongjian, peu de travaux lui ont été consacrés en langues occiden-tales si l’on excepte la thèse récente, mais encore inédite de Robert André Lafleur1.

Ici aussi, les études les plus fouillées restent des publications anciennes : l’analyse d’Otto Franke sur les rapports du Zizhi tongjian et du Tongjian gangmu et leur valeur en tant que source2, l’article d’Edwin Pulleyblank sur la critique historique chinoise

chez Liu Zhiji et Sima Guang3, la recherche bibliographique de Ming K. Chan dans

Monumenta Serica4.

Nous disposons de deux traductions partielles en anglais. Rafe de Crespigny a traduit les chapitres  à  dans deux ouvrages : Emperor Huan and Emperor Ling et Last of the Han5; et Achille Fang nous offre les chapitres  à  dans sa Chronicle

of the ree Kingdoms6, avec cependant un supplément d’intérêt qui tient à ce que

l’auteur éclaire le mode de construction du Zizhi tongjian en mettant en parallèle le texte original des sources encore disponibles utilisées par Sima Guang et l’usage qu’en fit ce dernier. Au total, nous disposons de vingt-quatre chapitres traduits sur les deux cent quatre-vingt-quatorze que compte l’ouvrage.

Sur le fond, le peu de pages dévolues à l’œuvre limite la portée et la pertinence de la critique occidentale. Pour Edwin Pulleyblank, Sima Guang est prisonnier de son idéologie : « sa nature austère et réaliste, qui s’est exprimée sur le plan politique par un conservatisme intransigeant, s’est traduite dans le domaine de la connais-sance par l’accent mis sur l’actuel et l’applicable ». Pulleyblank compare la forme chronologique stricte du Zizhi tongjian à celle des Mémoires historiques de Sima Qian. Les mérites de Sima Guang lui semblent évidents : « Il est plus facile de suivre une séquence d’événements jour après jour et année après année, même s’il est sou-vent fatigant de naviguer dans le même temps au milieu de matériaux sans rapport avec le propos ». L’auteur apprécie aussi la rigueur de Sima Guang, qu’il qualifie de « comportement scientifique » :

Sima Guang ne s’est pas seulement contenté de sélectionner ses sources selon son jugement subjectif ou d’autoriser ses assistants à le faire, puis de publier ses récits sur un mode prophétique. Il a choisi d’effectuer ses choix sur des bases objectives expli-cites et de les exposer au jugement public. Cela en dit long sur la diffusion du savoir et . R. A. L, A Rhetoric of Remonstrance : History, Commentary, and Historical imagination in

Sima Guang’s « Zizhi tongjian », University of Chicago , ,  p. Voir. notamment sur cette question

de bibliographie, pages  et suivantes.

. O. F, « Das Tse tschi t’ung kien und das T’ung kien kang mu, ihr Wesen, ihr Verhältnis zuei-nander und ihr Quellenwert », Sitzungsberichte der Preußischen Akademie der Wissenschaen, Phil-Hist. Klasse, no, p. -.

. E. G. P, « Chinese Historical Criticism : Liu Chih-chi and Ssu-ma Kuang », in

Histo-rians of China and Japan, op. cit., p. -.

. M K. C., « e Historiography of the Tzu-chih T’ung-chien : A Survey », Monumenta Serica,

op. cit., p. -.

. R  C, Emperor Huan and Emperor Ling, Camberra : Australian National Univer-sity, , Faculty of Asian Studies Monographs : New Series, no. Et e Last of the Han, Camberra : Australian National University, , Faculty of Asian Studies Monograph no.

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L    S G 

sur le haut niveau de l’érudition sous les Song du nord, qui a vu naître l’usage de l’im-primerie à but laïque, mais cela en dit plus encore sur son comportement scientifique personnel.

