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2. Caractérisation des équilibres dans la situation de non coopération

2.1 Le jeu avec complémentarités stratégiques

Dans ce paragraphe, on établit plusieurs résultats d’existence des équilibres de Nash lorsque le jeu présente globalement des complémentarités stratégiques. En d’autres termes, le signe de la dérivée seconde croisée des fonctions de paiement est positif : ∆ZY > 0 globalement sur φ. Ce cas correspond à la situation où les fonctions de bénéfice sont concaves. Dit autrement, les bénéfices que les pays retirent de leurs émissions individuelles croissent à taux décroissant. Cette hypothèse reflète l’idée de rendements d’échelle décroissants dans les activités de production des pays ou encore celle d’utilité marginale décroissante dans la consommation des biens produits8.

Dans ce contexte, on peut recourir directement aux théorèmes développés dans le cadre de la théorie des jeux supermodulaires. La première proposition établie est la plus générale dans le sens où elle ne requiert pas d’hypothèses supplémentaires sur la forme de la fonction de dommage. Ensuite, les deux propositions qui suivent précisent l’impact de la concavité et de la convexité de la fonction de dommage sur l’ensemble des équilibres. Les interprétations économiques des différentes hypothèses posées et de leurs conséquences sont repoussées en toute fin du paragraphe. Une caractéristique des jeux présentant des complémentarités stratégiques est qu’ils possèdent toujours des équilibres de Nash en stratégies pures même si les fonctions de paiement ne sont pas quasi-concaves en leur action.

8 La fonction de bénéfice est parfois interprétée comme le coût d’opportunité marginal, pour un pays, de la

réduction de ses émissions. L’hypothèse de concavité reflète alors l’idée que les politiques de réduction des émissions nécessitent des technologies de plus en plus sophistiquées et onéreuses avec le niveau d’effort entrepris.

Proposition 1.1 :

Si, en plus des hypothèses standard H1 et H2,

ZY est strictement positif sur l’ensemble

ϕ

, alors le jeu des émissions globales possède au moins un équilibre symétrique en stratégies pures et aucun équilibre asymétrique.

Quelles sont les intuitions derrière ce premier résultat d’existence des équilibres dans le jeu des émissions globales ?

i) Dès lors que la fonction de bénéfice est concave, les fonctions de paiement des pays présentent des différences croissantes en (z, y). Sous cette condition, on sait que la correspondance de meilleure réponse de chaque pays est croissante en son argument d’après le Théorème i.1 (Topkis, 1979) et donc toute solution Z(y) au problème de maximisation de la fonction (1.3) est non décroissante en y. L’existence des équilibres est alors directement établie en appliquant le théorème de point fixe de Tarski (1955). Ainsi, indépendamment de la forme de la fonction de dommage, le jeu des émissions globales possède toujours au moins un équilibre dès lors que les bénéfices marginaux sont décroissants. Cette proposition étend les résultats traditionnels qui requièrent normalement en plus la convexité de la fonction de dommage. On montre par la suite que la Proposition 1.1 tient même quand la fonction de dommage est partout concave. Notre résultat constitue donc une extension significative.

ii) Avec l’hypothèse de symétrie, on montre que la meilleure réponse d’un pays est toujours de polluer autant que chacun des (n – 1) autres. Cette assertion établit une deuxième propriété de la correspondance de meilleure réponse d’un pays : si cette dernière possède un point fixe, alors il s’agit d’un équilibre symétrique.

iii) Etant donné la relation entre les variables x et z (z = x + y), toute sélection particulière dans l’ensemble des correspondances de meilleure réponse individuelle X(y) possède une pente strictement supérieure à -1. En d’autres termes, la droite passant par deux points du graphe de la correspondance de meilleure réponse d’un pays a une pente strictement supérieure à -1.

Sous les hypothèses retenues, cette assertion ne nous permet pas, pour l’instant, d’établir le sens d’évolution des correspondances de meilleure réponse individuelle en fonction de y : on

fonction du niveau des émissions agrégées des (n – 1) autres. Pour cela, il nous faut introduire une hypothèse supplémentaire sur la fonction de dommage. Les Propositions 1.2 et 1.3 qui suivent donnent respectivement les conditions suffisantes pour chacun des cas.

Proposition 1.2 :

Si, outre les hypothèses de la Proposition 1.1, la fonction de dommage est convexe, alors la correspondance de meilleure réponse de chaque pays X(y) est une fonction décroissante en y et il existe un unique équilibre de Nash en stratégies pures.

L’hypothèse de convexité de la fonction de dommage décrit le fait que les préjudices causés par les émissions globales croissent à taux croissant. L’idée sous-jacente est que la capacité des systèmes environnementaux à s’auto-purifier décroît à des niveaux plus élevés de contamination. Cependant, dans le cas de figure considéré, on ne prend pas en compte le fait qu’il puisse exister un niveau agrégé des émissions au delà duquel le système s’effondrerait. Autrement dit, on considère que ce niveau seuil se situe bien au delà des capacités de production et de consommation de tous les pays et ses implications, en termes d’équilibre, peuvent donc être écartées.

En conséquence de la Proposition 1.1, on sait que la correspondance de meilleure réponse individuelle d’un pays X(y) est non vide et que sa pente est bornée inférieurement par -1. Dans ces conditions, on peut montrer que la convexité de la fonction de dommage est suffisante pour que la correspondance de meilleure réponse individuelle X(y) soit décroissante en y et donc que sa pente soit bornée supérieurement par 0. En d’autres termes, un pays choisit un niveau individuel d’émissions d’autant plus faible que celui des (n – 1) autres pays est élevé.

