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PREMIERE PARTIE : TEXTES ET CONTEXTES

2) Le contexte historique antillais : Guadeloupe et Martinique

Bien qu’elle inspire tout autant les écrivains antillais, l’histoire des Antilles françaises est

bien différente de celle du Maghreb. Découvertes au XVe siècle par Christophe Colomb, les

grandes Antilles, c’est-à dire Cuba et Haïti sont occupées par les Espagnols qui y développent une économie de plantations. Très vite, la population amérindienne autochtone est décimée ; on fait alors appel à cette main-d’œuvre africaine servile qui avait déjà fait ses preuves à Lisbonne. Ainsi s’instaure la traite négrière, qu’on appelle aussi le commerce triangulaire entre l’Europe, l’Afrique où l’on faisait provision de captifs, et les Amériques où on livrait ces captifs africains. Au XVIIe siècle d’autres puissances européennes, notamment l’Angleterre et la France s’intéressent aux petites Antilles délaissées par les Espagnols dont la puissance, d’ailleurs, décline et s’installent à leur tour dans les Caraïbes. C’est ainsi que la France fonde en 1635 après Saint-Domingue, actuelle Haïti, les colonies de Guadeloupe et de Martinique qui hormis de brèves périodes d’occupation anglaise demeurent définitivement entre leurs mains.

A partir de 1680, la France importe massivement des Africains noirs pour remplacer les travailleurs blancs qui ne résistaient pas au dur travail et au climat des Antilles. Le nombre

33 d’esclaves étant plus important que celui des propriétaires, et les femmes blanches étant très rares sur l’île, ces derniers contractent des unions illégitimes avec les femmes noires si bien que la population antillaise de l’époque compte un grand nombre d’enfants métis. A ce sujet Paul Butel écrit :

Dès le début de la colonisation, dans une société insulaire où la majorité des colons étaient célibataires, la cohabitation des Blancs et des esclaves produisit une classe intermédiaire de métis, issue de relations entre les maîtres blancs et leurs esclaves noires,

très rarement l’inverse. Le fils d’un blanc et d’une négresse fut appelé mulâtre, celui d’un Blanc et d’un mulâtre quarteron71.

Pour mettre un terme à ces unions mixtes et maintenir les Antilles sous son pouvoir, la France consent à envoyer un plus grand nombre de femmes blanches dans les îles ce qui permet de freiner rapidement le métissage de la population antillaise car désormais administrateurs et propriétaires choisissent leurs épouses parmi ces femmes. En 1685, Louis XIV instaure le Code Noir censé réglementer l’esclavage. Mais ce code contribue davantage à l’exploitation de la population esclave qu’à l’amélioration de ses conditions de vie :

Au XVIIe siècle, avec le Code Noir (1665), on pourrait croire que la loi reconnaît le

Noir comme personne. Au contraire, c’est le personnage du bourreau esclavagiste qui se précise : combien de jours de repos, mais surtout combien de coups de fouets, comment punir efficacement et légalement le voleur, le fugitif, le récidiviste ou le marron72.

La fin du XVIIIe siècle est une période de troubles dans les colonies françaises des

Antilles car les révoltes d’esclaves se multiplient aussi bien en Martinique, en Guadeloupe qu’a Saint-Domingue. Du côté des puissances coloniales, de plus en plus de consciences s’insurgent contre l’esclavage et luttent pour la liberté des Noirs de sorte qu’en 1794, la Convention abolit l’esclavage. Cette abolition est de courte durée car quelques années plus tard, en 1802, Napoléon Bonaparte reconduit l’esclavage aux Antilles, mais se heurte à la résistance de Saint-Domingue qui gagne finalement son indépendance en 1804 et prend pour nom Haïti. Une quarantaine d’année plus tard, précisément en 1848, l’esclavage, la traite et le Code Noir sont de nouveaux abolis, mais cette fois de manière définitive.

