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MON T CAMEROUN

II – LES SOCIETES EN PRESENCE

1) Les mémoires du peuplement sur le versant Wouri

a- Ceux de la Montagne

« Oui… L’homme bakweri est venu d’Ouganda. Il est originaire

d’Ouganda. En Afrique de l’Est. L’homme bakweri était chasseur. Il aimait la chasse. Il a commencé à chasser, chasser, venant vers ici, pendant de nombreux mois et années sur la route. Il chassait avec des chiens. Enfin, finalement, ils arrivèrent [les Bakweri] au Cameroun. Quand ils vinrent au Cameroun, ils allèrent au pied de la Montagne [le Mont Cameroun] où ils pourraient faire de nombreuses prises. Ils pratiquaient la chasse là-bas, dans cet endroit appelé Bomboko. Ils arrivèrent là et chassèrent. Et cet homme [l’ancêtre fondateur

bakweri] avait tant d’enfants… Quand il parvint à Bomboko, il appela tous ses

gens à le rejoindre.

Quel était son nom ?

Njie Tama Lifanje. Ainsi pour un temps encore ils restèrent à Bomboko, poursuivant leur activité de chasse. Quand les enfants de Njie arrivèrent dans cette partie-ci de la Montagne [la zone de Buea], ils rencontrèrent de nombreux animaux. Ils tuèrent beaucoup ici. Ainsi ne voulurent-ils pas revenir à Bomboko comme leur père l’avait d’abord demandé. Mais ils revinrent quand même et à leur retour leur père leur demanda les nouvelles de l’endroit. Ils répondirent au père qu’ils étaient allés de l’autre côté [du Mont Cameroun], qu’ils avaient rencontré beaucoup d’animaux. Et qu’ils avaient beaucoup tué. Voici comment le père quitta aussi Bamboko et vint au pied de la Montagne, ici. Et ils continuèrent à chasser. Lorsqu’il leur arriva de retourner à Bomboko, les gens, leurs frères, avaient changé.

Et ils donnèrent le nom de Buea à l’endroit. Gbea gbea, ce qui veut dire « on a fait abondance ». C’est le nom de Buea. « On a fait beaucoup ». « On a tué beaucoup ». Quand les Allemands arrivèrent, ils changèrent le nom en Buea. C’est plus court.

Ainsi les Bakweri s’installèrent ici à Buea, tout comme à Bomboko. Ils allèrent même jusqu’à Kumba. Tu vois, les Bakossi, eux aussi font partie des Bakweri. Les Balondo aussi. Certains des fils partirent ainsi de ce côté. Ils allèrent à Bakossi où il y a de grandes forêts et ils continuèrent à chasser là-bas.

Donc à l’origine, ces gens étaient aussi bakweri ?

Oui ! Pourquoi est-ce qu’ils changèrent ? Quand ils quittèrent leur père, ils s’installèrent à Kumba, à Bakossi. Quand ils eurent leurs enfants, ils ne pouvaient plus parler la langue maternelle correctement. C’est pourquoi, tu vois, le Bakossi peut parler, le Bakweri comprendra. Mais il y a de légères différences. Même les Balondo. C’est la même chose : un des frères alla jusqu’à Balondo, resta là, continuant à chasser. Njie avait beaucoup d’enfants. D’autres quittèrent

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Buea, descendant jusqu’à Limbe et s’installant bas. Quand ils arrivèrent là-bas, il n’y avait plus beaucoup de forêt mais ils restèrent au bord de la mer. Ils commencèrent à pêcher. Ils allèrent même jusqu’à Santa Isabel. On avait d’abord appelé l’île Fernando Po. Ainsi les Bakweri y allèrent et s’installèrent là-bas. »8

Si les temps présents attestent sur le versant Wouri d’une mosaïque rare de peuples aux origines diverses, il serait injuste de ne pas s’attarder sur les premiers habitants connus des lieux, ceux dont la mémoire a porté jusqu’à nos jours le témoignage du premier peuplement. Les Wakpe (ou Bakweri dans la traduction anglaise et le langage courant de la région), bien que minoritaires actuellement sur leurs propres terres, sont, aussi loin que l’on puisse s’en souvenir, les initiateurs d’un mouvement migratoire qui n’a depuis cessé de grossir, convergeant vers les pentes giboyeuses et les sols fertiles du volcan.

Les Wakpe appartiennent au grand groupe culturel des Bantou réparti en Afrique Centrale et du Sud, dont ils constituent la frange nord-ouest. De nombreuses hypothèses parfois contradictoires abordent la question des migrations bantou, aussi évoquerons-nous simplement le fait que l’accroissement démographique de la sous-région a probablement été à l’origine de vastes mouvements initiés par des raisons simples d’accès à la ressource alimentaire. Si certains Wakpe font traditionnellement remonter leurs origines lointaines à l’Ouganda, il est plus généralement démontré, tant par la tradition orale que par les chercheurs (Ardener, 1956 ; Molua, 1985 ; Gwan, 1988), que ce peuple sous sa forme contemporaine a migré de la région de Womboko (Bomboko selon la transcription administrative) au nord de l’édifice volcanique du Mont Cameroun, à son emplacement actuel sur les versants Wouri et sud du volcan. Les récits des anciens ne font pas mention d’occupation humaine antérieure à l’arrivée des Wakpe bien que la zone côtière fût habitée depuis longtemps. L’hinterland constitua dès lors un site propice à l’installation sans heurt des nouveaux arrivants.

Les Bakweri stricto sensu de la zone de Buea et du versant Wouri – les Wakpe – ne sont pas les seuls à pouvoir revendiquer le statut d’autochtones dans la région du Mont Cameroun. Par le jeu des mouvements migratoires déjà évoqués, ces populations partagent des traits culturels très voisins avec les Wakpe et ne s’en distinguent que très subtilement. L’on regroupe usuellement quatre sociétés riveraines de la Montagne sous le terme générique de Bakweri.

Les Womboko (Bomboko pour la dénomination officielle) nous l’avons vu ont donné naissance aux Wakpe. Leurs terres s’étendent sur le grand flanc nord-ouest du volcan. Les Isuwu

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et les Wovea sont de petites populations réparties sur la frange côtière sud du Mont Cameroun et, jusqu’à une époque assez récente pour les Wovea, en partie sur les îles de l’Ambas Bay (Bota islands) qui font face à la ville de Limbe. Ces sociétés, au terme de la migration, se sont tournées vers les richesses de l’océan et ont développé d’admirables techniques de pêche, notamment à la baleine pour les Wovea.

L’ensemble de ces populations subit de plein fouet et de manière très similaire le choc colonial, partageant une histoire qui sera détaillée plus avant.

O CE AN ATLANTIQUE FAKO Mont Etinde VE RS AN T W OU RI O 5 10 km N

Limites indicatives de répartition

Sources : Mount Cameroon Region 1/80 000, German Technical Cooperation, 2003.

Carte du Cameroun Buea-Douala 1/200 000, Centre Géographique National, Yaoundé, 1987. Réalisation : N. Lemoigne, ADES UMR 5185, 2008

Molua, 1985

Réseau routier WAKPE Noms des sociétés autochtones

WOVEA

ISUWU

BUEA LIMBE TIKO

W O M B O K O

WAKPE

CARTE DE REPARTITION DES SOCIETES AUTOCHTONES