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PREMIERE PARTIE : TEXTES ET CONTEXTES

1) Le contexte maghrébin

Le Maghreb, et particulièrement l’Algérie, est inscrit dans une succession de conquêtes dont le début remonte aux Phéniciens qui ont établi des bases portuaires marchandes, auxquels ont succédé les Empires de succession hellénistique, romains et byzantins, ensuite les conquêtes arabo-musulmanes, les Turcs et la domination ottomane et enfin la France. Des conquêtes coloniales, celle de l’Algérie fut sans conteste l’une des plus difficiles. En effet, elle se déroule en plusieurs étapes et dure plusieurs décennies. Elle commence en 1830 par la prise de la Régence d’Alger, partie septentrionale de l’Algérie et se poursuit d’abord jusqu’en

1847, date à laquelle l’émir Abd El-Kader remet sa reddition aux troupes françaises. Les

territoires de l'ex-régence d'Alger et ceux de l'État algérien sont annexés à la France en 1848 par la création de trois départements (Département d'Oran à l'ouest, Département d'Alger au

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Haïti, Ancienne Saint-Domingue s’étant historiquement démarquée de la Guadeloupe et de la Martinique dès le début du XIXe siècle avec la proclamation de son indépendance, nous ne rappellerons pas les grands événements qui ont jalonné son histoire.

29 centre et Département de Constantine à l'est). La dernière étape concerne le sud algérien et est la conquête de mai à décembre 1902 qui prend fin avec le traité de soumission de la

Confédération touarègueKel Ahaggar du Sahara en décembre 1902. Ceci entraîne la création

des Territoires du Sud le 24 décembre 1902, qui sont ensuite rattachés à l'Algérie et annexés à la France le 7 août 1957 avec la création des deux départements du Sahara (Département de la Saoura à l'ouest et Département des Oasis à l'est).

Dès 1830, la conquête de l'Algérie est accompagnée d'une colonisation de peuplement : A ce propos le géographe Yves Lacoste déclare :

En Algérie, il s’est agi d’une colonisation de peuplement qui chercha à chasser les

populations autochtones de leur terre (« refouler les Arabes au désert », déclara-t-on officiellement) pour les remplacer par des paysans sans terre dont le nombre devenait un danger en France61.

Les paysans et militaires français deviennent donc des colons en s'installant et aménageant le territoire conquis. Les pionniers sont par la suite rejoints par des compatriotes tels les Corses ou les Alsaciens-Lorrains dont la région a été annexée par l'Allemagne en 1870, et également par des immigrants étrangers arrivant par vagues successives des pays méditerranéens frontaliers, surtout d'Espagne, mais aussi d'Italie et de Malte, possession britannique depuis 1814. La France établit en Algérie un régime civil qui marque d’après Jean

Ganiage « le début d’une politique d’assimilation »62 ayant pour but de « satisfaire la

revendication essentielle des Européens d’Algérie en dotant leur pays de structures

administratives aussi proches qu’il se pouvait de celles de la Métropole »63. Sous la

colonisation française, les divers services administratifs et locaux sont rattachés directement au ministère parisien compétent. Les affaires algériennes se trouvent de la sorte réparties entre les attributions de plusieurs départements ministériels. Après l’échec de ces manœuvres politiques et administratives, la France décide de recourir à un système plus décentralisé des affaires algériennes. Les lois mises en place permettent « la spoliation du paysannat

algérien »64 puisque celui-ci est dépossédé de ses terres au profit des colons français.

61

Lacoste, Yves, « Géopolitique du Maghreb » in Camille Lacoste-Dujardin, Yves Lacoste (Dir.), Maghreb, peuples et civilisations, Paris, Editions La découverte, 2004, p. 28. Première édition, 1995.

62

Ganiage, Jean, Histoire contemporaine du Maghreb de 1830 à nos jours, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1994, p. 229.

63

Ibidem., pp. 229-230. 64

30 Après plus d’un siècle de colonisation, l’Algérie qui réclame son indépendance entre en guerre contre la France en novembre 1954. Cette guerre appelée par les Algériens, « guerre de libération » dure huit ans et se conclut par les accords d’Evian qui mettent fin à la guerre et débouche sur une Algérie libre et indépendante. Après cette guerre, les Français et les autres communautés installés en Algérie quittent le territoire algérien. Quelques décennies plus tard, précisément au début des années 90, l’Algérie est de nouveau en guerre, mais cette fois c’est une guerre civile sanglante qui coûtera plus de 100.000 morts à la nation et durera dix ans, de 1992 à 2002. Après cette guerre, des conflits civils, mais d’une moindre ampleur ont continué de secouer l’Algérie jusqu’à nos jours.

Comme sa voisine l’Algérie, la Tunisie a vécu également plusieurs invasions et subi différentes influences : mille ans de conquête carthaginoise, associés à quatre siècles romains, un siècle d’occupation vandale, un interrègne Byzantin, la conquête arabe, trois siècles de domination turque et enfin trois quarts de siècle de présence française.

Les conquêtes de la Tunisie et du Maroc sont beaucoup moins longues et difficiles que celle de l’Algérie. Elles sont également beaucoup plus tardives et ne relèveront que très partiellement de la colonisation de peuplement. A ce sujet, Yves Lacoste écrit :

Il s’est surtout agi de colonisation d’encadrement ; la France de la fin du XIXe et du début du XXe siècle n’avait en effet plus d’excédent démographique. Pour les milieux

impérialistes, l’enjeu était double: il s’agissait soit de tenir des positions stratégiques aux flancs de l’Algérie et en Méditerranée – ce fut notamment le cas de la Tunisie – soit

d’empêcher d’autres puissances de s’y installer. Dans le cas du Maroc, aux intérêts

stratégiques s’est ajouté celui d’importantes richesses minières65.

