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- L’apparence physique

Chapitre 5 : Les migrations effectives

2) Adultes et errantes

Errantes, Josette et Marie-Noëlle le sont dans leur enfance et leur situation ne change pas à l’âge adulte. Soulignons toutefois que certains des déplacements que ces deux personnages effectuent ne sont pas au départ des manifestations de leur errance identitaire ; ils sont d’abord simplement liés à des nécessités comme la nécessité d’apprendre, celle de se soigner ou encore celle de travailler. Néanmoins, nous allons inclure ces déplacements au nombre de ceux qui rendent compte de l’instabilité des personnages à cause de l’état d’esprit de ces derniers au moment où ils les entreprennent. En effet, ce qui fait la différence entre un voyage

192 d’agrément et un exil c’est non seulement le contexte dans lequel le voyage est effectué, mais aussi les mobiles ou les motivations du voyageur, l’état d’esprit qui l’anime à ce moment précis ou encore les buts atteints par ce voyage. Et ce sont ces données-là qui nous amènent à intégrer ces voyages au rang des déplacements qui soulignent le caractère errant de Josette et de Marie-Noëlle.

Lorsque Josette obtient son entrée au Lycée, elle est obligée de quitter Marie-Galante pour

Pointe-à-Pitre. Mais n’y ayant aucune famille, Théodora prend des dispositions afin qu’elle

habite pendant l’année scolaire chez une de ses amies d’enfance, Germaine Bella. Ainsi du fait que le lycée est dans une autre ville Josette est appelée à faire sans cesse des va-et-vient entre Marie-Galante et Pointe-à-Pitre. De prime abord, ces déplacements sont normaux et nécessaires, mais l’état d’esprit de Josette à mesure qu’elle les effectue nous amène à les considérer comme des errances. En effet, tant qu’elle vivait auprès de Théodora, elle demeurait Josette Titus, la petite-fille chérie de Théodora Titus, sage et pieuse, mais une fois qu’elle quitte Marie-Galante, elle perd peu à peu cette nouvelle identité. Chaque va-et-vient entre Marie-Galante et Pointe-à-Pitre perturbe davantage la personnalité de la jeune fille qui finit par se scinder en deux. D’un côté, à Pointe-à-Pitre elle se considère et vit comme la Joséphine élevée par Tata Michelle et de l’autre, à Marie-Galante, elle reprend la personnalité de Josette Titus inculquée par sa grand-mère et qui est aux antipodes de celle de Tata Michelle. Incapable de s’affranchir une fois pour toutes de l’une de ces identités ou de les rejeter carrément, Josette, perdue arbore l’une comme l’autre selon les circonstances :

J’allais entre Marie-Galante et la Guadeloupe, de la même façon que je voguais entre le passé hanté et ce futur tant espéré. Ballottée entre Théodora la trop pieuse et Margareth

l’acerbe. Au gré des confidences de Mme Bella. Au fil du vent, entre haine et amour, ne

sachant que penser des demi-vérités et des révélations inachevées qui surgissaient ici et

là, tels des fantômes que chacun fuyait à son tour. J’avais hâte de regagner la France, d’habiter seule dans cet appartement qui m’attendait à Paris. Et sauter dans un train pour tomber dans les bras de Tata Michelle489.

Josette a hâte de repartir en France pour fuir les secrets et les mensonges des membres de sa famille et cesser enfin de mener cette double vie entre Josette et Joséphine, c’est surtout mettre un terme à cette angoisse existentielle et à cette errance cruelle qui empoisonnent son existence, du moins c’est ainsi que Josette appréhende les choses. Aussi regagne-t-elle la France remplie d’espoir et d’espérances :

Je sentais grandir en moi le bonheur du retour. Je rentrais au pays, pareille à l’enfant

prodigue à qui il tarde de revoir les siens. […] C’en était fini du bagne et de l’exil. J’allais retrouver la ferme de mon enfance, Tata Michelle et sa salade frisée. […] Et je reprendrai

ma place à la table de la salle commune entre Tata Michelle et Mémé. Et nous causerons

489

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toutes trois du temps qui court et des voisins, nous donnant l’illusion de ne jamais avoir

interrompu notre conversation490.

La continuité de ses études est loin d’être la raison principale du voyage de Josette. Ce

qui la motive avant tout c’est le fait de retrouver son ancienne famille de substitution dans la

Sarthe et de reprendre naïvement cette identité de Joséphine laissée de côté pendant qu’elle

vivait avec Théodora. Ce passage met aussi en évidence le fait que Josette a vécu ces neuf ans passés aux Antilles comme un exil ; quitter la Guadeloupe c’est donc rompre avec l’exil, un exil qui a surtout affecté son identité puisque durant celui-ci elle est passée de Joséphine à Josette, donc d’une identité à une autre. Elle a été exilée d’une identité au profit d’une autre. Une fois de plus, le voyage de Josette est associé à la quête identitaire ; plus que de simples retrouvailles avec sa famille de substitution, ce voyage est une reconquête identitaire. Tous les voyages effectués par Josette (redevenue définitivement Joséphine) de l’enfance à l’âge adulte ont en toile de fond la quête d’une identité. C’est ainsi qu’après plusieurs années d’errances intellectuelles, amoureuses et professionnelles infructueuses à Paris, Josette décide de repartir dans la Sarthe pour trouver des réponses aux interrogations existentielles qui la tourmentent

depuis qu’elle est petite.491

De même le voyage qu’elle entreprend pour la Sarthe et la Guadeloupe quelques mois plus tard après que sa mère adoptive lui a révélé une partie de son passé, est au départ un

voyage visant la promotion de son livre Sous le signe de Joséphine, mais cette promotion est

déjà elle-même associée à son identité tumultueuse puisqu’elle nécessite un passage dans les lieux qui ont façonné sa double identité. Josette n’en est pas dupe puisque son retour en Guadeloupe réveille en elle bon nombre de souvenirs :

