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PREMIERE PARTIE : TEXTES ET CONTEXTES

2) Le contexte littéraire maghrébin

L’expression ‘‘littérature maghrébine’’ regroupe la littérature algérienne, la littérature tunisienne et la littérature marocaine. La littérature francophone du Maghreb naît avec la présence française en Afrique du Nord (colonie en Algérie, protectorat en Tunisie et au Maroc) et connaît son essor après l’indépendance des trois pays. D’abord écrite par des Français installés en Algérie et destinée à un public européen, elle est dans un premier temps

106

Condé, Maryse, Une saison à Rihata, Paris, Robert Laffont, 1981, Réédité, en 1997. 107

Condé, Maryse, Ségou, Les murailles de terre suivi de Ségou, la terre en miettes, Paris, Robert Laffont, 1984-1985.

108

Condé, Maryse, En attendant la montée des eaux, J. C., Lattès, 2010. 109

Viala, Fabienne, « Transgressions et Barbarie dans les destinées féminines romanesques de Maryse Condé » in Maryse Condé. Rébellion et transgressions, op. Cit., p. 132.

42 une littérature coloniale, exotique et régionale faite de clichés sur le désert, les colons, les spahis etc. Les textes littéraires de cette période évoquent l’attachement des Français d’Algérie de la deuxième et de la troisième génération à la terre natale avec des écrivains comme Albert Camus, Jean Pélégri, Jules Roy.

Dans la seconde moitié du siècle, notamment pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie (1954-1962), elle devient l’œuvre des Algériens, des Marocains et des Tunisiens qui revendiquent une identité spécifique maghrébine. A ce sujet Rabah Soukehal déclare : « Au

début, l’Algérien a voulu dire son mal - en tant que colonisé – à la France et au monde. Il

fallait dire l’innommable à l’Autre dans sa langue, lui crier à la face sa douleur et son désespoir ; il fallait le réveiller et essayer de le rallier à cette juste cause qui est ‘‘la

liberté’’110. La littérature de cette période est anticoloniale. Ecrite pour un public français, elle

a pour mission de convaincre de la légitimité du combat pour l’indépendance. Elle porte sur

des revendications nationalistes et sur les problèmes de l’identité, la spécificité, la

personnalité historique, la lutte contre la colonisation, la quête de la liberté collective et le

rejet de l’aliénation culturelle.111 En Algérie, cette littérature anticoloniale s’articule

notamment sur l’identité berbère dont Kateb Yacine qui publie Nedjma en 1956112 se fait le

chantre. Ce texte à la structure complexe aux dimensions poético-symbolique, historique et politique est d’ailleurs considéré comme le roman qui a fait entrer dans la modernité la littérature maghrébine francophone. La littérature anticoloniale se manifeste aussi au Maroc

avec Mohammed Dib, qui publie L’Incendie en 1954113, et plus rarement en Tunisie.

Après la guerre émerge une littérature postcoloniale francophone enracinée dans les cultures nationales et qui résiste à l’arabisation des trois Etats du Maghreb. Cette littérature postcoloniale témoigne de l’expression de la difficulté d’être dans l’impasse historique et

culturelle114. Après l’euphorie des Indépendances, c’est le désenchantement total. La

génération d’écrivains des années 1970 est celle des espoirs déçus et des désillusions115. Leur

littérature est donc marquée du sceau de la contestation et du dévoilement. Beida Chikhi fait remarquer à cet effet que « L’inquiétude, l’état de crise et le manque de soi à soi, engagent les

écrivains dans les mêmes histoires, les font prisonniers des mêmes fictions»116. Parmi les

110

Soukehal, Rabah, Le Roman algérien de langue française (1950-1990), Thématique, Paris, Publisud, 2003. 111

Bekri, Tahar, Littératures de Tunisie et du Maghreb, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 85. 112

Kateb, Yacine, Nedjma, Paris, Le Seuil, 1956. 113

Dib, Mohammed, L’Incendie, Paris, Seuil, 1954. 114

Chikhi, Beida, Maghreb en textes, "Ecriture, histoire, savoirs et symboliques", Paris, L’Harmattan, 1996, p. 18.

115

Bouguerra Mohamed Ridha, Bouguerra Sabiha, Histoire de la littérature du Maghreb. Littérature francophone, Paris, Ellipses, 2010, p. 51.

