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L’arbre, le champ et l’arbre : le cycle de la régénération

UNE SCIENCE DES SOLS

III – LES USAGES DE LA FORET, AUXILIAIRE DU SOL

1) L’arbre, le champ et l’arbre : le cycle de la régénération

a) Forêt et défrichement, une mort éphémère.

En premier lieu domine la forêt. Cette forêt dense, couvrant les pentes du Mont, est celle qui a marqué l’imaginaire wakpe depuis les premières incursions jusqu’aux jours présents. Selon les botanistes, elle est composée de strates bien définies, réparties selon des critères altitudinaux encore peu discutés (Déruelle 1982, Letouzey 1985).

Si le schéma théorique de zonalité observable dans certains endroits peu fréquentés par l’homme109 a servi de base à l’élaboration de quantité de projets internationaux de conservation de la nature110, force est de constater que l’anthropisation du domaine forestier sur l’ensemble du volcan est un fait ancien. Nous sommes convaincu que la main de l’homme est un facteur transformant capital dans la configuration des espaces forestiers du Mont.

Dès les premières années de la décennie 1920, l’administration britannique lance une série d’enquêtes sur le terrain pour évaluer la possibilité de mettre en place une zone forestière protégée sur les flancs du volcan : la Cameroon Mountain Forest Reserve. L’objectif officiel est la protection des massifs forestiers au bénéfice des populations, mais les correspondances échangées entre différents administrateurs alors en charge du dossier trahissent la volonté du gouvernement colonial britannique de faire main basse sur le bois précieux, en créant un dispositif de contrôle de la zone excluant les autochtones susceptibles de profiter de la ressource par l’exploitation des grumes ou par la pratique décriée de l’agriculture itinérante111.

La procédure d’établissement des limites de la zone protégée permet aux autorités certaines observations qui les amènent à conclure à une occupation régulière des pentes du

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Le versant sud du Mont Cameroun duquel a émergé le Mont Etinde est à ce titre exemplaire puisqu’il recèle encore aujourd’hui une couverture végétale continue du niveau de la mer à la limite de la végétation vers 3500 mètres d’altitude.

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On pourra citer à titre d’exemple l’emblématique Mount Cameroon Project, initié en 1986 par l’Overseas Development Agency (ODA, Grande-Bretagne). Le financement a contribué à réhabiliter le jardin botanique de Limbe et a donné lieu à des inventaires faunistiques et botaniques. La conservation des espèces est une priorité pour les organismes donateurs actuels (ODA, GTZ, GEF-Cameroun) qui financent actuellement un programme en collaboration avec les autorités locales et les chefs coutumiers sur une zone d’intervention de 2500 km2.

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« Explain to them [the Native Autorities] that the effect of declaring it a Forest Reserve would be to prevent timber being cut or land for farms cleared. […] the constitution of the area as a forest which will be protected and preserved for the benefit of the communities to whom the land originally belonged. », le Resident Arnett au District Officer de Victoria, n°58/1081/1923, Dossier Cameroon Mountain Forest Reserve, Qh/a 1933/2, Archives Municipales de Buea.

volcan à des fins agricoles au-dessus des 1500 mètres d’altitude. Or la limite forestière, au-delà de laquelle s’étendent les prairies d’altitude constituées d’herbacées, aux sols jeunes et peu profonds impropres à l’agriculture, se situe selon les endroits autour de 2000-2500 mètres.

« A recent visit by the District Officer to Misaka Hut proved that

the last farm is now about the 4,600 feet line but that cultivation had gone as far at times as 5,000 feet. »112

C’est un fait, depuis presque deux siècles, les Wakpe investissent la forêt du Mont Cameroun pour de multiples raisons. L’une des principales est bien évidemment l’agriculture. Joseph Luma Mokake nous a montré lors d’une excursion sur les hauteurs du village d’Ewonda, aux alentours de 1600 mètres d’altitude, le recrû forestier qui marque l’ancien emplacement du champ de sa grand-mère, exploité dans les années 1930. Loin d’être une parcelle isolée au milieu de la forêt intouchée, il s’agit d’une jachère longue parmi tant d’autres dans ce secteur du versant Wouri.

Si la majorité des défrichements forestiers à but agricole se situe actuellement bien en deçà des 1500 mètres, il n’en demeure pas moins que les hauts du massif sont de longue date exploités pour ces mêmes raisons.

Que penser alors de l’inquiétude grandissante des autorités (entretien du 14 novembre 2005 avec les ingénieurs C. Medjo et F. Aloleko, cf. Annexes), des agents du développement (Arze 1990, Gadsby et Jenkins 1992, DFID 1998, Yaron 2001) et des techniciens agricoles, concernant l’extension des défrichements en altitude ? Nous sommes pour notre part assez dubitatif quant à l’existence d’un problème écologique massif, dénoncé sans prise en compte des usages anciens. La menace du brûlis, puisque c’est ainsi que la chose est médiatisée, n’en est pas une, en tout cas pas tant que les cycles de régénération sont respectés (ce n’est certes pas toujours le cas). Les forêts du Mont Cameroun se sont construites en partie de ce système dont nous allons ici détailler le fonctionnement, mais le problème véritable posé actuellement par les défrichements résiderait plutôt dans le glissement de l’agriculture itinérante à jachères longues vers un état plus permanent des champs mis en culture, en aval de la ceinture des villages wakpe, là où la densité de population s’accroît régulièrement depuis la création de la CDC. Là encore et selon nous, la durée de mise en culture n’est pas en soi un problème, dès lors qu’elle s’accompagne des dispositions suffisantes au renouvellement efficace du taux de matière

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« Une visite récente du District Officer à Misaka Hut a prouvé que le dernier champ se situe maintenant autour de la ligne des 1500 mètres mais qu’on a cultivé à certaines époques jusqu’à 1600 mètres. » Le sergent Buchanan Smith au Secrétaire des Southern Provinces à Lagos (Nigeria), n°574/1081/1923, Dossier Cameroon Mountain Forest Reserve, Qh/a 1933/2, Archives Municipales de Buea.

