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LES DESIGNATIONS WAKPE

Clichés : N. Lemoigne, ADES UMR 5185, 2003-2006

Champs complantés semi-permanents (wanga) de la ceinture bakweri. Ici, un champ en manioc dominant des environs de Buea Town (850 m d'altitude).

Forêt dense d'altitude, likomba landjiue (la forêt qui n'a pas été touchée de mémoire d'homme), vers 2000 mètres d'altitude, hauteurs de Buea.

Zone de transition forêt-savane (moranje) où les arbres par bosquets font encore quelques incursions

dans les peuplements d'herbacées. Vers 2500 mètres. Coulée de lave (likuwa) de 1959. S'étend de 3000 m d'altitude (point d'émission) à 900 m, aux portes

d'Ekona Lelu. Savane à herbacées (njorongo), zone de chasse et de

récolte du miel, vers 2600 mètres d'altitude. Zone forestière supérieure, vers 2400 mètres.

Hauteurs de Buea.

Zone des jachères longues à couvert forestier dense. Likoko selon la terminologie mokpe (forêt qui a été défrichée au moins une fois). Vers 1400 m d'altitude, hauteurs de Buea.

Champs multi étagés d'essences associées, en limite de plantation d'eucalyptus (CDC). L'arbre fait partie intégrante du système (Likombe, 1000 m d'altitude).

b) Les usages de l’arbre

Les essences ligneuses utilisées par les communautés paysannes du Mont Cameroun sont innombrables, elles proviennent de l’une des forêts les plus riches en espèces du monde. Il va de soi que nous ne nous hasarderons pas à en dresser ici une liste aux prétentions exhaustives, une vie entière d’initiation ne suffisant pas aux spécialistes wakpe pour faire le tour de la question, notamment lorsqu’il s’agit d’aborder l’inventaire des espèces médicinales. Nous tenterons cependant de faire une sélection des essences les plus communément rencontrées et commentées par nos informateurs, afin de mettre en évidence le caractère fondamental de l’arbre, donc du sol, dans le mode de vie des paysans du Mont Cameroun.

L’arbre est omniprésent sur le volcan, qu’il soit parfaitement domestiqué aux abords des maisons ou relevant de la forêt la plus dense. L’arbre est un partenaire des hommes sur le Mont Cameroun, nous dirions même qu’il est au cœur du système. Pionnier des coulées de laves, il était là avant les hommes et il demeure l’indicateur premier de la possibilité agricole. S’il n’y a pas de champs partout où il y a des arbres, l’arbre est présent partout où il y a des champs. Il y a donc les arbres du champ, et les arbres de la forêt. Dans tous les cas, ces derniers dispensent une partie des produits indispensables à la vie quotidienne.

Les pratiques paysannes touchant à l’arbre vont de l’utilisation globale d’une espèce telle que le palmier à huile, au simple opportunisme de cueillette au détour d’un sentier de chasseur. Mais le rôle de l’arbre ne se limite pas à ce qu’il est capable de fournir en terme de fruits, de bois, de feuilles ou d’écorce. Pourquoi est-il si important chez les Wakpe, comment les hommes tirent-ils partie de ses avantages et comment intervient-il sur la qualité des sols cultivés ?

- Arbres de la forêt

Nous l’avons vu, la forêt constitue pour les communautés paysannes du Mont Cameroun une ressource précieuse, que ces dernières soient autochtones ou pas. Les espaces boisés,

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fortement soumis à l’influence humaine depuis deux siècles et demi, regorgent d’essences utiles soigneusement entretenues ou simplement favorisées au fil des générations129.

Au sein de la forêt – likomba -, il est des arbres sans intérêt particulier pour l’homme, en tout cas sans intérêt direct perceptible. D’autres cependant présentent des spécificités appréciables. Lors d’une marche de longue haleine, nous avons pu observer nos compagnons placer de petits récipients sous une saignée pratiquée à la machette sur les contreforts d’un arbre à la sève abondante et claire. Une autre espèce, appelée etungunia en mokpe, possède une écorce épineuse très lisse sur un tronc particulièrement massif. Avec l’âge, ce dernier devient invariablement creux et l’eau s’y accumule. Il suffit alors de pratiquer un trou à la machette pour la recueillir.