116

43 pionniers de cette littérature on peut citer pour l’Algérie Assia Djebar, Mouloud Mammeri, Farouk Zehar, Rachid Boudjedra, Salah Fellah, Nabile Farès ; au Maroc Driss Chraïbi et Tahar Ben Jelloun et en Tunisie Tahar Bekri et Albert Memmi.

La littérature maghrébine se subdivise aujourd’hui en littératures nationales. En effet si les littératures d’Algérie, du Maroc et de Tunisie s’interrogent sans cesse sur l’oralité et l’écriture, l’écriture autobiographique, la quête de l’identité et sur la question de la langue (doit-on écrire dans les langues régionales comme le kabyle, l’arabe ou le berbère ou en français ?), si les œuvres produites par ces littératures reviennent souvent « sur l’histoire de la colonisation, la domination culturelle et linguistique qui en a résulté, l’enchevêtrement des

circuits linguistiques » comme le souligne Tahar Bekri117, il n’en demeure pas moins qu’elles

possèdent des spécificités. La culture et la langue françaises n’ont pas eu le même ascendant au Maroc et en Tunisie qu’en Algérie : l’histoire et l’évolution des rapports avec la France les

ayant façonnées différemment, les particularités s’accusent malgré les parentés. La littérature

algérienne est, d’ailleurs à ce propos, assez particulière par rapport aux deux autres. A ce

propos Beida Chikhi déclare :

Les écrivains algériens femmes et hommes ont toujours produit des textes complexes liés à la forte histoire de leur société et à ses transmutations accélérées. Chez les uns comme

chez les autres, l’esthétique de la résistance est le lieu à partir duquel s’organisent la dimension critique de l’œuvre et la vision d’une Algérie plurielle et créative118.

Elle souligne ainsi le fait que la littérature algérienne est fortement ancrée dans l’histoire nationale ; ainsi pour avoir une meilleure intelligence des textes produits par ces écrivains, il est nécessaire d’interroger l’histoire de l’Algérie. Opérant une distinction entre la littérature algérienne et celle du reste du Maghreb (Maroc et Tunisie), Beida Chikhi affirme :

C’est souvent une conscience historique aiguisée qui distingue les écrivains algériens de leurs voisins maghrébins. L’œuvre littéraire algérienne interroge avec insistance les césures de l’histoire. Leur confère une puissance exceptionnelle en les incorporant dans

une construction subjective qui nous éclaire sur l’activité d’une pensée percutante, capable d’atteindre la longue durée119.

Comme cela ressort de ces paroles de Beida Chikhi, l’écrivain algérien en même

temps qu’il rappelle l’histoire de son pays reconstruit le passé national et se positionne en tant que sujet. C’est ainsi que Jean Amrouche, sans conteste le pionnier de cette littérature algérienne, articule toute son œuvre autour de la crise de dénomination (il porte en effet

117

Bekri, Tahar, Littératures de Tunisie et du Maghreb, op. Cit., pp. 76-77. 118

Chikhi, Beida, Littérature algérienne "Désir d’histoire et esthétique", Paris, L’Harmattan, 1997, p. 9. 119

44 plusieurs noms : Amrouche, El Mouhouv et Jean qui traduisent ses différentes appartenances, kabyle, algérien, chrétien et français), de la crise d’identité et des conflits intérieurs qui sont le

résultat du climat d’intolérance et des contraintes institutionnelles de sa société120. Climat

d’intolérance et contraintes institutionnelles insufflées par la colonisation de l’Algérie par la France. Beida Chikhi parle de « L’esprit d’enfance » pour caractériser la littérature algérienne de la première moitié du XXème siècle. Elle écrit :

De Jean Amrouche à Albert Camus, d’Albert Camus à Kateb Yacine, de Kateb Yacine

à Nabile Farès, l’acte de créer s’ensource à l’esprit d’enfance. Saisie première de la parole

poétique, l’enfance est le lieu incontestable d’où parle l’Algérie. […] Aussi, la littérature

algérienne aura pris son élan dans la reconnaissance d’une blessure inaugurale dans l’esprit de l’enfance121.

Ainsi l’occupation, la colonisation de l’Algérie a occasionné la perte du patrimoine algérien, la perte du langage et de l’esprit maternels de sorte que les écrivains algériens se sentent comme sevrés, exilés de leur enfance et c’est ce sentiment d’éloignement, de dessaisissement et de perte qui fonde leur parole poétique, leur écriture. En dehors de ces spécificités de la littérature algérienne, il convient de signaler que contrairement à ses voisins, l’Algérie a refusé d’adhérer à la Francophonie, mais que le français y reste très présent.

