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d’Afrique de l’ouest

P- Paragraphe 2 : La considération néanmoins méfiante du mécanisme d’arbitrage investissement

3) La technicité et la diversité des procédures

100. Conçue comme instrument et technique juridique de règlement des différends de la vie des affaires, dans les pays développés, l’arbitrage constitue dans les pays d’Afrique de l’ouest un instrument dont les différents États ne parviennent pas à saisir tous les contours tant il fait intervenir des mécanismes, des pratiques et des procédures qui ne sont pas dans les pratiques juridiques habituelles de cette région355. L’arbitrage commercial et l’arbitrage

350Voir Eisenmann F., « La double sanction prévue par la Convention de la BIRD, en cas de collusion ou

d’ententes similaires entre un arbitre et la partie qui l’a désigné », AFDI, 1977, p.436

351Triomphe du libéralisme économique et des instruments du marché qui sont devenus planétaires. Cela a eu des conséquences sur le règlement des différends qui a tendance à s’uniformiser à travers l’arbitrage ad-Hoc et institutionnel.

352

L’expression est du célèbre juriste M. Ibrahim Shihata ancien conseiller juridique de la Banque Mondiale dans « Towards a Greater Depoliticization of Investment Disputes : the Roles of ICSID and MIGA, » 1 ICSID Rev.-FILJ 1 (1986)

353

Voir art. 26 de la Convention de Washington du 18 mars 1965 portant CIRDI

354Voir Ben Hamida(W.) L’arbitrage transnational unilatéral-Réflexions sur une procédure réservée à

l’initiative d’une personne privée contre une personne publique. Thèse Paris II Assas, 2003

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Toutefois, l’Afrique de l’Ouest cesse d’être un « ilot d’ignorance » en matière d’arbitrage comme mode de règlement des litiges en matière de règlement des différends. Cette conception de « légitimation » de l’arbitrage africain se traduit sur le plan intercommunautaire par la mise en place de la Cour Commune de justice d’arbitrage qui siège à Abidjan (Côte d’Ivoire) lors du Traité de Port Louis (Ile Maurice) en 1993. Cette juridiction communautaire conçue pour régler les litiges commerciaux d’ordre contractuel initialement, se montre compétent pour régler les litiges relatifs aux investissements. Selon l’auteur Gaston Kenfack Douajni

« l’instrument relatif à l’investissement qui sert de fondement à l’arbitrage dans ce contexte est, soit une loi relative à l’encouragement ou à la protection des investissements unilatéralement adoptée par un Etat, soit un traité bilatéral ou multilatérale d’encouragement ou de protection des investissements auquel cet État est partie » Voir G. K. Douajni « L’arbitrage CCJA et les litiges relatifs aux investissements » pp.261-282 in

« L’arbitrage en matière commerciale et des investissements en Afrique Sd de G.K.Douajni Actes du Colloque organisé par l’Association pour la promotion de l’arbitrage en Afrique(APAA) les 13 octobre et le 1er novembre 2013 à Yaoundé(Cameroun) p. 265 . De même, la « légitimation » de l’arbitrage communautaire africain se traduit par la référence dans les instruments juridiques nationaux relatifs aux investissements étrangers à l’instar de celui du Mali qui dispose dans son article 29, que : « Le recours à l’arbitrage se fera suivant l’une des

d’investissement sont des techniques juridiques originales souvent vantées pour leur rapidité, souplesse procédurale, confidentialité et absence de publicité contrairement aux procès356. Toutefois, à la faveur de l’évolution du droit des investissements, les errements jurisprudentiels du CIRDI à propos de la définition de l’investissement, l’autorité des clauses compromissoires consacrant la compétence du CIRDI, la détermination de la nationalité et l’identité des parties, la nécessité d’épuiser les voies de recours internes, l’arbitrage a les mêmes inconvénients que la justice interne357.

