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MON T CAMEROUN

3) Données climatiques du Mont Cameroun

a- Les températures

La situation du Mont Cameroun, en zone tropicale humide, n’autoriserait que de faibles écarts de température tout au long de l’année si l’influence du relief ne modifiait considérablement la donne. Les relevés les plus complets proviennent actuellement des stations météorologiques créées par la CDC (Cameroon Development Corporation) pour la conduite agronomique des plantations industrielles.

Réparties dans toute la région du Mont Cameroun, ces stations renseignent sur l’évolution du climat depuis parfois plus d’un siècle. Cependant les mesures les plus fiables ont été enregistrées lors des trente dernières années et synthétisées de manière assez complète dans le rapport Fraser (et al., 1997), étude menée pour le compte du Mount Cameroon Project dans les années 1990. Les données concernant la station d’Ekona proviennent quant à elles d’un bilan météorologique effectué par Ndjib (et al., 1995) pour une étude de mise en culture du bananier par la CDC dans la zone nord-ouest du volcan.

En moyenne, les stations fonctionnelles mises en place par la CDC sont au nombre de 35-40, selon les années. Nous retiendrons les plus significatives pour cette étude, réparties sur le versant Wouri à des altitudes variables.

On constatera que les écarts journaliers au pied du Mont Cameroun dépassent rarement les 4°C pour une température moyenne comprise entre 26 et 29°C (il n’en est pas de même au niveau des zones sommitales qui connaissent fréquemment des températures négatives). Fraser (1997 : 3) insiste sur la faible amplitude thermique annuelle. La moyenne journalière chute de 1 ou 2°C pendant la saison des pluies mais les écarts journaliers sont plus importants que les différences saisonnières. Le phénomène est typique des zones équatoriales où le soleil reste haut tout au long de l’année et où le nombre d’heures d’ensoleillement ne varie que peu.

La température au niveau de la mer (Limbe) varie en fonction de la saison entre 27°C et 32-35°C pendant les plus chaudes périodes de mars et avril (Payton, 1993 : 8) et l’on note une chute de la température moyenne en fonction de l’altitude, équivalant à 0,6°C par 100 mètres (DFID, 1998 : 33). Payton rapporte un calcul de gradient négatif moyen annuel de 0,45°C par 100 mètres au-delà des 2000 mètres d’altitude.

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Gèze quant à lui (1941 : 14) observe en juin et en altitude les phénomènes suivants. Faisant état de la très faible insolation due à l’épaisse couche nuageuse, il décrit vers 1800 mètres une oscillation de 14 à 17°C entre 7 heures et 19 heures, et de 10 à 12°C entre 19 heures et 7 heures. A 2800 mètres, il constate une montée brutale de 8°C à 15 ou 20°C entre 7 heures et 8 heures suivie d’une baisse régulière à mesure que les nuages recouvrent la zone. A 3800 mètres le phénomène semble plus sensible encore, le thermomètre passant de 0°C à 15°C entre 6 heures et 10 heures pour revenir progressivement à 0°C. N’Ni (1984 : 52) note lui aussi la diminution des températures avec l’altitude, 13°C à 1830 m, 12°C à 2830 m et 7 à 5°C à 3900 m.

La neige est présente au sommet du volcan durant la saison des pluies (août à octobre).

b- Les vents

La direction des vents influence directement le régime des pluies autour du Mont Cameroun. La position géographique équatoriale de ce dernier, sur une zone de convergence des vents issus des deux hémisphères, induit, en fonction de la période, des variations considérables. Entre novembre et avril, l’Harmattan venu du Sahara souffle vers le sud, chargé de sable et de poussières desséchantes. Les particules se déposent sur d’immenses superficies et peuvent provoquer des troubles respiratoires caractéristiques. La visibilité diminue, en même temps que l’ensoleillement.

A partir du mois d’avril, des vents chargés d’humidité arrivent de l’Atlantique et déversent de violentes pluies de mousson. Durant cette période allant jusqu’à la fin mai, il est fréquent de rencontrer des rafales et des orages importants. L’intensité des précipitations diminue alors peu à peu et laisse place à une pluviosité continue jusqu’à la fin de la saison, en octobre. Ces vents venus de l’Atlantique, soufflant du sud vers le nord, accompagnent la couche nuageuse qui bute sur les flancs sud du Mont Cameroun. La montagne constitue un écran protecteur qui laisse une zone d’ombre perceptible dans les régions situées à l’est, au nord-est et au nord du relief.

