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Clichés : N. Lemoigne, ADES UMR 5185, 2003-2006

Au premier plan, jachère de l'année précédente (liuu), sur une parcelle anciennement plantée de macabo. Les tubercules se mettent en dormance sous la concurrence des adventices, pour démarrer à nouveau après défrichement. Au second plan, champ de macabo en culture dominante. En arrière plan, jachère plus ancienne comportant des ligneux de recrû. Hauteurs du village d'Ewonda.

Jachère de ligneux d'une dizaine d'années, correspondant à la désignation likomba lionge en langue mokpe. Village d'Ewonda. Au premier plan, mise en culture de plants de taro sur

buttes de terre et d'adventices enfouies. Au second plan, jachère récente à Pennisetum. A l'arrière plan, jachère ancienne. Il est fréquent de pouvoir observer les différents stades du système cultural aux alentours de la ceinture des villages wakpe, l'activité agricole étant plus soutenue qu'en altitude sur le versant. Hauteurs du village de Bonakanda.

Jachère d'une quinzaine d'années (likomba lionge en mokpe) jouxtant une parcelle fraîchement dégagée avant plantation (muunda). La technique de combustion lente des adventices enfouies (ankara) vient d'être pratiquée. Village d'Ewonda.

- Dimension du champ et recrû forestier

La taille des parcelles mises en culture par les communautés paysannes sur le Mont Cameroun varie peu car essentiellement déterminée par la force de travail disponible et les possibilités technologiques. Il s’agit d’une agriculture familiale, pratiquée sur des pentes fortes et difficiles d’accès. La main d’œuvre est rarement salariée et les travaux des champs se pratiquent à l’aide d’outils manuels dont le principal est la machette. Les sols volcaniques légers dispensent d’un matériel lourd de labourage et d’aération des horizons travaillés. Ces contraintes imposent donc le défrichement de parcelles dépassant rarement la superficie d’un demi hectare. Les surfaces les plus importantes sont rencontrées sur les terres basses occupées par les strangers qui s’associent souvent en GIC (Groupe d’Initiative Commune) et louent des parcelles à la déclivité moins prononcée. La taille réduite des défrichements d’altitude favorise le maintien d’un couvert forestier efficace : l’interruption du peuplement arboré reste ainsi anecdotique et la reconquête forestière, lors du retour à la jachère, se fait plus rapidement car les surfaces à recoloniser sont faibles. Sur le plan social, la culture itinérante représente un investissement en temps et en travail inférieur à tout autre mode d’agriculture dans ce contexte forestier. Les familles considèrent l’activité rentable car elle met à disposition des ressources sur le long terme, sans augmenter la charge de travail comme nous allons le voir.

- Culture et itinérance : un gage de diversité

L’itinérance est dans ce sens une donnée particulièrement importante. La mémoire des hommes n’est pas toujours fiable, et l’on oublie après un certain temps la localisation et l’auteur des parcelles très anciennement mises en culture. Voilà plus de deux siècles que les Wakpe travaillent les sols du Mont Cameroun et l’on doit percevoir l’espace forestier dans sa presque intégralité comme le fruit des remaniements culturaux successifs. L’homme et l’arbre entretiennent ce que Pelissier (1980 : 127) nomme cette « complicité paradoxale qui fait du

défricheur le protecteur de l’arbre et l’agent de son épanouissement ».

Les forêts du Mont, par le jeu de l’itinérance, présentent des stades de renouvellement très divers. Si les activités du volcan sont loin d’être étrangères à cet état de fait, il nous semble absurde de nier la part anthropique du phénomène. La morphologie forestière complexe

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découlant de la mosaïque des stades de régénération de la strate arborée constitue pour l’homme un atout exceptionnel. Sur le long terme, les générations successives privilégient les essences les plus utiles. Il ne s’agit pas à proprement parler de parcs arborés tels qu’on peut les rencontrer par exemple dans le nord du pays en zone sahélienne115, mais d’un formidable réservoir de ligneux disséminés dans la forêt et favorisés au fil des années pour leur intérêt particulier. D’un champ à l’autre, d’une jachère à l’autre, les besoins de l’homme transforment l’ordre des dominations végétales naturelles. Peu à peu, comme l’écrit encore Pélissier (1980 : 131), « la végétation

naturelle est source de produits dont la recherche déclenche la conservation et bientôt la sélection des espèces qui les fournissent ».