En revanche, très critique sur la méthodologie, Pulleyblank reproche à Sima Guang de n’avoir pas présenté les événements dans leur continuité séquentielle : « Il était loin de rapprocher les événements entre eux dans une relation causale et de les traiter en entités interconnectées, point qui n’a d’ailleurs jamais été résolu par les historiens traditionnels chinois. » Et, ajoute-t-il, on ne trouve chez lui « aucune tentative de voir chaque événement s’intégrer dans un maillage interrelationnel avec les autres événements ». À quoi Dzo Ching-chuan oppose le commentaire suivant :

Sima Guang insiste incontestablement, comme tout historien, sur chaque fait isolé, mais ce n’est pas son but final. Son exigence est analogue à celle d’un constructeur qui soigne chaque brique, chaque morceau de bois, pour construire son édifice, ana-logue aussi à celle d’un peintre qui pose une à une chaque touche, chaque ligne sur une toile1.

Pulleyblank estime enfin que Sima Guang n’a pas examiné ses sources avec assez de rigueur :

Les textes étaient traités en données définitives, et aucune tentative ne fut faite pour analyser plus attentivement leurs origines ou leurs interrelations. Le texte B, bien qu’en partie fondé sur le texte A, était traité comme s’il en était indépendant et méritait une considération équivalente.

Jugements certes fondés, même si le reproche adressé à Sima Guang, de n’avoir été en quelque sorte ni un historien positiviste à la façon du esiècle ni de n’avoir

su anticiper dans toute sa rigueur la critique textuelle en vogue en Chine à partir du esiècle, et en Occident au e, nous paraît assez singulier2.

Dans un article intitulé « L’histoire comme guide de la pratique bureaucratique », Étienne Balazs aborde lui aussi brièvement l’œuvre de Sima Guang. S’il lui reconnaît le mérite d’avoir écrit la première histoire générale de la Chine depuis les Mémoire

historiques de Sima Qian, et d’être le premier à briser le cadre étroit des histoires

dynastiques pour inaugurer l’historiographie critique, et Balazs fait ici allusion à l’« Examen des divergences », kaoyi, partie intégrante du Zizhi tongjian. Il juge aussi que Sima Guang n’a pas vraiment rompu avec la forme traditionnelle des annales,

biannian. Il rapproche à juste titre l’œuvre de Sima du Wenxian tongkao de Ma

Duanlin, qui revendiquait l’héritage du premier, mais tient pour supérieur le travail de Ma, car celui-ci, en se concentrant sur l’histoire institutionnelle, appartient à « la véritable histoire, digne de ce nom, (celle) qui permet de déterminer une suite, une continuité, une sorte d’évolution ou de développement ». Le but ultime de l’histo-riographie réside dans la recherche des permanences ou changements inscrits dans

. D, op. cit., page . . Ibid.

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 L   S G,  ’  ’

la longue durée, et non dans l’histoire événementielle dominée par la contingence ; seul « Ma Duanlin est arrivé à cette conception relativement moderne ». La forme annalistique choisie par Sima Guang l’aurait empêché d’aller dans ce sens.

Nous n’avons pas évoqué la pensée philosophique de Sima Guang. Ce n’est pas un oubli : la réflexion spéculative sur la Voie du Ciel et de la Terre, dao, ou la Nature humaine, xing, si chère par la suite aux penseurs des Song du sud et même à plusieurs de leurs contemporains, n’apparaît jamais, ni chez lui ni d’ailleurs chez Wang Anshi, comme un ressort déterminant. L’un et l’autre s’inscrivent plutôt dans la continuité du courant confucianiste « activiste », initié par Ouyang Xiu quelques années avant eux. Non qu’ils soient étrangers au débat spéculatif de leur temps, mais chez eux, à la différence d’autres penseurs, tels Chang Zai ou les frères Cheng, Ciel et Terre restent à l’arrière-plan de leur vision politique et sociale et ne s’inscrivent pas au cœur de la réflexion sur les valeurs humaines.