De ce fait, sur la petite zone du Mont Cameroun qui ne couvre que quelques 2500 km2, le relief modèle trois tendances climatiques selon que les zones sont protégées ou non par la masse montagneuse, en altitude ou au pied du volcan. On entrevoit dès lors la diversité des biotopes découlant de cet état de fait, ainsi que la multiplicité des pratiques nécessairement adaptées à ces variations.

Nous nous proposons ainsi de considérer plus attentivement, à travers l’étude des régimes pluviaux, marqueurs majeurs de la diversité climatique de la région, les variations significatives à même de renseigner sur l’origine de certains usages paysans, objets de notre travail.

c- Les précipitations

Le climat du Mont Cameroun est globalement, malgré certaines variations, de type équatorial côtier à deux saisons : une saison des pluies de fin avril à début novembre et une saison relativement sèche entre novembre et avril. La moyenne annuelle le long de la frange côtière augmente considérablement en progressant vers l’ouest, conséquence directe de l’influence de la montagne : 5 500 mm à Batoke, 7 200 mm à Isongo pour atteindre 9 800 mm à Debundscha, record des précipitations en Afrique figurant parmi les trois mondiaux. En 1992, une station de la CDC à Debundscha a totalisé 23,5 mètres annuels. Les nuages ont déversé cette année-là sur les trois mois d’août, septembre et octobre, respectivement 3193, 3325 et 3062 mm d’eau (Fraser, 1997 : 3 et 28).

En dépit de ces totaux exceptionnels, la plupart des pluies survient pendant la période d’hivernage et même Debundscha connaît un semblant de phase moins arrosée de décembre à février. Environ 70 % des pluies annuelles tombent lors des quatre mois les plus humides (de juillet à octobre). L’humidité relative aux pieds du Mont Cameroun chute rarement en dessous de 80% même en saison sèche (Sieffermann, 1973 : 16). L’influence maritime et orographique sur les formations nuageuses induit un taux d’ensoleillement parmi les plus bas d’Afrique de l’Ouest.

On note par ailleurs la diminution de la pluviosité avec l’altitude, passant de 4 000 mm aux alentours de Limbe, à 3 000 mm au-dessus de 2 000 mètres d’altitude (DFID, 1998 : 28). Fontes (1976 : 180) confirme la verticale en altitude dont la limite forestière dans la zone des 2000-2500 mètres constituerait le passage du climat équatorial au climat tropical d’altitude. La saison sèche pourrait y durer cinq à six mois, phénomène vérifiable par l’observation du régime hydrologique des petits fleuves côtiers tels la Sanje dont les basses eaux s’étalent jusqu’au mois de juin. La saison des pluies durerait 4 à 5 mois au sommet du Mont Cameroun, de 5 à 6 mois vers 3000 mètres et de 6 à 7 mois juste au-dessus de la limite forestière des 2500 mètres.

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La ceinture de villages mokpe située entre 500 et 800 mètres d’altitude sur le versant Wouri, sous la zone d’ombre du massif, reçoit moins de trois mètres de pluies par an (relevés de Tole, Buea et Ekona). En s’éloignant progressivement vers l’est à proximité du fleuve Mungo, la pluviosité descend en dessous de deux mètres par an (Meanja, Mpundu, Mussaka). D’une station à l’autre, la hauteur des précipitations mensuelles est très variable. A Molyko ou à Ekona, les mois les plus arrosés reçoivent de 250 à 380 mm entre les années 1984 et 1995 alors qu’il tombe moins de 20 mm lors des mois de saison sèche.

Le rapport DFID fait état par ailleurs d’une diminution notoire des précipitations sur les trente dernières années, ce qui est confirmé par les statistiques. Debundscha par exemple affichait une moyenne annuelle de 11 000 mm pour la décennie 1970-80, 10 000 mm pour la décennie 1980-90 et moins de 8 000 mm pour la décennie 1990-2000. Nous manquons de données pour le début des années 2 000 mais la tendance semble se confirmer. Cependant la baisse générale sur le grand flanc ouest est contrebalancée par une augmentation des précipitations sur le versant Wouri au cours des années 1990, qui présente un taux décennal supérieur aux moyennes plus anciennes.