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organique dans les horizons de culture. Nous reviendrons plus avant sur ces questions qui, dans le contexte actuel de privatisation de la CDC, pourraient ne plus se poser si les velléités d’exploitation industrielle des concessions hautes de la corporation venaient à être concrétisées, constituant une menace environnementale bien supérieure à tout mode d’exploitation forestier paysan.

Quelles sont donc les premières étapes de la mise en valeur des espaces forestiers sur les pentes du Mont Cameroun ?

18 km 1000 m 2000 m 3000 m

REPARTITION ALTITUDINALE

O CEAN ATLANTIQUE 800m 1600 m 2400 m 32 00 m Fako (4095 m) Mont Etinde (1713 m) MONT CAMEROUN VE RS AN T W O U R I O 5 10 km LIMBE BUEA TIKO EKONA Fougères arborescentes

Grands ligneux de la forêt montagnarde Prunus africana Cucurbitaceae, egusi Maïs Manioc Légumes feuille Choux Taro Macabo Manguier Igname Papayer Canne à sucre Palmier à huile Plantain Cocotier HABITAT

Villages de la ceinture haute à majorité wakpe Campements

de la CDC, populations

salariées essentiellement allochtones

Prairie d'altitude

AGRICULTURE INDUSTRIELLE

Plantations monoculturales de palmier à huile

Banane douce Hévéa

Conception, dessin et réalisation : N. Lemoigne, ADES UMR 5185, 2009

Mount Cameroon Region 1/80 000, German Technical Cooperation, 2003. Sources : Relevés et observations de terrain

Mise en perspective tridimensionnelle : logiciel 3dsMax

Gombo

Le profil en perspective est à l'échelle.

Les dessins sont volontairement surdimensionnés.

La répartition des dessins obéit à une représentation schématique.

Essences secondaires (Musanga spp.)

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b) Principes de l’agriculture itinérante

L’utilisation des sols sur le volcan obéit à un processus complexe de stratégies fluctuantes selon les besoins du moment. Les vieilles jachères des hauteurs du Mont relèvent de ce que l’on nomme communément l’agriculture itinérante, c’est-à-dire, pour reprendre la définition simplifiée mais à notre sens très suffisante de Puig (2001), « un système agricole

continu sur des parcelles non permanentes, cultivées pendant quelques années ». Notre propos

ici n’est pas de faire entrer dans l’une des innombrables catégories scientifiques les techniques d’agriculture itinérante du Mont Cameroun113, ni d’apporter une réflexion théorique supplémentaire au corpus traitant du sujet, mais de mettre en évidence ses aspects fondamentaux dans les processus de formation des sols sur le volcan.

Les pratiques mobilisées par ce système agricole représentent un intérêt certain dans le modelage des horizons superficiels, dans les transferts de matière mobilisable par les plantes cultivées, dans le remaniement progressif des essences végétales forestières et, au niveau social, dans la garantie économique qu’il confère aux familles.

Ainsi que le décrit admirablement Bahuchet pour l’ensemble des systèmes agraires itinérants (2001 : 80) :

« Parler de "fertilité du sol" n’a ici aucun sens. C’est l’ensemble

du système qui détermine la fertilité : le sol n’y est qu’une composante aux côtés de la végétation, de la microfaune, de la macrofaune disséminatrice, des mycorrhizes, etc. Le paysan met à profit la fertilité du milieu, non celle de la terre ».

Ce que nous retiendrons de cette remarque est l’idée que les éléments constitutifs du principe de fertilité exploité par le paysan en forêt tropicale procèdent d’un système dont le sol n’est qu’une composante parmi d’autres. Le milieu dans son ensemble est ainsi source de fertilité. L’agriculture itinérante aux jachères longues114 telle qu’elle est pratiquée sur les hautes

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Des études telles celle de Fujisaka et Escobar (1997) s’essaient régulièrement à une classification des systèmes d’agriculture itinérante sur brûlis. Les catégories simplificatrices et les résultats peu convaincants qui en découlent tiennent selon nous à l’immense diversité des systèmes décrits, tirés de contextes très différents selon les ères géographique et culturelle considérées. La complexité même des systèmes, dans leur extrême adaptation à des conditions éminemment locales, échappe naturellement aux compétences classificatoires de la science.

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Ardener (1956) parle de 10 ans, Brocklesby et Ambrose-Oji (1997) ou Jeanrenaud (1991) donnent 15 ans pour les plus anciennes. Nous pensons pour notre part, suivant parmi d’autres l’exemple de M. Mokake donné précédemment, que certaines jachères hautes sont bien plus anciennes – autour de 50 ans voire plus. Cette constatation tient au jeu des héritages fonciers qui, suivant la destinée des concernés, peut faire varier significativement le nombre de personnes susceptibles de prendre la relève. Si les enfants sont en nombre restreint, il

pentes du Mont Cameroun, contribue très efficacement au renouvellement de cette fertilité recherchée par les hommes. Les avantages sont multiples.

est évident qu’une partie des champs familiaux mis en valeur du temps des parents sera laissée en jachère pour une durée indéterminée, faute de bras pour s’en occuper.

LA JACHERE DANS LE