Dans les années 80, la littérature francophone maghrébine jusque-là écrite en majorité par des hommes, s’enrichit de textes écrits par des femmes et prend un nouveau visage. En effet, dans la première moitié du siècle, la présence féminine sur la scène littéraire est très

faible et les thèmes abordés par les femmes dans leurs écrits assez variables d’un pays à

l’autre. Guy Dugas, spécialiste des littératures maghrébines, souligne cependant l’existence à cette époque d’une littérature judéo-maghrébine féminine, caractérisée par la transgression,

avec des romancières comme Blanche Bendahan122 en Algérie, ou Elisa Chimenti123 au

Maroc124. Il rappelle également que la scène littéraire arabo-maghrébine n’a pas toujours été

dominée par les hommes ; avant la période islamique, il existait « une tradition de création et

d'écriture des femmes arabes »125 :

Dans l'ancienne Arabie, toutes les femmes étaient poètes [...]. L'Arabie païenne eut quatre sages et ces sages furent des femmes. […] Hommes et femmes doués de la

120 Ibidem., p. 17. 121 Ibidem, p. 10. 122

Bendahan, Blanche. Mazaltob, Paris, Editions du Tambourin, 1930

.

123

Chimenti, Elisa, Eves marocaines, Tanger, Editions Internationales, 1934. 124

Dugas, Guy, « De l'invisibilité au visible : Dire la Musulmane pour qu'elle, enfin, se dise » in Lire les femmes écrivains et les littératures africaines, http://aflit.arts.uwa.edu.au/dugas09.html consulté le 30 juin 2014.

125

45 même prodigieuse mémoire acquéraient le même savoir, ils avaient la même connaissance de la tradition orale et des poésies126.

Ainsi les femmes ont joué un rôle très important dans la poésie arabe avant l’avènement de l’Islam ; et même si Mahomet apparaît souvent comme « le premier

responsable d’une régression de la condition féminine, […]l'islamisme le plus ancien a connu

nombre de femmes de pouvoir, d'influence ou d'écriture »127

.

C’est le cas d’Aïcha, l’épouse

préférée de Mahomet ou de Zobeidah, l’épouse du célèbre Calife Haroun-al Rachid. C’est donc plus tard, avec le développement de l’Islam et l’influence grandissante des traditions sexistes et machistes que les femmes arabes ont perdu progressivement leur place sur la scène littéraire arabe.

En Tunisie par exemple, les femmes ne commencent véritablement à écrire que dans les années 60. Et leurs textes - pour la plupart des nouvelles- sont d’abord en langue arabe et comme le souligne Tahar Bekri, n’échappent pas au «didactisme ou à l’idéologie officielle transformant la littérature en un écho maladroit aux programmes pour le contrôle des

naissances, la responsabilité familiale, le rôle des femmes dans la société, l’éducation »128. Il

faut attendre la fin des années 70 pour qu’apparaissent des textes féminins plus indépendants

et résolument littéraires qui dénoncent l’hypocrisie sociale et « appellent à casser les verrous

qui empêchent encore le respect total des femmes, leur droit à la dignité »129.

C’est aussi à ce moment-là qu’émergent dans la littérature tunisienne féminine des

textes francophones écrits par des romancières comme Souad Guellouz130, Jelila Hafsia131,

Aïcha Chaïbi132, Hélé Béji133 et Fawzia Zouari134. En général, les romancières tunisiennes

francophones ne revendiquent pas de position féministe, même si Fawzia Zouari dans son

essai Pour en finir avec Shahrazad135 adopte un discours que l’on pourrait qualifier de

féministe. Les thèmes développés par ces auteures francophones participent de la préoccupation de tout écrivain sans limitation de sujet. L’émancipation du sujet féminin n’est presque jamais abordé, peut-être parce qu’elle est déjà acquise. Les thèmes développés

126

Guy Dugas citant Hubertine Auclert in « De l'invisibilité au visible : Dire la Musulmane pour qu'elle, enfin, se dise », op. Cit.

