• Aucun résultat trouvé

2. Caractérisation des équilibres dans la situation de non coopération

2.2 Le jeu avec substituabilités stratégiques

Le jeu avec substituabilités stratégiques correspond à la situation où ∆ZY est strictement négatif sur son domaine de définition. Dans cette configuration, les niveaux d’émissions z et y varient en sens contraire : plus le niveau agrégé des émissions des (n – 1) autres pays y est élevé, plus le pays considéré choisira un niveau global des émissions z faible. Dans cette éventualité, les correspondances de meilleure réponse des pays sont décroissantes avec la stratégie agrégée des autres. Or, il n’existe pas dans ce cas de théorème de point fixe général pour les jeux à plus de deux joueurs. Autrement dit, même si on établit que les correspondances de meilleure réponse des pays sont décroissantes, cela n’implique pas forcément que le jeu possède un équilibre. Pour s’assurer de l’existence de ce dernier, il nous faut introduire des hypothèses supplémentaires dans le jeu des émissions globales. On distingue deux scénarios. Le premier s’inspire de la théorie du monopole naturel en organisation industrielle ; le second donne une condition plus forte d’existence d’un équilibre symétrique dans le jeu à N pays. Dans chacun des cas, on montre qu’un équilibre existe et qu’il est unique.

L’hypothèse de convexité de la fonction de bénéfice traduit l’idée que les pays possèdent des rendements croissants dans leurs activités économiques de production. En d’autres termes, le coût de revient d’une unité produite pour un pays est d’autant plus faible que le niveau de ses activités est élevé. Dans ce contexte, le premier scénario s’appuie sur l’idée selon laquelle, d’après un critère d’efficacité économique, il vaut mieux que la production soit réalisée par un seul pays, plutôt que répartie entre plusieurs. Autrement dit, dans le jeu des émissions globales à N pays, on peut établir l’existence d’un équilibre qui est tel que seul un pays rejette des émissions, les autres choisissant de ne pas émettre. On peut également étendre cette configuration au cas où une partie des pays ont des niveaux d’émissions strictement positifs tandis que la stratégie de meilleure réponse des autres consiste à adopter des niveaux d’émissions nuls. Formellement, on considère le jeu des émissions globales dans lequel m pays, avec m < n, émettent le même niveau d’émissions noté xm, tandis que les (n – m) autres n’émettent aucune émission.

Pour pouvoir établir le résultat relatif à ce scénario, on définit

y

comme le niveau seuil des émissions agrégées des (n – 1) autres pays au-delà duquel le pays que l’on considère choisit de ne pas émettre d’émissions. Ce niveau seuil est tel que, pour le pays considéré, il égalise le bénéfice marginal et le dommage marginal quand x = 0. En d’autres termes,y =D−1(B(0)) avec y > 0.

Dans le second scénario, on s’intéresse plus particulièrement au jeu des émissions globales quand les n pays sont actifs. Autrement dit, on fournit une condition plus forte sur la fonction de paiement des pays qui assure qu’à l’équilibre ces derniers choisissent tous des niveaux d’émissions strictement positifs.

La proposition qui suit établit les conditions d’existence d’un équilibre pour chaque scénario. Dans les deux cas, quand l’équilibre existe, il est unique.

Proposition 1.4 :

Si, outre les hypothèses standard H1 et H2,

ZY est strictement négatif sur l’ensemble

ϕ

, alors les trois points suivants sont vérifiés :

a. Pour tout m < n, si un équilibre symétrique existe pour le jeu des émissions globales à m pays, alors il est unique10 et tel que, pour le jeu à n pays, on vérifie la configuration des niveaux d’émissions d’équilibre suivante : chacun des m pays émet xm tandis que les (n - m) autres pays n’émettent aucune émission. En particulier, si seul un pays pollue (m = 1), alors le jeu à n pays possède toujours un équilibre.

b. Si les fonctions de paiement individuelles f(x, y) sont strictement quasi-concaves en x pour touty∈

[ ]

0,y , alors il existe un unique équilibre de Nash symétrique.

c. Il n’existe pas d’autre équilibre que ceux déterminés aux points a) et b).

Le premier scénario caractérise les équilibres en coin du jeu des émissions globales. Une condition suffisante pour garantir l’existence est de vérifier m = 1. En d’autres termes, la stratégie de meilleure réponse d’un pays, quand les autres adoptent un niveau d’émissions nul, est toujours un équilibre. Celui-ci est unique à une permutation près des pays. Dans le cas où m > 1, si le jeu des émissions globales entre m pays possède un équilibre symétrique, le jeu à n pays, avec m < n, dispose également d’un équilibre qui est tel que seul un sous-ensemble d’entre eux pollue. De plus, on montre qu’il est unique.

10

En dehors des conditions établies au point a) de la Proposition 1.4, une condition suffisante pour garantir l’existence d’un équilibre de Nash en stratégies pures dans le jeu à N pays est de postuler que les fonctions de paiement sont quasi-concaves en leur niveau d’émissions. Cette hypothèse assure alors la continuité des meilleures réponses et donc l’existence d’un équilibre qui, cette fois-ci, est intérieur.