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La Chine des Song :

périls extérieurs changements institutionnels

Il n’est pas question de dresser un tableau de la Chine de cette époque. Il fait déjà l’objet d’une abondante littérature et dépasserait de loin les questions abordées ici. On évoquera brièvement, par rapport aux objectifs de Sima Guang, certaines spécificités de la vie institutionnelle et politique au premier siècle de la dynastie.

Si la période est en effet celle d’une « expérimentation audacieuse1», la durable

obsession de rigueur, d’efficacité et d’ajustement dans la gouvernance qui marque le pouvoir, doit beaucoup à la permanence d’un contexte menaçant : tout au long du premier siècle des Song, les périls extérieurs ne disparaîtront jamais, contraignant les souverains successifs à l’entretien d’une armée considérable dont la seule exis-tence représente un péril en soi, une charge énorme pour l’État comme un foyer potentiel d’ennemis de l’intérieur.

Le poids du facteur militaire

L’ère Song est une période de développement économique et social et de rayon-nement culturel du pays, en outre accompagnée d’une forte expansion démogra-phique. Croissance agricole, urbanisation forte, circulation monétaire multipliée, commerce intérieur et extérieur en progression, émergence de technologies déci-sives, chefs-d’œuvre de la culture lettrée illustrent la période. C’est alors que le sys-tème éducatif se structure pour longtemps, et dans un contexte de réflexions qui engendrent ce qu’on nommera néo-confucianisme. Est-ce une ère brillante, une « apogée de la Chine » ? Si, mais non sans ombres ni profondes contradictions. Les historiens l’ont souligné :

Une anomalie étrange parcourt les trois siècles des Song en Chine. Ce fut, d’une part une grande ère créative qui permit à la Chine de se hisser à la première place mondiale en termes de culture matérielle et intellectuelle ; mais en même temps

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 L C  S

ce monde nouveau vit sous la menace des invasions successives qui finirent par l’emporter1.

À la différence des Tang, les Song durent limiter leur expansion militaire aux pays chinois, sans pousser vers l’extérieur, vers la Mandchourie, la Corée, la Mongolie ou l’Asie centrale. Ils furent arrêtés au nord-est par le puissant empire des Kitan, la dynastie Liao constituée au esiècle, au nord-ouest par les Tibétains, et au

sud-ouest, dans l’actuel Yunnan, par le royaume de Dali.

En , le général Zhao Kuangyin, que ses troupes ont porté au pouvoir après un

pronunciamiento, fonde la dynastie Song. Le premier souci du nouveau souverain

et de ses successeurs immédiats sera d’établir la stabilité et la continuité de gouver-nement. Il restera au centre des préoccupations du pouvoir, de manière constante et durable. Une centralité manifeste dans les péripéties successorales souvent vio-lentes qu’on observe dans les débuts de la dynastie2, et qui portent à chaque étape

l’empreinte des menaces extérieures.

À son avènement, rien ne distingue le nouvel empereur, connu sous le titre post-hume de Taizu, de ses prédécesseurs aux trônes des Cinq Dynasties, et son règne semble devoir être tout aussi éphémère. La puissance des gouverneurs militaires, cause principale des chutes successives des Cinq Dynasties, n’a pas disparu. Bien au contraire, leur indépendance menace d’autant plus le nouveau clan en place que, dès le début, des commandements importants récompensent les officiers qui ont pris part au coup d’État et à la fondation de la dynastie. Cette pratique fait d’eux, dès l’installation des Song, les fondateurs potentiels de dynasties rivales.

Mais Taizu réussit là où ses prédécesseurs immédiats ont échoué et jette les bases d’une dynastie durable. Déjà, avant lui, les deux empereurs des Zhou postérieurs, sous lesquels il a servi, ont tenté de reprendre en main leur état-major, l’ont purgé des généraux trop indépendants et imposé une discipline plus efficace à leurs armées. Ils ont aussi tenté de renforcer le contrôle du pouvoir central, mais en vain : Zhao Kuangyin a détourné à son profit personnel les progrès de la discipline militaire pour s’emparer du pouvoir.

