• Aucun résultat trouvé

P RINCIPAUX THEOREMES ET EXTENSIONS

2. Le rôle de la supermodularité et de la complémentarité dans les jeux non coopératifs

2.2 L’ensemble des équilibres : existence et structure d’ordre

Pour établir l’existence d’un équilibre de Nash dans un jeu sous forme stratégique, l’approche traditionnelle recourt au théorème de point fixe de Kakutani. Pour cela, il lui faut imposer certaines conditions sur les ensembles de stratégies et sur les fonctions de paiement de sorte que la correspondance de meilleure réponse d’un joueur soit convexe et semi-continue supérieurement5. Dans le cadre des jeux supermodulaires, on emploie une approche alternative qui exploite la monotonie des correspondances de meilleure réponse lorsque les fonctions de paiement des joueurs sont supermodulaires. Il s’agit donc d’établir l’existence des équilibres dans les jeux supermodulaires sous des conditions de régularité relativement faibles. Ces conditions sont également celles sous lesquelles l’ensemble des équilibres possède une structure d’ordre.

Avant toute chose, les résultats qui suivent reposent sur l’équivalence qui existe entre les équilibres d’un jeu non coopératif et les points fixes de la correspondance de meilleure réponse cumulée.

Lemme i.1 (Topkis, 1998, chapitre 4) :

L’ensemble des équilibres d’un jeu non coopératif (N, Xi, fi) coïncide avec l’ensemble des points fixes du vecteur des correspondances de meilleure réponse de chaque joueur br(x) avecx∈X.

La principale propriété des jeux supermodulaires est qu’ils possèdent toujours des équilibres de Nash en stratégies pures. Cette propriété est une conséquence immédiate du théorème de Topkis selon lequel, pour chaque joueur, la correspondance de meilleure réponse bri(·) qui

applique le vecteur des décisions des autres joueurs x-i dans l’ensemble des stratégies de meilleure réponse du joueur i, possède des sélections extrêmes qui sont monotones croissantes avec la stratégie de chacun des autres joueurs. Il s’ensuit que la correspondance de meilleure réponse cumulée br(·), qui applique le vecteur de toutes les décisions x dans l’ensemble des meilleures réponses, possède également des sélections extrêmes monotones croissantes. Le fait que chacune de ces sélections possède un point fixe, lequel est clairement un équilibre de Nash en stratégies pures du jeu, découle directement du théorème de point fixe de Tarski (1955) :

Théorème i.2 (Tarsky, 1955) :

Si S est un intervalle compact et non vide de l’espace Euclidien et f :S → S une fonction croissante ( f(x)≤ f(y) si x≤ y), alors f possède un point fixe dans S.

Pour avoir une intuition de ce théorème de point fixe, considérons le cas unidimensionnel où S = [0, 1] et illustré par la Figure i.1. La fonction f en question ne possède pas de point fixe si elle « saute » de la zone au dessus de la première diagonale à celle en dessous de cette même diagonale sans la couper. Or une fonction croissante ne peut avoir de saut vers le bas. L’intuition est la même dans le cas multidimensionnel tant qu’aucune composante de f(x) n’a de saut vers le bas quand une composante quelconque de x augmente.

f(s)

1

0 1 s

Figure i.1. Illustration du théorème de Tarski (1955) pour S = [0, 1].

Le théorème de Tarski est particulièrement pertinent dans le cadre des jeux supermodulaires dans le sens où les sélections extrêmes dans l’ensemble des stratégies optimales sont non

décroissantes. Sur le plan formel, soient bri(xi) et bri(xi) respectivement, le plus petit et le plus grand élément de bri(x-i). Selon le théorème de Topkis, chacun d’eux existe et est une fonction croissante en x-i. En appliquant le Théorème i.2 au vecteur des éléments minimum de la correspondance de meilleure réponse individuelle br(x)⊂ X, on établit l’existence d’un plus petit élément dans l’ensemble des équilibres de Nash. Pour établir l’existence d’un plus grand élément dans ce même ensemble, on procède au même raisonnement avecbr( x).