Les hypothèses sur lesquelles repose la Proposition 1.2 sont en fait celles qui sont traditionnellement postulées dans le cadre du jeu des émissions globales : une fonction de bénéfice concave et une fonction de dommage convexe. La concavité résultante de la fonction de paiement des pays assure alors la continuité des meilleures réponses individuelles. Une propriété, non des moindres, est qu’il existe toujours un unique équilibre de Nash en stratégies pures, que les pays soient identiques ou pas. Etant donné les propriétés qu’elles génèrent, les hypothèses de la Proposition 1.2 sont celles qui sont les plus fréquentes dans la littérature qui porte sur la stabilité des accords internationaux environnementaux.

Proposition 1.3 :

Si, outre les hypothèses de la Proposition 1.1, la fonction de dommage est concave, alors la correspondance de meilleure réponse de chaque pays X(y) possède des sélections croissantes en y et il existe au moins un équilibre de Nash en stratégies pures.

Si la fonction de dommage est concave, la dérivée croisée de l’équation (1.2) par rapport aux variables x et y est positive. En d’autres termes, la fonction de paiement f( yx, ) présente des différences croissantes en (x, y). Par conséquent, la correspondance de meilleure réponse individuelle de chaque pays X(y) est croissante en son argument et possède en particulier un plus grand et un plus petit élément, notés respectivement

X(y) et X(y) (Topkis, 1979). Dans cette configuration, un pays choisira un niveau d’émissions d’autant plus grand que celui des autres est élevé. L’existence d’un plus grand et d’un plus petit équilibre est alors directement établie par application du théorème de Tarski (1955).

Sous les hypothèses de la Proposition 1.3, on peut également exploiter la propriété d’ordre qui existe sur l’ensemble des équilibres. Le jeu des émissions globales est un jeu à externalité négative, dans le sens où l’utilité de chaque pays est décroissante avec la stratégie adoptée par les autres. A cause des effets de renforcement entre les stratégies des pays, on trouve que ceux-ci retirent le paiement le plus élevé (le plus faible) dès lors qu’ils se coordonnent sur le niveau d’émissions le plus faible (le plus élevé). Autrement dit, le plus petit équilibre X* est Pareto supérieur, tandis que le plus grand

X* correspond à l’équilibre Pareto inférieur (Cf. Théorème i.3, Milgrom, Roberts, 1990b).

Pour conclure sur ce résultat, on peut effectuer deux remarques :

i) La présence d’équilibres multiples est directement liée au fait que les correspondances de meilleure réponse individuelle sont croissantes. Cependant, cette condition nécessaire n’est pas suffisante. En effet, il faut également que la pente des meilleures réponses soit supérieure à 1 au moins en un point d’équilibre (Cooper, 1999, p. 21) : dans un jeu présentant des complémentarités stratégiques, il existe des conditions sous lesquelles l’équilibre est unique. C’est le cas, par exemple, pour des fonctions de meilleure réponse continues, dont la pente est toujours inférieure à 19.

ii) Etant donné la relation de linéarité qui existe entre les variables du modèle (z = x + y) si le jeu des émissions globales présente des complémentarités stratégiques en (x, y), il en présente nécessairement en (z, y). Les hypothèses sur les fonctions de bénéfice et de dommage sont donc redondantes. Dit autrement, si on postule une fonction de dommage concave, alors la fonction de bénéfice doit nécessairement l’être aussi. Dans le cas contraire, les évolutions des équilibres individuels et globaux vont dans des directions qui ne sont pas compatibles.

L’hypothèse de complémentarités dans le jeu des émissions globales traduit l’idée qu’un pays retire une utilité d’autant plus grande de l’accroissement de ses activités de consommation et de production que le niveau d’activités économiques global des autres pays est important. Dès lors que cette relation de complémentarité se retrouve au niveau individuel dans une situation purement non coopérative, celle-ci génère une surenchère à la hausse du niveau des émissions de chaque pays, ce qui conduit à un niveau global des émissions d’autant plus élevé. Dans ce contexte, le niveau d’activité d’un pays, et donc le niveau de ses émissions, est d’autant plus important que celui des autres l’est. C’est comme si on postulait un phénomène de diffusion des modes de consommation et de production des pays les uns aux autres. Il reste que, plus le niveau global des émissions qui se fixe à l’équilibre est élevé, plus les paiements individuels correspondants sont faibles.

Le type de complémentarité postulé par la Proposition 1.3 est reflété par l’hypothèse la moins usuelle, à savoir la concavité de la fonction de dommage. De manière plus attrayante, on peut aussi dire que la fonction de dommage présente des différences décroissantes en (x, y). En d’autres termes, le dommage marginal que subit un pays du fait de ses propres émissions décroît quand les émissions des autres pays augmentent. On peut dire aussi qu’il est d’autant moins coûteux pour un pays d’investir dans des capacités de production supplémentaires que les autres en font de même. Il existe donc des effets de renforcement entre les stratégies des pays et ceux-ci peuvent générer une multiplicité de situations stables. Les pays peuvent se coordonner sur différents niveaux d’activités, sachant que les plus élevés génèrent les externalités les plus fortes et se traduisent, dans le cadre de politiques environnementales nationales, par des niveaux de bien-être les plus faibles.

Dans le paragraphe qui suit, on s’attache au cas où les stratégies des pays sont globalement substituables. Dans cette éventualité, les stratégies de meilleure réponse évoluent en sens contraire : le niveau global des émissions choisi par un pays est d’autant plus grand que la

stratégie agrégée des (n – 1) autres pays est faible. Cette condition matérialise une situation dans laquelle les pays font face à de fortes économies d’échelle au niveau national.

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