Bien loin de retomber dans ces erreurs, il démet très tôt ses lieutenants de leurs commandements3 et incorpore leurs meilleures troupes à la garde impériale. Il

prend le contrôle personnel des armées, s’entoure de généraux jeunes et dévoués à sa personne et n’hésite pas à mener lui-même les opérations sur le terrain. En une vingtaine d’années, Taizu achève la conquête des royaumes indépendants et unifie l’empire.

L’empereur Taizu meurt en  en laissant deux fils. L’aîné, âgé de  ans, doit lui succéder, mais un « arrangement » familial, apparemment voulu par la mère de

. Id.

. Pour le détail des intrigues et rivalités de personne qui accompagnent ces désignations, voir J Xiao-bin, op. cit., ch.  et .

. Au cours d’un banquet légendaire, Zhao Kuangyin persuada ses principaux lieutenants, en échange d’une vie facile de grands seigneurs à la capitale et de la promesse de belles propriétés et d’alliances avec la famille impériale, de se démettre de leurs commandements militaires.

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L    S G 

Taizu, en décide autrement, et le trône passe à un frère cadet du fondateur. Option inhabituelle, irrégulière au regard de la tradition, qui traduit d’abord la crainte du clan impérial de voir le trône fragilisé s’il revenait à des héritiers jeunes et inexpé-rimentés, comme ce fut le cas sous les Han postérieurs et les Zhou postérieurs. Ces pratiques vont curieusement perdurer sous plusieurs règnes suivants.

Le second empereur Song, Taizong, ne réussit pas à s’imposer en chef de guerre à l’égal de son aîné et à asseoir ainsi sa légitimité, en particulier après l’échec de sa reconquête des  préfectures du nord, alors aux mains des Kitans de la dynastie Liao. La campagne de  vire à la déroute militaire, les pertes sont lourdes dans les rangs chinois. Ayant engagé sa responsabilité personnelle dans la défaite, l’empereur craint alors d’être déposé au profit de l’un des héritiers potentiels et choisit de les éliminer. Il inculpe son neveu, fils aîné de Taizu, pour défaillance sur le champ de bataille et le contraint au suicide. Il accuse de trahison Zhao Tingmei, son cadet et successeur désigné, et le fait mourir en déportation. Le second fils de Taizu décède peu après de maladie. Tout risque de déstabilisation du trône semble ainsi écarté. La branche de Taizong conserve d’ailleurs le pouvoir jusqu’en , date de l’avènement des Song du sud. Mais une deuxième campagne de reconquête contre les Kitans, en , tourne encore à la défaite. Elle laisse des traces durables dans la conduite de la politique étrangère et intérieure : désormais, pour plus d’un siècle, les Song s’interdiront toute opération militaire d’envergure contre leurs voisins étrangers et se concentreront sur la défense et le renforcement de l’ordre interne.

Zhenzong, troisième occupant du trône, succède à son père en . L’empire est unifié, les forces armées enfin placées sous contrôle étroit du gouvernement cen-tral. La politique en faveur des administrateurs civils et au détriment des militaires est accentuée. Le nouvel empereur s’abstient de toute aventure conquérante, mais ne parvient à réduire ni la dimension des armées ni le coût de leur entretien. Au contraire, les effectifs ne cessent de croître :   hommes de troupe sous le fondateur,   à la mort de Taizong, près d’un million à la fin du règne de Zhenzong, dont   stationnés dans la proximité immédiate de la capitale. Les dépenses militaires, notamment la charge de la solde, dévorent alors près des trois quarts des revenus de l’État. Paradoxe : l’État, qui se défie des velléités de ses géné-raux et suit une politique militaire non expansionniste, se ruine pratiquement à entretenir ses forces armées.