En résumé, l’abondance exceptionnelle des pluies dans certains secteurs de la région du Mont Cameroun tels que Debundscha, ne doit pas occulter l’existence d’un régime à deux saisons, particulièrement marqué sur le versant Wouri protégé par le relief volcanique qui arrête la masse nuageuse en provenance de l’océan. Les précipitations s’affaiblissent durant la saison sèche et les cultures maraîchères souffrent parfois du manque d’eau. Comme il a été auparavant précisé, la porosité des basaltes formant la roche-mère laisse peu de sources accessibles en saison sèche et certaines familles, malgré l’humidité de l’air relativement élevée sous la zone des 3 000 mètres, sont contraintes de hisser jusqu’aux champs d’altitude des récipients d’eau destinée à l’arrosage. La croissance du maïs par exemple dans l’espace de culture des villages mokpe des environs de Buea est régulièrement ralentie voire compromise par la rareté de la ressource.

Sur le versant sud cependant, les paysans parviennent à quatre, parfois même à six récoltes de maïs par an, bénéficiant d’un régime des pluies extrêmement favorable7. Certaines cultures à l’inverse souffrent de l’excédent d’eau, même dans la région de Buea qui reçoit moins

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Entretien du 14-11-2005 avec Cécile Médjo et Fabien Aloleko, ingénieurs agricoles, Délégation Départementale de l’Agriculture, Buea.

de précipitations. Les plantes maraîchères par exemple en juillet-août subissent des atteintes cryptogamiques fréquentes qui nuisent à leur bon développement.

Dans ces conditions, mais nous y reviendrons par la suite, certains problèmes découlant directement de l’hygrométrie apparaissent, mettant en péril le produit de ces récoltes exceptionnelles. Les denrées pourrissent en effet régulièrement, faute de moyens de stockage appropriés.

O CE AN ATL ANTIQUE 16 00m 240 0 m 3 20 0 m 80 0 m FAKO (4095 m) Mont Etinde (1713 m) MONT CAMEROUN VE RS AN T W OU RI Ekona Tole Mokundange Debundscha 0 5 10 km N Debundscha Tole Mokundange Ekona Sources :

Mount Cameroon Region 1/80 000

, German Technical Cooperation, 2003.

Carte du Cameroun Buea-Douala 1/200 000

, Centre Géographique National, Yaoundé, 1987.

Réalisation

: N. Lemoigne, ADES UMR 5185, 2008

Données climatiques :

Fraser (

et al.

, 1997) et Ndjib (1995)

.

Pour les stations de Debundscha, Mokundange et Tole :

moyennes mensuelles relevées entre 1970 et 1993.

Pour la station d'Ekona :

moyennes mensuelles relevées entre 1984 et 1995.

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4) Conclusions

Les Wakpe confient au mythe fondateur l’explication des largesses de la Montagne : « Dieu nous a bénis ». Ce que nous venons de voir en termes climatique et édaphique éclaire largement le sens de cette vision. Il serait incongru de ne pas prendre en compte ces données dans l’analyse des rapports d’interaction entre sociétés paysannes et volcan. Les facteurs environnementaux favorables à l’agriculture sont, pour ce qui nous intéresse, instructifs à un double niveau.

D’une part et d’évidence, la compréhension des fonctionnements des mémoires naturelle et sociale ne peut s’envisager sans leur étude attentive, mais d’autre part ces mêmes facteurs naturels donnent à réfléchir sur certains enjeux sociaux bien éloignés du modèle d’entente idyllique que l’on pourrait espérer d’une société paysanne idéalisée, vivant en étroite harmonie avec son environnement. La formidable prodigalité du volcan, à la source de pratiques culturales complexes et originales, est conjointement à l’origine d’un pan d’histoire coloniale tragique dont les séquelles, environnementales et sociales, régissent encore aujourd’hui les sociétés du Mont Cameroun.

Loin de s’apparenter au rapport dualiste réducteur : environnement exceptionnel/société paysanne magnifiée, les interactions entre mémoires sociale et naturelle sur la Montagne se construisent sur un passé de conquête, de migrations forcées et de souffrance. Ce que l’observateur perçoit en ce début de XXIe siècle est une mosaïque de communautés cohabitant sur un espace âprement disputé.

Qui sont ces sociétés, comment ont-elles peuplé le site et pour quelles raisons ? Comment se sont instaurés les rapports de force actuels, les enjeux liés à la terre et quelles sont les échelles sociétales impliquées dans l’exploitation de la ressource environnementale ?