De nombreuses espèces ligneuses proposent leurs fruits à qui reste attentif. Sans faire l’objet d’une culture spécifique ni d’une dissémination volontaire, ils approvisionnent les marcheurs passant pour d’autres tâches. Certains d’entre eux sont revendus sur les marchés locaux. Dans le lexique des agents de développement, ces produits issus de la forêt sont appelés PFNL (Produits Forestiers Non Ligneux), ou NTPF en anglais (Non Timber Forest Products). Ces récoltes entrent pour une part significative dans les revenus de certaines familles et l’on trouve, en ce qui concerne le Cameroun, une littérature abondante consacrée à l’impact des activités humaines sur les espaces forestiers pourvoyeurs de PFNL (Gadsby et Genkins 1992, Ndoye et al. 1997-99, Ambrose-Oji et Brocklesby 1997, DFID 1998, Ndam et al. 199?, etc.). Pour des raisons évidentes de difficulté d’accès aux données, ces études présentent des résultats quantitatifs assez variables concernant le poids économique effectif des activités d’extraction des PFNL. Nous nous contenterons ici de décrire ce que nous avons pu en observer directement ainsi que de donner la parole aux informateurs concernés par cette activité.

Les fruits du manguier sauvage (Irvingia gabonensis) sont particulièrement appréciés pour leur saveur et sont utilisés dans la constitution de certaines sauces. Les mangues sont vendues à la saison sur les marchés locaux de Muea, Buea, Great Soppo ou Limbe. Les noix de cola (Cola spp.), stimulant largement apprécié au Cameroun, font aussi l’objet d’un commerce important. Les petits fruits du njansanga (Ricinodendron heudelotii) sont quant à eux utilisés comme exhausteur de goût dans les sauces ou servent à parfumer le poisson. Le safoutier

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Une partie des noms scientifiques attribués aux noms locaux est tirée de la liste botanique de Jeanrenaud (1991). Ils sont donnés ici à titre informatif, dans la limite de nos possibilités de vérification de leur correspondance absolue avec les noms vernaculaires wakpe. Les espèces plus fréquemment rencontrées telles que le fromager, le palmier à huile, etc. ne sont pas concernées par cette réserve.

(Dacryodes edulis) est aussi prisé pour ses fruits à la chair acidulée, consommés crus ou cuits. Les fruits du moabi (Baillonella toxisperma, localement njabè) sont récoltés entre autres pour extraire des amandes une huile alimentaire très riche. On consomme fraîche la pulpe du corossol sauvage (Annonidium manii) ainsi que celle du tamarin (Tamarindus indica).

Les espèces citées ici sont bien entendu recherchées pour la consommation familiale et font pour certaines l’objet d’un commerce soutenu. Par définition, ces essences non domestiquées, bien que liées à l’homme, sont disséminées au sein de la zone forestière parfois en densités très faibles (le moabi par exemple se rencontre à hauteur d’un individu pour dix hectares de forêt environ et n’est mature qu’à cinquante ans, tout en fructifiant une fois tous les trois ans).

Le bois à brûler est aussi fourni par les ligneux de la grande forêt. Certaines espèces comme le manguier sauvage, le litu (Ficus capensis) ou le bois de fer (Lophira alata, azobé au Cameroun) sont recherchées par les familles pour alimenter les feux de cuisine.

Les bois de menuiserie sont convoités. Les compagnies forestières, peu présentes sur le versant Wouri du fait de l’inaccessibilité des massifs forestiers, ont cependant contribué selon les témoignages à faire chuter considérablement la densité de grumes exploitables sur le volcan. Les plus rencontrées sont le man carabot (Coelocaryon preussii), certaines espèces de mahogany telles que le mbowu (Entandrophragma angolense), le fromager (Ceiba pentandra, localement

wuma) à l’intérieur des racines duquel on enterrait autrefois les albinos, l’iroko (Milicia excelsa),

le rare akom (Terminalia superba) utilisé pour les charpentes130.

Les parasoliers (Musanga spp., localement umbrella tree ou lireyenge en mokpe), essences pionnières typiques de la zone, sont régulièrement utilisés pour fabriquer les bardages (caraboards) des maisons wakpe, tout comme l’ekoo (Polyscias fulva). Les poteaux des habitations supportant le bardage sont faits de mukumu (Turraeanthus africanus) réputé pour sa résistance aux attaques de termites ou de fougère arborescente appelée ici litutu manakamba (Cyathea sp.) utilisée aussi pour la confection des parcs à cochons.