Un avantage majeur de cette approche est qu’elle permet d’assurer la monotonie des correspondances de meilleure réponse sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’hypothèse de concavité des fonctions de paiement. Car toute meilleure réponse d’un joueur est croissante avec la stratégie de ses rivaux dès lors que sa fonction de paiement est semi-continue supérieurement et qu’elle présente des différences croissantes. Dans cette alternative, les stratégies de meilleure réponse des joueurs peuvent présenter des discontinuités. L’hypothèse de semi-continuité supérieure des fonctions de paiement permet alors d’assurer que si la correspondance de meilleure réponse présente des sauts, il ne peut s’agir que de sauts vers le haut mais jamais vers le bas. L’application du théorème de Tarski (1955) permet ensuite de garantir l’existence d’un ou de plusieurs points fixes.

En plus de la monotonie des solutions optimales, la supermodularité des fonctions de paiement génère aussi une propriété d’ordre sur l’ensemble de ces solutions, celle-ci se répercutant sur les préférences des joueurs. Le théorème qui suit expose ces préférences pour un équilibre plutôt qu’un autre, celles-ci étant fonction de la nature des externalités induites par le comportement des joueurs dans le jeu.

Théorème i.3 (Milgrom, Roberts, 1990b) :

Supposons *x et x* le plus petit et le plus grand élément d’équilibre dans l’ensemble des stratégies X et supposons deux équilibres y et z tel quey ≥ z. Dès lors, si (1) fi(xi,xi) est croissant en x-i alorsfi(y)≥fi(z) ; si (2) fi(xi,x−i)est décroissant en x-i alorsfi(y)≤ fi(z). De plus, si la condition (1) est vraie pour un sous-ensemble de joueurs N1 tandis que la condition (2) est vérifiée pour les autres N\N1, alors le plus grand équilibre est celui qui est préféré par les joueurs de N1 et le moins apprécié par les joueurs restants. A contrario, le plus petit équilibre est le moins apprécié par les joueurs de N1 et l’équilibre préféré par les joueurs restants.

Dans un jeu supermodulaire, les paiements associés au plus grand et au plus petit équilibre constituent des frontières de l’ensemble des paiements d’équilibre pour chaque joueur. Si le paiement d’un joueur est croissant avec le niveau des choix stratégiques fait par les autres (le jeu est à externalité positive), alors le plus grand équilibre du jeu correspond à l’équilibre Pareto préféré, dans le sens où il conduit au paiement d’équilibre le plus élevé pour tous les joueurs. A l’inverse, le plus petit équilibre est celui qui est le Pareto moins préféré, dans le sens où il génère le paiement d’équilibre le plus faible pour tous les joueurs.

De la même façon, quand le paiement des joueurs est décroissant avec le niveau des stratégies adopté par les autres joueurs (le jeu est à externalité négative), on trouve le résultat inverse. L’équilibre Pareto préféré est le plus petit équilibre, tandis que le Pareto moins préféré est le plus grand équilibre. Enfin, si pour certains joueurs, les paiements sont croissants avec la stratégie des rivaux et pour d’autres, ils sont décroissants, alors l’équilibre préféré est le plus grand pour les premiers et le plus petit pour les seconds.

Milgrom et Roberts (1990b) soulignent par ailleurs qu’en présence d’externalités, l’équilibre Pareto préféré n’est pas l’équilibre Pareto optimal, c’est-à-dire du point de vue de l’ensemble des joueurs. Ainsi, dans un jeu à externalité positive, si *x est strictement inférieur à la borne supérieure de l’ensemble des stratégies X, alors il existe un profil de stratégies Pareto optimal, dans lequel chaque joueur adopte une stratégie plus élevée. Celui-ci ne constitue pas pour autant un équilibre. La même remarque tient pour les jeux présentant des externalités négatives. Dans ce contexte, l’équilibre Pareto préféré ne coïncide pas avec la solution Pareto optimale pour laquelle les joueurs adoptent une stratégie encore plus faible.

Outline

Documents relatifs