127

Ibidem. 128

Bekri, Tahar, De la littérature tunisienne et maghrébine et autres textes, op. Cit., p. 33. 129

Ibidem. 130

Guellouz, Souad, La vie simple, Tunis, MTE, 1975. 131

Hafsia, Jelila, Cendre à l’aube, Tunis, MTE, 1975. 132

Chaïbi, Aïcha, Rached, Tunis, MTE, 1975. 133

Béji, Hélé, L’œil du jour, Paris, Maurice Nadeau, 1986. 134

Zouari, Fawzia, La Caravane des chimères, Paris, Olivier Orban, 1990. 135

46 apparaissent comme des analyses sociales ou des peintures qui prennent parfois un caractère intimiste et refusent de s’enfermer dans des discours revendicateurs féministes comme c’est le

cas dans les œuvres de langue arabe136. Dans L’œil du jour par exemple, Hélé Béji critique

sévèrement la modernité artificielle des milieux bourgeois de Tunis. Fawzia Zouari incarne cette génération de romancières francophones tunisiennes qui préfèrent se consacrer au travail sur l’écriture que de s’enfermer dans des idéologies parfois très réductrices. Ainsi son roman

La deuxième épouse aborde différents thèmes comme l’immigration, l’exil, l’écriture, les fantasmes, les déceptions et les désirs féminins. Les protagonistes de ce texte et ceux qui les entourent sont algériens, français, marocains et rarement tunisiens comme si l’auteur voulait

absolument se défaire de tout déterminisme. D’ailleurs son premier roman, La Caravane des

Chimères est l’histoire romancée de Valentine de Saint Point, petite nièce de Lamartine qui après avoir mené une vie tumultueuse part pour l’Egypte et se convertit à l’Islam. D’une manière générale, comme l’affirment Mohamed Ridha Bouguerra et Sabiha Bouguerra, Fawzia Zouari « s’intéresse dans ses romans à la confrontation entre des cultures différentes

et les situations sur lesquelles cette confrontation débouche »137.

Dans la première moitié du XXe siècle en Algérie, on compte déjà quelques

romancières juives auxquelles viennent s’ajouter Marie-Louise Amrouche (Taos), auteure de

Jacinthe noire en 1947138, Djamila Debèche qui dans la même année publie Leïla, jeune fille

d’Algérie139 et Assia Djebar dont le premier roman La Soif apparaît en 1957140. Mais c’est surtout dans la décennie 80-90 que la littérature maghrébine faite par des femmes atteint un poids quantitatif satisfaisant. Ce retard s’explique par le fait que le langage de la femme maghrébine a été voilé comme son corps. En effet, pour des raisons uniquement ségrégationnistes les femmes maghrébines ont eu tardivement accès à l’école française et parmi celles qui ont pu l’intégrer, peu ont excédé le collège et le lycée, les autres ayant été à l’approche de la puberté retirées de l’école par leurs parents soucieux de les marier plutôt que de les laisser étudier. Cet accès tardif et très limité à l’instruction permet de comprendre le retard accusé par les femmes maghrébines dans l’exercice de l’écriture littéraire francophone.

136

Dans De la littérature tunisienne et maghrébine, Tahar Bekri s’interroge sur les raisons pour lesquelles les romancières francophones tunisiennes ne sont pas aussi engagées dans le discours féministe que leurs consœurs de langue arabe et il propose les explications suivantes : « Cela peut être dû à l’origine sociale des auteurs souvent de milieux plus aisé et occidentalisé où le combat contre la tradition n’était pas aussi nécessaire pas plus que la prise de parole n’a dû faire face à l’entrave ou à l’empêchement». Il ajoute que le fait qu’elles aient été formées souvent à l’école française et que leur langue maternelle soit le français et non l’arabe peut expliquer cette distance qu’elles prennent dans leurs œuvres par rapport à l’émancipation du sujet féminin tunisien. 137

Bouguerra Ridha Mohamed et Sabiha Bouguerra, op. Cit., p. 193. 138

Amrouche, Taos, Jacinthe noire, Paris, Maspero, 1977, 1947 pour la première édition. 139

Debèche, Djamila, Leïla, jeune fille d’Algérie, Alger, Impression Charras, 1947. 140

47 Aussi, lorsqu’elles se mettent à écrire, les femmes maghrébines et particulièrement les Algériennes dénoncent d’abord l’oppression et l’hostilité dont elles sont victimes à cause de leur sexe corroborant ainsi les propos de Jean Déjeux qui déclare que « leur besoin d’écrire [celui des femmes maghrébines] est à situer dans une société qui ne fait pas suffisamment de

place à la femme »141. Puis il ajoute :

Pour certaines, écrire c’est porter témoignage sur sa vie ou un événement et se taire

ensuite, pour plusieurs autres écrire, c’est échapper à une condition dans laquelle on ne peut s’exprimer, c’est sortir du silence, s’extérioriser. L’écriture est un des moyens pour

la femme du Maghreb de faire son entrée dans la vie sociale et publique142.