L’intérêt fondamental de ce processus de contrôle progressif d’un massif forestier est la disponibilité accrue, au fil du temps, des produits utiles à l’homme. Dans ce contexte, le champ n’est plus à considérer comme ressource alimentaire végétale unique, il n’est qu’un maillon éphémère de la chaîne de production. L’ensemble du massif forestier, composé de quelques champs en fonctionnement et surtout d’une multitude de jachères à des stades différents, contribue à procurer aux familles ce dont elles ont besoin. L’itinéraire emprunté par un paysan mokpe pour gagner son champ passe par des lieux hautement stratégiques. Qu’il s’agisse de fruits ramassés sur les arbres du sentier, des herbes médicinales pour ceux qui y sont initiés ou du gibier prélevé dans les pièges, la récolte quotidienne s’effectue autant sur le chemin que dans ce que l’on considère ordinairement comme le centre de production, le champ. Sans travail supplémentaire, la jachère fournit certaines cultures pérennes qui survivent à l’abandon de la parcelle telles que le manioc, le macabo ou l’igname.

Dans les systèmes d’agriculture itinérante du Mont Cameroun, la jachère possède un véritable rôle tampon. Lors des phases délicates de forte demande des produits maraîchers destinés à la vente sur les marchés, la disponibilité des familles pour l’entretien des parcelles vivrières diminue. La jachère fournit alors le nécessaire. Lors des périodes plus calmes où la demande se fait moins pressante, les paysans se consacrent plus volontiers au défrichement de nouvelles parcelles, en bref à la pérennisation du système pour les périodes délicates à venir. Le macabo en est un exemple caractéristique. Lors de l’abandon d’une parcelle, les pieds sont peu à peu envahis par les adventices et finissent complètement recouverts par la nouvelle végétation. Ces derniers se mettent alors en dormance et disparaissent à la vue. Lors du défrichement qui suit, quelques années plus tard, les pieds exposés à la lumière et libérés de la concurrence directe des végétaux sauvages, produisent à nouveau un feuillage et des tubercules. Ce phénomène est

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parfaitement maîtrisé par les Wakpe qui prévoient dans le plan de culture le renouveau du macabo. Cette particularité permet d’alléger considérablement l’effort qui découlerait du repiquage systématique des jeunes plants.

- Agriculture itinérante et peine au travail

A l’intérêt alimentaire qui découle de la sélection progressive des essences utiles par le jeu des jachères successives, il faut ajouter la diminution de la peine au travail. Les recrus forestiers, même sur jachère longue sont, de tous les témoignages que nous avons pu recueillir, de loin préférés pour une nouvelle mise en culture. Les arbres ressource (fruitiers, essences médicinales ou destinées à la menuiserie, etc.) déjà présents car épargnés lors de la précédente installation culturale, restent en l’état et seuls les ligneux indésirables de faible dimension sont brûlés. Une astuce consiste, lorsque la décision de défricher une parcelle est prise, à ne nettoyer que la moitié de la surface la première année, puis la deuxième moitié l’année suivante. L’intérêt réside dans la mise en culture non simultanée des deux moitiés du champ, permettant un étalement du potentiel de fertilité. Quand la production diminue sur la première moitié de la parcelle qui commence à montrer des signes d’épuisement, la seconde moitié prend le relais et continue à fournir, le temps d’effectuer un nouveau défrichement, le complément alimentaire. L’avantage d’une telle méthode est de répartir l’effort de travail sur deux ans tout en prolongeant la fertilité de la parcelle. Défricher un hectare d’un seul tenant demande beaucoup d’énergie pour une récolte abondante mais somme toute éphémère. L’étalement du défrichement, donc de la période de mise en culture qui s’ensuit, représente une sorte d’assurance à moyen terme et laisse le temps au paysan d’envisager un nouveau défrichement sur un autre emplacement116.

Dans tous les cas, le travail de défrichement sur ancienne jachère est moins pénible que dans une zone anciennement ou jamais encore touchée, où la densité d’arbres âgés est supérieure. Ndam (1995 : 68) rapporte d’ailleurs, sur les pentes du Mont Cameroun, l’existence de clairières naturelles appelées gnuawa où les arbres croissent de manière assez clairsemée, favorisant la pousse des herbacées. Ces endroits seraient particulièrement prisés des paysans pour l’installation des champs. L’auteur décrit un phénomène intéressant rapporté par ses informateurs. Les ligneux s’installeraient plus volontiers sur un gnuawa ayant déjà fait l’objet

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d’une mise en culture. Ndam conclut ainsi au rôle prépondérant de l’agriculture itinérante dans les processus de conquête du couvert forestier dans des zones qui naturellement resteraient clairsemées.