D’autres espèces encore, sans faire l’objet de plantations spécifiques au sein des parcelles cultivées, sont épargnées lors du défrichement pour les raisons utiles que l’on vient d’aborder. Les essences dites précieuses à forte valeur économique en font partie, mais également certaines espèces beaucoup moins recherchées qui pourtant facilitent le travail des paysans au quotidien. Sur les bords de parcelle, pousse l’ewowo (Macaranga occidentalis), un ligneux épineux aux

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Selon nos informateurs, en 2005 une planche de mahogany débitée sur place, de 4 mètres de long pour 25 cm de large et 4 cm d’épaisseur pouvait être vendue 4000 FCFA.

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larges feuilles ayant la particularité de produire spontanément des branches fourchues. Les plus longs rejets sont utilisés pour soutenir le régime des bananiers plantains en fin de maturité afin d’éviter que la tige ne s’affaisse. Joseph Luma Mokake nous a parlé de l’usage médicinal de cette essence commune dont personne ne se préoccupe vraiment de la reproduction tant elle est spontanée. La sève pâteuse couleur groseille, appliquée sur une plaie, a des propriétés cicatrisantes. Les hommes en temps de guerre utilisaient abondamment ce remède pour soigner leurs blessures.

Les arbres sur le Mont Cameroun sont ainsi source de vie par les fruits qu’ils proposent mais aussi par les propriétés médicinales de certains d’entre eux, judicieusement exploitées par les hommes. L’essence la plus représentative est le wotango (Prunus africana). Les propriétés thérapeutiques de son écorce en font une manne pour les habitants du volcan qui la vendent aussi aux compagnies pharmaceutiques étrangères. La compagnie française Plantecam est le plus gros acheteur de la région. Jeanrenaud (1991 : 27) a recueilli le témoignage des habitants de Bokwango qui autorisaient, tous les trois ou quatre ans, les employés de la société à intervenir contre indemnité de 100 000 FCFA (150 Euros), sur les arbres des terres coutumières. Les années passant, les villageois ont constaté que la compagnie ne se contentait plus de récolter mais abattait aussi les arbres, ne laissant aucune chance au village de pérenniser la ressource. Sur le Mont Cameroun, l’écorce du Prunus africana entre dans la composition de nombreux remèdes (bronchites, paludisme ou folie) tout en étant mondialement recherchée pour ses capacités à traiter l’hyperplasie de la prostate. Cette essence est considérée actuellement comme en danger (Annexe II de la Convention de Washington) du fait de sa surexploitation. Le rapport du DFID (1998) estime que dans certains secteurs du Mont Cameroun, les revenus tirés de la récolte de l’écorce sont supérieurs à ceux du bûcheronnage, même en tenant compte du fait que les plus gros profits sur la commercialisation de ce produit sont faits par les compagnies pharmaceutiques étrangères. Un kilogramme d’écorce est vendu localement 250 FCFA contre 1 200 FCFA sur le marché international (Awung 1998). Dawson et Powell (1999) évaluent le montant des transactions financières liées à ce commerce à 220 millions de Dollars annuels.

Evidemment, l’accroissement de la demande à l’heure actuelle encourage les pratiques de récolte destructives et nous n’avons pu voir pour notre part que de jeunes arbres alors que l’espèce atteint normalement quarante mètres de haut pour un mètre de diamètre. Tant que l’écorce est prélevée dans de bonnes conditions, sans rupture de la montée de sève et qu’un délai suffisant est laissé à la régénération, les arbres peuvent vivre de nombreuses années et produire assez pour soulager une famille. Malheureusement, nous avons fréquemment constaté sur le

terrain l’abattage ou le prélèvement intégral de l’écorce, ce qui conduit à court terme à la mort de l’arbre.

Bien d’autres essences ligneuses sont couramment utilisées par les médecins traditionnels sur le Mont Cameroun, comme le parasolier (Musanga spp.) pour les problèmes d’allaitement (les amandes sont pilées avec de l’eau et le mélange obtenu est appliqué en massage sur la poitrine de la patiente), le wokaka (Trichilia rubescens) qui est un laxatif et traite les maux d’estomac, ou l’èvèvè dont l’infusion de feuilles est un fortifiant131.