Assia Djebar, figure majeure de la littérature féminine algérienne insiste d’ailleurs sur la nécessité de la femme musulmane de ‘‘se dire’’ au moyen du langage et spécialement de l’écriture, même si pour cela elles doivent vaincre plusieurs obstacles aussi bien extérieurs qu’intérieurs car une femme qui écrit est considérée comme un danger.

Les romans écrits par les femmes entre 1980 et 1990 revendiquent pour la plupart l’amélioration de la condition féminine. Cette revendication « conforte la séparation entre les

deux sexes qui est la cause – à – la fois la conséquence – de l’inégalité »143. Relativement

récente, la littérature féminine maghrébine de cette période se penchait plutôt vers le passé, l’époque coloniale ou celle de la guerre d’indépendance. Les romancières tenaient à dénoncer la situation inégalitaire des femmes spécialement des Algériennes et des marocaines. Au rang

de ces écrivaines, figurent Assia Djebar avec son roman L’Amour, la Fantasia144 et Aïcha

Lemsine, auteure de La Chrysalide145. Avec la déferlante intégriste et les violences

meurtrières qui l’accompagnent, la littérature féminine algérienne se mue en littérature de dénonciation et de condamnation du retour de la barbarie et de l’instrumentalisation de l’Islam à des fins politiques et sexistes. Parmi les romans qui apparaissent dans la décennie 1990-2000, attribués aux genres certains textes commencent à briser la frontière étanche entre les hommes et les femmes en déconstruisant les identités sexuelles et les rôles masculins et féminins, en introduisant une ambiguïté générique au niveau des personnages comme c’est le

cas dans Le Siècle des Sauterelles146 de Malika Mokeddem.

Considérée à ce jour comme l’une des figures représentatives de la littérature algérienne féminine, Malika Mokeddem rappelle dans ses textes et notamment dans son

141

Déjeux, Jean, La littérature féminine de langue française au Maghreb, Paris, Karthala, 1994, p. 181. 142

Ibidem., p. 196. 143

Segarra, Marta, Nouvelles romancières francophones du Maghreb, Paris, Karthala, 2010, p. 92. 144

Djebar, Assia, L’Amour, la Fantasia, Paris, Editions Jean-Claude Lattès, 1985. 145

Lemsine, Aïcha, La Chrysalide, Paris, Editions des femmes, 1976. 146

48 premier roman, le code comportemental contre lequel elle se dresse, s’élevant ainsi contre la loi du groupe oppressante et contraignante qui empêche l’individu, notamment la femme, de s’épanouir et de vivre libre. Mais L’écriture de Malika Mokeddem ne s’intéresse pas qu’au problème de la condition féminine en Algérie ; elle aborde plusieurs autres thèmes comme la violence, l’injustice, l’intolérance, le racisme, la religion, l’identité et la liberté. Parlant de Malika Mokeddem, Trudy Agar-Mendousse affirme que son écriture dénonce les violences tant patriarcales que coloniales pour construire une nouvelle relation entre colonisateurs et colonisés, entre hommes et femmes. Pour Mokeddem, la nouvelle identité algérienne se fonde

sur « une philosophie de nomadisme adaptée de sa culture de filiation »147. Comme on peut le

constater, la tradition littéraire maghrébine est fortement influencée par l’histoire. Pour ce qui est de l’Algérie, même si l’engagement littéraire a revêtu diverses formes en fonction des époques et que les questionnements se sont diversifiés, et qu’on est passé d’une littérature coloniale à une littérature "d’indépendance" et de celle-ci à une littérature postcoloniale, toujours est-il que la littérature algérienne s’enracine dans son contexte historique et social.

En somme, il apparaît que les littératures maghrébine et antillaise nées des rapports

complexes entre l’Europe et ses colonies s’inscrivent d’abord dans une logique de

contestation contre le colonisateur avant de s’affirmer comme des littératures spécifiques et plus ou moins autonomes. Axées principalement sur la question de l’identité, la littérature algérienne et la littérature des Antilles françaises puisent dans leur passé mouvementé et traversé par la colonisation, l’esclavage, la décolonisation, les indépendances, la traite, le métissage, les ressources nécessaires pour prendre des distances avec la littérature française et s’affirmer comme des littératures à part entière. Il apparaît donc indispensable d’étudier les œuvres produites par ces littératures en tenant compte du contexte d’énonciation qui est