101. Ces hypothèses complexes (à la faveur de la mondialisation financière et le regroupement des entreprises en firmes géantes, holdings avec des filiales éparpillées à travers le monde) compliquent la procédure et la détermination réelle des parties en différends. Elles se sont posées dans le contentieux CIRDI intéressant les pays d’Afrique. Le professeur Saidou Nourou Tall le résume succinctement ainsi :

« Le schéma initial opposant l’Etat à l’investisseur est rendu plus complexe par les divers

montages juridiques. La société qui investit, peut créer des filiales pour exécuter l’opération d’investissement, ou former une entreprises conjointes ou joint-venture avec des sociétés locales358. Il en résulte la possibilité d’intervention dans les accords postérieurs, des sociétés filiales aux cotés de la société-mère. Incidemment, cette hypothèse s’est vérifiée dans une affaire opposant un État à une société italienne agissant de son propre chef et pour le compte d’une société suisse détenant 10% des actions saisies par l’Etat congolais359. La réponse du Tribunal, empreinte de sagesse, révèle, en l’espèce, l’existence d’une stipulation pour autrui entre AGIP(le stipulant), la société suisse (tiers-bénéficiaire) et le gouvernement congolais(le promettant). Ces montages, à l’initiative des parties, compliquent à loisir les différends soumis »360.

102. Finalement, l’arbitrage présente les mêmes inconvénients que le système judiciaire traditionnel qu’il est censé corriger. Malgré la clarté voulue par la Convention du CIRDI qui détaille bien la procédure, pour, éventuellement, mettre en accord les parties quant à la demande d’arbitrage, et selon laquelle « Un État contractant ou le ressortissant d’un État

contractant qui désire entamer une procédure d’arbitrage doit adresser par écrit une requête à cet effet au secrétaire général, lequel en envoie copie à l’autre partie.(2) La requête doit

procédures ci-après : la procédure de conciliation et d’arbitrage découlant soit d’un commun accord entre les parties, soit d’un Accords bilatéraux conclus entre la République du Mali et l’Etat dont l’investisseur est ressortissant ; les dispositions de la Convention du 18 mars 1965 créant le CIRDI… ;l’Acte Uniforme relatif au droit de l’arbitrage adopté le 11 mars 1999 par l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique(OHADA) », de la Loi n°2012-016 du 27 février 2012 portant Code des investissements du Mali

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Voir Roche Jacques-J L’arbitrage : dessaisissement des pouvoirs régaliens ?, in Gestion des risques internationaux SD, Ed Economica, 2001, Paris, pp-277-288, p.282

357

Le mécanisme qu’on considère comme rapide, efficace et adapté a fini par avoir les mêmes inconvénients que la justice classique (lenteur, cherté pour les pays en développement et surtout technicité de la procédure.

358Voir Maritime International Nominees Establishmentc/République de Guinée (N°ARB/84/4), sentence du 6 janvier 1988 ; S.A.R.L. Benvenuti&Bonfantc/République du Congo (N°ARB/77/2), sentence du 8 aout 1980. 359Voir A.G.I.P.S.p.A.c/République du Congo (N°ARB/77/1), sentence du 30 novembre 1979, R.C.D..I.P. 1982, N°1, pp.92-109, note Batiffol

360Voir Tall (Nourou S.), « L’arbitrage des différends avec les investisseurs privés étrangers/ Les États

d’Afrique Subsaharienne devant le Tribunal du CIRDI », Revue EDJA N°56 Janv.-Fév.-Mars 2003,pp

contenir des informations concernant l’objet du différend, l’identité des parties et leur consentement à l’arbitrage conformément aux règlement de procédure relatif à l’introduction des instances de conciliation et d’arbitrage.(3) Le Secrétaire général doit enregistrer la requête sauf s’il estime au vu des informations contenues dans la requête que le différend excède manifestement la compétence du Centre. Il doit immédiatement notifier aux parties l’enregistrement ou le refus d’enregistrement.361 ».

103. Il en est de même, quant à la « constitution du Tribunal362 ». Le tribunal CIRDI juge des différends relatifs à l’investissement. Précisément des « différends d’ordre juridique en

relation directe avec un investissement363 ». Ceci pose l’étendue des compétences du tribunal instauré par les parties dans le cadre du contentieux de l’arbitrage institutionnel pourtant bien cadré par la Convention de Washington364. La doctrine internationaliste n’hésite pas à parler de « désordre procédural et normatif ». Devant cette évolution marquée par la complexité et la multiplication des procédures tant régionales qu’internationales, un auteur a pu parler à ce propos de « désordre procédurale et de concurrence des procédures »365. D’autres motivations sont avancées implicitement pour ne pas soumettre des litiges éventuels à l’arbitrage.

