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- L’apparence physique

2) L ’école et l’instruc tion

Les études constituent également un espace à travers lequel Joséphine, Leïla et Marie-Noëlle affichent leur rébellion contre la figure maternelle. Prenons d’abord le cas de Joséphine. Durant les années qu’elle passe auprès de Théodora, le rêve de Joséphine c’est de poursuivre des études en médecine et devenir docteur. Les raisons de ce choix de carrière sont intimement liées à Théodora :

Je rêvais de devenir doctoresse spécialiste de la tête et grand-mère me confortait dans cette idée. Année après année pour sa plus grande fierté, j’avais décroché les tableaux d’honneur. Je couvais de grandes ambitions. Plus tard, diplôme en poche, je voulais la guérir de la double peine qu’elle traînait depuis tant d’années. Je me disais que son

généraliste de Grand-Bourg n’était pas à la hauteur. Sûr, il existait un moyen d’empêcher ses crises d’étouffement et ses cris d’après minuit. Des pilules, des pastilles, des potions à inventer…408.

Au début de sa rébellion contre Théodora, Joséphine ne remet pas en question son orientation professionnelle et ses carnets scolaires sont toujours aussi irréprochables que

lorsqu’elle était « la Josette chérie de Théodora Titus »409. Mais au fur et à mesure que leurs

relations se dégradent, Joséphine modifie l’itinéraire de son avenir. Elle qui voulait se consacrer à la médecine dans l’espoir de guérir Théodora n’a plus qu’un seul désir quitter la Guadeloupe et ne plus jamais y remettre les pieds et surtout ne jamais revoir sa grand-mère : « je vais partir et je ne remettrai plus jamais les pieds à Marie-Galante…Tu ne me

407

Ibidem., p. 92. 408

Pineau, Gisèle, Fleur de Barbarie, op. Cit., p. 155-156. 409

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verras plus »410. Une fois son baccalauréat obtenu, Joséphine quitte la Guadeloupe et

consomme définitivement sa rupture avec Théodora en mettant un terme à ses études de médecine et en choisissant une carrière à l’opposé de celle que sa grand-mère avait rêvé pour elle :

Du jour au lendemain, j’avais abandonné mes études de médecine. Un temps, je m’étais rêvée actrice et j’avais suivi des cours de théâtre qui ne m’avaient mené nulle part. J’avais

fréquenté des garçons infréquentables, rencontrés dans les boîtes de nuit parisiennes où je

dilapidais l’argent de Margareth. J’avais entamé un Deug de lettres modernes que j’avais

laissé tomber pour travailler dans une bibliothèque de quartier. C’était, je crois à ce

moment-là je crois que j’avais décidé que j’étais un écrivain.[…] Chaque matin, je me

réveillais avec en tête une histoire neuve. Des manuscrits bâclés trônaient en permanence sur la table de la salle à manger. Trois débuts de romans cherchaient encore leur fin411.

En renonçant à ses études de médecine, Joséphine rompt le dernier lien qui la rattachait à Théodora et à son existence guadeloupéenne. Toujours sous l’emprise des rêves de Tata Michelle, elle s’imagine posséder des talents qui feront d’elle plus tard une star à l’image de Joséphine Baker, aussi s’essaie t-elle au cinéma et au théâtre. Le rejet du modèle maternel loin

d’aider Joséphine à s’épanouir comme c’est le cas pour Leïla et Halima révèle plutôt la

profondeur de sa crise identitaire. Car en rejetant le modèle maternel incarné principalement par Théodora, c’est aussi une partie de son identité qu’elle rejette ; ce sont en quelque sorte ses origines guadeloupéennes qu’elle renie. Le résultat de ce rejet est sans appel : Joséphine est perdue et ne sait ni qui elle est vraiment ni qui elle veut devenir, ce que révèlent ses errances intellectuelles et professionnelles. Désorientée et toujours en quête d’un modèle maternel fiable, elle abandonne tour à tour les rêves de Théodora et ceux de Tata Michelle et se décrète désormais écrivain, prenant exemple sur Margaret Solin, un célèbre écrivain qu’elle a longtemps chéri comme sa seule amie. La suite de son existence est alors de se prouver d’abord à elle-même, puis aux autres qu’elle est douée pour l’écriture et que malgré son enfance pénible et tumultueuse, l’abandon de sa famille et sa crise d’identité, elle n’est pas condamnée à l’échec et peut réussir sa vie.

A travers le personnage de Joséphine, nous pouvons lire la situation complexe d’un peuple entier en profonde crise identitaire : le peuple guadeloupéen. En effet, comme Joséphine, les Guadeloupéens sont partagés entre une identité française représentée dans le texte par Tata Michelle et une identité antillaise renvoyant à leurs origines africaines et à leur passé esclavagiste et colonial, incarnée par Théodora. Joséphine est tourmentée par son enfance douloureuse et essaie de tirer un trait sur son passé en remettant en question chacune de ses

410

Idem., p. 199. 411

154 identités, celle héritée de Tata Michelle et celle attribuée par Théodora, mais n’y parvient pas et se retrouve désorientée et sans repères. De même le peuple guadeloupéen marqué par son

histoire a souvent tenté de se définir soit en rejetant ses origines africaines412 au profit d’une

assimilation française, soit en rejetant la culture occidentale pour se concentrer sur son ascendance africaine ou sur son identité antillaise et créole. Mais son rejet de l’une ou l’autre des composantes de son identité n’a conduit qu’à l’échec ; en témoignent les différents mouvements sociaux, politiques et littéraires de quête et de revendication identitaires qui ont

jalonné l’histoire du peuple guadeloupéen413: Négritude, Antillanité, Créolité, au point que ce

peuple se retrouve encore aujourd’hui désorienté et en pleine crise identitaire.