Les ligneux que nous venons de décrire ne sont pas cultivés. Ils croissent au sein de la forêt likomba, ou du wanga, l’espace dédié aux cultures – le bush anglophone. Sans faire l’objet d’un plan cultural, ils sont intégrés aux parcours des hommes et leur présence, leur dissémination, leur entretien même est, la plupart du temps, le résultat d’une démarche anthropique. Les essences utiles de la grande forêt ne sont ni complètement domestiquées, ni complètement sauvages. Elles font partie intégrante du système agroforestier qui domine sur les hautes pentes du volcan.

Qu’en est-il alors des espèces faisant partie intégrante de la conduite du champ ?

- Les alliés du champ

« Tu dois préserver la forêt parce que tu ne peux cultiver

efficacement sans l’ombre et le compost des arbres. »132

En pays mokpe, l’arbre est le pilier du champ. Les paysans que nous avons rencontrés s’accordent à dire, dans une écrasante majorité, qu’il est à l’origine de la fertilité des sols. Comment cela est-ce possible, et que recouvre cette assertion ?

Planter un arbre sur le Mont Cameroun est un acte d’importance. Celui qui accomplit cette tâche marque, de manière ostentatoire, son statut sur le sol. Car l’arbre est le signe de la maîtrise foncière. Seule la personne possédant cette maîtrise peut prétendre à planter ou à

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Informations fournies par M. Martin Kove Ekwa, médecin au village de Bonakanda. 132

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exploiter l’arbre à son compte. Lorsqu’une parcelle de terre mokpe est louée à un stranger, ce dernier ne peut couper les arbres utiles dont les bénéfices reviendront en temps voulu au « propriétaire »133. L’arbre au champ est un marqueur foncier, il sert aussi à identifier les limites de chaque parcelle. Les essences choisies pour cette fonction sont variées mais elles renseignent sans ambiguïté le passant. Après des années de jachère, les enfants et les petits enfants d’un ancien exploitant sont capables de redessiner, au sein de la grande forêt, les contours du champ abandonné par la simple reconnaissance des arbres stratégiques. Bananiers plantain, avocatiers,

ikoko (Dracaena arborea), ezukuruku (la légumineuse Erythrina addisoniae dont la bouture

plantée en terre prend racine très facilement), maiwa (le manguier sauvage Irvingia gabonensis), ou croton (Codiacum variegatum) sont les plus utilisés pour cette fonction.

Voici comment le chef Lifambe explique la constitution d’un bornage :

« Nous savons ! Quand quelqu’un a cultivé longtemps un endroit qui s’arrête à une haie et qu’un jour il décide de dépasser cette haie pour aller plus loin, il y aura des témoins pour voir qu’il a outrepassé sa limite. Ils seront là pour prouver. Et même, quand tu achètes une terre, tu plantes des arbres pour en marquer les limites, en présence de témoins. Et si ton voisin ou toi les outrepassent, les témoins pourront attester qu’hier tu étais ici et qu’aujourd’hui tu cultives là. »134

Les conflits de bornage ne sont pas rares et leur résolution relève de la compétence des autorités coutumières.

Des amoncellements de roches volcaniques sont aussi utilisés pour le même usage mais il est reconnu qu’ils ne constituent pas de preuve irréfutable du fait de leur amovibilité. On leur préfère ainsi les ligneux, et parfois la pose d’un mae (littéralement « médicament ») de protection sur les jalons, afin de dissuader les velléités d’expansion d’un voisin trop entreprenant. Il suffit d’aller consulter un spécialiste de la question, en général un médecin, et de lui exposer la situation. Le charme opère sur celui qui persisterait à outrepasser les frontières.

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Le terme « propriétaire » n’est pas le plus indiqué car il ne recouvre pas, comme nous l’avons déjà abordé, la réalité de l’appropriation foncière. Seul le village est propriétaire de sa terre. Les individus, s’ils peuvent revendiquer l’usage exclusif d’une parcelle, et la transmettre à leurs enfants, n’en sont en quelque sorte que les usufruitiers. La propriété dans ce cas n’est que temporaire, elle dépend de l’aptitude de chacun à entretenir la parcelle. La donne change aujourd’hui sur les terres situées en aval de la ceinture haute des villages wakpe, où certaines parcelles sont vendues par les villages à des allochtones, pour la construction notamment.

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ET PROTECTIONS