La Proposition 1.4 appelle plusieurs commentaires et implications en cascade :

i) La principale conséquence de ∆ZY < 0, en plus des propriétés structurelles du jeu des émissions globales, est que les correspondances de meilleure réponse individuelle X(y) ont une pente bornée supérieurement par -1. Les meilleures réponses individuelles des pays sont donc fortement décroissantes. En particulier, quand la stratégie agrégée de (n – 1) pays croît, le pays restant réagit en contractant son propre niveau d’émissions, à tel point que le niveau global des émissions décroît. Ainsi, le constat que l’on peut faire est que si le jeu présente globalement des substituabilités stratégiques, il en présente nécessairement au plan individuel : si les émissions globales sont décroissantes avec le niveau des émissions agrégées des autres, c’est que les stratégies individuelles des pays sont fortement substituables entre elles. Ce constat est directement lié à la relation de linéarité qui existe entre les variables du modèle. Sur le plan formel, il implique que la fonction de dommage des pays est nécessairement convexe (ou présente des différences croissantes en (x, y)). Dans le cas contraire, l’évolution des stratégies individuelles serait en contradiction avec celle des émissions globales comme on l’a déjà remarqué dans le paragraphe précédent.

ii) On peut préciser davantage la contrainte supérieure K sur l’ensemble des stratégies accessibles par les pays. Si on note x1 le niveau des émissions d’équilibre d’un pays quand il est seul à polluer alors, quel que soit n, il suffit de vérifierK≥x1. La raison de cette inégalité est directement liée à la remarque précédente. Si x1 constitue une meilleure réponse à y = 0, alors si y augmente, la stratégie de meilleure réponse du pays considéré est de réduire ses émissions de telle sorte que les émissions globales diminuent : X(y) + y < x1. En d’autres termes, un pays ne choisira jamais de polluer au delà de x1 et cela, même si ses capacités de production le lui autorisent.

iii) La raison pour laquelle il n’existe pas de théorème de point fixe général quand les correspondances de meilleure réponse sont décroissantes est que celles-ci peuvent présenter des sauts vers le bas et donc, ne jamais couper la première bissectrice des axes (Cf. Figure 1.1 ci-dessous). L’hypothèse sur le signe de ∆ZY (∆ZY < 0) ne suffit pas à garantir l’existence d’un équilibre de Nash en stratégies pures (contrairement au cas ∆ZY > 0). Il existe néanmoins une exception dans le cas du jeu des émissions globales à deux pays. Si on considère, pour le pays 2 par exemple, la stratégie –x2 au lieu de x2, alors le jeu devient un jeu supermodulaire car les différences décroissantes en (x1, x2) se transforment en différences croissantes en (x1, –x2). Le jeu possède alors un équilibre indépendamment de l’hypothèse de symétrie des pays. Cet argument n’est cependant plus valide dès lors que le jeu engage plus de deux pays.

X(y) X(y) = y

K

0 K y

Figure 1.1. Illustration de la non-existence d’un équilibre dans le cas de stratégies de meilleure réponse strictement décroissantes.

iv) Comme on l’a déjà dit, l’hypothèse de convexité de la fonction de bénéfice traduit l’idée qu’il existe des rendements d’échelle croissants dans les activités de production des pays. A la différence de la Proposition 1.3, ces économies d’échelle sont propres à chaque pays et ne se diffusent pas nécessairement d’un pays à l’autre. Au contraire, il existe dans ce cas une très forte concurrence entre les pays. Celle-ci est telle qu’elle peut conduire à des situations où les activités de production sont limitées à un certain nombre de pays, les autres choisissant de ne pas produire.

Dans le second scénario (Proposition 1.4 b), les interactions sont telles que si (n – 1) pays accroissent leur niveau d’activités, la stratégie de meilleure réponse du pays restant est de réduire son propre niveau d’activités, conduisant par la même à une contraction des émissions globales. De manière alternative, ces conditions sont aussi celles sous lesquelles la mise en œuvre unilatérale de politiques de réduction des émissions de GES par un pays ou groupe de pays conduit à une situation pire que si ces pays n’avaient rien fait. Cette situation est en particulier étudiée par Hoel (1991).

Pour conclure sur l’ensemble des résultats établis à partir du signe de ∆ZY, on peut dire que quelle que soit la nature des interactions entre les pays, il est possible d’établir les conditions sous lesquelles le jeu des émissions globales symétrique possède un équilibre de Nash. En d’autres termes, dans la situation purement non coopérative les pays sont amenés à établir un certain niveau d’activités et donc de pollution, étant donné la stratégie adoptée par les autres. De plus, on a vu qu’en fonction des hypothèses retenues sur les fonctions de bénéfice et de dommage, les stratégies de meilleure réponse des pays évoluent dans un sens ou dans l’autre. Autrement dit, le niveau de pollution choisi par un pays peut être soit d’autant plus grand, soit d’autant plus petit, que celui fixé par les autres est élevé.

Un point important reste cependant à établir. Etant donné l’existence des équilibres, on peut également dériver quelques résultats de statique comparative monotone. L’objet de la section qui suit est d’étudier les implications de la variation des paramètres exogènes du jeu sur les équilibres de la situation de non coopération.

Outline

Documents relatifs