Après de nombreux échecs, Joséphine décide d’assumer son passé et ses deux identités et de se consacrer à l’écriture, qu’elle considère désormais comme la voie de sa réussite prochaine, l’issue à sa crise d’identité. On pourrait voir là un message de l’auteur : Pour sortir de la crise, le peuple guadeloupéen et d’une manière plus générale, les peuples antillais doivent connaître et accepter leur passé et le caractère hybride et pluriel que ce dernier confère à leur identité. Joséphine se tourne vers l’écriture pour s’affranchir de ses démons. Ainsi, l’écriture en tant qu’appropriation de soi est peut-être la voie royale qui permettrait aux Guadeloupéens de sortir de leur crise identitaire et de trouver un équilibre, ou un consensus entre leur identité française et leurs origines africaines. A la fin du roman, Joséphine découvre enfin la vérité sur sa famille et décide de ne plus se laisser submerger par son passé, mais de vivre désormais pour le présent et l’avenir. Ce serait peut-être finalement ce que Gisèle Pineau exhorte le peuple guadeloupéen à faire : accepter son passé douloureux, assumer la complexité et la diversité de son identité issue d’une histoire peu glorieuse et se concentrer sur le présent et l’avenir.

L’attitude de Marie-Noëlle quant à elle, relève plus de la résignation que de la révolte. Devant l’indifférence et l’apparente insensibilité de sa mère, Marie-Noëlle, profondément meurtrie, se referme sur elle et prend le parti de subir. Elle ne se rebelle pas comme Leïla et Joséphine ; peu combattive, elle abandonne tout effort d’attirer l’attention de Reynalda et ne s’intéresse plus à rien. C’est sa façon à elle de manifester son refus face à l’attitude maternelle :

412

Le peuple guadeloupéen, comme tous les autres peuples antillais possède, des origines multiples car il est un mélange de différentes races et nations. Cependant nous insistons sur son ascendance africaine car cette dernière a souvent fait l’objet de revendication ou de rejet.

413

Ces mouvements sociaux, politiques et littéraires ne sont pas propres à la Guadeloupe. La Négritude par exemple prend ses sources aux Etats-Unis avec La Harlem Renaissance. Quant à l’Antillanité et la Créolité, ce sont des courants de pensée aussi chers aux Martiniquais qu’aux Guadeloupéens et à d’autres écrivains des Antilles.

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L’année suivante, Marie-Noëlle qui, à l’école, avait toujours pris sa place dans le

peloton de tête rejoignit ceux qui, classe après classe, professeur après professeur

s’entendent prédire un avenir sans lumière. Plus rien ne l’intéressait. L’existence était

devenue une suite de gestes sans rime, ni signification […] Pourquoi ne pas naviguer tout

de suite vers ce rivage planté de lotus, de bleuets et de papyrus géants que décrivent les Egyptiens d’antan ? Dans le bruit des sistres, recevoir ses deux âmes et attendre le moment de renaître en priant pour que, cette fois la vie soit moins marâtre 414.

Marie-Noëlle souffre si cruellement du manque d’amour maternel qu’elle en vient à désirer la mort, état à son avis moins douloureux que sa situation actuelle auprès de sa mère, de son beau-père et de son demi-petit frère, famille dont elle se sent exclue. Le suicide est un refus. Refus d’accepter une existence cruelle, de continuer à subir et à souffrir aussi bien

physiquement que mentalement. C’est aussi une forme de résignation car celui qui met un

terme à sa vie décide de ne plus faire d’efforts et de ne plus se battre pour améliorer son quotidien. Enfin, le suicide est une délivrance puisqu’avec la mort qu’il entraîne, il met fin à tous les chagrins et douleurs. C’est pour ces raisons que Marie-Noëlle en vient à souhaiter

mourir, pour mettre un terme à sa vie qui n’a plus de sens. Naturellement donc, l’école n’a

plus d’intérêt à ses yeux, son avenir non plus, si bien qu’elle multiplie les mauvaises notes et la situation s’aggrave d’année en année à tel point qu’elle est menacée d’être renvoyée du collège. Marie-Noëlle ne se ressaisira qu’une fois au Sanatorium de Vence. C’est là que, parmi d’autres tuberculeux et loin de sa mère Reynalda, elle reprend goût aux études et décroche son baccalauréat. L’échec scolaire de Marie-Noëlle est associé à sa proximité physique avec Reynalda, tandis que sa réussite l’est à son éloignement. A Vence, Marie-Noëlle redécouvre le bonheur, bonheur qu’elle ne connaissait plus depuis qu’elle avait rejoint sa mère à Paris. Force est de constater que la jeune femme ne s’épanouit que lorsqu’elle est éloignée de sa mère.