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La dimension humaine et la finalité des réseaux

Entreprise par son créateur - propriétaire - dirigeant

1.3.4.1. La dimension humaine et la finalité des réseaux

La dimension humaine de la coopération interentreprises correspond à un capital relationnel mobilisable au même titre que les autres formes de capital (financier, technique, humain). Ce capital est caractérisé par le volume des liens que l’entrepreneur entretient avec ses pairs, selon leur nature routinière, stratégique ou héritée (FROEHLICHER, 1998, p. 114). Le terme « héritée » correspond, pour LEE et TSANG64 (2001), au fait que le réseau personnel d’un dirigeant est un produit de son histoire, son background (expérience, éducation). La relation interentreprises est avant tout une relation interpersonnelle. Cet élément est encore plus marqué dans le cadre de la création d’une TPE où l’entrepreneur apparaît, nous l’avons vu, comme un véritable homme orchestre incarnant toutes les fonctions. Le porteur novice de projet de création de TPE doit s’interroger sur la nature et l’intérêt des relations qu’il développe. La question sous-jacente est : qui est susceptible de connaître la personne dont j’ai besoin ? Pour BURT (1992), c’est l’absence de lien (trou structural) dans la structuration du réseau personnel des individus qui est stratégique. Un trou structural concerne l’absence de lien entre deux membres d’un même réseau. L’appartenance à ce réseau peut permettre la communication et l’échange dans des

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LAUMANN, GALASKIEWICZ et MARSEN (1978), cités par RICHOMME-HUET et DE FREYMAN (2008).

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conditions de confiance privilégiée. Les acteurs, ayant des réseaux riches en trous structuraux, sont les mieux informés et ils bénéficient des opportunités les plus lucratives.

Les liens apparaissent comme déterminés par une finalité économique, dans notre cas la réalisation du projet. Les relations incluent ainsi une double dimension de faisabilité et de potentialité, nécessairement en amont de la coopération. Les relations interindividuelles ne sont pas le fruit du hasard65 (HUAULT, 1998 ; RICHOMME-HUET et DEFREYMAN, 2008). Les réseaux ne naissent pas organisationnels, ils le deviennent par les actions combinées d’individus prêts à coopérer dans l’intérêt de tous. Ils ont pour particularité d’être des décideurs, soit propriétaires dirigeants, soit délégataires comme peuvent l’être les conseillers financiers. Ramené à la création d’une TPE par un entrepreneur sans expérience, cela signifie que le porteur de projet va d’abord travailler sur des relations interpersonnelles avant de les normaliser dans une relation d’affaires. Il va, dans un premier temps, exploiter les relations héritées qu’il a construites dans son entourage (réseau personnel : amis, connaissances), les autres types de relations (routinières ou stratégiques) n’étant utilisées qu’en cas de coopération effective, puis essayer de développer ces relations par rebonds (et bénéficier ainsi d’un trou structural), avant de les normaliser dans une relation d’affaires. Ce réseau, que le porteur de projet construit, est fondé en grande partie sur une logique d’appartenance, de communauté, voire de réciprocité, avec des attentes bilatérales entre les personnes sur leur comportement. Le parallèle avec l’approche conventionnaliste et le Common Knowledge de LEWIS (1969, voir section 6.2.1 de notre travail) peut être fait (HUAULT, 1998). Nouvel entrant dans le réseau, le porteur de projet doit identifier et assimiler le mode de fonctionnement en place, même si son intervention peut en modifier certaines pratiques, sans en altérer la qualité.

La constitution des réseaux et leur fonctionnement sont déterminés, dans le cadre de la

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Avec la démarche qualitative que nous menons dans ce travail, nous pouvons illustrer cette idée d’absence de hasard dans l’entrée en relation entre le porteur de projet et le conseiller financier : C.M., conseiller financier depuis plus de dix ans dans la même agence du Crédit Agricole, pose systématiquement la question suivante : « pourquoi êtes-vous venus ME voir ? ». Il cherche à savoir comment le porteur de projet a choisi son agence, est-ce parce qu’il fait le tour de la place, par prescription et, si oui, qui est le prescripteur, ou alors par réputation ou bouche à oreilles. Cette information lui permet de situer le porteur de projet dans un réseau plus vaste susceptible d’avoir une influence sur l’activité de l’entreprise et sur son chiffre d’affaires. Cela lui donne également une idée sur la manière de travailler du prospect et sa capacité à mobiliser l’information disponible.

théorie de l’échange social66, par l’influence que ces échanges peuvent avoir sur la réalisation des objectifs respectifs des acteurs membres de ce réseau. Celui-ci apparaît comme un capital social que PLOCINIEZAK (2003) définit comme « la somme des

ressources actuelles et potentielles encastrées à l’intérieur, disponibles au travers, et dérivées des réseaux de relations possédées par un acteur, l’accès à ces ressources devant avoir un effet positif sur l’action ». Cette définition correspond à l’approche de la TPE

externalisant sa flexibilité. Elle donne également au réseau une connotation d’investissement humain (essentiellement en temps) pour favoriser la croissance de ce capital social rendant possible la réalisation de certaines fins. Le porteur de projet astructuré prend une dimension réticulée (MESSEGHEM et alii, 2008). Son projet implique un intérêt personnel et des dimensions relationnelles comme la confiance, le statut, le prestige, l’approbation. La construction de son réseau pendant la phase de préparation est évaluée par le conseiller financier quant à la potentialité de ce réseau à garantir le développement et la pérennité de l’entreprise. Nous retrouvons l’importance de la base commune de connaissances développée dans notre approche de la proxémique collective territoriale. La banque va évaluer la rationalité du porteur de projet et le caractère plus ou moins judicieux de son insertion dans la structure relationnelle en place sur le territoire d’implantation. Il va évaluer le projet et la qualité des parties prenantes.

Posséder un bon réseau ne signifie cependant pas pour autant qu’il est utilisable ou que l’entrepreneur saura s’en servir. L’utilisation des réseaux peut être approchée par les ressources relationnelles (GERANDEL, 2007), c'est-à-dire les ressources obtenues auprès du réseau. La personnalité de l’acteur apparaît comme un modérateur du lien entre la structure du réseau (la force des liens, le statut des acteurs, entre autres) et les ressources relationnelles potentielles. Selon sa personnalité, le porteur de projet de création d’une TPE obtiendra plus ou moins de ressources, à réseau équivalent.

Les gains que les acteurs peuvent retirer de leur coopération dans le réseau dépendent du maintien de cette qualité des liens. RICHOMME-HUET et DE FREYMAN (2008) mettent en évidence l’utilisation prioritaire des liens forts au sens de GRANOVETTER (1973) dans la construction des réseaux d’artisans. Cette préférence, a priori potentiellement moins profitable que l’utilisation de liens faibles, repose sur une notion essentielle dans la constitution et la pérennité des réseaux, à savoir la confiance (DETCHESSAHAR, 1998 ;

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INGHAM et MOTHE, 2003 ; BRULHART, 200567). Elle rend toutefois plus délicate l’insertion d’un nouvel entrant représentant un lien faible. SIMSEK et alii68 parlent de fermeture du réseau pour exprimer cette préférence des acteurs en place de travailler avec les autres membres du réseau plutôt qu’avec des entreprises extérieures Moins marqué dans les autres secteurs représentatifs de la TPE, cette préférence est symptomatique de l’encastrement du réseau dans une dimension structurelle, correspondant à la nature des liens qui unissent les membres.