Les raisons de la présence française en Tunisie et au Maroc n’étant pas les mêmes qu’en Algérie, ces deux pays deviennent des protectorats français. La Tunisie devient véritablement un protectorat français le 12 mai 1881 lorsque le bey Mohamed Sadok contraint par le consul Roustan et le général Bréart, signe le traité de protectorat reconnaissant ainsi à la France le droit d’occuper militairement son pays. La Convention de la Marsa, en juin 1883 entre le bey de Tunis Ali et le résident Paul Cambon précise le contenu du régime de protectorat selon lequel la gestion administrative, politique et économique de la Tunisie est désormais sous autorité française. La Tunisie étant un protectorat, la politique qui y est menée est assez différente de celle que les Français mènent en Algérie. Ainsi alors que la politique administrative en Algérie est basée sur l’assimilation, en Tunisie

Les contrôleurs civils, qui relevaient directement de la Résidence, se superposaient à

l’administration tunisienne qu’ils étaient chargés de surveiller. Toute la correspondance

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31 des caïds devait passer par leurs mains. Le résident leur demandait des rapports, des suggestions en matière d’économie ou d’administration. Vis-à-vis des Français, ils jouaient en même temps le rôle de vice-consuls, voire de notaires. Dans les territoires militaires du Sud, ces attributions étaient dévolues aux officiers des Affaires indigènes66. Ces différences administratives sont également perceptibles sur le plan de l’éducation. En effet, le Résident Paul Cambon, décide de mener en Tunisie une politique scolaire visant à respecter les institutions préexistantes. C’est ainsi que « les Tunisiens, gardant leur identité nationale, devaient conserver leur système éducatif traditionnel auquel les Français

apporteraient les seules modifications dont la nécessité s’imposait à tous »67.

Durant la Seconde Guerre Mondiale, l’invasion de la Tunisie par l’armée allemande met temporairement fin au protectorat français, mais il est rétabli en 1944. Le contexte

d’après-guerre est celui de la montée des actions indépendantistes dans l’ensemble des pays soumis.

Le 21 avril 1955, La Convention franco-tunisienne voit le jour au cours d’une rencontre entre Edgar Faure et Habib Bourguiba à Paris. Puis, après l’accession du Maroc à l’indépendance, le 2 mars 1956, c’est au tour de la Tunisie de devenir indépendante. Le 25 juillet 1957, Habib Bourguiba est élu président de la République tunisienne. Après son indépendance, la Tunisie connaît des troubles politiques, économiques et sociaux importants à l’instar de tous les pays anciennement colonisés. En février 1989, elle entre dans l’Union du Maghreb arabe aux côtés de l’Algérie, du Maroc, de la Mauritanie et de la Lybie.

Aussi bien en Algérie, en Tunisie qu’au Maroc, la domination française a été ressentie comme un choc car elle a entraîné comme l’écrit Rachid Mimouni « la fin d’un monde et l’inévitable confrontation avec la modernité, qui rend brutalement désuètes toutes les valeurs

qui fondaient la société maghrébine »68. Les populations maghrébines se retrouvent donc

partagées entre deux univers opposés. Les pouvoirs nationaux qui s’installent aux indépendances proclament une renaissance culturelle et le retour à la langue arabe « parée des vertus de l’authenticité, qui saura allier l’expression de la spécificité du Maghreb à une

nécessaire démarche moderniste »69 tous les apports des civilisations ayant conquis le

Maghreb comme les Grecs, les Latins, les Phéniciens. Mais cette démarche moderniste est contrecarrée par la montée en puissance des mouvements intégristes de sorte que le Maghreb

« reste une zone de confluence, à la mêlée des eaux »70 oscillant entre un Occident laïque dont

66

Ganiage, Jean, Histoire contemporaine du Maghreb, op. Cit., p. 302. 67

Katan Bensamoun, Yvette, Le Maghreb. De l’empire ottoman à la fin de la colonisation française, Paris, Belin, 2007, p. 255.

68

Mimouni, Rachid, « A la mêlée des eaux » in Maghreb, peuples et civilisations, op. Cit., p. 93. 69

Ibidem., p. 94. 70

32 l’histoire l’a rapproché et un Orient musulman auquel il est lié par la religion, la langue et certaines traditions.

Cet entre-deux du Maghreb entre l’Orient et l’Occident est manifeste dans la littérature

maghrébine d’expression française et notamment dans Les Hommes qui marchent de Malika

Mokeddem et La Deuxième épouse de Fawzia Zouari. Les Hommes qui marchent, évoque

d’ailleurs l’histoire de l’Algérie, d’abord à travers le personnage de la Grand-mère qui raconte l’existence du peuple nomade sous la colonisation française. Ensuite, à travers le personnage

de Leïla qui vit les dix premières années de sa vie sous la domination française. Les Hommes

qui marchent parle également la guerre d’indépendance d’Algérie et ses conséquences sur la nation algérienne tout entière ; enfin, il parle de la période postindépendance et des dérives du nouveau pouvoir algérien. Il est vrai que contrairement à Malika Mokeddem, Fawzia Zouari

ne fait pas du passé historique de la Tunisie, une toile de fond pour La deuxième épouse, mais

ce roman fait tout de même référence à l’histoire contemporaine de l’Algérie car il évoque à travers la famille de Rosa Bennaceur, le destin des Harkis, ces Algériens qui ont combattu contre leur pays aux côtés de la France et qui, rejetés par leurs compatriotes ont dû quitter l’Algérie pour préserver leur vie.