B : Les autres motivations de la réserve envers l’arbitrage

L’arbitrage est un défi pour les pays d’Afrique de l’ouest. C’est un mécanisme cher et couteux (1), avec des risques liés à la transparence de la procédure (2) et la contestation de

l’arbitrabilitè des litiges souvent soulevées par les pays d’Afrique de l’ouest (3). 1) Un mécanisme cher et couteux pour ces pays

104. L’arbitrage que ce soit ad hoc366 ou institutionnel est une justice privée dont l’inconvénient majeur, en tout cas pour les pays en développement est d’ordre financier367. Le

361

Voir Convention du 18 mars 1965 portant création du CIRDI art 36 du Chapitre IV « -De l’arbitrage », section 1 –De la demande d’arbitrage »

362

Voir Convention de Washington du 18 mars 1965 Section 2 « de la constitution du Tribunal » les art. 37, 38, 39, 40 précité.

363

Voir art.25 de la Convention de Washington du 18 mars 1965 portant CIRDI. Cet article fondement de la saisine du Tribunal a toujours fait l’objet de controverse portant sur le litige (controverse sur l’existence de l’investissement ou non).

364

Voir Convention du 18 mars 1965 section 3 « Des pouvoirs et fonctions du Tribunal » art. 41,42, 43, 44, 45, 46,47.

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Ben Hamida(W), pour cet auteur « L’existence de plusieurs offres d’arbitrage dans des conventions

internationales, bilatérales ou multilatérales, peut engendrer des conflits entre les arbitrages Etat-investisseur. Différents offres exprimées dans des instruments variés peuvent viser le même litige alors qu’elles ne sont pas soumises aux mêmes conditions et n’ont pas forcément le même régime juridique », Voir « L’arbitrage

Etat-investisseur face à un désordre procédural : La concurrence des procédures et les conflits de juridictions », A.F.D.I., 2005 Ed CNRS pp565-602 p.577

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La cherté de la procédure d’arbitrage dissuade les pays d’Afrique de l’ouest (dont la majorité a le statut de PMA) de soumettre certaines affaires à ce mode de règlement des différends. L’arbitrage ad Hoc est touché par cette cherté procédurière. L’exemple de la CIA de la Chambre de commerce international(CCI) de Paris est édifiant : « Pour un montant en litige jusqu’à 50.000 $ USA les frais ci-après sont réclamés :

-frais administratifs : 2.500$ USA ;

droit de l’arbitrage prévoit partout des frais de procédure et d’honoraires à verser aux arbitres368. Par conséquent, c’est aux parties en litiges de financer le procès. Pour ce qui est de l’arbitrage CIRDI les redevances sont institutionnellement fixées : « Les redevances dues par

les parties pour l’utilisation des services du Centre sont fixées par le Secrétaire Général conformément aux règlements adoptées en la matière par le Conseil administratif 369».Dans le

cadre de procédure de conciliation les redevances dues sont débitées à parts égales aux parties370. Pour l’article 61 donc : « (1) Dans le cas d’une procédure de conciliation les

honoraires et frais de membres de la Commission ainsi que les redevances due pour l’utilisation des services du Centre sont supportés à parts égales par les parties. Chaque partie supporte toutes les autres dépenses qu’elle expose pour les besoins de la procédure ».

105. Or pour ce qui est de l’arbitrage, le Tribunal fixe un montant et décide de la répartition entre les parties en litiges : dans l’alinéa 2, il est dit que : « Dans le cas d’une procédure

d’arbitrage le tribunal fixe, sauf accord contraire des parties, le montant des dépenses exposées par elles pour les besoins de la procédure et décide des modalités de répartition et de paiements desdites dépenses, des honoraires et frais des membres du Tribunal et des redevances dues pour l’utilisation des services du Centre . Cette décision fait partie

Le tarif est dégressif. Par exemple, pour un montant en litige, de 1.000.001,-à 2.000.000,-$ USA, le coût de l’arbitrage revient à :

-frais administratifs : 16.800,-$ USA + 0,70% du montant du litige au-delà de 1.000.000,-$ USA ;

-honoraires d’un arbitre : 11.250,-$ USA +0 ?50 du montant en litige supérieur à 1.000.000,-$ USA. Il s’agit de montant hors TVA. Les frais peuvent donc être fort élevés. », Voir Doctor Juris Jan Schokkaert « La pratique conventionnelle en matière de protection juridique des investissements internationaux Droit interne-Droit interne Conventions européennes », Bruxelles Ed. Bruylant 2006 232p. p.179