Un autre moyen de défricher la forêt en vue d’une mise en culture consiste à faire paître le cheptel. Bien qu’en large déclin depuis de nombreuses années en pays mokpe, le petit bétail autrefois signe ostentatoire de richesse, permet d’atténuer considérablement les efforts de nettoyage. Les anciens évoquent volontiers le souvenir de grands troupeaux parcourant la montagne pendant de longues semaines, les zones éclaircies revenant généralement au propriétaire du bétail.

- Les atouts du feu

Le système d’agriculture itinérante s’accompagne généralement chez les Wakpe de l’usage du feu. Nous avons pu observer plusieurs techniques facilitant considérablement le processus de défrichement. Au début de la saison sèche, en novembre, les Wakpe coupent à la machette les herbacées gênantes et les petits ligneux qu’ils laissent à sécher un certain temps sur le sol. Une fois secs, les végétaux sont rassemblés autour du tronc des arbres plus volumineux dont il aurait été difficile de venir à bout sans effort considérable. Les amas sont alors enflammés et les arbres brûlent avec les résidus de coupe. Dans certains cas, les paysans mettent directement le feu à la parcelle et le laissent courir dans les herbes en simple brûlis. Cependant cette pratique est plus rare car l’humidité permanente de la zone forestière entrave la combustion, sans compter le fait que les matériaux susceptibles de brûler sous un couvert forestier dense sont plutôt rares.

Bien que largement décrié dans la littérature, l’usage du feu, lorsqu’il est pratiqué dans de bonnes conditions, possède de nombreux avantages. Il diminue nous l’avons vu la charge de travail au moment du défrichement des parcelles à mettre en culture. Un nombre considérable de ravageurs des cultures ainsi qu’une partie des semences des espèces adventices qui ne demandent que l’éclaircissage pour germer, sont éliminés. Le feu permet la minéralisation immédiate des stocks de matière organique disponibles sur la parcelle.

« La cendre est un produit basique en raison de sa richesse en

potasse. Elle contient en outre des bases (Ca, Mg, K et Na), du phosphore et des oligo-éléments, dans des proportions qui reflètent le contenu minéral des plantes qui ont été brûlées. […] Les cendres se comportent donc comme un amendement basique, comme un engrais

minéral et éventuellement comme une source de silice. » (Bertrand et

Gigou, 2000 : 176)

En contact avec l’eau, les sels minéraux libérés deviennent assimilables par les racines des plantes. En parallèle, les micro-charbons de bois produits, stockent de façon plus pérenne le carbone de la matière organique, constituant pendant quelques années des réserves disponibles pour les essences maraîchères. Les résultats d’enquête sont unanimes, on constate une nette amélioration des rendements sur les deux, voire trois premières années de mise en culture. La pratique du brûlis cependant ne donne son plein potentiel qu’épaulée par des jachères suffisamment efficaces pour régénérer le stock de matière organique sous la forme d’un couvert végétal qui aura, entre autres avantages, celui de stocker l’eau de pluie tout en contenant l’érosion hydrique. En effet, il faut un certain temps pour compenser les effets destructeurs sur une partie de la pédo faune ainsi que le lessivage des particules fines.

Les paysans du Mont Cameroun ne s’y trompent pas et connaissent parfaitement les rapports directs entre passage du feu, temps de jachère et fertilité des sols. Les paysans allochtones venus s’installer récemment font face à un problème aigu de disponibilité foncière sur les parcelles louées. Convaincus de l’importance du repos des sols, ces derniers sont malheureusement souvent dans l’impossibilité de pratiquer la jachère faute d’argent. La location – lorsqu’elle est possible – atteint par endroits des prix très élevés. Dans le secteur de Maumu, les autochtones louent l’hectare 10 000 FCFA par an contre 40 000 FCFA pour les étrangers117. A Muea, on demande 42 000 FCFA par an et par hectare. Sur la route d’Ekona, un paysan d’origine bamiléké nous a dit louer à la CDC des terres épuisées pour 45 000 FCFA par an et par hectare118. Les prix ont semble-t-il considérablement augmenté depuis le début des années 1990 puisque Almy en 1991 (1991 : 17) fait état d’une moyenne de 10 000 FCFA par an et par demi hectare. La crise foncière qui touche actuellement la région n’est certainement pas étrangère à cette inflation.

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10 000 FCFA correspondent environ à 15 Euros. 118

Entretiens avec E. Samba, S. M. Molonge et S. Ibe le 14 décembre 2005 à Muea ; avec F. Wolete et V. Sama le 14 décembre 2005 à Maumu ; avec les planteurs de Soppo Likoko le 15 novembre 2005, etc. (cf. Annexes)

LE BRULIS SUR