En , l’empereur des Liao lance une offensive contre l’empire chinois. Ses armées avancent vers la capitale, Kaifeng, et atteignent la préfecture de Shanyuan, sur la rive nord du Fleuve Jaune. Des négociations aboutissent à la signature d’un accord de paix : la Cour chinoise s’engage à verser aux Kitans un tribut annuel d’un montant de   onces d’argent et   pièces de soie. Prix apparemment exorbitant, mais sans doute bien inférieur, tout compte fait, au coût d’une guerre prolongée le long des frontières. L’once d’argent équivalant en monnaie à la pièce de soie, le tribut annuel s’élevait donc à trois millions « d’unités de compte ». Ce chiffre est à comparer aux revenus fiscaux de la dynastie qui se montaient à  millions à ses débuts puis crurent continûment :  en ,  en  et  millions en

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, époque où le taux d’inflation était à son pire niveau. On estime que la part des taxes commerciales représentait en moyenne de  à   de l’ensemble, dont une bonne part résultait des échanges le long de la frontière du nord-ouest. En d’autres termes, les échanges commerciaux suffisaient à couvrir largement le montant du tribut annuel ! De plus, comme le budget annuel des Song s’élevait à environ  mil-lions d’unités de compte dans les années , on peut en conclure que la charge financière du traité de Shanyuan et de ses révisions ultérieures ne dépassa jamais  à   des revenus annuels de l’État, et d’ailleurs, « (l)e seul profit tiré du commerce avec les Liao suffisait largement à compenser ces versements1».

Reste que ni ce traité ni celui qui le complète en  et alourdit encore le montant du tribut, ne suffit à assurer la tranquillité de la Chine. Une nouvelle menace pèse sur les provinces du nord-ouest. Dans ces régions où se mêlent populations chi-noises, tibétaines, turques et mongoles, une vaste union politique s’est formée dans la première moitié du esiècle sous la direction d’un ancien peuple d’éleveurs, les

Tanguts. Cet empire, connu sous le nom de Xixia (Xia occidental, -), s’étend de la Mongolie méridionale au Qinghai et empiète sur les provinces à majorité Han du Shanxi et du Gansu. Avec lui aussi, l’empereur Zhenzong fut contraint de signer, en , une paix onéreuse, qui n’abrite pourtant pas l’empire de nouvelles attaques. Le coût global des traités de paix avec les monarchies Liao et Xixia eût été suppor-table pour le budget chinois si la situation financière avait été saine. Ce n’était pas le cas : le budget des armées grève environ les trois-quarts des revenus fiscaux annuels de l’empire. S’y ajoute le coût de la formation, des salaires et autres émoluments du mandarinat civil et du clan impérial, et des dépenses mobilières et immobilières courantes ou exceptionnelles. Les fonds disponibles étaient d’autant plus réduits, vu que le coût des indemnités diverses et autres frais associés équivalait à lui seul au minimum à  à   du disponible, et plus sans doute vers la fin du esiècle, que

les revenus de l’État dépendent aussi d’une politique fiscale qui se trouve être incon-séquente. La situation, acceptable encore au début du esiècle, devient critique à

mesure qu’augmentent les coûts fixes. De plus en plus de voix s’élèvent parmi les lettrés pour réclamer un rajustement de la pratique gouvernementale. Cette crise financière et ses incidences sur la pression fiscale sont en partie à l’origine des mou-vements réformistes des années  et surtout , et donc des affrontements politiques qui diviseront les cercles gouvernementaux en clans rivaux.

 La figure de l’empereur au 

e

siècle

Les événements mettent en relief un aspect particulier du fonctionnement de la vie politique : les rapports entre l’empereur et les élites gouvernementales, sur l’ef-ficacité et la fidélité desquelles il fait reposer son pouvoir. Dans ces relations, la personnalité même du souverain joue un rôle non négligeable. Par exemple, le fon-dateur de la dynastie Song, convaincu de la nécessité de renforcer la majesté de

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