Et je fis un bond de dix ans en arrière. J’étais à l’aéroport prête à m’envoler, avec toute ma rancœur et des valises pleines de certitudes. J’avais juré de ne plus remettre les pieds en Guadeloupe. […] Je détestais Théodora, tout ce qu’elle représentait, ses silences et ses secrets, ses crises d’étouffement et ses déluges, sa piété et son honneur. Et je

haïssais aussi Margareth, ses romans, la fumée de ses cigarettes, ses grands boubous

africains. J’étais sûre que la Guadeloupe ne me reverrait jamais, que mon temps de bagne était achevé. Et j’étais de nouveau là492.

Ici, Josette assimile son enfance passée en Guadeloupe à l’exil et au bagne, donc à un temps d’emprisonnement, de galères et de souffrances. Son départ des Antilles dix ans plus tôt a été pour elle une délivrance et une libération. En effet, en abandonnant les Antilles, c’était en quelque sorte cette identité de Josette dans laquelle Théodora l’avait enfermée qu’elle abandonnait ; cette identité de Josette était indissociable de Théodora la grand-mère 490 Idem., p. 207. 491 Cf. p. 254-258. 492 Idem., p. 272.

194 secrète et trop pieuse et de Margareth la femme de lettres hautaine et suffisante. Revenir ainsi sur les traces de son enfance antillaise c’est comme renouer avec son identité de Josette Titus, la petite-fille de Théodora Titus, une identité qu’elle a toujours porté malgré elle et pour les circonstances et non par plaisir. Au terme de son séjour à Marie-Galante, il devient évident que le retour aux Antilles n’est pas seulement lié à la promotion du livre de Josette (Joséphine), mais il est aussi lié à une quête celle de la vérité. Nous retrouvons en effet une Josette révoltée contre les secrets de Théodora et bien décidée à connaître toute la vérité sur l’histoire de sa mère et celle de sa naissance :

Mes doigts tremblaient. Je serrai les poings sur la table. D’un coup les bonnes résolutions que j’avais prises s’évanouirent. Je repoussai ma chaise avec rage et haussai le ton. […] « Reniée trois fois ! J’ai entendu ça des milliers de fois! Qu’est-ce que ça veut dire à la fin ? […] Nous restâmes un moment à nous dévisager. Elle, d’un regard

énigmatique avec acuité. Moi, déboussolée. « Reniée trois fois. Qu’est ce que ça veut

dire ? Murmurai-je, le ton suppliant ?493

Josette qui s’attendait à des révélations sur son enfance est furieuse lorsqu’elle constate que Théodora n’a aucune intention de lever le voile sur tous les secrets qui empoisonnent sa vie. La colère violente de Josette finit par céder la place au désespoir, aussi supplie t-elle Théodora de lui avouer la vérité. Mais une fois de plus comme dix ans plus tôt, Josette reprend l’avion pour la France dans un état déplorable, plus tourmentée que jamais par tous les mystères autour de sa vie et de sa famille que Théodora s’obstine à ne pas lui révéler. Et ce n’est que de retour en France, après avoir questionné Margareth qu’elle apprend enfin la vérité sur sa famille et sur les premières années de sa vie. Finalement, les déplacements de Josette obéissent dans une certaine mesure à la nécessité de se libérer de cette angoisse existentielle due à la perte de ses repères identitaires. Voilà pourquoi il est possible d’affirmer que les voyages de Josette sont des errances.

Comme Josette, Marie-Noëlle effectue également plusieurs déplacements qui font d’elle une jeune femme errante. A la Pointe, alors qu’elle vivait encore sous le toit de Ranélise, elle errait déjà entre la rue de Nozières et le canal Vatable à la recherche d’une chose qu’elle avait du mal à définir. Ce malaise existentiel déjà perceptible chez Marie-Noëlle dans sa jeunesse s’accentue au fur et à mesure qu’elle grandit et qu’elle est confrontée à l’attitude étrange et indifférente de Reynalda. Mal aimée et ignorée par sa mère, partagée entre haine et amour à son égard, Marie-Noëlle décide de partir. Elle part d’abord pour fuir sa mère et les souffrances que lui provoque son insensibilité; elle part ensuite parce qu’elle veut donner un sens à sa vie

et il lui semble que pour y arriver, elle doit à tout prix découvrir ce qui s’est passé dans la

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195 jeunesse de sa mère et qui explique ses attitudes étranges, mais aussi pour savoir d’où elle vient, qui est son père et pourquoi elle a été abandonnée. Après avoir vécu plusieurs années aux Etats-Unis, sans pourtant réussir à donner un vrai sens à sa vie, mais surtout sans oublier Reynalda et toutes les interrogations qui demeurent sans réponses sur la question de son identité, Marie-Noëlle décide de mettre un terme à cette vie de fuites et à tous ces mystères sur son identité, l’histoire de sa mère et celle de sa grand-mère en repartant à la source de tous les secrets, la Guadeloupe.