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Pour Heloise Hervé : « Les institutions administrant les arbitrages imposent en général divers frais

administratifs, y compris des frais d’enregistrement de la requête d’arbitrage. La Chambre internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (« CCI ») calcule les siens en pourcentage du montant réclamé avec un plafond à 500 millions de dollars en litige (soit 113 215 dollars pour l’intégralité de la procédure). De même, l’institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm (« SCC ») utilise un barème ad valorem avec un plafond fixé à 60 000 euros de frais administratifs. Par contraste, le (« CIRDI ») perçoit un droit de 25 000 dollars pour le dépôt d’une requête et des frais administratifs se montrant à 32 000 dollars par an après la constitution du Tribunal, cela sans plafond. Les frais administratifs du CIRDI dépendent donc directement de la durée de la procédure. » Voir H. Hervé « Les coûts de l’arbitrage d’investissement : un

défi à relever pour la justice arbitrale », pp 193-205, In Colloque « L’accès de l’investisseur à la justice arbitrale

Réflexions sur la proceduralisation du droit international de l’investissement » SD Arnaud de Nanteuil, Paris Ed

A. Pedone, 2015 p. 194 368

Pour ce qui du CIRDI , en vertu de l’article 14 du règlement administratif et financier et barème des frais de la structure en vigueur au 1 er janvier 2013 : « Un arbitre CIRDI est en droit de recevoir des honoraires de 3 000

dollars par journée consacrée à l’instance » Heloise Hervé « les coûts de l’arbitrage d’investissement : un défi àrelever pour la justice arbitrale » pp 193-205 p.195 In Colloque « L’accès de l’investisseur à la justice arbitrale Réflexions sur la proceduralisation du droit international de l’investissement », SD d’Arnaud de

Nanteuil , Paris Ed A. Pedone, 2015 p.195 369

Voir Article 59 Convention de Washington du 18 mars 1965 portant création du CIRDI Chapitre IV « Des

frais de procédure ». L’article 60 de la même Convention dispose à propos des honoraires que (1) « Chaque Commission et chaque Tribunal fixe les honoraires et frais de ses membres dans les limites qui sont définies par le conseil administratif et après consultation du Secrétaire général. (2) Nonobstant les dispositions de l’alinéa précédent, les parties peuvent fixer par avance, en accord avec la Commission ou le Tribunal, les honoraires et frais de ses membres ».

370Même si les investisseurs étrangers (souvent entreprises multinationales, Fonds Souverains Banque Internationales, personnes physiques fortunés sont beaucoup plus riches que les pays d’Afrique de l’ouest souvent ayant le statut de « pays en développement ou le statut de pays les moins avancés etc.

intégrante de la sentence. »371. Ainsi les honoraires des avocats, assistants deviennent très

chères comparées aux maigres budgets des États. Ce dernier est obligé de suspendre l’exécution du projet (par ailleurs crucial pour le développement du pays/ ou d’une région etc.) pour se consacrer au règlement du litige avec parfois des engagements financiers records en frais de représentation372. De la même manière, la cherté ne concerne seulement la phase procédurale. Celle à postériori est plus dommageable et risquée financièrement pour la partie défenderesse que constituent les pays en développement373. En effet, en cas de condamnation à payer des dommages et intérêts, la facture peut dépasser l’entendement et peser lourdement sur les finances publiques nationales et hypothéquant les perspectives de développement d’une certaine manière. Ainsi : « Dans l’affaire Occidental, l’Équateur a par exemple été

condamné à indemniser l’entreprise américaine à hauteur de 1 700 000 000 dollars ce qui représente une part substantielle du budget annuel de l’Etat (Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, CIRDI ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012 »374.

106. Dans le fond des affaires soumises à l’arbitrage deux voies sont prévues pour les coûts liés au procès. Selon un auteur, il s’agit de : « la méthode anglaise, la partie qui obtient gain

de cause s’exonère d’une partie ou de la totalité des coûts (« costs follow the event ») ; selon la méthode américaine, chaque partie doit supporter ses propres coûts »375 . L’arbitrage, tel qu’elle est conçue comme solution efficace et appropriée de règlement des litiges dans les relations d’affaires et de partenariat entre États et entreprises étrangères, présente aussi pas mal d’inconvénients, notamment les risques liés à la transparence de la procédure.