Pour entretenir leurs plantations de canne à sucre, à partir de 1853, les colons français se tournent vers les Indiens de l’Inde et les chinois qui remplacent les esclaves noirs fraîchement

libérés, mais dont la situation sociale et économique laisse à désirer. Vers la fin du XIXe

Siècle, naissent aux Etats-Unis au sein de l’intelligentsia noire des mouvements de

revendication identitaire qui gagnent la France et les Antilles. Ainsi Le Manifeste Légitime

Défense voit le jour en 1932, et sept ans plus tard, Aimé Césaire, publie son Cahier d’un

71

Butel, Paul, Histoire des Antilles françaises XVIIe– XXe siècle, Paris, Perrin, 2002, p. 158. 72

34

retour au pays natal. En 1946, les députés communistes martiniquais Aimé Césaire et Léopold Bissol déposent une proposition de loi relative à la transformation des colonies antillaises françaises en départements. La départementalisation apparaît en effet aux yeux de

Césaire, de Bissol et des courants politiques d’extrême gauche et communistes comme « le

moyen même d’assurer aux populations les plus défavorisées les avantages de la législation

sociale dont, au lendemain de la guerre, la métropole se dote »73. La départementalisation

suppose l’assimilation totale des Antilles dont l’organisation publique et administrative « était déjà à peu près complètement assimilée à celle de la métropole : les codes civil, pénal, de commerce, la représentation au Parlement, la loi d’assistance publique de 1920 étaient en

place »74. Ainsi, le 19 mars 1946, l’Assemblée nationale française adopte la loi de la

départementalisation qui transforme les petites Antilles et la Guyane en départements français d’Outre-mer. Par voie de conséquence, les Antillais ne sont plus des colonisés, mais des citoyens français à part entière.

Les Antilles françaises sont ainsi faites aussi bien d’héritages africains que français. Ces circonstances historiques et politiques expliquent les mutations sociales et littéraires qui jalonnent l’histoire du peuple antillais. Cette histoire tourmentée et tragique est omniprésente dans la société antillaise de la structure familiale - structure de base de la société - aux thèmes abordés dans la littérature.

2. Les contextes littéraires antillais et maghrébin

Les littératures francophones dont font partie la littérature maghrébine et la littérature

antillaise naissent du processus postcolonial.75 On a vu que le terme ‘‘postcolonial’’ peut

comporter plusieurs acceptions ; nous en retiendrons deux qui permettent de définir les littératures algérienne et antillaise. D’abord l’acception étroitement chronologique, qui met en évidence le fait que ces littératures résultent de l’époque coloniale. Ensuite une acception plus large qui insiste sur le fait que les suites de la colonisation ne sont pas seulement politiques, économiques, mais qu’elles concernent aussi les formes de vie culturelle (la littérature) que la domination du Centre, quand elle ne les a pas éradiquées a durablement perturbées, infléchies et modifiées. Cette acception du ‘‘Post-colonial’’ que l’on retrouve chez des théoriciens comme Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen Tiffin renvoie à

73

Adélaïde-Merlande, Jacques, Histoire contemporaine de la Caraïbe et des Guyanes, Paris, Karthala, 2002, p. 81.

74

Butel, Paul, Histoire des Antilles françaises, op. Cit., pp. 359-360. 75

Nous entendons par ‘‘littératures francophones’’, toutes les littératures qui ont en partage la langue française et en disposent comme d’un héritage, la modifiant au gré de leurs besoins.

35 Toute culture affectée par le processus impérial depuis le moment de la

colonisation jusqu’à nos jours. Car il y a une continuité de préoccupation qui court tout au

long du processus historique initié par l’agression impériale européenne. Selon nous, il s’agit également du terme le plus approprié pour caractériser la nouvelle critique

transculturelle qui a émergé ces dernières années ainsi que le discours par lequel elle s’est

constituée76.

Pareillement Jean-Marc Moura affirme : « Des modes d’écritures sont considérés d’abord polémiques à l’égard de l’ordre colonial avant de se caractériser par le déplacement, la transgression, le jeu, la déconstruction des codes européens tels qu’ils ont voulu s’affirmer

dans la culture concernée »77. Les littératures postcoloniales désignent donc des littératures

qui s’inscrivent souvent dans une dialectique d’opposition avec les idéologies dominantes ; et cette opposition se manifeste très souvent par des stratégies d’écriture subversives. Les littératures maghrébine et antillaise obéissent à tous ces critères ce qui nous amène à les considérer comme des littératures postcoloniales.